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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/20967/2022

CAPH/89/2023 du 11.07.2023 sur JTPH/128/2023 ( SS ) , ARRET/CONTRA

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20967/2022-5 CAPH/89/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 11 JUILLET 2023

Entre

Monsieur A______ et B______, tous deux domiciliés c/o A______, ______[GE], recourants contre une décision rendue par le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes le 26 avril 2023, comparants en personne,

 

et

Madame C______, domiciliée ______[GE], intimée, représentée par Monsieur A______, ______[GE], en les bureaux duquel elle fait élection de domicile,

et

Madame D______, domiciliée ______, France, intimée, comparant par SYNDICAT E______, ______[GE], auprès duquel elle fait élection de domicile,


EN FAIT

A.           Par décision JTPH/128/2023 du 26 avril 2023, reçue par C______ le 28 avril 2023, le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes, « statuant sur la qualité de mandataire professionnellement qualifié », a dénié à B______ la qualité de mandataire professionnellement qualifiée au sens des articles 68 al. 2 let. d CPC et 15 LaCC « pour assister et représenter les parties dans les causes de nature prud'homale ».

B.            a. Le 8 mai 2023, B______ et A______ ont formé recours contre cette décision, concluant principalement à ce que la Cour de justice l'annule et reconnaisse à B______ la qualité de mandataire professionnellement qualifiée pour représenter et assister les parties devant la juridiction des prud'hommes, subsidiairement reconnaisse cette qualité à A______.

b. Le 11 mai 2023, D______ a fait savoir à la Cour qu’elle s’en rapportait à justice sur le sort du recours.

c. Le 15 mai 2023, C______ a conclu à l’admission de ce dernier.

d. Les parties ont été informées le 12 juin 2023 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments pertinents suivants résultent du dossier.

a. B______ est une société en nom collectif inscrite au Registre du commerce, ayant notamment pour but les conseils juridiques en tous genre.

A______ compte au nombre de ses trois associés.

b. Le 10 janvier 2023, D______ a déposé par devant le Tribunal des prud’hommes une demande en paiement de 41'741 fr. 45 dirigée contre C______.

c. Cette dernière a signé une procuration en faveur de A______ afin de la représenter dans le cadre de ce litige.

d. Le 31 octobre 2022, le Tribunal a invité A______ à lui communiquer tous documents utiles permettant d’attester que lui-même ou B______ remplissaient les conditions légales pour pouvoir exercer en qualité de mandataires professionnellement qualifiés.

A______ a déposé des observations le 22 novembre 2022.

 

 

EN DROIT

1.             1.1.1 En procédure civile, la décision sur la capacité de postuler de l'avocat – ou de tout autre mandataire au sens de l'art. 68 al. 2 CPC – vise à garantir la bonne marche du procès. Elle entre donc dans la catégorie des décisions relatives à la conduite du procès, au sens de l'art. 124 al. 1 CPC (ATF 147 III 351 consid. 6.3).

La voie du recours est ouverte contre les ordonnances d'instruction et autres décisions au sens de l'art. 124 al. 1 CPC pour autant qu'elles causent un préjudice difficilement réparable. Le recours, écrit et motivé est introduit auprès de l'instance de recours dans les 30 jours à compter de la notification de la décision pour les autres décisions et dans les 10 jours pour les ordonnances d'instruction (art. 319 let. b ch. 2, 321 al. 1 et 2 CPC; Jeandin, Commentaire Romand, CPC, 2019, n° 10 et ss ad art. 319 CPC).

Le mandataire auquel la vocation à postuler a été déniée par une décision a la qualité pour recourir contre celle-ci, même s'il n'est pas personnellement partie à la procédure dans laquelle cette décision a été rendue (arrêts du Tribunal fédéral 5A_124/2022 du 26 avril 2022 consid. 1.1; 5A_967/2014 du 27 mars 2015 consid. 1.2 et 1.3).

1.1.2 L'exercice d'une voie de recours suppose l'existence d'un intérêt actuel à obtenir l'annulation ou la modification de la décision contestée. Cet intérêt doit exister tant au moment du dépôt du recours qu'à celui où la décision tranchant le sort du recours est tranchée (ATF 139 I 206 consid. 1.1). Il s'agit là d'une condition de recevabilité du recours que le juge doit examiner d'office (art. 59 al. 1, 59 al. 2 let. a et 60 CPC; ATF 130 III 430 consid. 3.1).

1.1.3 La nullité d'une décision judiciaire peut être invoquée et doit être relevée d'office, en tout temps et par toutes les autorités chargées d'appliquer le droit. Elle peut également être invoquée dans un recours – et même encore dans la procédure d'exécution (ATF 145 III 436 consid. 4; ATF 137 III 217 consid. 2.4.3; 129 I 361 consid. 2.1, JT 2004 II 47; arrêts du Tribunal fédéral 5D_78/2022 du 31 octobre 2022 consid. 3.1).

1.2.1 Le recours a en l'espèce été interjeté en temps utile et dans les formes prévues par la loi contre une décision pouvant en principe être contestée par cette voie. Il est dans cette mesure recevable.

A______, qui a été désigné comme représentant par l’intimée dans le cadre de la présente procédure, n’est pas visé par le dispositif de la décision litigieuse, de sorte que l’on peut se demander s’il a un intérêt au recours. La formulation de la décision litigieuse est cependant peu claire. Dans les considérants, ses rédacteurs semblent se prononcer à la fois sur la situation de B______ et sur celle de A______. Ce dernier a d’ailleurs été invité à présenter des observations tant sur la capacité de postuler de B______ que sur la sienne. En outre, l’on comprendrait mal pour quel motif la décision querellée statuerait sur la capacité de postuler d’une entité qui n’est pas représentante d’une partie au litige, si ses rédacteurs n’entendaient pas par ce biais se prononcer sur la situation du représentant en cause dans le cas d’espèce.

A cela s’ajoute que la société en nom collectif n’est pas une personne morale, même si elle dispose d’une « quasi-personnalité » en ce sens qu’elle est un sujet de droit distinct de ses associés et qu’elle est capable d’agir en justice et d’y être actionnée (Vulliéty, Commentaire romand, n.4 ad art.552 CO).

Il en résulte qu’il n’est pas exclu que la décision litigieuse puisse être interprétée en ce sens qu’elle dénie également à A______, associé de B______, la capacité de postuler dans la présente cause.

La recevabilité du recours formé par ce dernier sera dès lors admise.

La qualité pour recourir de B______ sera quant à elle également reconnue, en dépit du fait qu’elle n’a pas été désignée comme représentante de l’intimée dans le cadre de la présente cause. Elle a en effet un intérêt au recours, dans la mesure où le dispositif de la décision querellée la vise directement et pourrait être interprété comme ayant une portée générale, dépassant celle du cas d’espèce, puisque la qualité de mandataire qualifiée ne lui est pas uniquement déniée dans la présente cause, mais, plus largement, « dans les causes de nature prud’homale ».

2.             2.1.1 Des décisions entachées d'erreurs sont nulles si le vice qui les affecte est particulièrement grave, s'il est manifeste ou du moins facilement décelable et si, de surcroît, la sécurité du droit n'est pas sérieusement mise en danger par l'admission de la nullité. Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire. Des vices de fond d'une décision n'entraînent qu'exceptionnellement sa nullité. Entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l'incompétence fonctionnelle et matérielle de l'autorité appelée à statuer, ainsi qu'une erreur manifeste de procédure (ATF 145 III 436 consid. 4; ATF 137 III 217 consid. 2.4.3; 129 I 361 consid. 2.1, JT 2004 II 47; arrêts du Tribunal fédéral 5D_78/2022 du 31 octobre 2022 consid. 3.1).

2.1.2 Sont autorisés à représenter les parties à titre professionnel, devant les juridictions spéciales en matière de contrat de bail et de contrat de travail, les mandataires professionnellement qualifiés si le droit cantonal le prévoit (art. 68 al. 2 let. d CPC). A Genève, l'art. 15 LaCC le prévoit, à l'instar de ce qui prévalait sous l'empire de l'ancien droit cantonal de procédure.

Pour l'acte introductif d'instance, la capacité de postuler du mandataire qui a rédigé la demande est une condition de sa recevabilité (art. 59 al. 1 CPC). Le tribunal examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC). Si la capacité de postuler est déniée à un mandataire, un délai doit être fixé à la partie concernée pour remédier à l'irrégularité (art. 132 CPC par analogie). Il s'ensuit que, dans une procédure pendante, l'autorité qui doit statuer sur la capacité de postuler du mandataire est le tribunal compétent sur le fond de la cause ou, sur délégation, un membre de ce même tribunal (art. 124 al. 2 CPC). La primauté du droit fédéral interdit aux cantons de consacrer la compétence d'une autre autorité (ATF 147 III 351 consid. 6.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2012 du 10 avril 2012 consid. 3.2.3).

2.1.3 Aux termes de l'art. 7 LTPH, le collège des présidents et vice-présidents de groupe réunit les présidents et vice-présidents de groupe et le président des juges conciliateurs et des juges conciliateurs-assesseurs (al. 1). Le collège constitue la séance plénière du tribunal au sens de l'art. 30 LOJ.

Selon l'art. 1 al. 5 RTPH, la séance plénière exerce les attributions que la loi lui confère de même que celles qui sont attribuées au collège des présidents et vice-présidents de groupe.

L'art. 2 al. 1 RTPH prévoit que la commission de gestion du Tribunal des prud'hommes se compose des 10 présidents et vice-présidents de groupe élus lors des assemblées générales annuelles, du greffier de juridiction et des greffiers-adjoints.

Selon l'art. 3 RTPH, la commission est compétente pour tout ce qui n'est pas de la compétence de la séance plénière, du président ou du greffier de juridiction (al. 1), Dans ce cadre, elle règle les questions organisationnelles liées à l'activité judiciaire communes à l'ensemble du Tribunal ou à plusieurs groupes professionnels. Elle est notamment habilitée à : a. adopter des directives relatives au fonctionnement des juges prud'hommes favorisant une saine administration de la justice ou une pratique uniforme dans les différents groupes professionnels; b. désigner les présidents amenés à siéger dans un autre groupe professionnel en application de l'art. 12 al. 3 LTPH.

2.2 En l'espèce, la décision attaquée porte sur la capacité à postuler des recourants en qualité de mandataires professionnellement qualifiés et, partant, sur la recevabilité des actes qu'ils seront appelés à effectuer au nom d'une partie dans le cadre d'une procédure en cours. Elle a été rendue par le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes. Or, elle relève de la compétence du Tribunal des prud'hommes en charge de la procédure au fond – constitué conformément à l'art. 12 LTPH, soit un président, un juge prud'homme employeur et un juge prud'homme salarié – qui est seul fondé à examiner les conditions de recevabilité des actes et à rendre des décisions en matière de conduite du procès.

Les compétences légales du Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes, soit qu'il soit constitué en séance plénière de la juridiction, soit qu'il soit constitué en commission de gestion, sont de nature administrative ou organisationnelle; elles ne lui permettent pas de s'immiscer dans la conduite d'une procédure judiciaire prud'homale.

Au vu de l'incompétence fonctionnelle de l'autorité qui a prononcé la décision attaquée, celle-ci est nulle, ce qui doit être constaté d'office.

3.             Il n'y a pas lieu de renvoyer la cause au Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes, celui-ci ne disposant pas de la compétence pour statuer à nouveau. Il appartiendra au Tribunal des prud'hommes, dans sa composition prévue par l'art. 12 LTPH, de reprendre l'instruction de la cause et de statuer le cas échéant sur les questions de capacité à postuler susceptibles de se poser.

4.             Il n'est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens de recours (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 5:

À la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par B______ et A______ contre la décision JTPH/128/2023 rendue le 26 avril 2023 par le Collège des présidents et vice-présidents de groupe du Tribunal des prud'hommes dans la cause C/20967/2022-5.

Au fond :

Constate la nullité de la décision précitée.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Madame Anne-Christine GERMANIER; Madame Shirin HATAM; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.