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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/22/2024

ACJC/1530/2024 du 29.11.2024 ( SBL ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/22/2024 ACJC/1530/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 29 NOVEMBRE 2024

 

Entre

FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______, sise ______ [ZH], recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 9 juillet 2024, représentée par Me Jean-Yves SCHMIDHAUSER, avocat, rue Jean-Sénébier 20, 1205 Genève,

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me François BELLANGER, avocat, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4.

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance OTBL/127/2024 du 9 juillet 2024, expédiée pour notification aux parties le 10 juillet 2024, le Tribunal des baux et loyers a suspendu la procédure jusqu'à ce qu'un jugement de première instance ait été rendu dans la cause C/1______/2023.

Il a considéré que cette cause, qui opposait une autre partie demanderesse à la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______, concernait des locaux situés dans le même immeuble et posait la même problématique juridique que celle existant dans la présente procédure, de sorte qu'il se justifiait d'attendre que le Tribunal ait rendu son jugement dans la cause susmentionnée.

B.            Par acte du 12 juillet 2024 à la Cour de justice, la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______ a formé recours contre cette décision. Elle a conclu à son annulation, sous suite de frais et dépens.

Elle a formé des allégués nouveaux en lien avec la procédure C/1______/2023, rendus nécessaires selon elle par la décision du premier juge, à savoir qu'elle avait remis à bail, depuis mars 2021, d'autres surfaces commerciales (destinées à une "prétendue production de masques sanitaires") du même immeuble que celui visé dans la présente cause, à C______ SA.

B______ SA a conclu au rejet du recours, avec suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Par avis du 4 octobre 2024, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure de première instance:

a. Le 3 janvier 2024, B______ SA (D______/E______ SA jusqu'en novembre 2022), dont l'administrateur est F______, a saisi le Tribunal d'une action en libération de dette dirigée contre la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______. Elle a conclu à ce qu'il soit constaté qu'elle ne devait pas à celle-ci 204'212 fr. 60 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 15 juin 2022, faisant l'objet de la mainlevée provisoire de l'opposition prononcée par jugement JTPI/14833/2023 du Tribunal de première instance du 12 décembre 2023 (cause C/2______/2022), sous suite de frais et dépens.

Elle a notamment allégué qu'elle avait, avec D______/G______ SA, pris à bail une surface de 423 m2 (destinée à l'exploitation d'un restaurant) au rez-de-chaussée, une terrasse intérieure non couverte de 35 m2 au rez-de-chaussée, une surface de 78 m2 ainsi que huit places de parking au sous-sol d'un bâtiment commercial sis route 3______ no. ______ à H______ [GE], propriété de la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______. Le contrat avait été conclu pour une durée de quinze ans, soit du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2034. Ce contrat stipulait en particulier un loyer annuel de 169'170 fr. HT, payable par mois d'avance, ainsi qu'un acompte provisionnel pour les charges de chauffage et de frais accessoires de 19'035 fr. par an. Elle avait connu des difficultés pour s'acquitter des loyers, qu'elle attribuait à la situation due à la pandémie. Le 6 avril 2022, elle avait reçu de la bailleresse un courrier de mise en demeure portant sur les loyers et frais accessoires dus du 1er septembre 2021 au 30 avril 2022, soit 107'818 fr. 40. Le 19 octobre 2022, elle avait résilié le contrat pour le 30 juin 2023 pour justes motifs au sens de l'art. 266g al. 1 CO. Le 25 

octobre 2022, elle avait formé opposition au commandement de payer, poursuite n° 4______, portant notamment sur 204'212 fr. 60 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er mai 2022, laquelle avait conduit au prononcé de mainlevée provisoire selon jugement du Tribunal de première instance du 12 décembre 2023.

b. La FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______ a conclu au déboutement de B______ SA des fins de ses conclusions.

Elle a formé une demande reconventionnelle tendant à ce que la société précitée soit condamnée à lui verser 291'016 fr. 90 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er mai 2022 (date moyenne) sur 185'805 fr. 40 et dès le 1er février 2023 (date moyenne) sur 105'211 fr. 50 à titre de solde de loyers et avances de charges du 1er janvier 2020 au 30 avril 2023 (conclusion n° 5), à ce que soit prononcée la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 4______, "ainsi que le cas échéant de l'opposition […] à la poursuite supplémentaire de l'Office des poursuites de Genève initiée à son encontre, selon réquisition du 19 décembre 2023 dont le numéro sera[it] précisé en cours d'instance" (conclusion n° 6), sous suite de frais et dépens.

Elle a notamment allégué qu'elle avait résilié le bail pour défaut de paiement avec effet au 30 avril 2023. Le montant total du loyer et des charges du 1er janvier 2020 au 30 avril 2023 était de 588'421 fr. 10, dont 297'404 fr. 20 lui avaient été versés. Ainsi, elle restait créancière de 291'016 fr. 90.

Elle a par ailleurs fait référence à une "procédure parallèle concernant C______ SA", société anonyme ayant pour administrateur F______, dont elle a allégué qu'il s'agissait d'une société du groupe D______ (allégués n° 3 et 40).

Elle a produit, en lien avec cette référence, une copie d'une action en libération de dette dirigée à son encontre par la précitée, désignée en page de garde de son chargé de pièces sous l'intitulé suivant: "action en libération de dette ouverte par C______ SA devant le Tribunal des baux et loyers le 30 novembre 2023 (procédure C/1______/2023)".

Elle en a tiré argument pour soutenir que dans la cause susmentionnée et dans la présente cause des thèses contradictoires étaient soumises respectivement par C______ SA et par B______ SA au sujet de l'évolution favorable ou défavorable de la pandémie invoquée à l'appui d'une "clausula rebus sic stantibus".

c. B______ SA a, le 26 avril 2024, déposé un acte par lequel elle a d'une part répliqué, d'autre part répondu sur demande reconventionnelle, concluant à ce qu'il soit constaté qu'elle ne devait pas 291'016 fr. 90 avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er mai 2022 (date moyenne) sur 185'805 fr. 40 et dès le 1er février 2023 (date moyenne) sur 105'211 fr. 50 à titre de solde de loyers et avances de charges du 1er janvier 2020 au 30 avril 2023, avec suite de frais et dépens.

Elle a notamment fait figurer en regard des allégués 3 et 40 de sa partie adverse "non pertinent donc contesté" et "contesté" (suivi d'un commentaire) respectivement. Elle a en outre contesté la contradiction évoquée par la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______, ajoutant que celle-ci "déform[ait] totalement les propos de C______ SA".

d. Par ordonnance du 29 avril 2024, le Tribunal a ordonné un second échange d'écritures.

e. La FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______ a dupliqué.

f. Par ordonnance du 30 mai 2024, le Tribunal a notamment imparti un délai aux parties pour se déterminer sur la question de la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans la cause C/1______/2023.

La FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______ s'est opposée à la suspension de la procédure. Elle a fait valoir que l'objet de la cause C/1______/2023 était un autre contrat de bail, conclu avec une société tierce, portant sur des locaux différents, dans des circonstances différentes. Elle a par ailleurs déclaré "préciser sa conclusion 6 de la manière suivante: ordonner la mainlevée définitive de l'opposition formée […] aux poursuites n° 5______ [sic] et 6______".

B______ SA ne s'y est pas opposée.

EN DROIT

1. 1.1 Formé dans le délai utile de dix jours et suivant la forme prescrite par la loi, à l'encontre d'une ordonnance de suspension au sens de l'art. 126 al. 1 CPC, laquelle entre dans la catégorie des ordonnances d'instruction (ATF 141 III 270 consid. 3) pouvant, conformément à l'art. 126 al. 2 CPC, faire l'objet du recours de l'art. 319 let. b ch. 1 CPC, le présent recours est recevable (art. 130, 131, 142 et 321 al. 1 et 2 CPC).

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.3 Les allégués nouveaux formulés par les parties sont irrecevables, conformément à l'art. 326 al. 1 CPC.

2. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir rendu une décision dont la motivation est lacunaire, et partiellement fondée sur des éléments extrinsèques à la présente procédure, violant de la sorte la maxime des débats. Elle lui reproche d'avoir considéré que la cause C/1______/2023 concernait la "même problématique juridique", ce qui justifiait une suspension dans l'attente du jugement que le Tribunal rendrait dans la cause susmentionnée.

2.1 Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. implique l'obligation pour le juge de motiver sa décision afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision; il n'est pas tenu de discuter tous les arguments soulevés par les parties, mais peut se limiter à ceux qui lui apparaissent pertinents (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; 138 I 232 consid. 5.1). Savoir si la motivation présentée est convaincante est une question distincte de celle du droit à une décision motivée. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision du juge, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2).

2.2 Selon l'art. 126 al. 1 CPC, le tribunal peut ordonner la suspension de la procédure si des motifs d'opportunité le commandent; la procédure peut notamment être suspendue lorsque la décision dépend du sort d'un autre procès.

La suspension doit répondre à un besoin réel et être fondée sur des motifs objectifs. Elle ne saurait être ordonnée à la légère, les parties ayant un droit à ce que les causes pendantes soient traitées dans des délais raisonnables. Le juge bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation en la matière (arrêt du Tribunal fédéral 4A_683/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1).

Au regard du principe de la célérité, la durée du procès et la compatibilité d'une éventuelle suspension doivent être appréciées de cas en cas en tenant compte de l'ensemble des circonstances, en particulier de la nature et de l'ampleur de l'affaire, du comportement des parties et des autorités, et des opérations de procédure spécifiquement nécessaires (ATF 144 II 486 consid. 3.2).

2.3 En l'occurrence, il convient de relever d'emblée qu'aucune des parties n'a conclu à la suspension de la présente procédure devant le Tribunal. Celui-ci a d'office acheminé les parties à se déterminer sur la question de la suspension dans l'attente de "droit jugé" dans la cause C/1______/2023, sans autre explication, et sans se préoccuper de la circonstance que l'intimée n'étant pas partie à cette cause, elle est supposée en ignorer l'existence, et a fortiori le contenu.

Certes, la recourante avait elle-même fait allusion à la procédure C/1______/2023 dans sa réponse et demande reconventionnelle, produisant la demande dirigée contre elle par une société tierce, dont elle a allégué (n° 3 et n° 40) qu'elle appartenait au même groupe de sociétés que l'intimée. Cette dernière a fait figurer les mentions suivantes dans sa réplique en regard desdits allégués: "ad allégué 3 non pertinent donc contesté" et "ad allégué 40 contesté" (ajoutant toutefois un commentaire); elle a de la sorte accrédité la circonstance qu'elle était étrangère à la cause C/1______/2023. On peine dès lors à comprendre comment elle aurait pu, ainsi que le lui a demandé le Tribunal dans son ordonnance du 30 mai 2024, se déterminer sur une suspension dans l'attente de ladite procédure (sans préjudice de ce que, dans sa réponse au recours, elle reconnaît que C______ SA fait partie du groupe de société auquel elle appartient et que le contrat de bail conclu par cette dernière relèverait "d'une seule et même relation d'affaires" qui s'inscrirait "dans un complexe de faits dont il faut admettre que le seul élément qui diffère est l'identité juridique des parties locataires").

Elle ne s'y est d'ailleurs pas aventurée, se limitant à exprimer qu'elle n'était pas opposée à une telle suspension.

Comme le relève la recourante, le Tribunal n'a pas exposé en quoi celle-ci se justifierait. La seule circonstance évoquée, outre la situation des locaux dont la pertinence n'est de loin pas manifeste, tiendrait à la "même problématique juridique" dans la présente cause et dans la procédure C/1______/2023, sans que l'on puisse discerner de quoi il s'agirait précisément, ni quels motifs concrets auraient en l'occurrence guidé la décision du premier juge.

Celui-ci n'a de surcroît pas examiné ce qu'il en est de l'exigence de célérité. A cet égard, l'ensemble des circonstances qui permettent d'examiner la compatibilité d'une suspension avec la procédure n'a pas été établi, singulièrement pas les opérations de procédure nécessaires. Il n'a pas plus été indiqué le stade auquel se trouve la cause C/1______/2023, étant en outre observé qu'une décision de première instance, telle que visée au dispositif de l'ordonnance attaquée, si elle n'est pas définitive, ne représente pas une étape particulièrement décisive.

Au vu de ce qui précède, la Cour n'est pas en mesure d'exercer son contrôle.

L'ordonnance attaquée sera ainsi annulée.

3. À teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 12 juillet 2024 par la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS A______ contre l'ordonnance OTBL/127/2024 rendue le 9 juillet 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/22/2024.

Au fond :

Annule cette ordonnance.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions de recours.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Laurence MIZRAHI, Madame
Cosima TRABICHET-CASTAN, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.