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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/7206/2021

CAPH/29/2023 du 14.03.2023 sur JTPH/134/2022 ( OS ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7206/2021-1 CAPH/29/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 14 MARS 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 4 mai 2022 (JTPH/134/2022), comparant par le Syndicat K______, ______, auprès duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______, intimée, comparant par Me Raphaëlle BAYARD, avocate, REGO AVOCATS, Esplanade de Pont-Rouge 4, Case postale, 1211 Genève 26, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,


EN FAIT

 

A.           Par jugement du 4 mai 2022 JTPH/134/2022, aux termes de son dispositif, le tribunal des prud’hommes a déclaré recevable la demande formée le 8 septembre 2021 par Madame A______ contre B______ SA (chiffre I). Au fond, il a débouté Madame A______ de ses conclusions.

 

a. Le tribunal des prud’hommes a débouté Madame A______ (ci-après : Madame A______ ou l’appelante) de sa prétention en paiement de la somme nette de CHF 15’400.- à titre d’indemnité pour licenciement abusif. L’appelante s’était opposée à son licenciement avant le terme de ses rapports de travail intervenu le 30 septembre 2020 et avait saisi l’autorité de conciliation du tribunal des prud’hommes dans les délais prescrits par la loi. Une pièce en or s’était retrouvée dans la poche de sa blouse, le 13 décembre 2019, à la suite d’un contrôle. Au vu de son comportement adopté après cet incident et quelques jours après celui-ci, l’appelante avait fait preuve de légèreté en ne procédant pas à une vérification de ses propres poches lorsqu’elle avait recherché la pièce qu’elle pensait avoir fait tomber, ce d’autant plus que B______ SA (ci-après : B______ SA ou l’intimée) venait de sensibiliser ses employés sur les mesures de sécurité prises en réaction à un important vol qui venait d’être commis à ses dépens. Le licenciement ordinaire de l’appelante, motivé par la rupture du lien de confiance, était fondé. Pour le surplus, il ne saurait être reproché à l’intimée de ne pas avoir diligenté une enquête afin d’établir les faits, une telle mesure n’étant pas nécessaire dès lors qu’il était admis qu’une pièce en or s’était fortuitement retrouvée dans la poche de l’appelante. En outre, même à admettre le contraire, une résiliation ordinaire n’était pas abusive du seul fait que l’accusation élevée contre l’employée se révélait mal fondée. Enfin, l’employeur n’avait pas accusé l’appelante de vol. Le licenciement de l’appelante n’était donc pas abusif (considérants 2.d et e).

 

b. Le jugement du tribunal des prud’hommes a été notifié aux parties par plis recommandés le 4 mai 2022.

 

B.            Par acte adressé à la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice le 2 juin 2022, Madame A______ a formé appel contre ce jugement, concluant principalement à son annulation et à la condamnation de B______ SA à lui verser la somme de CHF 15’400-. net, avec intérêts à 5 % l’an dès le 30 septembre 2020 ; à la condamnation de cette dernière en tous les frais dépens et au déboutement de l’intimée de toutes autres ou contraires conclusions.

 

À l’appui de son appel, Madame A______ fait grief aux premiers juges de ne pas avoir retenu que la résiliation ordinaire notifiée par l’employeur était abusive et qu’elle n’était ainsi pas fondée au paiement d’une indemnité pour licenciement abusif et de ne pas avoir retenu qu’elle avait été victime d’une atteinte à sa personnalité. Les premiers juges avaient erré en considérant qu’elle avait fait preuve de désinvolture en ne cherchant pas la pièce en or dans ses poches.

 

Au cours de la matinée du 13 décembre 2019, elle avait reçu un appel téléphonique sur son téléphone portable qui se trouvait dans sa poche.

 

Elle avait donc naturellement mis les mains dans celle-ci et ne s’était pourtant pas rendue compte de la présence de la pièce égarée. Compte tenu de la taille de cette dernière, seule une fouille poussée ou protocolée aurait pu apporter un semblant de certitude quant à la prétendue légèreté dont elle aurait fait preuve dans ses recherches.

 

En outre, le tribunal n’avait pas correctement apprécié sa réaction émotionnelle en l’interprétant comme une preuve de culpabilité ou, à tout le moins, comme une preuve que la situation était assez conséquente pour être interprétée comme une faute. L’incident s’était avéré gênant pour elle et il pouvait, certes, dénoter une négligence, ce d’autant plus que l’ensemble de l’atelier était au courant. C’était pour couper court aux rumeurs et afin de s’expliquer de vive voix auprès de son directeur qu’elle avait pensé approprié de s’adresser personnellement et directement à ce dernier. Il s’agissait d’une démarche professionnelle de sa part et non pas d’une présomption de culpabilité.

 

Le motif d’une rupture du lien de confiance ne résistait pas à l’examen. En effet, le laps de temps écoulé entre l’incident du 13 décembre 2019 et la notification du licenciement huit jours plus tard rendait peu crédible une telle rupture. Si tel avait été le cas, l’employeur aurait prononcé un licenciement avec effet immédiat au vu de la gravité de la faute avancée et retenue par le tribunal. Elle était au service de son employeur depuis 15 ans et la sensibilisation suite au vol commis deux mois avant son congé permettaient de concevoir qu’elle avait ses propres méthodes de travail et des habitudes bien ancrées qui nécessitaient un temps d’adaptation. De surcroît, les instructions données par l’employeur étaient peu précises et orales. Il n’existait aucun « protocole ». Enfin, l’incident du 13 décembre 2019 était le premier événement de ce type déploré contre elle. En conclusion, elle n’avait commis ni faute grave ni manquements répétés. La rupture du lien de confiance invoquée par l’employeur était fictive.

 

Dans un deuxième temps, l’appelante reproche au tribunal de ne pas avoir retenu que son licenciement avait porté une grave atteinte à sa personnalité. Elle avait en effet été ouvertement stigmatisée par l’intimée. Bien que cette dernière lui reprochât de ne pas avoir respecté le protocole en cas de perte d’objets, c’était bien des soupçons de vol qui en réalité ressortaient du présent litige. L’accusation d’avoir commis une faute lourde portait également atteinte à son honneur personnel et professionnel, ce d’autant plus que la direction de son employeur avait indiqué, deux jours avant son licenciement, vouloir lui notifier un avertissement.

 

Son licenciement démontrait un manque de proportionnalité de la sanction infligée. Elle souffrait encore de l’impact économique de son licenciement ; elle n’avait en effet pas retrouvé de travail.

 

En troisième lieu, l’appelante reproche au tribunal de ne pas avoir retenu que la résiliation était abusive du fait que l’employeur l’avait accusée à la légère. Dans un premier temps, il avait été décidé qu’un avertissement devait être prononcé suite à l’incident, ce qui démontrait l’absence de gravité de la faute.

 

La modification de la sanction, deux jours plus tard, n’avait fait l’objet d’aucune explication, ni justification. L’employeur avait donc fait preuve de légèreté dans l’accusation d’avoir commis une faute grave.

 

Elle s’étonnait de l’absence d’un protocole clair et écrit en cas d’égarement de pièces et d’échelle dans l’établissement de sanctions proportionnelles. Un système d’avertissement aurait dû être mis en place compte tenu de la récurrence des incidents. Le licenciement, compte tenu des circonstances, dénotait une absence de proportionnalité dans la décision de sanction et confirmait le caractère abusif du licenciement.

 

Enfin, l’appelante critiquait le fait que le tribunal n’avait pas traité son argument contenu dans sa réplique spontanée du 16 février 2022, à savoir que son licenciement était en réalité fondé sur un manque de productivité. Monsieur C______ avait en effet indiqué qu’elle n’atteignait pas les objectifs de rendement requis. Le fait pour l’employeur d’avoir renoncé au prononcé d’un avertissement, comme cela était son intention, pour un licenciement ordinaire confirmait que le prétendu non-respect du protocole en cas de pièce égarée n’était qu’un prétexte à son licenciement car elle ne remplissait plus les quotas de productivité exigés. Le licenciement était bel et bien abusif et elle avait subi une atteinte à sa personnalité.

 

C.           L’intimée a répondu le 30 juin 2022. Elle s’en rapportait à justice s’agissant de la recevabilité de l’appel. Au fond, elle concluait au déboutement de l’appelante, à la confirmation du jugement de première instance et à la condamnation de l’appelante aux frais judiciaires et aux dépens. L’appelante avait commis une succession d’erreurs lors de l’incident du 13 décembre 2019. Travaillant avec des pièces en or de valeur, elle aurait dû, après avoir renversé son lot, le vérifier sur la base de l’ordre de fabrication afin de s’assurer qu’il ne manquait aucune pièce. Il s’agissait d’une opération de simple calcul, en l’occurrence une division. En effet, l’ordre de fabrication comprenait le nombre de pièces que contenait le lot et leur poids à l’unité. Or, aucune vérification n’avait été effectuée. Ne pas avoir informé son supérieur hiérarchique des faits alors qu’elle suspectait fortement qu’une ou plusieurs pièces de son lot avaient été égarées, constituait une deuxième erreur. Dans ce cas, l’ensemble de l’équipe de l’atelier devait se mettre à la recherche de la pièce perdue et si la pièce n’était pas retrouvée, l’ensemble de la production devait être mise à l’arrêt jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée. Enfin, quelques semaines avant l’incident du 13 décembre 2019, l’entreprise avait fait part de son intransigeance en cas de perte ou vol de pièces.

 

Bien que surprise avec une pièce en or dans sa blouse lors d’un contrôle de sécurité, l’appelante, n’avait pas été accusée de tentative de vol ou de vol. L’intimée a estimé au vu de l’ensemble des circonstances que le lien de confiance était rompu et la poursuite des rapports de travail impossible. Aucune plainte pénale n’avait été déposée à l’encontre de l’appelante.

 

Aucune rumeur en vue de lui nuire n’avait été propagée. Il n’y avait eu aucune atteinte à sa personnalité et le licenciement n’était pas abusif.

 

Au demeurant, l’appelante n’avait nullement démontré que sa personnalité avait été atteinte, aucune attestation médicale n’ayant au demeurant été produite, d’une part, et que le congé signifié était abusif, d’autre part.

 

D.           L’appelante a déposé une écriture spontanée, le 25 juillet 2022 et a produit trois pièces nouvelles, à savoir un décompte de la Caisse cantonales genevoise de chômage du mois de juin 2022 ; un courrier d’annulation de dossier de l’Office Régional de Placement (ci-après : ORP) du 29 juillet 2022 et un courriel du 28 novembre 2019 de Monsieur D______, directeur général. Les indices étaient suffisants pour prouver que le motif de licenciement invoqué n’était qu’un prétexte. L’intimée n’avait, en effet, pas fourni de preuves suffisantes à l’appui de ses propres allégations quant au motif du congé. Elle avait bel et bien signalé l’égarement de la pièce à plusieurs autres de ses collègues dont son supérieur hiérarchique ce jour-là, à savoir Monsieur E______. En outre, les témoignages démontraient l’absence de directives précises concernant le signalement d’une pièce manquante. Elle avait donc œuvré avec toute la diligence requise. Elle n’était pas responsable si son supérieur hiérarchique n’avait pas procédé à d’autres démarches afin de retrouver la pièce, notamment l’arrêt de la production. Prétendre que le motif de la résiliation consisterait en un manque de diligence était faux et non réel.

 

L’instruction de fabrication déposée à la suite de l’injonction du tribunal était datée du 18 janvier 2019 et n’était donc pas liée aux pièces qu’elle avait travaillées, le 13 décembre 2019. Le poids des lots n’était pas indiqué sur les instructions de fabrication mais sur des tickets imprimés après chaque pesée qui n’avaient pas été produits.

 

Le prétendu processus de vérification et le protocole en cas de perte d’objets étaient défaillants, lacunaires, voire inexistants. Il était donc injuste d’imputer cet incident involontaire uniquement à une absence de diligence. Elle ne saurait en être responsable.

 

Quant à l’atteinte à sa personnalité, si elle n’avait pas été invoquée plus tôt, c’était en raison du fait qu’elle n’était pas encore arrivée en fin de droits au chômage. À de multiples reprises et suite aux appels téléphoniques d’employeurs auprès desquels elle avait postulé, il lui avait été indiqué que l’intimée ne recommandait pas sa candidature du fait des circonstances du présent litige.

 

Enfin, son droit d’être entendu lors de la notification de son licenciement avait été violé.

 

En conséquence, le fardeau de la preuve avait été renversé. Elle avait présenté des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif de résiliation avancée par l’intimée.

 

Le réel motif de son licenciement n’était pas celui invoqué mais en réalité constitué en un prétexte non seulement en raison à son manque de rendement mais également de l’insuffisance présumée du protocole en cas de pièce égarée et à la mauvaise organisation du secteur.

 

E.            L’intimée a dupliqué spontanément le 6 septembre 2022. L’appelante n’avait pas effectué tout ce qui était raisonnablement exigible pour rechercher la pièce manquante. Elle connaissait parfaitement les protocoles de l’entreprise et aurait dû vérifier son lot de pièces de manière méticuleuse. Les pièces en or à travailler étaient sous sa responsabilité.

 

Monsieur E______, son supérieur hiérarchique lors de l’événement, n’allait pas prendre la décision d’arrêter tout un service sans avoir la certitude que des pièces étaient manquantes. Cette étape préalable, sous la responsabilité de l’appelante, n’avait pas été respectée. Enfin, même si Monsieur E______ avait recherché la pièce manquante, rien ne démontrait, ni ne prouvait, qu’au moment de l’événement il avait été informé de la perte d’une pièce et qu’il aurait donc été en mesure d’intervenir.

 

Pour le surplus, une partie des allégations et moyens de preuve contenus dans la réplique étaient nouveaux et les faits allégués étaient antérieurs au dépôt de la réplique, de sorte qu’ils devaient être déclarés irrecevables.

 

F.            La cause a été gardée à juger le 22 septembre 2022.

 


 

G.           Les faits pertinents suivants ressortent pour le surplus de la procédure :

 

a. Par contrat de travail du 13 décembre 2004, Madame A______ a été engagée par B______ SA en qualité d’employée polyvalente à l’atelier d’étampage. Son dernier salaire mensuel se montait à CHF 4'862.-, servi 13 fois l’an.

 

b. En sa qualité d’opératrice d’étampage, l’appelante avait pour tâche de travailler des lots de pièces dont certaines étaient en or.

c. Après avoir été victime d’un vol d’une quantité importante de pièces en or, en octobre 2019, l’intimée a renforcé sa sécurité et fait appel à une société de sécurité pour procéder à des contrôles aléatoires.

 

d. Lors de sa prise de travail le vendredi 13 décembre 2019, l’appelante s’est vu confier le traitement d’un lot de pièces qui se trouvaient dans un bac, posé sur sa place de travail. Cinq pièces manquaient à l’inventaire car elles avaient été déposées dans le coffre de l’entreprise, par un régleur.

 

e. Madame A______ a renversé son bac sur l’emplacement dédié à cet effet. Craignant que l’une de celles-ci ne soit tombée par terre, elle a, avec l’aide de deux collègues, vérifié si tel était le cas.

 

N’ayant pas constaté la présence de pièces sur le sol, l’appelante a poursuivi son activité.

 

f. Après avoir terminé sa série de pièces, l’appelante a déposé son bac pour l’étape de leur lavage.

 

g. Quinze minutes plus tard, son collègue régleur qui avait récupéré les pièces du lavage, l’a informée d’une différence de poids.

 

h. L’appelante a quitté son poste de travail aux alentours de midi pour la pause déjeuner en empruntant le sas de sortie où des contrôles étaient effectués.

 

i. Madame A______ a été invitée à vider les poches de sa blouse de travail. Le personnel de sécurité a découvert en sa possession une pièce en or faisant partie du lot qu’elle avait traité le matin.

 

Elle est alors retournée à son poste de travail pour finir ladite pièce et l’a déposée avec celles qui étaient achevés.

 

j. Mardi 17 décembre 2019, l’appelante a spontanément présenté ses excuses au directeur de l’intimée pour l’incident du vendredi précédent.

 

k. Vendredi 20 décembre 2019, Madame A______ s’est vue remettre une lettre de licenciement pour le 30 mars 2020, lors d’un entretien avec Madame F______ et Monsieur C______. Elle a été libérée de son obligation de travailler. La lettre de congé ne contient aucune accusation de vol ou de tentative de vol à l’encontre de l’appelante.

 

l. L’appelante a été totalement incapable de travailler pour cause de maladie entre le 21 janvier et le 31 mai 2020 et pour cause d’accident pour la période du 2 juin au 13 juillet 2020.

 

m. Par courrier du 23 avril 2020, l’appelante a formé opposition totale à son licenciement, le considérant comme abusif au même titre que les motifs invoqués lors de l’entretien du 20 décembre 2019 pour le justifier. L’intimée était invitée à revenir sur sa décision.

 

n. L’intimée lui a répondu le 12 mai 2020 que le licenciement était motivé pour rupture de confiance, suite à l’incident survenu le 13 décembre 2019.

 

o. L’appelante a répliqué le 19 mai 2020 confirmant son opposition du 23 avril 2020, considérant son licenciement ainsi que les motifs invoqués pour le justifier comme abusifs. Elle réfutait formellement les accusations de vol prononcées à son encontre lors de la résiliation de son contrat et confirmées dans la lettre de son employeur du 12 mai précédent. Elle déplorait enfin de ne pas avoir eu l’occasion de s’expliquer avant la prise de décision de mettre fin au contrat, ce d’autant plus après de 15 ans de service.

 

p. Les rapports de travail entre les parties ont pris fin le 30 septembre 2020.

 

q. Par requête déposée à l’office postal le 29 mars 2021 à l’attention de l’autorité de conciliation des prud’hommes, Madame A______ a assigné B______ SA en paiement de la somme de CHF 15’200.-. Une audience de conciliation s’est tenue le 7 mai 2021, sans succès, de sorte qu’une autorisation de procéder a été délivrée à l’appelante.

 

r. Par demande simplifiée motivée et déposée à l’office postal le 8 septembre 2021, Madame A______ a assigné B______ SA en paiement de la somme nette de CHF 15'400.- à titre d’indemnité pour licenciement abusif.

 

À l’appui de ses conclusions, l’appelante a allégué que son licenciement était abusif car fondé sur de graves accusations de vol. La dénonciation était sujette à caution et elle n’avait pas été en mesure de défendre efficacement sa position et son honneur. L’incident du 13 décembre 2019 était certes malheureux mais il ne s’agissait ni d’un vol ni d’une tentative de vol au détriment de son employeur. Ce dernier n’avait subi, au demeurant, aucun dommage. Pour le surplus, la manière dont elle avait été licenciée portait atteinte aux droits de sa personnalité.

 

s. Par mémoire de réponse déposée à l’office postal le 8 décembre 2021, l’intimée a conclu au déboutement de Madame A______, après avoir sollicité, à titre préalable, l’audition d’un certain nombre de témoins.

 

Une pièce de valeur avait été retrouvée dans la blouse de l’appelante à l’occasion d’un contrôle de sécurité. Malgré les dénégations de Madame A______, le lien de confiance était rompu, ce d’autant plus que quelques semaines auparavant, l’ensemble du personnel avait été averti qu’elle serait intransigeante en cas de vol ou de tentative de vol. Elle avait, en effet, été victime d’un vol qui lui avait causé un grave préjudice. Ainsi, elle avait fait le choix de licencier de manière ordinaire Madame A______, prenant en compte ses années d’ancienneté.

 

t. Par réplique spontanée déposée à l’office postal le 16 février 2022, Madame A______ a modifié ses conclusions en ce sens qu’elle réclamait désormais un intérêt moratoire de 5 % l’an dès le 30 septembre 2020 sur la somme de CHF 15’400.-.

 

Elle admettait qu’il était gênant pour un employé d’être contrôlé avec une pièce en or de valeur dans la poche d’une blouse. Il s’agissait là d’une négligence mais ne fondait pas une accusation de vol (ad ch. 20 p. 4). Or, l’employeur l’avait accusé d’avoir commis des faits graves en raison d’une pièce de haute valeur retrouvée dans sa blouse. Un employeur devait entendre sans délai un employé accusé ou soupçonné de vol. Cependant, B______ SA l’avait laissé travailler une semaine après l’incident. En réalité, le motif invoqué pour justifier le licenciement était son manque de productivité. Compte tenu de la longévité des rapports de travail, un avertissement aurait suffi.

 

u. L’intimée n’a pas dupliqué.

 

v. Une audience de débats s’est tenue le 21 février 2022, lors de laquelle Mesdames A______ et G______ et Monsieur H______ ont été entendu en qualité de parties. Messieurs C______, I______ et Madame J______ ont été entendus en qualité de témoins.

 

Madame A______ a persisté dans ses allégués contenus dans sa demande et sa réplique et a confirmé ses conclusions, notamment le versement d’intérêts moratoires dès le 30 septembre 2020. En renversant le bac contenant le lot de pièces à traiter, elle avait eu l’impression de sentir quelque chose tomber. Avec l’aide de collègues, dont Monsieur E______, elle avait procédé, en vain, à la recherche de la pièce. N’étant pas certaine d’avoir réellement perdu une pièce, elle n’avait pas pesé le lot. Lorsqu’au moment du contrôle aléatoire, elle avait trouvé une pièce en or de 2,5 cm logée dans une poche de sa blouse, elle avait été très surprise et avait eu l’impression que le ciel lui tombait sur la terre. La personne de la sécurité qui est un prestataire externe, l’avait rassurée en lui disant que ce n’était pas grave et qu’il se rendait bien compte qu’il s’agissait d’un accident. C’était la première fois qu’elle oubliait quelque chose dans sa poche. Lorsqu’elle était revenue au vestiaire, ses collègues étaient déjà au courant de l’événement. Lorsqu’elle s’était excusée auprès du directeur de l’intimée pour l’incident du vendredi 13 décembre 2019 et le rassurer sur le fait qu’il s’agissait d’un accident, ce dernier avait l’air surpris et ne semblait pas être au courant de l’événement. Lorsque Monsieur C______ était venu la chercher suite à la convocation des ressources humaines, elle lui avait demandé si elle devait prendre ses affaires. Ce dernier lui avait dit que ce n’était pas nécessaire. À l’issue de l’entretien, lors duquel elle n’avait pas pu s’exprimer, elle avait été accompagnée à la porte car son badge avait déjà été désactivé.

 

Par l’intermédiaire de Mme G______ et M. H______, l’intimée a également persisté dans sa réponse et ses conclusions tout en précisant qu’elle avait été victime d’un vol d’un montant de CHF 150'000.- en octobre 2019. Dès lors, la sécurité avait été renforcée. Les collaborateurs avaient été informés que l’entreprise serait intransigeante au sujet de pièces perdues. Si des pièces étaient néanmoins égarées, la personne responsable de l’ordre de fabrication devait, avec l’aide de ses collègues, les retrouver. Si elles ne l’étaient pas, ladite personne devait en référer immédiatement à son responsable. En l’espèce ce n’était pas tant qu’une pièce se soit retrouvée dans la poche de Madame A______ qui lui était reproché mais plutôt que les procédures en cas de pièces égarées n’avaient pas été respectées. Elle aurait dû recompter ses pièces dès lors qu’elle pensait avoir perdu quelque chose. L’entreprise ne pouvait se permettre d’avoir des contrôles aléatoires car chaque employé était responsable de ses pièces confiées. L’événement avait généré une rupture du lien de confiance.

 

Il ressort de l’audition des témoins ce qui suit :

 

Madame J______, collègue de travail de l’appelante, a déclaré que Madame A______ lui avait indiqué avoir senti une pièce tomber. Malgré leurs recherches, la pièce n’avait pas été retrouvée.

 

Elle avait quitté l’atelier avant l’appelante pour la pause déjeuner. Lorsqu’elle l’avait rejointe au vestiaire, Madame A______ était en pleurs. Une pièce avait été retrouvée dans une poche de sa blouse. Au retour de Madame A______ à son poste de travail, l’ensemble de l’atelier avait déjà discuté de l’événement. Ces derniers pensaient qu’elle ferait l’objet d’un avertissement. Ses collègues et elle-même étaient plutôt rassurés quant aux conséquences de l’événement dans la mesure où plusieurs jours s’étaient écoulés avant le licenciement de Madame A______. Lorsqu’une pièce est manquante, l’incident devait être signalé et tout l’atelier devait se mettre à sa recherche. Elle n’avait jamais eu de situation où une pièce n’avait pas été retrouvée dans le périmètre de travail. Le responsable d’atelier était informé de la perte et c’était lui qui donnait l’ordre de tout arrêter pour la rechercher.

 

Monsieur I______, régleur, était présent le jour où une pièce a été déclarée perdue. Il avait participé à sa recherche. Peu avant la pause de midi, la personne travaillant au lavage lui avait signalé, ainsi qu’à l’appelante, l’absence d’une pièce. Dans ce cas de figure, il convenait de rechercher la pièce perdue. À l’époque, il n’y avait pas de directives précises concernant le signalement d’une pièce égarée. En raison du vol au sein de l’entreprise peu de temps avant l’événement du 13 décembre 2019, le personnel savait que des mesures de contrôle supplémentaire seraient introduites.

 

Monsieur C______, responsable d’atelier, a expliqué avoir été le responsable de Madame A______ et à ce titre avait évalué la qualité de son travail. S’il pouvait avoir quelques écarts dans la qualité et la productivité -elle n’atteignait, en effet, pas les objectifs de rendement- il s’agissait d’une personne consciencieuse. L’opératrice produisait selon les consignes de production et de contrôle qui étaient mentionnées dans une instruction de fabrication. Le nombre théorique de pièces et le poids figuraient sur l’ordre de fabrication. À l’étape précédente, la personne responsable du lavage comptait les pièces ou les pesait pour avoir le même poids de départ. À chaque étape de lavage, le poids (ou la quantité) était vérifié par la personne qui s’occupait du lavage. En cas de doute, l’opératrice, le régleur ou lui-même pouvaient vérifier le poids ou la quantité. Concrètement, les pièces étaient mises sur une balance pour vérifier leur poids. Il était en congé le 13 décembre 2019. Lorsqu’il avait repris son travail le lundi 16 décembre 2016, différents collaborateurs, dont Madame A______, l’avaient informé de l’événement du vendredi précédent. Il avait été convoqué par la direction le mardi 17 décembre 2019. Le directeur lui avait demandé son avis sur l’incident et il avait répondu qu’il s’agissait d’un acte involontaire à son avis. À ce moment-là, il avait été décidé de donner un avertissement à Madame A______. Le jeudi 19 décembre 2019, il avait été informé par le directeur de la décision de licencier Madame A______ le lendemain. Il en avait été surpris. Il n’avait pas demandé de précisions quant aux raisons du licenciement de Madame A______. Il était présent lors du licenciement de Madame A______.

 

En cas de perte d’une pièce, le réflexe est de la chercher là où on pense l’avoir perdue. Puis la recherche doit s’effectuer dans les étapes de production précédente jusqu’à ce que le service soit totalement arrêté pour la rechercher.

 

Il est informé oralement ou par téléphone, immédiatement, de toute perte. Il arrivait régulièrement, en moyenne une fois par mois, que des pièces soient égarées puis retrouvées.

 

w. À l’issue de l’audience, l’intimée s’est engagée, sur requête de l’appelante, à produire une copie de l’ordre de fabrication du 13 décembre. B______ SA a produit l’instruction de fabrication liée aux pièces fabriquées par Madame A______, le 13 décembre 2019.

 

x. À l’issue de l’administration des preuves, les parties ont plaidé le 15 mars 2022 et le tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

 

1. 1.1 En matière de contrat de travail, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice est l'instance d'appel compétente à Genève pour connaître d'un appel dirigé contre un jugement du Tribunal des prud'hommes (art. 124 let. a LOJ).

 

1.2 L'appel est recevable contre les décisions finales et incidentes de première instance lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 CPC).

 

1.3 Il peut être formé pour violation du droit et constatation inexacte des faits (art. 310 CPC). Ecrit et motivé, l'appel doit être introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).

 

La notification intervient au moment de la remise de l'envoi recommandé au destinataire (art. 138 al. 1 et 2 CPC). Le délai d'appel déclenché par la notification commence à courir dès le lendemain de celle-ci (art. 142 al. 1 CPC).

 

1.4 En l'espèce, la voie de l’appel est ouverte dès lors que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions dans le cadre de la procédure de première instance était supérieure à 10'000.-. En outre, introduit dans la forme prescrite par la loi auprès de l'instance cantonale compétente et dans le délai légal, l'appel formé le 2 juin 2022 suite à la réception du jugement du Tribunal des prud’hommes au domicile élu de l’appelant le 6 mai 2022, est recevable.

 

2. 2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte au stade de l'appel que s'ils sont produits sans retard (let. a) et ne pouvaient l'être devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

 

Cette disposition régit de manière complète et autonome la possibilité pour les parties d'invoquer des faits et moyens de preuve nouveaux, sans faire d'exception pour les cas où le juge établit les faits d'office (ATF 138 III 625 c. 2.2). En l’occurrence, l’appelante allègue pour la première fois en appel qu’elle serait arrivée en fin de droit au chômage, d’une part, et que l’intimée ne recommanderait pas sa candidature auprès des potentiels employeurs qu’elle aurait contactés en raison du présent litige, d’autre part. Pour étayer ses allégations, l’appelante produit trois pièces nouvelles en annexe de sa réplique du 25 juillet 2022.

 

L’appelante n’indique pas pour quelle raison elle ne pouvait pas articuler ces faits en première instance déjà, voire dans le cadre de son appel du 2 juin 2022. Ainsi, les faits précités, nouvellement allégués lors de la réplique, ne sont donc pas recevables.

Le même sort sera réservé aux trois pièces précitées. S’agissant de la pièce portant le numéro 3, à savoir un courriel du 28 novembre 2019, sa production est manifestement tardive. Les titres portant les numéros 1 et 2 datés respectivement des 29 juin et 19 juillet 2022, doivent également être écartés dans la mesure où ils sont produits à l’appui d’allégués qui ne sont pas recevables car tardifs.

 

3. Dans un premier grief, l’appelante critique l’établissement des faits,

 

3.1 Dans le cadre de l'application de l'art. 310 let. b CPC, l'autorité d'appel dispose d'un pouvoir d'examen complet de la cause. Cela ne signifie toutefois pas qu'elle est tenue de rechercher elle-même, comme une autorité de première instance, toutes les questions de fait et de droit qui se posent lorsque les parties ne les posent plus en deuxième instance. Hormis les cas de vices manifestes, elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).

 

Le juge apprécie librement le résultat des mesures probatoires (art. 157 CPC). Autrement dit, il décide d'après sa conviction subjective personnelle si les faits se sont produits ou non, c'est-à-dire s'ils sont prouvés (ou établis) ou non (HOHL, Procédure civile, tome I, 2001, p. 152 ss n. 785 ss; VOUILLOZ, La preuve dans le Code de procédure civile suisse, PJA 2009 p. 830 ss).

 

La libre appréciation des preuves permet au juge de tenir compte, non seulement des preuves matérielles proprement dites, mais également de celles plus subjectives ou psychologiques telles que l’attitude des parties et des témoins, le degré de crédibilité de leurs déclarations, les difficultés rencontrées par les parties dans l’administration des preuves, etc. (SJ 1984 p. 29).

 

3.2 En l’espèce, l’appelante reproche aux premiers juges d’avoir incorrectement apprécié son comportement après l’incident du 13 décembre 2019 en retenant qu’elle s’était indéniablement rendue compte avoir commis une faute, d’avoir eu conscience que la situation était sérieuse puisqu’elle avait reconnu avoir été en état de choc et en larmes, et d’avoir de surcroît, ressenti le besoin de s’excuser auprès du directeur de l’intimée quelques jours après l’incident.

 

Le raisonnement du tribunal ne prête pas le flanc à la critique. En effet, l’appelante manipulait des pièces de valeur et de dimension réduite ce qui devait l’inciter à une prudence particulière ce d’autant plus qu’elle comptait près de 15 années de service auprès de l’intimée. De plus, cette dernière avait, quelques temps auparavant, sensibilisé son personnel à la suite d’un vol dont elle avait été la victime.

 

Le comportement post incident de l’appelante ne peut s’expliquer que par la prise de conscience à l’issue du contrôle de sécurité, d’avoir agi avec légèreté dans sa recherche d’une ou plusieurs pièces en or qu’elle soupçonnait avoir égarée après avoir renversé son bac contenant son lot de pièces à travailler.

 

Ainsi, lorsqu’elle a suspecté avoir perdu une ou plusieurs pièces en renversant son bac sur son poste de travail pour exécuter la mission qui lui avait été confiée, l’appelante ne pouvait pas ignorer qu’elle aurait dû, après avoir fait appel à deux collègues pour l’aider à vérifier autour de son poste de travail, procéder à un inventaire des pièces confiées et comparer ses résultats avec son ordre de fabrication, afin de s’assurer ne pas avoir égaré de pièces. Or, en s’affranchissant de procéder à une vérification pour déterminer si réellement une ou plusieurs pièces en or s’étaient égarées, en reprenant son activité dans de telles circonstances puis en quittant son poste pour sa pause déjeuner, alors même que peu de temps avant la personne en charge du lavage lui avait signalé qu’une pièce manquait, l’appelante savait avoir faire preuve de légèreté, respectivement de négligence.

 

En s’abstenant de s’assurer avec certitude ne pas avoir égaré de pièces, puis d’avoir interrompu son activité pour prendre sa pause déjeuner, alors que plusieurs indices démontraient l’égarement d’une pièce, l’appelante a fait preuve de négligence. Si elle avait procédé conformément aux instructions de l’intimée, à l’usage en pareille circonstance, respectivement au bon sens (pesée et/ou comptage des pièces) ou réagi au signalement d’une perte de pièce par son collègue travaillant au lavage, elle n’aurait eu aucune raison d’être mal à l’aise, ensuite de la découverte de la pièce en or dans la poche de sa blouse.

 

L’argumentation de l’appelante n’emporte pas l’adhésion de la cour de céans qui confirmera le jugement entrepris sur ce point.

 

4. Dans le cadre d’un deuxième grief relatif à l’application des articles 335 al. 1 CO et 336 al. 1 et 2 CO, l’appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir considéré la résiliation de son contrat de travail comme étant abusive, le réel motif étant un manque de productivité.

 

4.1 Au sens de l’article 335 alinéa1 CO, le contrat travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. Le droit de chaque cocontractant de mettre unilatéralement fin au contrat est cependant limité par les dispositions sur le congé abusif (ATF 135 III 53, consid. 2.3, 131 III 535 consid. 4.2 ; 127 III 86 consid. 2a).

 

Est abusif le congé donné pour l’un des motifs énumérés à l’article 336 CO, qui concrétisent avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit, et y assortit les conséquences juridiques adaptées au contrat de travail (ATF 132 III 115 consid. 2.1, trad.in JdT 2006 I p.152 ; 131 III 535 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_224_/2018 du 28 novembre 2018 consid. 3.1)

 

4.2 Dans le cas d’espèce, après avoir retenu que l’appelante s’était opposée à son licenciement avant le terme de ses rapports de travail et constaté qu’elle avait saisi l’autorité de conciliation du tribunal des prud’hommes dans les délais prescrits par la loi, le tribunal des prud’hommes a considéré que le congé n’était pas abusif.

 

En effet son comportement adopté juste après l’incident du 13 décembre 2019 démontrait indéniablement que l’appelante s’était rendue compte qu’elle avait commis une faute et que la situation était sérieuse. Le fait d’avoir ressenti le besoin de s’excuser auprès du directeur de l’intimée quelques jours après l’incident le confirmait en tant que de besoin. Même si l’appelante n’a jamais eu la volonté de voler son employeur, elle a fait preuve de légèreté en ne procédant pas à une simple vérification de ses poches afin de s’assurer que la pièce qu’elle pensait avoir égarée, ne s’y trouvait pas. La rupture du lien de confiance n’apparaissait pas fictive mais bien réelle.

 

Un tel raisonnement n’est pas critiquable. En effet, compte tenu du type de pièces qu’elle devait manier, l’appelante se devait d’être particulièrement vigilante. Comme expliqué ci-dessus, il aurait été facile pour elle, après avoir renversé son bac sur son plan de travail, de vérifier, à l’aide de l’ordre de fabrication, au comptage des pièces confiées. Elle pouvait également procéder à un contrôle par pesage. Ces opérations de vérification étaient simples et à sa portée. En outre, elle aurait pu, voire dû, procéder à une fouille de ses poches car elle ne pouvait en effet pas exclure que la pièce, qu’elle soupçonnait être tombée, ne s’y soit pas logée, d’autant plus, que peu avant la pause de midi, un collègue lui avait signalé l’absence d’une pièce et que lors du renversement de son bac elle n’avait rien retrouvé par terre. Ainsi, si elle avait fait preuve de diligence, l’incident du 13 novembre 2019 n’aurait pas eu lieu. Une telle légèreté est de nature à rompre le lien de confiance de l’employeur.

 

En outre, l’appelante ne saurait critiquer le tribunal de ne pas l’avoir suivie lorsqu’elle reproche à l’intimée de ne pas avoir diligenté une enquête pour établir les faits. Le tribunal a estimé qu’une telle mesure n’était pas indiquée dès lors qu’il était admis qu’une pièce en or s’était fortuitement retrouvée dans sa poche. Par ailleurs, l’intimée a bien reproché une faute à la demanderesse mais ne l’a jamais accusée de vol, ce qui ne justifiait aucune enquête.

 

La légèreté reprochée par l’intimée ne porte pas sur le fait que Madame A______ n’aurait pas consciencieusement fouillé ses poches, mais dans le fait qu’elle n’a pas agi comme son employeur était en droit de l’attendre d’une personne ayant de nombreuses années d’expérience, ensuite de l’épisode de la pièce égarée. Diligenter une enquête ne faisait aucun sens dans la mesure où les faits étaient établis et admis par chacune des parties. Là encore, le raisonnement du tribunal ne prête pas le flanc à la critique.

 

L’appelante reproche également au tribunal de n’avoir pas pris en compte que durant ses 15 années de service au sein de l’intimée, elle avait développé des habitudes de travail. Les instructions de l’intimée ne pouvaient donc pas être assimilées sans un temps d’adaptation.

 

Le grief est inopérant. A titre liminaire, la Cour de céans retiendra que l’appelante admet que des instructions existaient en cas d’égarement de pièces et qu’elle ne les a pas suivies.

 

Qui plus est, il n’appartient pas un employé d’imposer ses propres méthodes de travail et ses habitudes à son employeur ce d’autant moins lorsque, avant l’incident précité, l’intimée avait sensibilisé son personnel et exigeait de lui une vigilance accrue dans son activité notamment lors de la manipulation de pièces en or. Le fait de ne pas se plier aux directives de l’employeur, fussent-elles nouvelles, constitue un motif de rupture du lien de confiance qui sous-tend la relation de travail. Là encore, le tribunal n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation.

 

Ainsi, la résiliation du contrat travail de l’appelante n’était pas abusive.

 

5. Dans un troisième grief, l’appelante reproche au tribunal de ne pas avoir retenu qu’elle avait été gravement atteinte dans sa personnalité dans le contexte de la résiliation de son contrat de travail.

 

5.1 Le caractère abusif d’une résiliation peut résulter de la manière que la partie résiliante exerce ses droits, par exemple en violant gravement les droits de la personnalité de l’autre partie (ATF 125 III 70 consid. 2b ; 118 II 157 consid. 4).

 

Selon l'art. 328 al. 1 CO, l'employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. 

 

En cas de violation de l'art. 328 al. 1 CO, l'employé peut prétendre à une indemnité pour tort moral aux conditions de l'art. 49 al. 1 CO. Selon cette disposition, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d'argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l'atteinte le justifie et que l'auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement.

 

N'importe quelle atteinte ne justifie pas une indemnité (ATF 125 III 70 consid. 3a p. 75); l'atteinte doit revêtir une certaine gravité objective et être ressentie par la victime, subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu'il apparaisse légitime de s'adresser au juge afin d'obtenir réparation (arrêts du Tribunal fédéral 4A_159/2016 du 1er décembre 2016 consid. 4.1; 4A_714/2014 du 22 mai 2015 consid. 2.2; 4A_665/2010 du 1 er mars 2011 consid. 6.1; cf. ATF 129 III 715 consid. 4.4 p. 725).   

 

Une indemnité est par exemple due au travailleur qui a été victime, dans l'entreprise de l'employeur, de harcèlement psychologique ou mobbing, lorsque, d'un point de vue objectif, il a subi une humiliation particulièrement sévère (ATF 125 III 70 consid. 3a p. 74 s.; voir aussi ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704; arrêt du Tribunal fédéral 4A_607/2011 du 10 novembre 2011 consid. 3). 

Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer si les circonstances justifient une indemnité pour tort moral dans le cas particulier ; le Tribunal fédéral ne substitue qu'avec retenue sa propre appréciation à celle de la juridiction cantonale (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 p. 309 s.; 129 III 715 consid. 4.4 p. 725). 

 

Le droit fondamental de mettre fin unilatéralement au contrat de travail (art. 335 al. 1 CO) est limité par les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO). La liste des cas de résiliation abusive figurant à l’article 336 CO concrétise l’interdiction générale de l’abus de droit (art. 2 al. 2 CC) et n’est pas exhaustive. 

L’abus peut découler non seulement des motifs du congé, mais également de la façon dont il est donné. En effet, même lorsqu’une partie résilie de manière légitime un contrat, elle doit exercer son droit avec des égards. Elle ne peut en particulier jouer un double jeu et contrevenir de manière manifeste au principe de la bonne foi. Ainsi, une atteinte grave au droit de la personnalité dans le contexte d’une résiliation peut faire apparaître cette dernière comme abusive. 

 

5.2 En l’espèce, il est établi que l’intimée n’a pas accusé son employée de l’avoir volée ou tentée de le faire. Il ne saurait être contesté que l’appelante a commis une faute sérieuse dans l’accomplissement de son activité, faute qui aurait été évitée si elle avait fait preuve de diligence. C’est précisément le fondement du congé donné à l’appelante. Compte tenu de la rupture du lien de confiance, le licenciement était bien fondé et la décision de l’intimée ne peut donc avoir porté atteinte à l’honneur tant personnel que professionnelle de l’appelante. Il n’a pas été allégué et encore moins démontré que l’intimée aurait dénigré son ancienne employée auprès de son personnel. Lui retirer son badge et la dispenser de son obligation de travailler n’est pas plus constitutif d’une atteinte à la personnalité. Quant à l’allégation, irrecevable pour les raisons développées supra, d’un dénigrement auprès de potentiels employeurs contactés par l’appelante, il ne repose sur aucun fondement, de surcroît. Il n’a pas été non plus allégué, ni démontré que l’incapacité de travail de l’appelante trouverait sa cause dans des agissements de l’intimée contraires à ses obligations envers l’appelante.

 

En tous points mal fondés, le grief sera rejeté.

 

6. Dans un dernier grief, l’appelante reproche aux premiers juges d’avoir violé l’article 8 CC en ne retenant pas l’existence d’un congé abusif car fondé sur une prétendue perte du lien de confiance, alors qu’elle a présenté des indices suffisants pour le faire apparaître comme non réel, son manque de productivité en étant la raison.

 

6.1 La disposition précitée dispose que chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu’elle allègue pour en déduire son droit.

 

Cette disposition – qui trouve son pendant à l’article 152 CPC pour la procédure judiciaire (ATF 143 III 297) – répartit le fardeau de la preuve et détermine sur cette base qui assume les conséquences de l’échec de la preuve (ATF 131 III 646 ; ATF 132 III 449 ; ATF 132 III689 ) ; il en résulte que la partie demanderesse doit prouver les faits qui fondent sa prétention, alors que son adversaire doit prouver les faits qui entraînent l’extinction de la perte du droit ; ainsi, les faits qui empêchent la naissance du droit ou en provoque l’extinction doivent être prouvés par la partie qui les allègue (ATF 139 III 7 ; ATF 139 III 13 ). Lorsque l’appréciation des preuves a permis de prouver les faits pertinents, la répartition du fardeau de la preuve devient sans objet, car la règle légale n’intervient que lorsque le juge ne parvient pas à une conviction et à déterminer si le fait s’est ou non produit (ATF 137 III 268 ; ATF 141 III 241 ; ATF 143 III 1). De simples difficultés ne justifient pas qu’on renverse fardeau de la preuve sur l’autre partie (ATF 114 II 91/JT 1982 I 310) ; en effet, la loi s’applique en principe aussi lorsque la preuve porte sur des faits négatifs, mais cette exigence est tempérée par les règles de la bonne foi qui obligent la partie adverse à coopérer à la procédure probatoire, notamment en offrant la preuve du contraire (ATF 100 Ia 12/ JT 1975 I 226 ; ATF 133 V 205).

 

6.2 En l’espèce, l’appelante n’explique pas en quoi son licenciement serait en réalité fondé sur un manque de productivité. Le fait qu’un témoin, Monsieur C______, appelé à s’exprimer sur la qualité du travail de l’appelante, expose que sa subordonnée hiérarchique manquerait de productivité ne suffit pas à renverser le fardeau de la preuve. Il ne reflète pas l’opinion de l’intimée qui n’a jamais reproché à l’appelante son manque de productivité. Au contraire, les premiers juges ont considéré, sans que cela ne soit critiquable pour les motifs qui précèdent, que licenciement a été notifié à l’appelante en raison de la rupture du lien de confiance ensuite de l’incident du 13 décembre 2019. C’est bien la légèreté de l’appelante dans la gestion de l’égarement de la pièce qui est à l’origine de la rupture contractuelle. Ainsi, le raisonnement des premiers juges n’est pas critiquable sur ce point, également.

 

7. En définitive, l’appel est rejeté.

La valeur litigieuse en appel étant inférieure à CHF 50'000.-, il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 116 al. 1 CPC ; art. 19 al. 3 let. c LaCC ; art. 71 RTFMC).

Il n’est pas alloué de dépens conformément à l’article 22 al. 2 LaCC.

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 1 :

 

A la forme :

 

1.    Déclare recevable l'appel interjeté le 2 juin 2022 par Madame A______ contre le jugement JTPH rendu le 4 mai 2022 par le Tribunal des prud’hommes dans la cause C/7206/2021 – 1.

 

2.    Déclare irrecevable les trois pièces nouvelles, et les nouveaux allégués y relatifs, produites par l’appelante en annexe de sa réplique du 25 juillet 2022.

 

Au fond :

 

3.    Déboute Madame A______ de toutes ses conclusions prises aux termes de son appel formé le 22 juin 2022.

 

4.    Confirme le jugement entrepris.

 

5.    Déboute les parties de toutes autres conclusions

 

Sur les frais :

 

6.    Dit que la procédure est gratuite et qu’il n’est perçu aucun frais judiciaire.

 

7. Dit qu'il n’est pas alloué de dépens.

 

Siégeant :

Monsieur Yves BONARD, président; Monsieur Pierre Alain L'HÔTE, juge employeur; Monsieur Roger EMMENEGGER, juge employé; Monsieur Javier BARBEITO, greffier.

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000.- fr.