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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/23773/2023

ACJC/1149/2024 du 23.09.2024 sur JTBL/318/2024 ( SBL ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23773/2023 ACJC/1149/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 23 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 26 février 2024, représentée par Me Yves KLEIN, avocat, Monfrini Bitton Klein, place du Molard 3, 1204 Genève,

et

B______, p.a C______ [régie immobilière], ______, intimée, représentée par C______, ______, et

D______ SARL, sise ______, intimée, représentée par Me Olivier ADLER, avocat, BM AVOCATS, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTBL/318/2024 du 26 février 2024, expédié pour notification le 26 mars suivant, le Tribunal des baux et loyers a condamné D______ Sàrl à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que de tout tiers, le bureau de 10 m2 situé au 1er étage de l'immeuble sis chemin 1______ à Genève (ch. 1), a autorisé la "B______" à requérir l'évacuation par la force publique d'D______ Sàrl dès l'entrée en force du jugement (ch. 2), condamné A______ SA à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que de tout tiers le bureau de 10 m2 situé au 1er étage de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______ à Genève (ch. 3), autorisé la B______ à requérir l'évacuation par la force publique du A______ SA dès 30 jours après l'entrée en force du jugement (ch. 4), débouté les parties de toutes conclusions (ch. 3 [recte 5], et dit que la procédure était gratuite (ch. 4 [recte 6]).

Le Tribunal a retenu notamment que les faits n'étaient pas litigieux et la situation juridique claire, puisqu'il n'était pas contesté que B______ était propriétaire de "l'appartement" concerné et que le bail avait été résilié pour le 30 septembre 2023. Comme le A______ SA n'avait pas trouvé de nouveau local, malgré ses récentes démarches, un délai de trente jours lui serait accordé avant l'exécution de l'évacuation.

B.            Par acte du 8 avril 2024, A______ SA a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait au déboutement de B______ des fins de ses conclusions, subsidiairement à l'annulation du chiffre 4 du dispositif de la décision.

A titre préalable, elle a requis la suspension du caractère exécutoire de la décision attaquée, ce à quoi la Cour a fait droit par arrêt du 17 avril 2024.

B______ a conclu au rejet du recours. Elle a notamment fait valoir, pièce à l'appui, qu'elle était une association qui avait succédé, par voie de réunions, à E______.

D______ Sàrl a également conclu au rejet du recours.

Aux termes de sa réplique, A______ SA a limité ses conclusions principales à l'annulation de la décision entreprise, tandis qu'elle a persisté dans ses conclusions subsidiaires. Elle a nouvellement fait valoir, pièce à l'appui, que F______ était une association, personne morale distincte de l'association B______.

Cette dernière a renoncé à dupliquer.

Par avis du 12 juin 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants:

a. L'immeuble sis no. ______ chemin 1______ à Genève est propriété de F______.

b. Le 18 mars 2013, trois contrats de bail ont été conclus entre "E______, représentant F______" et D______ Sàrl, portant sur un bureau de 10 m2 au 1er étage de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______ à Genève (moyennant un loyer annuel de 3'000 fr.) ainsi qu'un bureau de 25 m2 sis au rez-de-chaussée du même immeuble (moyennant un loyer annuel de 8'400 fr.), et deux parkings n. 107 et 108 au sous-sol dudit immeuble (moyennant un loyer annuel de 3'600 fr.).

c. Il n'est pas contesté qu'à compter de juillet 2014, le bureau du 1er étage susmentionné a été sous-loué à A______ SA. Aucun détail supplémentaire n'a été fourni par les parties.

d. Le 24 mai 2023, D______ Sàrl a résilié les baux pour le 30 septembre 2023, ce qui a été accepté par la régie représentant la bailleresse.

e. Il n'est pas contesté que le 22 juin 2023, D______ Sàrl a résilié le sous-bail (cf courriel du 22 septembre 2023 émanant du conseil de A______ SA, produit par la B______).

f. Par courriel du 3 juillet 2023, la régie en charge de la gérance des locaux a annoncé à A______ SA qu'un accès aux locaux était nécessaire pour le "pré-état des lieux de sortie" suite à la résiliation des baux par D______ Sàrl pour fin septembre 2023.

S'en est suivi un échange de correspondances. Il en résulte notamment la mention, par la régie, de ce qui suit: "Madame G______, qui occupe actuellement les locaux au rez-de-chaussée, m'a parlé de votre souhait éventuel de reprendre les locaux du rez après le départ de D______ Sàrl. Si tel est le cas, je vous remercie de bien vouloir me recontacter […] afin qu'on discute des démarches y relatives", et la réponse de A______ SA: "En ce qui concerne les démarches, comment devons-nous procéder? Allons-nous partager le bail avec Mme G______? […] Ou bien y aura-t-il 2 baux séparés? Quels seront les documents dont vous auriez besoin?". Sur quoi, la régie a invité la précitée à lui retourner une formule d'inscription, et précisé: "Si tout est en ordre, chaque partie aura son propre bail, pour autant que la solvabilité de chaque dossier soit suffisante"; ultérieurement, elle lui a précisé que le bail serait cas échéant d'une durée d'un an, renouvelable de six mois en six mois." Sur ce, après deux relances de la régie restées sans réponse, le A______ SA a, le 29 août 2023, communiqué qu'elle devait se "résoudre à rester au premier étage" vu le manque de prévisibilité annoncé, et requis les "conditions de continuation de location" du bureau. Le 30 août 2023, la régie a répondu que les locaux du premier étage avaient été attribués à G______ dès le 1er octobre 2023, et que s'agissant des locaux du rez-de-chaussée, un dossier complet de candidature devrait lui être transmis au 6 septembre suivant, sans quoi, le bien serait remis sur le marché. Le 5 septembre 2023, elle n'a pas accédé à la demande de A______ SA de prolonger le délai précité au 15 septembre suivant et annoncé qu'elle publierait dès le lendemain des annonces de mise en location du bien.

Par courrier du son conseil du 15 septembre 2023, le A______ SA a observé qu'elle avait été mise "devant un fait accompli, à savoir l'attribution des […] locaux à Mme G______", et soumis une formule d'inscription concernant les locaux du premier étage.

Par lettre du 18 septembre 2023, la régie a répondu qu'en l'absence de remise du dossier de la précitée, en dépit de ses relances, et vu le dépôt du dossier de G______, validé par la bailleresse, les locaux avaient été attribués à cette dernière. Elle a dès lors invité à la libération de ceux-ci.

Par courrier de son conseil du 29 septembre 2023, A______ SA a signalé à la régie que ces locaux lui étaient nécessaires pour des tâches administratives de sorte que libérer les lieux, sans avoir trouvé de local de remplacement n'était pas une option économiquement viable. Ses recherches n'avaient rien donné; elle les poursuivait.

Par lettre du 4 octobre 2023, la régie a imparti à la précitée un ultime délai au 30 octobre 2023 pour restituer les locaux vides à la locataire.

g. Le 9 novembre 2023, B______, représentée par la régie, a saisi le Tribunal d'une requête en évacuation, formée par la voie de la protection du cas clair, avec exécution directe, dirigée contre D______ Sàrl et contre le A______ SA. Elle a, en outre, conclu à la condamnation des précitées à lui verser 250 fr. à titre d'indemnité pour occupation illicite et provision pour frais accessoires par mois jusqu'au prononcé du jugement, sous suite d'intérêts moratoires à 5% l'an dès l'échéance moyenne de la période d'occupation illicite.

Elle a notamment allégué qu'elle était propriétaire de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______, sans autre allégué relatif à sa légitimation active, et fait valoir que le bail principal la liant à la locataire principale lui donnait le droit de requérir l'évacuation de celle-ci et du A______ SA.

A l'audience du Tribunal du 26 février 2024, ni D______ Sàrl ni le A______ SA n'ont pris de conclusions selon ce qui résulte du procès-verbal d'audience; aucune d'entre elles n'a relevé quoi que ce soit en lien avec la légitimation active de B______. La deuxième d'entre elles a déclaré faire des recherches, avoir besoin de temps, sans pouvoir préciser le laps de temps nécessaire, et a contesté qu'il y ait eu des discussions avant juin 2023 "si ce n'est un téléphone". D______ Sàrl, représentée par avocat, a relevé qu'il y avait eu, avec A______ SA, consultation et information de la situation "bien avant janvier 2023", se référant à "toutes ces discussions sur un échange de surfaces".

A été déposé, sans que soit précisé par laquelle des parties, copie d'un courriel adressé le 22 juin 2023 par D______ Sàrl au A______ SA, rédigé en ces termes: "Pour la fin septembre je rends le bureau à la B______. Vous pouvez garder le bureau j'ai déjà discuté avec la régie il [n'] y a pas de problème. […]. J'ai discuté avec G______ sur le principe elle serait d'accord de prendre votre bureau et vous de passer en bas après visite".

A______ SA a déposé des recherches de locaux effectuées entre septembre et novembre 2023.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 = JdT 2019 II 235; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, Lausanne 2019, pp. 69-70).

En l'espèce, au vu du montant annuel du loyer de 3'000 fr., la valeur litigieuse de 10'000 fr. n'est pas atteinte. C'est donc la voie du recours qui est ouverte contre le prononcé de l'évacuation et son exécution (art. 319 al. 1 let. a et 309 let. a CPC).

Interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 311 al. 1 CPC), même s'il ne résulte pas expressément de la procédure que la recourante aurait articulé en première instance les conclusions en déboutement qu'elle forme par devant la Cour.

La pièce nouvellement produite est recevable en tant qu'elle répond à un argument nouveau de l'appel, mais n'est pas pertinente en raison de ce qui va suivre.

2. La recourante reproche au Tribunal de ne pas avoir examiné la légitimation active de l'intimée.

2.1 La légitimation active ou la légitimation passive relève du fondement matériel de l'action; elle appartient au sujet (actif ou passif) du droit invoqué en justice (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3.2; 130 III 417 consid. 3.1 et 3.4; 126 III 59 consid. 1a; 125 III 82 consid. 1a), et se détermine selon le droit au fond, examiné d'office (ATF 138 III 537 consid. 2.2.1). Le défaut de légitimation active ou passive entraîne le rejet de la demande (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3). Il incombe au demandeur de prouver les faits desquels il tire sa légitimation active (ATF 123 III 60 consid. 3a).

2.2 Aux termes de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire de protection dans les cas clairs lorsque les conditions suivantes sont remplies: (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire. En revanche, si ces conditions ne sont pas remplies, le tribunal n'entre pas en matière sur la requête (art. 257 al. 3 CPC). Le juge ne peut que prononcer son irrecevabilité; il est en effet exclu que la procédure puisse aboutir au rejet de la prétention du demandeur avec autorité de la chose jugée (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 140 III 315 consid. 5).

2.3 En l'occurrence, les premiers juges n'ont, à tort, pas porté leur examen sur la question de la légitimation active de l'intimée.

Celle-ci, à teneur des pièces produites en première instance, n'est ni la propriétaire de l'immeuble dans lequel se trouvent les locaux concernés ni, par voie de conséquence, la bailleresse principale (contrairement à ce que retient la partie en fait du jugement), quoi qu'il en soit de la désignation de la B______ concernée cas échéant par la représentation de F______ mentionnée dans le contrat de bail; son argument lié à une rectification de qualité de partie ne présente ainsi aucune pertinence.

L'intimée est dépourvue de toute légitimation active.

Peu importe que la recourante n'ait pas relevé ce point devant le Tribunal, puisqu'il revenait à l'intimée, dans le cadre de la procédure fondée sur l'art. 257 CPC, de prouver les faits dont elle entendait tirer sa légitimation active, ce qu'elle a manifestement échoué à faire au vu des pièces produites à ce propos, examinées d'office.

Dans le cadre de l'action en protection du cas clair, la situation juridique ne saurait en conséquence être qualifiée de claire, ce qui ne peut conduire qu'à l'irrecevabilité de la requête.

La décision attaquée sera dès lors annulée, et il sera statué à nouveau dans le sens de ce qui précède (art. 327 al. 3 let. b CPC).

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 8 avril 2024 par A______ SA contre le jugement JTBL/318/2024 rendu le 26 février 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/23773/2023.

Au fond :

Annule ce jugement. Statuant à nouveau:

Déclare irrecevable la requête formée le 9 novembre 2023 par B______.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions de recours.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente, Madame Sylvie DROIN, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et
90 ss LTF. Le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.