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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/25560/2021

CAPH/12/2024 du 30.01.2024 sur OTPH/1074/2023 ( OO ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.126; CPC.319
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25560/2021 CAPH/12/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 30 JANVIER 2024

 

Entre

1) A______ LIMITED, sise ______, (Grande Bretagne) et

2) B______ (SUISSE) SA, sise ______ [VD], c/o Me G______,

recourantes contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 21 juin 2023, toutes deux représentées par Me Felix DASSER et Me Jeremy REICHLIN, avocats, Homburger AG, Hardstrasse 201, 8005 Zürich,

 

et

Monsieur C______, domicilié ______ [GE], intimé, représenté par Me Vincent GUIGNET, avocat, Borel & Barbey, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6,


EN FAIT

A.           Par ordonnance OTPH/1074/2023 du 21 juin 2023, reçue par les parties le 22 juin 2023, le Tribunal des prud'hommes a notamment rejeté la demande de A______ LIMITED et B______ (SUISSE) SA visant à se déterminer sur le mémoire de duplique du 7 juin 2023 déposé par leur partie adverse (ch. 2 du dispositif) ainsi que leur requête du 15 février 2023 tendant à la suspension de la présente procédure (ch. 2).

B.            a. Le 30 juin 2023 A______ LIMITED et B______ (SUISSE) SA (ci-après les recourantes) ont formé recours contre cette ordonnance, concluant notamment à ce que la Cour de justice constate que leur droit d'être entendues a été violé, annule l'ordonnance précitée et renvoie la cause au Tribunal pour "nouvelle décision au sens des considérants", avec suite de frais et dépens.

Elles ont produit une pièce nouvelle, à savoir un courriel du 27 juin 2023 (pièce 9).

b. Le 14 août 2023, C______ a conclu à ce que la Cour déclare le recours irrecevable, subsidiairement le rejette, avec suite de frais et dépens. Cette écriture a été reçue par les recourantes le 16 août 2023.

c. Le 8 septembre 2023, les recourantes ont déposé une écriture spontanée, persistant dans leurs conclusions.

d. Le 22 septembre 2023, C______ a fait valoir que cette écriture était irrecevable, persistant pour le surplus dans ses précédentes conclusions.

e. Le 6 octobre 2023, les recourantes ont déposé une écriture spontanée, persistant dans leurs précédentes conclusions.

f. Le 20 octobre, C______ a fait de même.

g. Le 3 novembre 2023, les recourantes ont encore déposé une détermination.

h. Les parties ont été informées le 1er décembre 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. Le 30 mai 2022, les recourantes, qui font partie d'un groupe appelé B______, et sont actives dans le domaine du trading de pétrole et matières premières, ont assigné C______ en paiement de 8'989'650 USD par devant le Tribunal des prud'hommes.

Elles allèguent notamment que ce montant leur est dû en raison du fait que C______, leur ancien employé, a violé son obligation de fidélité à leur égard en percevant des primes "hors contrat", par l'intermédiaire d’une société D______ SA, primes qui auraient dû leur être versées. Ces primes avaient été versée en lien avec une fraude dont le groupe B______ avait été victime de la part de deux de ses anciens employés, à savoir E______ et F______.

Les recourantes ont fait valoir diverses prétentions contre ces derniers dans le cadre de plusieurs procédures pendantes en Suisse et au Royaume Uni, notamment devant la High Court of Justice à Londres.

b. C______ a conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet. Il conteste les allégations de ses parties adverses et fait valoir qu'il a respecté toutes ses obligations à leur égard. Les prétentions de celles-ci se heurtaient à la prescription. La fraude reprochée à E______ et F______ était invraisemblable et, en tout état de cause, rien ne permettait de retenir qu'il y serait lié. Son nom n'était cité dans aucune des procédures pendantes en lien avec cette fraude alléguée et il n'avait jamais fait l'objet d'une dénonciation pénale.

c. Le 15 février 2023, les recourantes ont requis la suspension de la présente procédure jusqu'à droit connu dans la procédure n° CL-2015-1______ les opposant à E______ et F______ devant la High Court of Justice à Londres.

Elles ont fait valoir que, à défaut de suspension, il existait un risque de contrariété de jugements, puisque la High Court of Justice pourrait retenir que les précités avaient commis une fraude, alors que le Tribunal pourrait considérer que tel n'avait pas été le cas. Les premières mesures d'instructions venaient d'avoir lieu dans la procédure anglaise, un délai ayant été imparti aux défendeurs pour se déterminer sur leurs allégations.

d. Le 8 mars 2023, C______ a conclu au rejet de la requête de suspension. La procédure anglaise ne le concernait en rien, il n'y était cité ni comme partie, ni comme témoin. Le Tribunal des prud'hommes n'avait pas à se déterminer sur l'existence d'une fraude de la part de E______ et F______, de sorte que le jugement à rendre dans cette procédure n'avait aucune portée préjudicielle pour la présente cause. Les parties aux deux procédures n'étant pas les mêmes, il n'existait pas de risque de contrariété des décisions. La requête était abusive car rien n'obligeait les recourantes à agir en Suisse avant l'issue de la procédure anglaise.

e. Les 26 avril et 7 juin 2023, les parties ont déposé des déterminations spontanées, persistant dans leurs conclusions.

f. Le 16 juin 2023, les recourantes ont sollicité de la part du Tribunal l'octroi d'un délai de 30 jours pour se déterminer sur l'écriture de leur partie adverse du 7 juin 2023.

 

EN DROIT

1.             1.1 La décision refusant la suspension de la cause est une ordonnance d’instruction qui peut faire l'objet du recours prévu par l'art. 319 let. b ch. 2 CPC (HALDY, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 9 ad art. 126 CPC ; Colombini, Code de procédure civile : condensé de jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, § 6.3 ad art. 126 CPC).

Selon l’art. 319 let. b ch. 2 CPC, le recours est recevable contre les ordonnances d'instruction de première instance lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable.

1.2 En l'espèce, dirigé contre une décision refusant la suspension de la procédure, le recours, écrit et motivé, et déposé auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (321 al. 1 et 2 CPC), est recevable sous cet angle.

Reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable aux recourantes.

2. Le Tribunal a considéré que, dans la mesure où les parties s'étaient déjà expliquées à deux reprises sur la question de la suspension de la procédure, il n'y avait pas lieu d'impartir aux recourantes un délai supplémentaire de 30 jours pour s'exprimer sur la détermination de l'intimé du 7 juin 2023. Sur le fond, il ne se justifiait pas de suspendre la présente procédure dans l'attente de l'issue de la procédure anglaise car les parties aux deux procédures n'étaient pas les mêmes, la demande de suspension était tardive et la procédure anglaise n'avait aucune portée préjudicielle pour trancher le présent litige.

Les recourantes font valoir que, en refusant de leur impartir un délai pour déposer une écriture supplémentaire, le Tribunal a violé leur droit d'être entendues, ce qui constitue un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

2.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacrée par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, op. cit., n° 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, Commentaire romand, n° 22 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, n° 8 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n° 22a ad art. 319 CPC).

Lorsque la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, la décision incidente ne pourra être attaquée qu'avec le jugement rendu au fond (Message du Conseil fédéral relatif au CPC, FF 2006 6841, p. 6984; Brunner, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 13 ad art. 319 ZPO).

En particulier, une décision de refus de suspension peut être remise en cause dans le cadre d'un appel ou un recours dirigé contre la décision finale (arrêts du Tribunal fédéral 5D_182/2015 du 2 février 2016 consid. 1.3; 5A_545/2017 du 13 avril 2018 consid. 3.2).

Le risque de ne pas obtenir gain de cause ne constitue pas un dommage difficile à réparer, mais un risque inhérent à toute procédure judiciaire. Un accroissement des frais ou une simple prolongation de la procédure ne représentent pas non plus un tel préjudice (Spühler, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, n. 25 ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; Haldy, Commentaire romand, n. 9 ad art. 126 CPC).

2.1.2 En procédure sommaire, applicable en l'espèce s'agissant d'un incident de suspension de la cause (ATF 138 III 705 consid. 2.1), l’article 253 CPC met en œuvre le droit d’être entendu. Un second échange d’écritures n’y est pas prévu, de sorte qu’au vu de la nature de la procédure sommaire, il s’impose de faire preuve de retenue à cet égard. Cela ne change cependant rien au fait que les parties, en vertu des articles 6 §1 CEDH et/ou 29 al. 1 et 2 Cst., ont le droit de se déterminer sur toute écriture du tribunal ou de la partie adverse, indépendamment du fait que celle-ci contienne ou non des éléments nouveaux et importants (arrêt du Tribunal fédéral 5A_82/2015 du 16 juin 2015 consid. 4.1, in RSPC 2015 p. 424, n°1717).

Toute prise de position ou pièce nouvellement versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent faire usage de leur droit de réplique (ATF 139 I 189 consid. 3.2; 139 II 489 consid. 3.3; 138 I 154 consid. 2.3 p. 157, 484 consid. 2.1 p. 485 s.; 137 I 195 consid. 2.3.1 p. 197; arrêt 4A_29/2014 du 7 mai 2014 consid. 3, non publié in ATF 140 III 159).

Si le tribunal communique l'écriture pour information sans fixer de délai pour d'éventuelles observations, il doit surseoir à statuer afin de permettre à la partie adverse de déposer des observations spontanées et ne rendre sa décision qu'après écoulement d'un laps de temps suffisant pour admettre que la partie intéressée a renoncé à répliquer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_332/2011 du 21 novembre 2011, consid. 1).

Le délai d'attente sur lequel doit compter le tribunal ne saurait, en règle générale, être inférieur à dix jours ni supérieur à celui pour recourir. Ce délai d'attente comprend le temps nécessaire au plaideur pour faire parvenir son éventuelle réplique au Tribunal (arrêt du Tribunal fédéral 5D_112/2013 du 15 août 2013 consid. 2.2.3; 5A_750/2016 du 15 novembre 2016 consid. 2.1).

2.1.3 Selon l'art. 126 al. 1 CPC, le tribunal peut ordonner la suspension de la procédure si des motifs d’opportunité le commandent. La procédure peut notamment être suspendue lorsque la décision dépend du sort d’un autre procès.

2.2.1 En l'espèce, le Tribunal n'était pas tenu d'impartir aux recourantes, qui s'étaient déjà exprimées à deux reprises sur la question de la suspension, un délai supplémentaire de 30 jours pour se prononcer une troisième fois sur cette question. En effet, l’impératif de célérité inhérent à la procédure sommaire exclut en principe qu’il soit procédé à plusieurs échanges d’écritures.

Si les recourantes estimaient nécessaire de se prononcer une troisième fois sur la question de la suspension, il leur incombait de déposer une écriture spontanée dans les dix jours suivant la réception de la détermination de l'intimé, ce qu'elles n'ont pas fait.

Le Tribunal n'a dès lors pas violé leur droit d'être entendues.

Le chiffre 2 du dispositif de l’ordonnance querellée doit par conséquent être confirmé.

2.2.2 Les recourantes ne font pas valoir d'autre motif que la violation du droit d’être entendu pour étayer leur allégation selon laquelle elles subiraient un risque de préjudice irréparable s’il n’était pas entré en matière à ce stade sur leur recours.

Les explications qu’elles fournissent en lien avec leur pièce 9, nouvellement produite, sont en particulier irrecevables, puisque cette pièce est irrecevable en application de l’art. 326 al. 1 CPC.

Il n’existe en l’espèce aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les ordonnances d'instruction ne sont pas susceptibles de recours indépendamment du fond du litige.

Le refus de la suspension sollicitée par les recourantes n'est en effet pas susceptible de leur causer un préjudice difficilement réparable qui ne pourrait pas être supprimé dans l'hypothèse d'une décision finale qui leur serait défavorable.

A supposer que, à l'issue de la procédure devant le Tribunal, les recourantes n'obtiennent pas gain de cause, elles pourront, le moment venu, si elles s'y estiment fondées, requérir de la Cour la suspension de la cause jusqu'à droit jugé dans le cadre de la procédure anglaise.

Si une telle suspension se justifie, elle pourra être prononcée le moment venu, soit par la Cour, soit par le Tribunal si la cause lui est renvoyée pour ce motif.

Le recours doit par conséquent être déclaré irrecevable.

3. Les frais judiciaires de recours seront mis à la charge des recourantes, qui succombent (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront arrêtés à 400 fr. (art. 41 et 71 RTFMC) et compensés à avec l’avance versée, qui reste acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimé vu la nature de la procédure (art. 22 al. 2 LaCC).

 

* * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :

Déclare irrecevable le recours formé par A______ LIMITED et B______ (SUISSE) SA contre l'ordonnance OTPH/1074/2023 rendue le 21 juin 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/25560/2021.

Met solidairement à la charge des précitées les frais judiciaires de recours, arrêtés à 400 fr., et compensés avec l'avance de frais versée, acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Madame Fiona MAC PHAIL, Monsieur Valery BRAGAR, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.