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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/7103/2019

CAPH/91/2023 du 11.07.2023 sur JTPH/306/2022 ( OS ) , ARRET/CONTRA

Recours TF déposé le 14.09.2023, 4A_461/23
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7103/2019-4 CAPH/91/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 11 JUILLET 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 4 octobre 2022 (JTPH/306/2022), comparant par Me Patrick SPINEDI, avocat, Spinedi Avocats Sàrl, rue Saint-Léger 2, 1205 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, comparant par Me Guillaume RUFF, avocat, Etude Ruff SA, chemin du Pré de la Blonde 15, 1253 Vandoeuvres, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,


EN FAIT

A.           a. A______ SA (antérieurement A______ SA jusqu'en mai 2009, puis A______ SA jusqu'en février 2019) est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, qui a pour but – en résumé -la vente de données et infrastructures sur les marchés financiers.

b. A compter du 30 avril 2007, B______ s'est engagée au service de A______ SA en qualité de "Financial applications support specialist".

Le 1er juillet 2010, elle est devenue "Pooled account manager" puis, dès le 1er mars 2013 "Account manager". En dernier lieu, son salaire annuel brut était de 111'000 fr. versé treize fois l'an. Elle bénéficiait du plan "On Target Commission Scheme", le manager étant chargé de définir les objectifs et la commission y associée. En 2015, sa rémunération totale s'est élevée à 171'430 fr. 95, dont 63'417 fr. 55 de commissions.

Son supérieur hiérarchique a été C______ jusqu'en 2016, puis D______. A______ SA allègue que le management du premier était de type paternaliste, tandis que celui du second était davantage "orienté résultats".

L'équipe de travail comptait huit collaborateurs, quatre femmes et quatre hommes, dont une employée à 80% (déjà à ce taux en 2015 selon la déclaration au Tribunal de B______) gérant 131 comptes.

c. B______ allègue qu'elle gérait 23 comptes, pour l'essentiel de qualité, représentant un revenu annuel de 12 millions de francs. A______ SA le conteste.

B______ a déclaré au Tribunal qu'elle avait été promue "face-to-face account manager" après 2013, c'est-à-dire qu'elle s'occupait de clients locaux, suisses ou au Luxembourg, dont les comptes étaient moins nombreux mais plus importants en termes de revenus et de complexité. En 2015, elle avait 24 clients, au Tessin et en Suisse romande.

En 2015, le portefeuille de B______, dont la performance était satisfaisante, était diversifié. La clientèle au Tessin était composée de "gros clients", à Genève, les clients étaient également importants (témoin C______). Ce portefeuille était assez petit, mais les clients étaient d'une certaine importance (témoin E______, employé de A______ SA de 2003 à 2020).

Vers 2015-2016, B______ avait intégré une équipe s'occupant de comptes importants (témoin F______, employé de A______ SA depuis 2005).

Ses collègues ont émis des appréciations écrites positives sur leur collaboration.

d. Dès le 23 octobre 2015, B______ a été partiellement puis totalement (à compter du 25 novembre 2015) incapable de travailler en raison de sa grossesse.

Le 9 novembre 2015, les clients dont elle avait la charge ont été répartis entre ses collègues G______ et H______.

Du 3 mars au 22 juin 2016, B______ a bénéficié d'un congé maternité, puis du 12 août au 31 décembre 2016 d'un congé non payé. Aux termes de l'accord des parties, l'employée réintégrerait son poste, sauf licenciement, et le versement de son salaire reprendrait.

Le 22 décembre 2016, les parties sont convenues que B______ reprendrait son activité à 80% dès le 9 janvier 2017, moyennant un salaire annuel de 92'396 fr. 57.

Ce taux de 80% avait été accordé par son supérieur; parallèlement, les clients au Tessin avait été enlevé à la collaboratrice, jeune mère, en vue de lui épargner des déplacements (témoin D______).

e. B______ allègue qu'il avait été convenu qu'elle reprendrait la gestion de 80% des comptes dont elle assumait la gestion avant ses congés, parmi lesquels pour l'essentiel des comptes de qualité supérieure. A______ SA le conteste.

Selon sa déclaration au Tribunal, son portefeuille devait être identique, mais ajusté à son nouveau taux d'activité; elle était donc sûre de récupérer une partie de ce portefeuille.

Elle s'est vu attribuer plus de 120 comptes, soit 124 selon elle. Ceux-ci, à ses dires contestés, représentaient un revenu annuel de 10 millions de dollars américains.

Elle allègue que les meilleurs comptes avaient été confiés par D______ à son collègue I______, en raison des liens d'amitié de ceux-ci. A______ SA le conteste.

Il est admis que certains des comptes confiés étaient "inactifs".

B______ a déclaré au Tribunal qu'elle avait 65 comptes distincts qui représentaient environ 9 millions de dollars américains de revenus.

Par courriel du 2 mai 2017 adressé à D______, B______ a procédé à une synthèse de l'état du portefeuille repris en janvier précédent. Elle mentionnait la découverte de nouvelles annulations de contrats, ce qui rendait son portefeuille "très difficile" avec des revenus "hautement à risque"; elle était donc préoccupée à propos de ses objectifs et des commissions y relatives. Elle espérait que cela serait pris en considération lors des "révisions semi-annuelles et annuelles, y compris pour les commissions", et que son supérieur serait apte à donner son appui et sa protection dans certains des cas, étant précisé qu'elle l'avait déjà impliqué dans plusieurs discussions. Elle évaluait à 199'000 dollars américains au minimum le revenu mensuel à risque. Elle faisait part de sa motivation et de son implication dans son travail.

D______ a déclaré lors de son audition par le Tribunal en qualité de témoin qu'il avait constitué le portefeuille de B______, à savoir les comptes gérés par le prédécesseur de celle-ci (G______, qu'il n'avait pas voulu garder alors qu'il souhaitait travailler avec B______ et la voir réussir), portefeuille dont il pensait qu'il avait été constitué à l'époque par C______. Il n'avait pas délégué cette tâche à I______. Le revenu annuel sous gestion était d'environ 9 millions de dollars américains. B______ ne s'était pas plainte auprès de lui de ce portefeuille; elle avait évoqué dans le cadre du travail quotidien des clients compliqués ou des situations difficiles, ce qui était le cas pour tous les account managers. En octobre 2017, elle avait fait part de sa préoccupation au sujet de l'atteinte des objectifs, sans demander d'adaptation de celui-ci. Selon le témoin, les objectifs fixés étaient réalistes, même en tenant compte du taux d'activité de 80%, et les moins élevés de l'équipe. Celle-ci comptait des managers plus expérimentés (I______ et J______), qui s'occupaient de comptes plus complexes et plus importants, avec un chiffre d'affaires plus élevé. Chacun avait dans son portefeuille des comptes résiliés; les résiliations intervenues durant le congé de B______ n'avaient pas été prises en compte par rapport aux objectifs, de sorte qu'elles ne l'avaient pas pénalisée. Un client avec résiliation avait été confié à I______ pour éviter que B______ débute à son retour de congé avec une résiliation importante et soit ainsi d'entrée démotivée; la conséquence était que I______ avait le même objectif (+24'000 fr. ) que ses collègues, mais tenant compte de la résiliation importante (- 42'000 fr.), le solde faisait apparaît un objectif négatif (-18'000 fr.). Le témoin n'avait pas de souvenir du courriel du 2 mai 2017, lequel faisait probablement suite à un entretien au cours duquel tous les clients avaient été analysés; selon lui, toutes les résiliations n'avaient pas été validées, et selon son souvenir le chiffre de 190'000 fr. ne s'était pas réalisé, la quotité finale étant de l'ordre de 30'000 à 35'000 fr.

Le témoin E______, employé de A______ SA de 2003 à 2020, a déclaré au Tribunal qu'il ignorait s'il avait été promis à B______ de lui redonner son portefeuille à son retour de congé, mais à son avis c'était le standard dans l'entreprise aux retours de congé maternité ou congé sabbatique de sorte qu'il le pensait. A son retour, elle s'était plainte de la qualité de son portefeuille, auquel elle ne s'attendait pas. C'était un portefeuille hérité de G______, pas loin d'un portefeuille "poubelle". Elle avait des comptes qui ne rapportaient pas beaucoup, dont certaines étaient résiliés ou en cours de résiliation. On voyait les efforts qu'elle faisait pour prendre la main sur ce portefeuille complètement neuf; selon les échos, son travail était excellent. Les petits clients donnent plus de travail.

I______ (employé de A______ depuis 2000), entendu en qualité de témoin par le Tribunal, a déclaré qu'il avait récupéré à son souvenir deux clients gérés par G______, la plus grande partie de la clientèle de ce dernier ayant été confiée à B______. Il n'avait pas le sentiment d'avoir été favorisé par rapport à sa collègue. Celle-ci avait bénéficié de beaucoup de flexibilité, dans les horaires puisqu'elle rentrait chez elle allaiter à midi, presque tous les jours, voire ne revenait pas au bureau l'après-midi allant voir des clients.

Il y avait un aménagement de son horaire de travail, pour que B______ puisse allaiter son enfant (témoin K______).

B______ s'était plainte de son portefeuille, dont elle n'était pas contente, à son retour. Ses objectifs étaient difficiles à atteindre, compte tenu des annulations. Elle avait l'impression de ne pas être traitée de manière équitable. Elle s'était plainte de la charge de travail; il était difficile de "sauver son business" vu les annulations et son taux d'activité de 80%. De l'avis du témoin, les objectifs n'étaient pas atteignables. C'étaient les objectifs les moins élevés de tous les account managers, notamment moins élevé que celui de son collègue L______ . Le portefeuille de B______ n'était souhaité par personne. A sa reprise de ce portefeuille, la témoin n'avait pas d'objectifs; le travail lui plaisait (témoin M______, assistante au service de A______ SA de 2011 à 2021).

Les gros contrats du portefeuille remis à son retour étaient résiliés. C'est une des raisons qui faisait peser une pression sur B______. Il était connu que celle-ci avait un portefeuille compliqué. Les gros clients donnaient souvent plus de travail que les petits (témoin N______, employé de A______ SA depuis 2005).

La témoin H______ (employée de A______ SA de 2011 à 2020) a déclaré au Tribunal qu'elle avait comme B______ plus de clients mais des clients plus petits. La précitée s'était plainte auprès d'elle d'avoir un portefeuille qui avait considérablement grossi en nombre de clients et de ce que ceux-ci n'étaient pas les plus prospères. La témoin avait récupéré les comptes du Tessin, ce qui correspondait à la préférence de B______. C'était I______ qui avait constitué ce portefeuille, pour lequel "on" ne se serait pas battu. Les collègues masculins I______ et J______, qui avaient des portefeuilles qui n'avaient pas évolué, étaient considérablement plus expérimentés que B______ et le témoin.

Selon le témoin G______ (employé de A______ SA de 2004 à 2017), il était logique que B______ retrouve ses clients à son retour, mais il ignorait si une promesse avait été faite en ce sens. Son propre portefeuille n'avait pas un haut potentiel. A son souvenir, il avait hérité en 2015 de celui de B______ pendant le congé maternité de celle-ci. Il y avait eu des annulations de compte, de sorte qu'il n'avait pas atteint ses objectifs en 2016. Au retour de B______, le témoin avait fait une passation à celle-ci de ses comptes; il n'avait pas entendu de sa part de plaintes directes selon lesquelles elle aurait eu trop de comptes. A son avis, s'occuper à 80% de son portefeuille ainsi que de l'ancien de B______ n'était pas gérable, étant précisé qu'il travaillait lui-même à "100% et même plus pour ce portefeuille". Pendant son congé, le portefeuille de B______ avait évolué; un compte avait été attribué à son collègue I______ pour le regrouper avec un autre géré par ce dernier (le client ayant annulé avant le transfert, il y avait eu un impact sur ses objectifs). L'attribution d'un compte zéro revenu pouvait avoir pour but que le manager le réactive et essaie de le vendre, ou pour but des regroupements auprès d'un seul manager.

O______ (employée de A______ SA déjà en 2015), entendue par le Tribunal en qualité de témoin, a déclaré qu'elle travaillait en 2015 à 80%, suite à un congé-maternité, et avait retrouvé le même portefeuille qu'auparavant (15 à 20 clients) et les mêmes objectifs que lorsqu'elle travaillait à 100%. Il ne lui avait pas été garanti qu'elle retrouverait le même portefeuille à son retour. Elle-même avait bénéficié de six mois de congé maternité après la naissance de chacun de ses trois enfants. Elle n'avait pas eu le sentiment d'être discriminée. Elle avait obtenu du soutien pour remplir ses objectifs, et avait le sentiment que sa collègue B______ avait eu le même soutien qu'elle-même de la part de ses collègues et de la hiérarchie au retour de son congé.

f. B______ allègue que dès sa reprise d'emploi à 80%, elle s'est plainte d'actes de mobbing de la part de son supérieur D______, et que celui-ci favorisait ses subordonnés masculins. A______ SA le conteste, faisant valoir que le précité s'était montré bienveillant envers B______ tout au long de leur relation de travail.

Selon B______, les femmes subordonnées à D______ avaient de manière générale deux fois plus de comptes à gérer que les hommes subordonnés au précité, A______ SA le conteste.

B______ allègue qu'elle avait reçu de son supérieur des objectifs irréalistes et l'avait dénigrée auprès d'employés de l'entreprise. A______ SA le conteste.

B______ a déclaré au Tribunal que D______ lui avait dit, ainsi qu'à d'autres collaborateurs ou devant d'autres employés, qu'elle ne savait pas s'organiser ni traiter les priorités, également s'agissant de l'implication de son mari dans leur organisation de famille, et que l'un des principaux problèmes était son taux d'activité à 80%. Leur relation était bonne (sauf quand il s'agissait d'objectifs), cordiale, mais le précité lui faisait sentir qu'elle n'était pas à la hauteur. Elle avait commencé à douter d'elle-même, à dormir de moins en moins bien puis à avoir des problèmes de santé (peau, bruxisme et dépression d'une année). Elle avait attribué ces troubles au comportement de D______, étant en bonne santé auparavant. Elle avait une relation amicale avec la responsable de ressources humaines, qu'elle voyait informellement depuis l'été 2017, et à qui elle avait fait part d'une relation un peu tendue avec son supérieur.

A______ SA a déclaré au Tribunal que D______ était basé à Zurich, tandis que I______ se trouvait à Genève. Les difficultés rencontrées par B______ avec D______ n'étaient pas connues avant décembre 2017. Le précité était très professionnel et n'avait jamais eu d'attitude sexiste. Il ne s'était pas plaint de sa collaboratrice auprès de la direction.

La témoin K______ (responsable RH) a déclaré avoir partagé des repas avec B______. Celle-ci lui avait parlé de difficultés avec son supérieur, soit des appels de temps en temps pendant son jour de congé, des difficultés à atteindre les objectifs parce que les clients étaient compliqués et peu porteurs. La témoin avait suggéré d'organiser une rencontre, et une médiation, avec les précités, mais B______ l'avait refusé. Elle ne voulait pas non plus d'une formalisation des plaintes.

D______ était aimable, ouvert, loyal (témoin O______), sympathique (témoin G______), plus direct que son prédécesseur (témoin N______).

Le témoin E______ s'entendait bien avec D______ tout en ayant eu avec lui des "contrastes" [sic], soit des visions différents sur la gestion du business. Ce dernier était plus "axé business", que son prédécesseur au style plus ouvert à la discussion et davantage bienveillant. Selon le témoin, D______ n'avait jamais eu de respect pour le travail accompli par B______; il critiquait ce travail, disant qu'elle n'arrivait pas à gérer son portefeuille. Celle-ci était sous pression même à la maison, et de manière systématique, pas intégrée dans l'équipe, sans soutien.

Les femmes avaient de plus petits portefeuilles, moins dynamiques et moins intéressants pour le business (témoin M______).

Il n'avait pas été constaté que les femmes avaient des portefeuilles avec davantage de clients que ceux des hommes.

Il n'y avait pas eu d'autres plaintes à l'encontre de D______ que celle de B______ (témoin K______).

Le témoin D______ n'avait pas l'impression d'avoir traité B______ moins bien que d'autres collaborateurs. Il s'entendait très bien avec elle, dans le cadre de relations professionnelles normales, sans disputes et sans élever la voix.

g. Dans un rapport intitulé "atelier d'évaluation de la performance" pour 2017, D______ a notamment relevé que B______ avait la volonté d'atteindre les objectifs fixés, avait des résultats insuffisants, des difficultés à s'organiser avec son 80%, passait à côté d'opportunités évidentes, demandait de l'aide à ses collègues et devait mieux utiliser les services de l'assistante. Il lui fallait poser des questions et s'affirmer.

Dans son rapport de performance de l'exercice 2017, établi à une date indéterminée, B______ a relevé notamment que son supérieur avait souvent participé à des négociations ou discussions concernant des annulations avec des clients.

h. Le 5 décembre 2017, B______ a rencontré, à sa demande, la responsable des ressources humaines.

Celle-ci a rédigé une note de synthèse, dont résulte que l'employée dormait mal, que sa fille pleurait beaucoup et ne voulait plus dormir, générant du stress, qu'elle avait l'impression que son supérieur la remettait en cause, l'appelait le soir et durant son jour de congé, se montrait parfois sympathique et parfois lui faisait des reproches. B______ avait refusé sa proposition d'une rencontre avec le précité pour mettre les choses à plat, au motif que cela ne servait à rien, et voulait se mettre en arrêt-maladie

Elle pleurait, elle craquait, résultat de ce qu'il se passait avec son supérieur, soit essentiellement le fait de ne pas réussir à atteindre ses objectifs du fait de son portefeuille. La question d'un arrêt maladie avait été abordée, pour souffler un moment. La témoin avait parlé avec elle du processus en cas de harcèlement au travail; il y avait un lien sur le site internet. La témoin avait rédigé une note au dossier et avait évoqué le cas avec sa hiérarchie (témoin K______).

i. A compter du 6 décembre 2017, B______ a été incapable de travailler à 100%.

Selon son médecin-psychiatre, entendue comme témoin par le Tribunal, B______ était venue pour des difficultés rencontrées avec sa fille, dont elle s'occupait en rentrant de son travail. Elle était épuisée, souffrait d'une baisse d'estime d'elle-même, relatant des événements de son travail, notamment le fait que certaines tâches lui avaient été retirées, ce qui l'avait beaucoup affectée. Elle avait le sentiment de payer son congé-maternité. Elle était déprimée lorsqu'elle parlait de son travail; quand le sujet travail avait été abordé, elle s'était effondrée. Elle n'avait pas fait part d'historique de dépression ni de trouble du sommeil ni de baisse d'estime d'elle-même. De l'avis de la médecin, il était difficile de déterminer si les difficultés de sommeil étaient liées à l'enfant, qu'elle avait allaitée jusqu'en juin 2018, ou à la dépression.

Selon le médecin-conseil de P______, intervenu à la demande de l'employeur pour vérifier la validité du certificat médical produit par B______, qui avait reçu celle-ci en juin 2018, les troubles décrits par la précitée, qui avait pleuré à plusieurs reprises, étaient qu'elle se sentait épuisée, ne mangeait plus, ne dormait plus. Le témoin s'était assuré qu'elle était suivie médicalement pour l'état dépressif suite à un surmenage au niveau du travail, et l'arrêt médical lui avait paru juste.

Son supérieur avait été totalement surpris par cet arrêt-maladie; il n'y avait aucun signe précurseur. Il aurait souhaité que sa subordonnée lui parle; certains reproches l'auraient obligée à s'adresser à son manager, et il y avait des processus internes. Il aurait voulu continuer à travailler avec elle, et a regretté l'issue de la relation de travail. Il a relevé que selon sa lecture de la rémunération effective de B______, celle-ci avait perçu en 2017 le 80,8% de ce qu'elle avait touché en 2017 et donc gagné le même salaire durant ces deux exercices, en tenant compte du taux d'activité de 80% (témoin D______).

Le témoin N______ avait vu sa collègue B______ s'éteindre petit à petit, étant sous pression et travaillant beaucoup. Elle n'avait pas parlé de la pression de sa hiérarchie mise à son retour, mais il l'avait compris. Une des raisons de la pression était qu'elle avait un portefeuille compliqué, avec des clients qui pouvaient partir (et que l'account manager avait mission de retenir pour renégocier le contrat), et des opportunités de développement et de migration,

Tout le monde avait été surpris par l'incapacité de travail de B______ fin 2017; celle-ci n'avait pas l'air spécialement malade (témoin I______).

La dégradation de son état de santé n'avait pas été observée (témoin H______).

j. Une analyse des portefeuilles de tous les vendeurs a été réalisée par le supérieur de D______. Il en est résulté que le portefeuille de B______ n'était pas "autrement différent" des autres portefeuilles (témoin K______).

k. En janvier 2018 a été annoncé que les actifs de l'employeur seraient repris partiellement par un fonds tiers.

Le 15 octobre 2018 a été ouverte dans ce cadre une consultation relative à des licenciements collectifs, laquelle s'est achevée le 6 novembre 2018, les congés ayant été signifiés en novembre 2018. Selon A______ SA, les licenciements ont concerné principalement deux départements, soit "Help-desk" et "Customer Administration", réduisant l'effectif du personnel à Genève de 66%, aucun collaborateur "account manager" n'étant congédié.

Au Tribunal, A______ SA a déclaré que dans le département auquel appartenait B______, seules deux personnes avaient été congédiées et avaient bénéficié du plan de licenciement collectif.

l. Par lettre du 21 juin 2018, A______ SA a licencié B______ pour le 30 septembre 2018, au motif suivant: "Depuis le début de l'année, nous avons redistribué, sur une base d'intérim pour compenser votre absence, les clients sous votre responsabilité. Nous n'avons pas d'autre choix que de procéder à une redistribution définitive pour prévenir des dysfonctionnements opérationnels futurs et pour maintenir la qualité de nos services aux clients".

Le poste nécessitait d'être repourvu (témoin K______).

Par courrier de son avocat du 13 juillet 2018, B______ a formé opposition à la résiliation de son contrat de travail. Elle s'est déclarée disposée à poursuivre les rapports de service.

m. Le 2 avril 2019, à la requête de B______, l'Office cantonal des poursuites a notifié à A______ SA un commandement de payer poursuite n° 1______ portant sur 500'000 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er décembre 2017. La rubrique titre et date de la créance ou cause de l'obligation était libellée ainsi: "Dommages-intérêts pour actes illicites et/ou violation d'obligations contractuelles et/ou responsabilité du fait des employés et/ou indemnités pour licenciement abusif, etc. Interruption de prescription".

La poursuivie a formé opposition.

B.            Le 27 mars 2019, B______ a saisi l'Autorité de conciliation du Tribunal des prud'hommes d'une demande en paiement de 191'926 fr. (augmentée ultérieurement de 20'000 fr. et d'une conclusion en prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer poursuite n° 1______, avec suite d'intérêts moratoires à 5%), dirigée contre A______ SA.

Au bénéfice d'une autorisation de procéder, elle a, le 11 juillet 2019, adressé au Tribunal des prud'hommes une demande par laquelle elle a conclu à ce que A______ SA soit condamnée à lui verser 18'391 fr. bruts (solde de salaire et commissions pour 2017), 14'063 fr. bruts (solde de salaire et commissions pour 2018), 68'572 fr. nets (indemnité pour licenciement abusif), 90'900 fr. nets (dommages-intérêts pour perte de l'indemnité de licenciement pour restructuration), 20'000 fr. nets (tort moral) avec suite d'intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er juillet 2017 pour le premier poste, dès le 15 avril 2018 pour le deuxième, dès le 21 juin 2018 pour le troisième et dès le 1er décembre 2017 pour les deux derniers, et à ce que la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer précité soit accordée. A titre subsidiaire, elle a requis que lui soit versée la différence entre le salaire annuel perçu si les rapports de travail avaient été maintenus et les prestations d'assurance-maladie et d'assurances sociales jusqu'à son nouvel emploi. Elle s'est notamment prévalue d'une violation de l'art. 3 LEg.

Par acte du 2 juillet 2021, B______ a notamment allégué avoir retrouvé un emploi dès le 1er octobre 2019.

A l'issue de l'audience du Tribunal du 21 juin 2022, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

C.           Par jugement du 4 octobre 2022, le Tribunal a condamné A______ SA à verser à B______ 30'798 fr. 85 nets avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 30 septembre 2018 (ch. 1), prononcé la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer poursuite n° 1______ à concurrence dudit montant (ch. 2), dit que la procédure était gratuite et qu'il ne serait pas alloué de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 4).

Il a écarté toute discrimination liée au genre ou à la grossesse de l'employée, retenu que l'employeur n'avait pas pris les mesures suffisantes pour adapter le travail aux circonstances de sorte qu'il était responsable de la dégradation de l'état de santé de sa collaboratrice, ce qui avait pour conséquence que le licenciement était abusif, que l'indemnité due devait prendre en compte la durée des rapports de travail et celle de l'incapacité de travail et correspondre à quatre mois de salaire, que pour le surplus, le lien de causalité entre les dommages prétendus et la violation des obligations contractuelles par l'employeur n'était pas démontrée, et qu'il n'y avait pas lieu d'allouer en sus une indemnité pour tort moral.

D.           Par acte du 2 novembre 2022, A______ SA a formé appel contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation des chiffres 1 à 3 du dispositif de celui-ci, cela fait au déboutement de B______ des fins de ses conclusions, avec suite de frais et dépens.

B______ a conclu à la confirmation des chiffres 1 et 2 du dispositif de la décision déférée. Elle a formé un appel joint, par lequel elle a conclu à l'annulation du chiffre 4 dudit dispositif, et cela fait a repris ses conclusions de première instance en solde de salaire et commissions et indemnités, ainsi qu'en prononcé de mainlevée, avec suite de frais et dépens.

A______ SA a conclu à la forme à l'irrecevabilité de l'appel joint, au fond au déboutement de B______ des fins de son appel joint.

Les parties ont répliqué et dupliqué sur appel et appel joint, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 5 mai 2023, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

 

 

 

 

 

EN DROIT

1.             L'appel est recevable contre les décisions finales, dans les causes patrimoniales dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

L'appel a été interjeté devant l'autorité compétente, dans le délai de 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 CPC). Il est donc recevable.

Il en va de même de l'appel joint, s'agissant du respect de l'art. 313 al. 1 CPC.

2.             Reste à examiner si cet appel joint est motivé d'une manière conforme au droit. L'appelante soutient que tel ne serait pas le cas.

2.1 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs qui sont formulés devant elle (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).

2.2 Pour satisfaire à son obligation de motivation de l'appel prévue par l'art. 311 al. 1 CPC, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique. En seconde instance, l'appelant doit tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne suffit pas que l'appelant renvoie simplement à ses arguments exposés devant le premier juge ou qu'il critique la décision attaquée de manière générale; il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement. La motivation est une condition légale de recevabilité de l'appel, qui doit être examinée d'office (art. 60 CPC). Ainsi, notamment, lorsque la motivation de l'appel ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (ATF 141 III 569 consid. 2.3.3; 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_268/2022 du 18 mai 2022 consid. 4; 5A_779/2021 du 16 décembre 2022 consid. 4.3.1; 5A_356/2020 du 9 juillet 2020 consid. 3.2).

2.3    S'agissant des chefs de prétention dont elle a été déboutée par le Tribunal, l'intimée, dans son appel joint, se limite à des affirmations, sans chercher à démontrer que le Tribunal aurait failli dans son raisonnement en retenant l'absence de causalité entre acte prétendu et dommage, respectivement en s'en rapportant à l'appréciation de la Cour quant au tort moral supposé. Ce faisant, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC, de sorte que la Cour n'entrera pas en matière sur ces points.

Il sera relevé qu'à supposer que la réplique comporte des griefs par hypothèse recevables, cette écriture n'a pas vocation à guérir les vices dont souffre l'acte d'appel joint.

Seule la conclusion tendant à ce que la quotité fixée par les premiers juges pour l'indemnité sanctionnant le caractère abusif du congé, retenu par ceux-ci, s'appuie sur des motifs comportant une critique véritable. C'est ainsi sur ce seul point que l'appel joint sera déclaré recevable.

3.             L'appelante reproche aux premiers juges une constatation inexacte et incomplète des faits.

Un état des faits incluant l'entier des éléments pertinents (cf art. 310 CPC) a été dressé ci-avant, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter davantage à ce grief, qui n'était pas infondé.

4.             L'appelante reproche au Tribunal d'avoir retenu à sa charge une violation de l'art. 328 CO – en raison d'une mise sous pression et de portefeuille et objectifs non adaptés – et, dès lors, la signification d'un congé abusif.

4.1 L'art. 328 al. 1 CO impose à l'employeur de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur.

Le harcèlement psychologique, ou mobbing, constitue une violation de l'art. 328 CO. La jurisprudence le définit comme un enchaînement de propos et/ou d'agissements hostiles, répétés fréquemment pendant une période assez longue, par lesquels un ou plusieurs individus cherchent à isoler, à marginaliser, voire à exclure une personne sur son lieu de travail. La victime est souvent placée dans une situation où chaque acte pris individuellement peut éventuellement être considéré comme supportable, alors que l'ensemble des agissements constitue une déstabilisation de la personnalité, poussée jusqu'à l'élimination professionnelle de la personne visée. Il n'y a pas harcèlement psychologique du seul fait qu'un conflit existe dans les relations professionnelles, qu'il règne une mauvaise ambiance de travail, ou encore du fait qu'un supérieur hiérarchique n'a pas satisfait pleinement et toujours aux devoirs qui lui incombent à l'égard de ses collaborateurs. Le harcèlement est généralement difficile à prouver, si bien que son existence peut être admise sur la base d'un faisceau d'indices convergents, tout en gardant à l'esprit qu'il peut n'être qu'imaginaire, sinon même être allégué abusivement pour tenter de se protéger contre des remarques et mesures justifiées (arrêts du Tribunal fédéral 4A_215/2022 du 23 août 2022 consid. 3.1; 4A_310/2019 du 10 juin 2020 consid. 4.1.1; 4A_714/2014 du 22 mai 2015 consid. 2.2; 4A_381/2014 du 3 février 2015 consid. 5.1; 4A_680/2012 du 7 mars 2013 consid. 5.2; 4A_381/2011 du 24 octobre 2011 consid. 4; 4C.343/2003 du 13 octobre 2004 consid. 3.1).

4.2 Selon le principe posé à l'art. 335 al. 1 CO, le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. En droit suisse du travail prévaut la liberté de la résiliation, de sorte que, pour être valable, un congé n'a en principe pas besoin de reposer sur un motif particulier (ATF 131 III 535 consid. 4.1). Le droit fondamental de chaque cocontractant de mettre fin unilatéralement au contrat est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO). L'art. 336 al. 1 et 2 CO énumère les cas dans lesquels la résiliation est abusive. Cette liste n'est pas exhaustive; elle concrétise avant tout l'interdiction générale de l'abus de droit. Un congé peut donc se révéler abusif dans d'autres situations que celles énoncées par la loi; elles doivent toutefois apparaître comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément envisagées (ATF 136 III 513 consid. 2.3; 131 III 535 consid. 4.2).

L'abus de la résiliation peut découler non seulement des motifs du congé, mais également de la façon dont la partie qui met fin au contrat exerce son droit. Même lorsqu'une partie résilie de manière légitime un contrat, elle doit exercer son droit avec des égards. Elle ne peut en particulier jouer un double jeu et contrevenir de manière caractéristique au principe de la bonne foi. Ainsi, un comportement violant manifestement le contrat, tel qu'une atteinte grave au droit de la personnalité dans le contexte d'une résiliation, peut faire apparaître cette dernière comme abusive. En revanche, un comportement qui ne serait simplement pas convenable ou indigne des relations commerciales établies ne suffit pas. Il n'appartient pas à l'ordre juridique de sanctionner une attitude seulement incorrecte (ATF 132 III 115 consid. 2.1-2.3; 131 III 535 consid. 4.2).

En application de l'art. 8 CC, c'est en principe à la partie qui a reçu son congé de démontrer que celui-ci est abusif. La jurisprudence a toutefois tenu compte des difficultés qu'il peut y avoir à apporter la preuve d'un élément subjectif, à savoir le motif réel de celui qui donne le congé. Le juge peut ainsi présumer en fait l'existence d'un congé abusif lorsque l'employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l'employeur. Si elle facilite la preuve, cette présomption de fait n'a pas pour résultat d'en renverser le fardeau. Elle constitue, en définitive, une forme de «preuve par indices». De son côté, l'employeur ne peut rester inactif; il n'a pas d'autre issue que de fournir des preuves à l'appui de ses propres allégations quant au motif du congé (ATF 130 III 699 consid. 4.1).

4.3 Pour dire si un congé est abusif, il faut se fonder sur son motif réel. Déterminer le motif d'une résiliation est une question de fait (ATF 136 III 513 consid. 2.3 in fine p. 515), que le Tribunal fédéral ne revoit qu'aux conditions restrictives rappelées ci-dessus (consid. 1.2 supra). En revanche, savoir si le congé repose sur de justes motifs au sens de l'art. 337 CO relève du droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_419/2015 du 19 février 2016 consid. 2.1.1).

4.4. En l'espèce, le licenciement a été signifié par l'employeur en raison des nécessités organisationnelles et de maintien de qualité des services pour les clients, au vu de l'absence prolongée de l'intimée, circonstance établie.

L'intimée ne conteste pas ces motifs en tant que tels, mais soutient que son incapacité de travail avait été causée par l'employeur, à savoir procèderait d'une atteinte à la santé provoquée par les actes illicites qu'elle allègue avoir été commis à son préjudice par son supérieur.

La réalité de l'incapacité de travail de l'intimée, qui a souffert d'une dépression, n'est pas discutée, à raison. Selon le témoignage du médecin qui a assuré son suivi psychiatrique, l'intimée a fait part de souffrances ressenties dans le cadre de son emploi; la témoin a précisé qu'en particulier les difficultés de sommeil ne pouvaient pas être attribuées davantage à la situation professionnelle qu'à l'enfant en bas âge. A cet égard, la responsable des ressources humaines a, dans sa note de restitution de l'entretien du 5 décembre 2017, outre des éléments relevant des relations de travail, spécifiquement relevé que l'employée dormait mal, et que sa fille pleurait beaucoup et ne voulait plus dormir, ce qui était générateur de stress. Ce qui précède tend à démontrer que la situation était alors délicate, tant en raison de réalité ou de ressenti professionnels que d'une composante familiale.

L'intimée a allégué, dans sa demande, qu'elle s'était plainte, à partir de sa reprise d'emploi en janvier 2017, de l'attribution d'une charge de travail excessive par rapport à son taux d'emploi et non suffisamment rémunératrice (124 comptes pour un revenu générateur de commissions de 10 millions de dollars américains). Elle a également fait valoir une attitude sexiste de son supérieur, qui aurait favorisé ses subordonnés masculins en confiant à ceux-ci moins de comptes mais plus rémunérateurs, et en leur fixant des objectifs "négatifs". Elle a enfin évoqué du dénigrement par le précité à son endroit auprès d'autres employés de l'entreprise.

Il convient en premier lieu de rappeler que l'employée, après une incapacité de travail de près de six mois durant sa grossesse, puis un congé maternité de l'ordre de trois mois et demi, a bénéficié d'un congé non payé de quatre mois et demi. Elle a, postérieurement, obtenu une réduction de son taux de travail, passé à 80%, la suppression de l'attribution de clients basés au Tessin, ainsi que la possibilité de rentrer chez elle allaiter son enfant. Ainsi, l'appelante a consenti des aménagements adéquats et favorables à l'employée, en tenant compte de la situation et des souhaits de celle-ci.

Il apparaît ensuite que, à raison, l'intimée, ne soutient plus, ni dans sa réponse à appel ni dans son appel joint, avoir été dénigrée à titre personnel, ni avoir fait l'objet de discriminations sexistes dans le cadre de son emploi. Certes, il est admis que le style managérial de D______ était davantage "orienté résultats" que celui de son prédécesseur. Il s'agit d'une caractéristique connue dans les entreprises, qui n'est pas en elle-même attentatoire à la personnalité des employés; il est cependant concevable que l'intimée l'ait durement ressentie et s'en soit trouvée déstabilisée à son retour d'une absence d'une durée supérieure à une année.

En ce qui concerne l'activité et les objectifs assignés, dont l'intimée soutient qu'ils auraient été défavorables, les déclarations recueillies divergent. L'intimée a allégué, ce qui est contesté par l'appelante, qu'il était convenu qu'elle retrouverait début 2017 le portefeuille qu'elle avait quitté en octobre ou novembre 2015 lorsque son absence (successivement pour cause d'incapacité de travail, de congé-maternité puis de congé non payé – sous réserve de quelques semaines en été 2016) avait commencé. Elle a fait au Tribunal une déclaration dans le même sens; celle-ci n'a été corroborée par aucun des témoignages recueillis, qui n'ont fait état que du propre avis des témoins selon lequel c'était logique ou avait pu se produire dans d'autres circonstances; la témoin O______ a évoqué le fait qu'elle avait retrouvé le même portefeuille, mais qu'elle n'avait pas eu de garantie en ce sens. Dès lors, l'intimée a échoué à démontrer son allégué. Le Tribunal a ainsi, à raison, écarté tout accord entre les parties sur ce point. En ce qui concerne les objectifs, il n'a pas non plus été établi ce qu'il en était, certaines déclarations allant dans le sens d'objectifs inférieurs aux autres (témoins M______, D______), une autre ne pouvant déterminer si ceux-ci étaient atteignables ou non (témoin H______), et deux faisant état d'un échec prévisible ou d'objectifs difficilement atteignables (témoins E______, N______).

Contrairement à la thèse de l'intimée, rien ne démontre que le portefeuille aurait été constitué par son collègue I______, avec la bénédiction de leur supérieur, aux fins de favorisation de ses propres intérêts. Les deux précités ont démenti ce point dans leurs dépositions de témoins; les suppositions des témoins E______, H______ et N______ ne s'appuient sur aucun élément concret, le fait que les intéressés aient eu des relations de collègues antérieurement, voire des relations amicales, n'étant pas suffisant à cet égard, et l'affirmation du témoin H______ n'est pas explicitée.

Certes, il peut être tenu pour établi, sur la base des déclarations des témoins G______, M______, E______, H______, N______ que le portefeuille confié à l'intimée dès 2017 était d'une valeur moindre et composé de clients moins intéressants voire plus difficiles que celui qu'elle détenait auparavant. En tant que telle, cette circonstance n'est pas de nature à révéler un comportement illicite de la part de l'employeur, libre de déterminer le travail confié à son personnel, dans le cadre d'un cahier des charges déterminé; l'intimée n'a pas allégué que les tâches à effectuer n'auraient pas relevé de sa fonction. Au demeurant, selon certains témoins, ce portefeuille recelait des opportunités de développement (déclarations N______, D______). Par ailleurs, des raisons objectives militaient en faveur de la répartition des clients ainsi qu'elle a été effectuée, telle l'expérience distincte des collaborateurs (résultant des déclarations H______, N______, que l'intimée n'a pas contestées), et la situation de l'intimée elle-même (qui admet que le fait de travailler à 80% et de ne plus avoir eu de clients au Tessin, ce qui nécessitait des déplacements, rencontrait ses souhaits), laquelle était différente de 2015 et imposait de fait des aménagements – en particulier plus de voyages pour garantir l'allaitement de son enfant - et donc une compensation par des dossiers d'autres clients. Sur ce point, il n'apparaît pas qu'il faille examiner avec davantage de circonspection le témoignage D______, dont résulte qu'il avait pris ces éléments en compte. A noter que le témoin E______, dont la déposition était sévère s'agissant de la qualité du portefeuille de l'intimée, ignorait que celle-ci avait requis d'être déchargée de la clientèle tessinoise; ainsi, son appréciation ne se fonde pas sur la totalité des données objectives de la situation. Enfin, à en croire l'analyse finale opérée, rapportée par le témoin K______, la différence de composition de portefeuille n'était pas aussi flagrante qu'elle a pu être perçue par certains des anciens employés de l'appelante (cf. déclarations susmentionnées). Va dans le même sens la comparaison de rémunération proposée par le témoin D______, qui n'a pas été remise en question par l'intimée.

Par ailleurs, il est établi que l'intimée n'a pas fait part d'un mal-être, qui n'était pas largement apparent avant début décembre 2017. Alors que, selon le témoin K______, elle avait un contact régulier avec la responsable des ressources humaines et par conséquent un accès facilité à une aide adéquate et une information sur les processus internes à disposition, elle a manifesté qu'elle n'entendait pas officialiser ses doléances. Parmi ses collègues, certains n'ont pas remarqué de changement (témoins I______, H______), tandis que le témoin N______ a observé qu'elle s'éteignait peu à peu. Ces éléments ne sont pas suffisants pour en déduire que l'appelante aurait connu la situation, voire dû la connaître. Il n'y a dès lors pas à reprocher à cette dernière une inactivité.

En dépit de ce qu'elle a allégué, voire déclaré en procédure, l'intimée a également bénéficié du soutien de son supérieur, puisque dans ses commentaires en lien avec les objectifs à fin 2017, elle a elle-même spécifiquement relevé que ce dernier l'avait accompagnée lors d'entretiens avec des clients considérés comme délicats. Cet élément tend à démontrer que l'appel à l'aide lancé par l'intimée dans son courrier de mai 2017 a été suivi d'effet de la part de son supérieur, quoi qu'il en soit de la déclaration faite par celui-ci au Tribunal, selon laquelle il n'avait plus souvenir dudit courriel. Ainsi, à tout le moins sur les moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés, sinon sur la révision de ceux-ci, l'intimée a-t-elle été entendue. Enfin, la déclaration O______ va aussi dans le sens d'un soutien de la part de leur supérieur. Il semble également ressortir de la note "atelier de performance" que son supérieur était ouvert à ce que l'intimée pose davantage de questions et recoure davantage ou mieux aux services de son assistante, ce qui ne plaide pas en faveur d'un manque d'appui offert par l'employeur. Dès lors, l'appréciation des premiers juges, qui ont retenu que le besoin de soutien de l'employée n'avait pas été reconnu par son supérieur, se heurte au dossier.

Appréciées dans leur ensemble, ces circonstances ne révèlent pas de harcèlement psychologique au sens rappelé ci-dessus, partant pas de violation de l'art. 328 CO.

Dès lors, le congé, dont l'intimée n'est pas parvenue à apporter d'indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif qui lui a été communiqué, n'était pas entaché d'abus.

L'issue de l'appel principal induit celle du seul aspect recevable de l'appel joint.

Au vu de ce qui précède, les chiffres 1 et 2 du dispositif du jugement entrepris seront annulés. Il sera statué à nouveau (art. 318 al. 1 let. b CPC) dans le sens que l'intimée sera déboutée de ses conclusions en indemnité pour congé abusif.

5. L'appelante n'a pas formulé de griefs relatifs à la décision du Tribunal portant sur la gratuité de la procédure, de sorte qu'il n'y sera pas revenu, étant admise l'application à ce stade de l'art. 114 let. a CPC.

L'intérêt à l'appel de l'appelante correspondait aux prétentions chiffrées allouées par les premiers juges, tandis que l'appel joint, déclaré largement irrecevable, portait sur un montant de l'ordre de 170'000 fr. Aucune mention de violation de la LEg n'y apparaît, de sorte que la Cour n'a pas à faire application de l'art. 114 let. a CPC (ni, au demeurant, de l'art. 123 al. 2 LOJ).

L'intimée succombe entièrement, soit sur recevabilité soit sur le fond.

En application des art. 7 al. 1 et 71 RTFMC, il sera fixé un émolument de décision de 1'000 fr., que l'intimée sera condamnée à verser à l'Etat de Genève (art. 106 al. 1 CPC).

Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

 

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé par A______ SA contre les chiffres 1 et 2 du dispositif du jugement rendu le 4 octobre 2022 par le Tribunal des prud'hommes.

Déclare recevable l'appel joint formé par B______, en tant qu'il porte sur la quotité de l'indemnité allouée au chiffre 1 du dispositif de la décision attaquée et irrecevable pour le surplus.

Au fond :

Annule les chiffres 1 et 2 du dispositif du jugement précité. Statuant à nouveau sur ces points:

Déboute B______ des fins de ses conclusions tendant au versement d'une indemnité pour licenciement abusif.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de l'appel joint à 1'000 fr.

Condamne B______ à verser 1'000 fr. à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salarié; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

 

 

 

 


 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.