Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/1402/2025 du 10.10.2025 sur JTBL/359/2025 ( SBL ) , CONFIRME
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE C/24112/2024 ACJC/1402/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU VENDREDI 10 OCTOBRE 2025 | ||
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], recourant contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 8 avril 2025, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,
et
Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par [l’association] C______, ______ [GE].
A. Par jugement JTBL/359/2025 du 8 avril 2025, le Tribunal des baux et loyers a rejeté la requête de A______ tendant à ordonner la comparution personnelle et l'interrogatoire de B______ (ch. 1 du dispositif), condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec lui, l'appartement n° 1______ de 4 pièces au 6ème étage ainsi que la cave n° 2______ de l'immeuble sis rue 3______ no. ______, [code postal] F______ [GE] (ch. 2), autorisé B______ à requérir l'évacuation par la force publique de A______ dès le 1er juillet 2025 (ch. 3), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) et dit que la procédure était gratuite (ch. 5).
B. a. Par acte déposé le 16 avril 2025 à la Cour de justice, A______ a formé recours contre ce jugement. Il a conclu à l'annulation du chiffre 3 de son dispositif et à ce qu'il soit dit que B______ n'est autorisée à requérir l'évacuation par la force publique de A______ que dès le 1er mai 2026.
b. Par arrêt du 24 avril 2025, la Cour a suspendu le caractère exécutoire du chiffre 3 du dispositif du jugement du 8 avril 2025.
c. Dans sa réponse du 28 avril 2025, B______ a conclu à la confirmation du jugement entrepris et au déboutement de A______ de ses conclusions.
d. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions et B______ a renoncé à dupliquer.
e. Les parties ont été avisées le 20 mai 2025 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. B______, en qualité de bailleresse, et D______ et E______, en qualité de locataires, étaient liés par un contrat de bail conclu le 2 février 2005, portant sur la location d'un appartement de 4 pièces au 6ème étage de l'immeuble sis
no. ______, rue 3______ à Genève.
b. Ce contrat de bail a été résilié par avis du 14 juillet 2023, de manière extraordinaire pour le 31 août 2023 et de manière ordinaire pour le 31 janvier 2024.
La résiliation du bail n'a pas été contestée par les locataires.
c. Par jugement JTBL/747/2024 du 11 juillet 2024, rendu dans une procédure d'évacuation opposant B______ à D______ et E______, le Tribunal a notamment condamné ceux-ci à évacuer immédiatement l'appartement susmentionné.
D______ et E______ n'occupent cependant plus l'appartement, lequel est occupé par A______.
d. Par requête du 11 octobre 2024, B______ a demandé l'évacuation immédiate de A______ et sollicité l'exécution directe de l'évacuation de celui-ci.
e. Lors de l'audience devant le Tribunal du 3 février 2025, A______ a déclaré qu'il vivait dans l'appartement depuis 19 ans et avait toujours payé son loyer, sans retard. Il n'avait jamais eu de problème de voisinage. Il habitait avec son fils de 25 ans, sans emploi. Il avait cherché à reprendre le bail à son nom, ce que la bailleresse avait refusé. Il sollicitait la comparution personnelle de B______ pour comprendre les raisons de son refus.
La représentante de B______ s'est opposée à la comparution personnelle de cette dernière. Elle a indiqué qu'elle était disposée à accorder à A______ un délai de départ au mois de juin 2025.
A______, qui a conclu au rejet de la requête, a demandé subsidiairement l'octroi d'un sursis humanitaire de 15 mois.
La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.
f. Dans son jugement du 8 avril 2025, le Tribunal a d'abord relevé que selon les explications de A______, l'audition de B______ devrait porter sur les raisons pour lesquelles elle aurait refusé de conclure un nouveau contrat de bail avec lui. Ces faits étant sans pertinence sur la résolution juridique du litige, la preuve ne devait pas être administrée, de sorte qu'il a refusé d'ordonner la comparution personnelle et l'interrogatoire de l'intéressée.
Il a ensuite considéré que les faits n'étaient pas litigieux et que la situation juridique était claire. Il n'était pas contesté que la résiliation du bail principal n'avait pas été contestée et que les locataires principaux avaient été condamnés, par jugement du 11 juillet 2024, à évacuer immédiatement les locaux. Le bail principal ayant pris fin, le contrat de sous-location ne pouvait perdurer. A______ n'était donc au bénéfice d'aucun titre juridique l'autorisant à rester dans les locaux, de sorte que son évacuation devait être prononcée.
B______ avait accepté d'octroyer à A______ un délai de départ au mois de juin 2025, alors que ce dernier demandait un sursis humanitaire de 15 mois. Il ne faisait cependant pas valoir de circonstances particulières qui justifieraient un délai plus long que celui que B______ avait accepté d'accorder. Le fait que A______ vive avec un enfant – majeur – sans emploi et qu'il n'ait pas encore trouvé de solution de relogement n'était pas suffisant. Il n'avait d'ailleurs à cet égard pas produit de pièces montrant des recherches sérieuses d'un logement de remplacement, ni allégué avoir procédé à de telles recherches. Le délai à fin juin 2025 proposé par B______ apparaissait approprié et permettrait à A______ de se reloger.
1. 1.1 La voie du recours est ouverte contre les décisions du Tribunal de l'exécution (art. 309 let. a CPC; art. 319 let. a CPC).
Le locataire contestant le chiffre 3 du dispositif du jugement attaqué relatif à l'exécution de son évacuation, seule la voie du recours est ouverte.
1.2 Le recours, écrit et motivé, doit être introduit dans un délai de dix jours pour les décisions prises en procédure sommaire (art. 321 al. 2 CPC), ce qui est le cas dans des procédures en protection des cas clairs (art. 248 let. b et 257 CPC).
Le recours a été interjeté dans les délais et suivant la forme prescrite par la loi, de sorte qu'il est recevable.
1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait, n'examinant par ailleurs que les griefs formulés et motivés par le recourant (Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2307).
2. Le recourant relève que le Tribunal aurait omis de préciser qu'il était bénéficiaire d'une demi-rente AI et de prestations complémentaire, que ses revenus s'élevaient à 2'088 fr. et qu'une dizaine de voisins avaient signé une pétition en sa faveur, soit des éléments qui avaient été protocolés lors de l'audience.
La simple mention de ces faits par le recourant ne suffit pas pour considérer qu'ils auraient été arbitrairement omis, en l'absence de motivation à cet égard. Il ne se justifie dès lors pas de compléter l'état de fait du jugement attaqué.
3. Le recourant invoque une violation de son droit à un procès équitable et de son droit d'être entendu, au motif que la comparution personnelle de la bailleresse n'a pas été ordonnée alors qu'elle aurait pu lui donner de meilleures chances d'obtenir un sursis humanitaire plus long. Le recourant se prévaut également du droit des parties à l'administration des preuves pertinents et valablement offertes et invoque l'art. 30 al.1 de la loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC – E 1 05).
3.1 Le droit à la preuve, tout comme le droit de participer à l'administration des preuves consacré à l'art. 155 al. 3 CPC, sont des composantes du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. et 53 CPC, qui ont à cet égard la même portée. Il implique que toute partie a le droit, pour établir un fait pertinent contesté, de faire administrer les moyens de preuves adéquats, pour autant qu'ils aient été proposés régulièrement et en temps utile selon la loi de procédure applicable
(ATF 144 II 427 consid. 3.1; 143 III 297 consid. 9.3.2). Le droit à la preuve n'interdit cependant pas au juge de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis d'acquérir une conviction et qu'à l'issue d'une appréciation anticipée des moyens de preuves qui lui sont encore proposés, il a la certitude que ceux-ci ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion
(ATF 146 III 73 consid. 5.2.2; 143 III 297 consid. 9.3.2; 141 I 60 consid. 3.3).
Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 IV 302 consid. 3.1 et les références). Cependant, ce droit n'est pas une fin en soi. Ainsi, lorsqu'on ne voit pas quelle influence sa violation a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1). Partant l'admission de la violation du droit d'être entendu suppose que, dans sa motivation, le recourant expose quels arguments il aurait fait valoir dans la procédure cantonale et en quoi ceux-ci auraient été pertinents. A défaut, le renvoi de la cause au juge précédent, en raison de la seule violation du droit d'être entendu, risquerait de conduire à une vaine formalité et à prolonger inutilement la procédure (arrêts du Tribunal fédéral 5A_70/2021 du 18 octobre 2021 consid. 3.1 et les références; 4A_593/2020 du 23 juin 2021 consid. 7.2).
Selon l'art. 30 al. 1 LaCC, lorsqu’il connaît d’une requête en évacuation d’un locataire, le Tribunal des baux et loyers ordonne, dans les limites de l’art. 254 CPC, la comparution personnelle des parties. Il entreprend toute démarche utile de conciliation, notamment pour favoriser la conclusion d’accords de rattrapage de l’arriéré et de mise à l’épreuve du locataire en vue du retrait du congé.
3.2 En l'espèce, le recourant avait sollicité devant le Tribunal la comparution personnelle de l'intimée pour comprendre les raisons de son refus de conclure un bail avec lui. Devant la Cour, le recourant invoque une violation de son droit à la preuve en raison du refus du Tribunal de donner suite à cette requête. L'audition de l'intimée n'était cependant pas destinée, à bien le comprendre, à établir les faits de la cause, mais à favoriser une solution amiable qui lui aurait permis d'obtenir un sursis de plus longue durée. Le droit d'être entendu du recourant et son droit à l'administration des preuves n'est dès lors pas en jeu. Le Tribunal a par ailleurs expliqué, contrairement à ce que soutient le recourant, les motifs pour lesquels il ne donnait pas suite à la demande d'audition de la citée et il a statué sur cette question au chiffre 1 du dispositif du jugement attaqué.
En tout état de cause, l'intimée était représentée lors de l'audience devant le Tribunal et le recourant n'explique d'aucune manière en quoi la présence personnelle de l'intimée aurait permis de favoriser une issue qui lui aurait été plus favorable, étant rappelé qu'une proposition de solution amiable a été formulée par l'intimée, par l'intermédiaire de sa représentante, laquelle n'a pas été acceptée. Dans ces circonstances, l'art. 30 al. 1 LaCC, qui n'institue pas une obligation absolue d'ordonner une comparution personnelle des parties, mais uniquement dans les limites de l'art. 254 CPC, n'a pas été violé par le Tribunal qui rejeté la demande du recourant à cet égard.
Le grief doit dès lors être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
4. Le recourant soutient qu'un sursis d'une durée supérieure aurait dû lui être accordé.
4.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'exécution d'un locataire est régie par le droit fédéral (art. 355 ss CPC).
En autorisant l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Dans le cas de l'évacuation d'une habitation, il s'agit d'éviter que des personnes concernées soient ainsi privées de tout abri. De ce fait, l'expulsion ne saurait être exécutée sans un ménagement particulier, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. Dans tous les cas, le sursis doit être relativement bref et ne doit pas équivaloir à une prolongation de bail
(ATF 117 Ia 336 consid. 2b p. 339; arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).
L'art. 30 al. 4 LaCC prévoit également que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire.
S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis (ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).
4.2 En l'espèce, le recourant soutient qu'au vu de sa situation personnelle et financière, il n'aurait "quasiment aucune chance" de trouver un nouveau logement. Il ne paraît dès lors pas, dans ces circonstances, que l'octroi d'un sursis plus long présenterait pour lui une quelconque utilité, en l'absence d'allégations selon lesquelles sa situation serait susceptible de s'améliorer dans l'intervalle.
Le recourant cite par ailleurs une longue liste d'arrêts de la Cour traitant de la question de la fixation d'un délai humanitaire, d'une durée allant jusqu'à douze mois, sans toutefois expliquer en quoi ces précédents seraient pertinents dans le cas d'espèce, étant relevé qu'aucun de ceux-ci n'octroie un délai de quinze mois comme il le requiert.
Il invoque enfin l'absence d'urgence pour l'intimée à récupérer l'appartement litigieux. Le bail principal a toutefois été résilié de manière extraordinaire pour le 31 août 2023 et de manière ordinaire pour le 31 janvier 2024, soit il y a près de deux ans, respectivement un an et demi. Le recourant a dès lors déjà bénéficié, dans les faits, d'un sursis de plusieurs mois et même s'il n'y a pas d'urgence pour l'intimée, son droit à récupérer la jouissance de l'appartement litigieux dans un délai raisonnable ne saurait être remis en cause.
Au vu de ce qui précède, le recours n'est pas fondé, de sorte qu'il sera rejeté.
5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté le 16 avril 2025 par A______ contre le jugement JTBL/359/2025 rendu le 8 avril 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/24112/2024.
Au fond :
Rejette ce recours.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.