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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/21744/2023

ACJC/343/2024 du 18.03.2024 sur JTBL/1045/2023 ( SP ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21744/2023 ACJC/343/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 18 MARS 2024

 

Entre

A______ SICAV, c/o B______ SA, ______ (VD), appelante d'une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 29 novembre 2023, représentée par Me C______, avocat, ______ [GE],

et

1) Monsieur D______, domicilié ______ [GE],
2) E______ SA,
sise ______ [GE],
3) Monsieur F______, domicilié ______ (VD), intimés, tous trois représentés par
Me Marco ROSSI, avocat, quai Gustave-Ador 2, 1207 Genève.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance JTBL/1045/2023 du 29 novembre 2023, reçue par les parties le 7 décembre 2023, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée le 24 octobre 2023 par A______ SICAV contre D______, E______ SA et F______ (ch. 1 du dispositif), dit que la procédure était gratuite (ch. 2) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 16 décembre 2023 par messagerie sécurisée à la Cour de justice, A______ SICAV forme appel contre l'ordonnance précitée, dont elle requiert l'annulation. Elle conclut, avec suite de frais, à ce que la Cour dise que, jusqu'à droit jugé au fond, les locaux de 140 m² au rez-de-chaussée et de 70 m² au sous-sol de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève peuvent être occupés par G______ SARL et/ou H______, condamne D______ à restituer la possession desdits locaux, notamment en remettant toutes les clés des serrures, dans les trois jours "dès prononcé de l'ordonnance", sous la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 CPC, principalement, à G______ SARL et H______, soit pour eux leur conseil (Me I______), subsidiairement, à A______ SICAV, soit pour elle son conseil (Me C______), dise que faute d'exécution dans les dix jours dès le prononcé de la décision, l'autorité chargée de l'exécution y procédera avec l'assistance de l'autorité compétente, et interdise à D______, E______ SA ou F______ de pénétrer dans les locaux, sous la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 CPC.

A______ SICAV produit trois pièces nouvelles, à savoir :

- un message électronique du 27 novembre 2023, par lequel le conseil de ses parties adverses a informé le sien de ce que E______ SA avait la possibilité de vendre le fonds de commerce du restaurant "J______" à un tiers et que F______ ne s'opposait pas au transfert du bail en faveur de cet acheteur; A______ SICAV était invitée à indiquer si elle acceptait, du moins quant au principe, de transférer le bail ou d'établir un nouveau contrat de bail en faveur de l'acheteur. A______ SICAV produit également un échange de messages électroniques du même jour entre lesdits conseils, dont il résulte que le message précité n'est pas confidentiel et peut être utilisé en procédure (pièce 37);

- une convention de vente du fonds de commerce "J______", conclue entre E______ SA, en tant que venderesse, et K______ CONSULTING, sise aux Emirats arabes unis, en tant qu'acheteuse. La convention prévoit un prix de vente de 450'000 fr. (art. 2) et une condition suspensive, selon laquelle la vente interviendra dès le moment où la bailleresse acceptera de transférer le bail ou d'établir un nouveau contrat de bail en faveur de l'acheteuse, mais au plus tard le 30 novembre 2023 (art. 3). La convention, datée du 27 octobre 2023, porte déjà les signatures des parties (L______ pour E______ SA) (pièce 38);

- un courrier du 30 novembre 2023, par lequel son conseil répond au message électronique du 27 novembre 2023 du conseil de ses parties adverses (pièce 39).

A______ SICAV forme des allégués nouveaux résultant des pièces précitées (allégués 103 à 109).

b. Dans leur réponse du 29 décembre 2023, D______, E______ SA et F______ concluent, avec suite de frais, à la confirmation de l'ordonnance attaquée.

c. Les parties ont été informées le 25 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour :

a. A______ SICAV, sise à N______ (VD), est une société d'investissement à capital variable, dont le but est "la gestion de sa fortune ou de ses compartiments sous forme de placement collectif de capital selon la législation sur les placements collectifs ainsi que la constitution de capital-actions des investisseurs et la distribution de leurs actions d'investisseurs".

E______ SA, sise rue 1______ no. ______ à Genève, a pour but l'exploitation et la gestion de restaurants. L______ en est l'administrateur unique depuis novembre 2020. F______ en a été l'administrateur unique de juillet 2009 à juin 2015. H______ est inscrit au Registre du commerce comme fondé de pouvoir de E______ SA, au bénéfice d'une procuration collective à deux depuis décembre 2018.

M______ SARL, sise à O______ [GE] et inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 2022, a pour but notamment l'exploitation de cafés, bars et restaurants. H______ en est l'associé gérant avec signature individuelle depuis sa fondation. P______ en est le directeur avec signature collective à deux.

D______, E______ SA et F______ allèguent, d'une part, que D______ est employé de E______ SA, ce que A______ SICAV met en doute en l'absence de justificatifs produits par ses parties adverses, et, d'autre part, que le restaurant a été mis en gérance après le 30 avril 2021. Selon une fiche de renseignements de la Police transmise le 25 avril 2023 à Me I______ (conseil de M______ SARL et H______), D______ s'est présenté comme "l'exploitant du restaurant" "J______" à la patrouille de police intervenue dans les locaux litigieux le 5 mars 2023 en raison d'un conflit entre ce dernier et H______ (cf. ci-dessous, let. g).

b. Par contrat du 14 janvier 2008, Q______, bailleur, a remis à bail à R______ SA et S______, locataires conjoints et solidaires, une "arcade de 150 m² env. au rez-de-chaussée et locaux de 60 m² env. au sous-sol" de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève, destinés à l'exploitation d'un restaurant, pour une durée de cinq ans (du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2012) renouvelable, moyennant un loyer annuel de 49'848 fr., indexé à l'indice suisse des prix à la consommation, et un acompte pour charges de 2'400 fr. par année.

c. Selon une convention signée le 13 juillet 2009, le bail précité a été transféré à compter du 1er juin 2009 à E______ SA et F______, "conjointement et solidairement", désignés comme "les bénéficiaires solidaires du transfert".

Les locaux ont été destinés à l'exploitation d'un restaurant à l'enseigne "J______".

d. E______ SA (et également F______, selon les allégations de D______, E______ SA et F______, mises en doute par A______ SICAV) a souhaité vendre le fonds de commerce et remettre le bail des locaux. Elle (et également F______, selon les allégations de D______, E______ SA et F______, mises en doute par A______ SICAV) a entamé des négociations avec H______ et M______ SARL. Aucun contrat de cession du fonds de commerce en faveur de H______ et M______ SARL n'a été signé par E______ SA et F______.

Par courrier recommandé du 7 décembre 2022, E______ SA, agissant par son administrateur unique L______, a informé le bailleur de ce qu'elle "mettait un terme" au contrat de bail avec effet au 15 décembre 2022.

Selon D______, E______ SA et F______, ce courrier a été envoyé car les négociations précitées étaient "quasiment parvenues à leur terme". A______ SICAV le conteste; elle allègue que les négociations en question étaient arrivées à terme et croit savoir ("il semblerait") que H______ et M______ SARL ont payé un "pas-de-porte pour reprendre le restaurant", ce qui est contesté par D______, E______ SA et F______.

e. Selon un contrat du 7 décembre 2022 (produit par A______ SICAV), Q______, bailleur, a remis à bail à M______ SARL et H______, locataires agissant conjointement et solidairement, "l'arcade de m² 140 environ au rez-de-chaussée et 70 m² au sous-sol" de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à Genève, destinés à l'exploitation d'un restaurant, pour une durée initiale de cinq ans et quinze jours (du 15 décembre 2022 au 31 décembre 2027) renouvelable, moyennant un loyer annuel de 60'000 fr., indexé à l'indice suisse des prix à la consommation, et un acompte pour charges de 3'600 fr. par année.

D______, E______ SA et F______ ont produit les deux premières pages d'un contrat de bail entre les mêmes parties, portant sur les mêmes locaux, prévoyant une durée initiale de cinq ans du 1er décembre 2022 au 30 novembre 2027. Selon A______ SICAV ce document, qui ne comprend pas de signatures, constitue vraisemblablement un projet de contrat.

f. Par acte authentique du 8 février 2023, Q______ a vendu à A______ SICAV l'immeuble sis rue 1______ no. ______.

L'état locatif au 31 janvier 2023, annexé audit acte, mentionnait M______ SARL et H______ comme locataires d'une surface commerciale.

g. Le 5 mars 2023, la police est intervenue au 5, rue Chaponnière, en raison d'un conflit entre H______ et D______. H______ a expliqué à la police, documents à l'appui, qu'il était titulaire du bail du restaurant "J______" et qu'il avait laissé un mois à l'"ancien exploitant", D______, afin de vider le restaurant et lui restituer les clés, ce que ce dernier n'avait pas fait. D______ a également présenté aux policiers un bail valable, en expliquant qu'il était l'exploitant du restaurant et qu'il était en conflit avec la régie qui avait signé un nouveau bail avec H______ sans résilier l'ancien. D______ a appelé son avocat, qui lui a conseillé de fermer le restaurant et de remettre les clés à la police, dans l'attente d'une décision judiciaire. En accord avec les deux parties, l'établissement a été fermé et les clés ont été déposées au poste de police [du quartier] de T______.

h. Le 7 mars 2023, E______ SA et F______ ont invité la bailleresse à clarifier la situation auprès de H______, qui revendiquait "illicitement la titularité du bail ainsi que du fonds de commerce y relatif". Les pourparlers qu'ils avaient eus par le passé avec ce dernier en vue de la vente du fonds de commerce n'avaient pas abouti. Aucune convention n'avait été signée et ils n'avaient pas résilié le contrat de bail dont ils étaient cotitulaires.

i. Le 10 mars 2023, le Service cantonal de police du commerce et de lutte contre le travail au noir a autorisé P______ à exploiter le café-restaurant à l'enseigne "J______".

j. Le 13 mars 2023, la bailleresse a répondu à E______ SA et F______ qu'elle considérait H______ comme "[son] unique locataire du restaurant".

k. Le 14 mars 2023, la police a remis à P______ les clés du restaurant.

Le 16 mars 2023, elle est intervenue à deux reprises dans les locaux. Lors de la première intervention, les policiers ont constaté que trois serrures étaient endommagées. H______ leur a expliqué qu'il était en litige avec l'"ancien exploitant", D______, qu'il soupçonnait fortement d'avoir commis ces dégâts. Lors de la seconde intervention, les policiers ont discuté avec ce dernier, qui avait changé les serrures et entendait continuer à occuper le restaurant, dans l'attente d'une décision de justice. Après avoir contacté le commissaire de police de service, les policiers ont décidé de laisser les choses en l'état, dans la mesure où il s'agissait d'une affaire civile et où ils n'étaient pas en mesure de déterminer formellement qui était "dans son bon droit".

l. Par courrier du 30 mai 2023, la bailleresse a contesté l'existence d'un bail la liant à E______ SA et F______. Afin de préserver ses droits, elle les a néanmoins mis en demeure de verser les loyers des mois de février à mai 2023, sous menace de résilier le bail de manière extraordinaire. Par ailleurs, la bailleresse a invité les précités à lui indiquer à quel titre D______ occupait les locaux.

Le 20 juin 2023, E______ SA et F______ ont fait parvenir à la bailleresse la preuve du versement des loyers de février à mai 2023 et lui ont indiqué que D______ occupait les locaux "à titre légitime en sa qualité d'employé de E______ SA". Ils ont invité la bailleresse à apporter toutes les clarifications nécessaires au Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir, afin qu'ils puissent exploiter les locaux selon leur affectation.

Le 3 juillet 2023, la bailleresse a invité E______ SA et F______ à lui faire parvenir le contrat de travail de D______ et la preuve de l'inscription de celui-ci aux assurances sociales, en précisant que l'absence de production de ces documents serait interprétée comme un aveu de sous-location "illicite", la qualité de locataires de E______ SA et F______ demeurant contestée. Par ailleurs, la bailleresse a fait valoir que le propriétaire n'était pas responsable des autorisations d'exploitation du locataire.

m. Par ordonnance du 14 juillet 2023, le Tribunal de première instance a déclaré irrecevable l'action possessoire (art. 927 CC) formée le 2 juin 2023 par M______ SARL et H______ à l'encontre de D______. Le Tribunal de première instance a considéré que le litige relevait de la compétence du Tribunal des baux et loyers, dans la mesure où il s'agissait d'examiner l'existence d'un contrat de bail à loyer portant sur les locaux concernés et, cas échéant, sa titularité. En toute hypothèse, la requête devait être rejetée, dans la mesure où D______ n'avait pas la légitimation passive, compte tenu de sa qualité d'employé de E______ SA.

Il résulte de l'ordonnance que M______ SARL et H______ ont allégué que E______ SA et F______ avaient été cotitulaires du bail jusqu'au 14 décembre 2022 et que dans le cadre du transfert du bail convenu entre eux-mêmes, d'une part, et E______ SA, d'autre part, ils s'étaient acquittés des arriérés de loyers des précités en 101'064 fr. 60. Ce nonobstant, D______ avait pris possession des locaux du restaurant "de force depuis à tout le moins le 5 mars 2023".

E______ SA et F______, qui étaient intervenus dans la procédure, ont allégué que "D______ était employé de E______ SA et occupait les locaux à bon droit au nom de son employeur". D______ s'était engagé auprès de la sœur de H______ à présenter L______ à ce dernier et à M______ SARL, afin de discuter d'une possible vente du fonds de commerce. Dans le cadre des négociations, D______ avait obtenu de E______ SA la signature d'une lettre de résiliation du bail, "laquelle n'avait toutefois aucune valeur légale", faute de porter la signature de F______. Aucun accord n'avait pu être trouvé, de sorte que "le projet de convention proposé" n'avait jamais été signé. M______ SARL et H______ avaient toutefois "profité de l'inattention de la régie pour obtenir un nouveau contrat de bail", lequel était toutefois "inefficace", faute de résiliation du bail dont E______ SA et F______ étaient titulaires.

Il résulte de l'ordonnance du 14 juillet 2023 que, lors d'une audience du Tribunal de première instance du 3 juillet 2023, D______ a déclaré qu'il n'était "qu'un employé de E______ SA".

n. Par avis séparés du 29 septembre 2023 adressés à E______ SA et F______, la bailleresse a résilié le bail avec effet au 31 mars 2024. La lettre d'accompagnement mentionne, comme motifs de la résiliation, un soupçon de sous-location sans autorisation et sans annonce, le fait que les locaux n'étaient plus exploités depuis de nombreux mois et le soupçon que le seul but de l'occupation des locaux était d'empêcher les locataires légitimes d'en reprendre possession.

E______ SA et F______ ont contesté le congé devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers. La procédure a été enregistrée sous le N° C/2______/2023. La procédure a été suspendue le 11 janvier 2024 par ladite Commission (fait notoire résultant d'une procédure parallèle opposant les mêmes parties).

o. Selon un procès-verbal établi par un huissier judiciaire mandaté par la bailleresse, le 10 octobre 2023 le restaurant à l'enseigne "J______" était fermé. Une note manuscrite sur la porte d'entrée indiquait une fermeture momentanée pour cause de travaux, alors qu'aucun élément visible n'attestait d'éventuels travaux en cours. Sur l'arrière du bâtiment, les vitrages de l'arcade étaient en partie obstrués et mal entretenus. Une affiche était visible, annonçant une soirée musicale dans le restaurant le 22 novembre 2021. Selon ce qui était visible dans la cuisine et dans la salle, il n'y avait aucune activité dans l'arcade.

p. Le 24 octobre 2023, A______ SICAV a déposé au Tribunal une "action en revendication, réintégrande et constatation de droit" dirigée contre D______, E______ SA et F______, comprenant une requête de mesures provisionnelles (261 CPC).

p.a A l'appui de ses conclusions condamnatoires prises sur le fond, elle a invoqué les art. 927 CC (réintégrande) et 641 CC (revendication). Elle a notamment conclu à la condamnation de D______, E______ SA et F______ à restituer la possession des locaux litigieux à H______.

Dans son argumentation au sujet de la qualité pour agir et pour défendre (p. 26), A______ SICAV a exposé qu'en sa qualité de propriétaire de l'immeuble et donc de possesseur médiat, elle avait la qualité pour agir dans le cadre de l'action possessoire. Par ailleurs, il n'était pas clair à quel titre D______ occupait les locaux, dans la mesure où il n'apparaissait pas comme l'un des dirigeants de E______ SA et où aucune relation de travail du précité avec cette société n'était prouvée. Il apparaissait cependant que E______ SA et/ou F______ soutenaient, voire instiguaient, l'occupation des locaux par D______, raison pour laquelle l'action était dirigée contre les trois derniers cités.

A______ SICAV a conclu un chapitre de son action intitulé "Réintégrande", relatif à l'action possessoire (art. 927 CC) comme suit :

"En conséquence et pour ces motifs, il se justifie que, sur mesures provisionnelles:

- Jusqu'à droit jugé au fond, les locaux puissent être exploités [par] M______ Sàrl et M. H______ (conclusion 1).

- M. D______ doive restituer les clés (conclusions 2 et 3).

- Ni M. D______, ni E______ SA, ni M. F______ ne doivent pouvoir pénétrer dans les locaux jusqu'à droit jugé (conclusion 4)" (p. 31).

p.b Sur mesures provisionnelles, A______ SICAV a conclu, avec suite de frais, à ce que le Tribunal (1) dise que, jusqu'à droit jugé au fond, les locaux de 140 m² au rez-de-chaussée et de 70 m² au sous-sol sis rue 1______ no. ______ à Genève peuvent être occupés par G______ SARL et/ou H______, (2) condamne D______ à restituer la possession desdits locaux, notamment en remettant toutes les clés des serrures, dans les trois jours dès prononcé de l'ordonnance, sous la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 CPC qui réprime la soumission à une décision de l'autorité, principalement, à G______ SARL et H______, soit pour eux leur conseil (Me I______), subsidiairement, à A______ SICAV, soit pour elle son conseil (Me C______), (3) dise que faute d'exécution dans les trois jours dès le prononcé de la décision, l'autorité chargée de l'exécution y procéderait avec l'assistance de l'autorité compétente, et (4) interdise à D______, E______ SA ou F______ de pénétrer dans les locaux, sous la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 CPC qui réprime la soumission à une décision de l'autorité.

A______ SICAV a soutenu que ses droits de propriété étaient atteints par la prise des locaux sans droit par D______, qui avait fait changer les serrures des locataires légitimes. Ces derniers n'osaient pas reprendre possession des locaux, nonobstant leur contrat de bail, en raison des menaces de plainte pénale constantes de E______ SA et F______. Elle ignorait toujours qui était D______, à quel titre il agissait et quel était son but par cette occupation illicite des locaux, qu'il n'exploitait pas. A titre de préjudices difficilement réparables, elle a fait valoir la perte de valeur de l'établissement, la perte de clientèle, le risque de perdre M______ SARL et H______ comme locataires, le risque de devoir verser des dommages-intérêts à ces derniers, le risque de détérioration du bien et l'impossibilité d'assurer elle-même un entretien minimal des locaux.

q. Dans leurs déterminations du 13 novembre 2023, D______, E______ SA et F______ ont conclu au rejet de la requête de mesures provisionnelles.

Ils ont fait valoir que E______ SA et F______ demeuraient seuls titulaires du bail des locaux, que ces derniers avaient souhaité vendre le fonds de commerce dont ils étaient propriétaires et remettre le contrat de bail des locaux. Des négociations avaient eu lieu avec H______ et M______ SARL. Celles-ci n'ayant pas abouti, F______ n'avait pas résilié le bail dont il était cotitulaire.

r. Lors de l'audience du Tribunal du 20 novembre 2023, A______ SICAV a déposé des déterminations écrites sur les allégués de la réponse.

Elle a déclaré que M______ SARL s'était acquittée des loyers jusqu'en janvier 2023 et qu'elle avait cessé dès lors qu'elle n'avait plus d'accès aux locaux depuis février 2023. Les loyers, consistant en des arriérés depuis le mois de février 2023, étaient payés par E______ SA, F______ et D______ depuis le mois de mai 2023, suite à la mise en demeure.

E______ SA, F______ et D______ ont déclaré que E______ SA avait déposé trois semaines auparavant une deuxième demande auprès du Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir en vue d'obtenir une autorisation d'exploiter. Ils ont ajouté que M______ SARL ne s'était acquittée que des loyers de janvier et février 2023.

Les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives sur mesures provisionnelles.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

s. Dans l'ordonnance attaquée, le Tribunal a considéré que les conclusions prises par A______ SICAV constituaient pour l’essentiel des mesures d’exécution anticipée susceptibles de vider le litige de son objet en cas d’admission de la requête. De telles mesures - portant une atteinte importante à la situation juridique de E______ SA, F______ et D______ - ne devaient être prononcées que de manière restrictive.

A______ SICAV soutenait que D______ occupait les locaux de manière illicite. Si le Tribunal ignorait le rôle de ce dernier dans l’exploitation, passée ou future, de ces locaux, il n’en demeurait pas moins que sa présence apparaissait être tolérée par E______ SA et F______, qui étaient les locataires. Pour cette raison, il ne pouvait être retenu que D______ occupait illicitement les locaux.

Contrairement à ce que soutenait A______ SICAV, il n’y avait pas lieu de retenir, à ce stade de la procédure, que le bail la liant à E______ SA et F______ avait été résilié. En effet, par courrier du 7 décembre 2022, seule E______ SA avait indiqué à la régie qu’elle résiliait le bail. Ce courrier n’était pas signé par F______, qui n'avait par ailleurs adressé lui-même aucune lettre de résiliation du bail. Au stade des mesures provisionnelles, il ne pouvait donc pas être retenu que le précédent bail avait été résilié. Contrairement à ce que soutenait A______ SICAV, il n'était pas manifeste que E______ SA et F______ formaient une société simple, qui pouvait être représentée par chacun d'eux. Cela était en particulier douteux pour la période postérieure à l'année 2015, dès lors que F______ n'était plus l'administrateur de E______ SA. Il n'y avait pas non plus lieu d'admettre que L______ avait valablement représenté F______ s'agissant du courrier de résiliation du 7 décembre 2022, aucun élément ne plaidant en ce sens.

Enfin, le fait que l'existence d'un second bail, pour les mêmes locaux, conclu par la bailleresse avec H______ et M______ SARL le 15 décembre 2022, était mentionné dans l'état locatif annexé au contrat de vente de l'immeuble n'était pas non plus de nature à rendre vraisemblable que le premier bail avait été résilié ou valablement remplacé par le second.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon l'art. 91 CPC, la valeur du litige est déterminée par les conclusions (al. 1). Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (al. 2).

L'art. 92 CPC prévoit par ailleurs que les revenus et prestations périodiques ont la valeur du capital qu'ils représentent (al. 1). Si la durée des revenus et prestations périodiques est indéterminée ou illimitée, le capital est constitué du montant annuel du revenu ou de la prestation multiplié par vingt; s'il s'agit de rentes viagères, le montant du capital correspond à sa valeur actualisée (al. 2).

Pour les mesures provisionnelles, la valeur litigieuse est celle de la demande au fond qui a été déposée ou qui le sera (Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, 2ème éd., 2019, p. 271).

D'après la jurisprudence, l'action possessoire en réintégrande est de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_859/2010 du 3 mars 2011 consid. 1.2). Il peut être admis que la valeur litigieuse correspond à la valeur représentée par le montant du loyer, qui correspond à la valeur d'utilisation des locaux.

1.2 En l'espèce, le loyer annuel des locaux s'élève à 49'848 fr. selon le bail litigieux conclu pour une durée indéterminée. La valeur capitalisée du montant du loyer selon l'art. 92 al. 1 CPC est donc supérieure à 10'000 fr.

La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.3 L'appel a été formé dans le délai de dix jours prévu en matière de procédure sommaire (art. 314 CPC; cf. également art. 142 al. 3 CPC), applicable aux mesures provisionnelles (art. 248 let. d CPC), et selon la forme requise (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est en conséquence recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

La Cour revoit cependant la cause uniquement sur les points du jugement que l'appelant estime entachés d'erreurs et qui ont fait l'objet d'une motivation suffisante - et, partant, recevable -, pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) ou pour constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). Hormis les cas de vices manifestes, elle doit en principe se limiter à statuer sur les critiques formulées dans la motivation écrite contre la décision de première instance (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2016 du 6 septembre 2016 consid. 5.3).

1.5 Les mesures provisionnelles sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), dans le cadre de laquelle, sauf exceptions (cf. art. 255 CPC), la maxime des débats s'applique (art. 55 CPC; Haldy, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 16 ad art. 55 CPC). La maxime de disposition est par ailleurs applicable (art. 58 al. 1 CPC).

La cognition du juge est limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (ATF 138 III 636 consid. 4.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_812/2015 du 6 septembre 2016 consid. 5.2).

2.             L'appelante forme des allégués nouveaux et produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles 37 à 39 de l'appelante sont postérieures à la date à laquelle la cause a été gardée à juger par le Tribunal, ou ne pouvaient pas être obtenues avant cette date. Elles sont donc recevables, comme les faits qu'elles visent.

3. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir donné gain de cause à la partie qui a usé de la force pour occuper les locaux, sans tenir compte des préjudices irréparables qu'elle-même a subis ni du préjudice des nouveaux locataires empêchés d'exploiter les locaux. Par ailleurs, l'appelante reproche au premiers juges d'avoir retenu que, vu que la présence de D______ était tolérée par les prétendus locataires, il ne pouvait être considéré qu'il les occupait illicitement, ce qui contreviendrait aux principes sur la sous-location illicite. De plus, l'appelante soutient que le comportement de ses parties adverses relève de l'abus de droit, dans la mesure où ils n'exploitent pas et n'ont aucune volonté d'exploiter les locaux. Enfin, à son avis, F______ ne serait que "garantie ou porte-fort" et, dans la mesure où il n'est pas établi, ni même allégué qu'il exploiterait lui-même les locaux, ils se justifierait de donner, jusqu'à droit jugé au fond, la possession des locaux à M______ SARL et à H______, qui ont une réelle volonté d'exploiter les locaux.

3.1 Selon l'art. 261 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

L'octroi de mesures provisionnelles suppose la vraisemblance du droit invoqué et des chances de succès du procès au fond, ainsi que la vraisemblance, sur la base d'éléments objectifs, qu'un danger imminent menace le droit du requérant, enfin la vraisemblance d'un préjudice difficilement réparable, ce qui implique une urgence (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse, in FF 2006 p. 6841 ss, spéc. 6961; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 3 ss ad art. 261 CPC).

Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets. Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2011 consid. 4).

Le juge doit ainsi notamment évaluer les chances de succès de la demande au fond, et admettre ou refuser la mesure selon que l'existence du droit allégué apparaît plus vraisemblable que son inexistence. Lorsqu'il peut ainsi statuer sur la base de la simple vraisemblance, le juge n'a pas à être persuadé de l'exactitude des allégations du requérant, mais il suffit que, sur la base d'éléments objectifs, il acquière l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans qu'il doive exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement; quant aux questions de droit, il peut se contenter d'un examen sommaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_508/2012 du 9 janvier 2013 consid. 4.2 et 5P.422/2005 du 1er juin 2006 consid. 3).

La mesure ordonnée doit respecter le principe de proportionnalité, ce qui signifie qu'elle doit être à la fois apte à atteindre le but visé, nécessaire, en ce sens que toute autre mesure se révèlerait inapte à sauvegarder les intérêts de la partie requérante, et proportionnée, en ce sens qu'il ne doit pas exister d'alternatives moins incisives (Hohl, Procédure civile, Tome 2, 2ème éd., 2010, p. 323 s.).

Lorsque la décision de mesures provisionnelles, dont la suspension de l'exécution est requise, constitue une mesure d'exécution anticipée provisoire susceptible d'avoir un effet définitif – à savoir lorsque le litige n'a plus d'intérêt au-delà du prononcé de la mesure requise –, il y a lieu de tenir compte du fait que de telles mesures portent une atteinte particulièrement grave à la situation juridique de la partie citée (ATF 131 III 473 consid. 2.3). Les mesures provisionnelles ne sont en effet admises que de façon restrictive et sont soumises à des exigences beaucoup plus élevées. Ces exigences portent aussi bien sur l'existence des faits pertinents que sur l'ensemble des conditions d'octroi des mesures en cause, en particulier sur l'appréciation de l'issue du litige sur le fond et des inconvénients respectifs pour le requérant et pour le requis, selon que la mesure soit ordonnée ou refusée. Dans de tels cas, la protection juridique provisoire ne doit ainsi être accordée que lorsque la demande apparaît fondée de manière relativement claire, au vu de l'état de fait rendu vraisemblable (ATF 138 III 378 consid. 6.4; 131 III 473 consid. 2.3 et 3.2; Bohnet, op. cit., n. 18 ad art. 261 CPC).

3.2 Selon l'art. 927 CC, quiconque usurpe une chose en la possession d'autrui est tenu de la rendre, même s'il y prétend un droit préférable (al. 1). Cette restitution n'aura pas lieu, si le défendeur établit aussitôt un droit préférable qui l'autoriserait à reprendre la chose au demandeur (al. 2).

3.2.1 Les actions possessoires des art. 927 s. CC ont pour objet la défense de la possession comme telle et permettent de réagir contre une voie de fait apparente. Elles ne visent ainsi qu'au rétablissement et au maintien de l'état de fait antérieur (arrêt du Tribunal fédéral 5A_63/2019 du 19 juillet 2019 consid. 5.2). Sous réserve de l'art. 927 al. 2 CC, qui prévoit l'exception tirée du meilleur droit, elles ne conduisent pas à un jugement sur la conformité au droit de cet état de fait. Elles n'assurent au demandeur qu'une protection provisoire, seule une procédure engagée sur le terrain du droit (action pétitoire) pouvant mettre fin aux effets de la décision portant sur la protection de la possession (action possessoire).

L'action possessoire de l'art. 927 al. 1 CC a pour objet la défense de la possession comme telle et vise à rétablir rapidement l'état antérieur. Le demandeur à l'action réintégrande doit prouver la réalisation de deux conditions, à savoir qu'il avait la possession de la chose et qu'il a perdu cette possession à la suite d'un acte d'usurpation illicite; l'acte d'usurpation qui enlève au possesseur sa possession sur la chose est illicite lorsqu'il n'est justifié ni par la loi, ni par le consentement du possesseur (ATF 144 III 145 consid. 3.2). Le défendeur ne peut exciper du droit préférable qu'il aurait sur la chose, comme le rappelle l'art. 927 al. 1 in fine CC (ATF 113 II 243 consid. 1b). Il ne peut que contester l'usurpation illicite en invoquant le consentement du demandeur ou une justification tirée de la loi.

L'art. 927 al. 2 CC apporte toutefois une exception à ce principe pour le cas où le défendeur établit aussitôt un droit – réel ou contractuel (ATF 40 II 559 consid. 3) – préférable qui l'autoriserait à reprendre la chose au demandeur (ATF 113 II 243 consid. 1b in fine). Cette disposition vise, dans un souci d'économie de procédure, à ne pas donner gain de cause au demandeur à la réintégrande qui aurait certainement tort dans un procès au pétitoire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_98/2010 du 7 mai 2010 consid. 4.1.1).

L'existence d'un bail, d'un bail tacite, d'une sous-location, la validité de la résiliation du bail et la conclusion d'un nouveau contrat de bail sont des questions qui touchent au droit sur la chose, et qui, sous réserve de l'exception prévue par l'art. 927 al. 2 CC, ne jouent aucun rôle dans le procès sur le possessoire. Lorsqu'il doit prononcer le rétablissement de l'état de fait antérieur, le juge doit uniquement rechercher qui, du demandeur ou du défendeur, avait la maîtrise effective de la chose précédemment, c'est-à-dire avant l'acte d'usurpation illicite (arrêt du Tribunal fédéral 5A_98/2010 du 7 mai 2010 consid. 4.1.1 et 4.1.2).

3.2.2 Dans les cas où les conditions du cas clair ne sont pas remplies, le demandeur aura le plus souvent intérêt à demander la réintégrande à titre de mesure provisionnelle à l'occasion d'une action mobilière (art. 934, 936 CC) ou d'une action en revendication (art. 641 al. 2 CC), soumises à la procédure ordinaire ou simplifiée, selon que la valeur litigieuse dépasse ou non 30'000 fr. (PICHONNAZ, Commentaire romand, Code civil II, 2016, n. 26 ss ad art. 927 CC).

Le possesseur est déchu de son action, s'il ne réclame pas la restitution de la chose ou la cessation de trouble aussitôt après avoir connu le fait et l'auteur de l'atteinte portée à son droit (art. 929 al. 1 CC). Son action se prescrit par un an; ce délai court dès le jour de l'usurpation ou du trouble, même si le possesseur n'a connu que plus tard l'atteinte subie est l'auteur de celle-ci (art. 929 al. 2 CC).

Le délai de l'art. 929 al. 2 CC est un délai de péremption. Si les prétentions de nature possessoire sont périmées, le requérant peut parfois prétendre au rétablissement d'un état conforme au droit (pétitoire) par le biais de mesures provisoires (art. 261 CPC) précédant l'action en revendication (art. 641 CC) qui, elle, est imprescriptible (PICHONNAZ, op. cit., n. 6 et 8 ad art. 927 CC).

3.3 Lorsqu'un bail est conclu entre plusieurs bailleurs et un locataire, entre un bailleur et plusieurs locataires ou entre plusieurs bailleurs et plusieurs locataires, on parle de bail commun. Ces bailleurs ou locataires conjoints sont nommés "cobailleurs" ou "colocataires".

La définition du bail à loyer (art. 253 CO) n'empêche pas qu'un bail commun soit convenu avec plusieurs locataires dont l'un d'eux n'occupera pas les locaux (arrêt du Tribunal fédéral 4A_484/2019 du 29 avril 2020 consid. 4.2.3).

La colocation offre au bailleur l'avantage d'être confronté à deux ou plusieurs locataires qui répondent solidairement des obligations découlant du bail. Il peut réclamer à chacun des colocataires la totalité du loyer, des frais accessoires et des autres obligations économiques découlant du bail. En ce sens, la colocation diminue les risques du bailleur et lui offre une forme de garantie. Dès lors, avant d'octroyer un logement ou un local commercial, le bailleur demande fréquemment qu'un tiers s'engage aux côtés du futur occupant des lieux, par exemple, un père ou une mère signant avec leur fille ou leur fils le bail d'une résidence d'étudiants, une femme fortunée signant un bail d'une étude d'avocats avec son mari avocat pour des motifs de solvabilité. Ces hypothèses correspondent toutes à une colocation, même si le bail commun présuppose d'ordinaire que l'usage des locaux soit cédé à l'ensemble des signataires du contrat. En pratique, certains colocataires, non-occupants des lieux, tentent de soutenir, au moment de devoir assumer leurs obligations, qu'ils n'étaient en réalité que des garants. Leur signature du bail, aux côtés de l'occupant des lieux, n'équivalait, selon eux, qu'à une reprise cumulative de dette, limitée à certaines obligations ou à un cautionnement. Pareille thèse ne doit être admise que dans des cas très exceptionnels, lorsque le bailleur savait pertinemment que le tiers n'entendait intervenir que comme garant. Si une clause explicite du bail ne l'indique pas, le tiers - porteur du fardeau de la preuve - doit le démontrer. Le fait que le tiers ait agi dans l'intérêt de l'occupant des lieux, afin qu'il se voie attribuer le bail, devrait, selon LACHAT, suffire en règle générale à faire admettre l'hypothèse d'une véritable colocation (Lachat, in Le bail à loyer, 2019, pp. 85, 94 et 95).

3.3.1 Le bailleur peut exiger qu'un tiers se porte garant du locataire dans l'hypothèse où celui-ci n'assumerait pas ses obligations. Pareille garantie peut prendre la forme d'une reprise cumulative de dette : le tiers (le reprenant) déclare au bailleur qu'il n'occupera pas les locaux, mais accepte d'être débiteur, au même titre que le locataire, du loyer et des frais accessoires. Pour les obligations qu'il assume, le reprenant devient codébiteur solidaire du locataire (art. 143 CO), si bien que le bailleur peut s'adresser indifféremment à l'un ou l'autre. La distinction entre le colocataire qui n'occupe pas les locaux et le reprenant de certaines dettes n'est pas toujours aisée, mais, en l'absence d'une clause claire et précise limitant l'engagement du tiers, ce dernier assume, selon LACHAT/STASNY, toutes les obligations découlant du contrat et est en réalité un colocataire (Lachat/Stasny, op. cit., p. 430).

3.3.2 Pour déterminer si l'on se trouve en présence d'un bail commun ou d'une reprise cumulative de dette, il y a donc lieu d'interpréter le contrat de bail, selon la volonté commune et réelle des parties ou, si une telle volonté ne peut pas être établie, selon le principe de la confiance, en recherchant comment les déclarations et les comportements des parties pouvaient être compris de bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances. Appelé à interpréter un contrat, le juge doit s'efforcer, en premier lieu, de déterminer la commune et réelle intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexacts dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la véritable nature de la convention (art. 18 al. 1 CO). Pareille démarche, qualifiée d'interprétation subjective, relève du domaine des faits (ATF 131 III 60). Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou s'il s'avère que leurs volontés intimes respectives divergent, le juge procèdera à une interprétation dite objective, qui ressortit au droit, en recherchant comment une déclaration faite par l'un des cocontractants pouvait être comprise de bonne foi par son ou ses destinataires, en fonction de l'ensemble des circonstances ayant précédé ou accompagné la manifestation de volonté, à l'exclusion des événements postérieurs, et en s'écartant au besoin, à certaines conditions, du texte apparemment clair d'une clause contractuelle
(ATF 133 III 61; arrêt du Tribunal fédéral 4A_437/2009 du 11 novembre 2009 consid. 3; ACJC/1439/2015 du 23 novembre 2015, et les références citées).

Les exigences pour constater que la réelle et commune intention des parties était la reprise cumulative de dette sont strictes (BOHNET/JEANNIN, Codébiteurs solidaires et tiers garants en droit du bail, in 20ème Séminaire sur le droit du bail, 2018, p. 25).

3.3.4 Les colocataires doivent agir ensemble pour adresser le congé à leur bailleur commun. La lettre de congé doit être signée par tous les locataires, ou par le représentant commun intervenant au nom de tous. A défaut, le congé est nul (Lachat, op. cit., p. 838).

3.4 En l'espèce, il apparaît, à l'examen de la requête du 24 octobre 2023, que l'appelante demande la réintégrande à titre de mesure provisionnelle à l'occasion de l'action en revendication. Elle fonde en effet ses conclusions sur mesures provisionnelles sur l'art. 927 CC (cf. ci-dessus, "En fait" let. C.p.a et C.p.b).

Il lui incombe donc de rendre vraisemblable qu'elle était possesseur, qu'elle a perdu cette possession à cause d'un acte d'usurpation et qu'elle a agi dans les délais impartis par l'art. 929 CC. Les intimés peuvent contester la réalisation des conditions. S'ils estiment que l'usurpation est licite, ils doivent le rendre vraisemblable. En outre, ils peuvent faire valoir qu'ils sont au bénéfice d'un droit préférable, ce qu'ils doivent aussi rendre vraisemblable (cf. PICHONNAZ, op. cit., n. 18 à 21 et 23 ad art. 927 CC). Il faut garder à l'esprit que le but de la procédure sommaire est d'accorder rapidement, après examen sommaire des faits et du droit, une protection provisoire au requérant dont la situation juridique paraît claire.

En premier lieu, vu le caractère sommaire de la procédure, il convient de s'en tenir au texte littéral de la convention du 13 juillet 2009, qui désigne les intimés comme les bénéficiaires conjoints et solidaires du transfert de bail. Aucune circonstance particulière résultant du dossier n'impose de se demander si l'ancien bailleur et les intimés entendaient exclure l'hypothèse d'une véritable colocation. Au stade de la vraisemblance, le congé du 7 décembre 2022, émanant d'un seul locataire, apparaît donc nul. Prima facie, c'est donc à tort que l'ancien bailleur a conclu, d'ailleurs le jour même de la résiliation, un nouveau contrat portant sur les mêmes locaux.

Par ailleurs, au stade de la vraisemblance, il peut être retenu, sur la base des déclarations faites le 5 mars 2023 par H______ - qui doit bien connaître la situation, dans la mesure où il est également fondé de procuration de l'intimée - à la police, que l'intimé D______ est l'ancien exploitant du restaurant "J______". L'appelante admet par ailleurs que ce dernier avait pris possession des locaux avec l'accord des deux autres intimés, qui "soutenaient, voire instiguaient" cette occupation. Toujours selon les déclarations du 5 mars 2023 de H______ à la police, ce dernier avait laissé un mois à D______ afin qu'il vide le restaurant, ce qu'il n'avait pas fait. Cela signifie qu'à cette date, les locaux étaient vraisemblablement toujours occupés par l'ancien exploitant. Il n'y a donc pas eu usurpation de la possession. Le fait que H______ ait pu obtenir le 10 mars 2023 une autorisation d'exploiter le café-restaurant, ainsi que, le 14 mars 2023, la remise des clés de la part de la police, qui les avait conservées d'entente entre les deux intéressés, ne change rien à cette constatation. En toute hypothèse, si l'on devait admettre une usurpation le 16 mars 2023, celle-ci apparaît licite au stade de la vraisemblance, dans la mesure où l'intimé D______ a repris possession des locaux sur la base d'un contrat de bail antérieur à celui dont se prévalait H______. Aucun élément du dossier ne permet de retenir, au stade de la vraisemblance, l'existence d'une sous-location non autorisée des locaux à l'intimé D______.

En toute hypothèse, le juge des mesures provisionnelles n'a pas à trancher des questions délicates, pour la solution desquelles le pouvoir d'appréciation joue un rôle important. A ce sujet, il sera relevé que tant les deux précités que la police, ont estimé, en mars 2023, que la situation n'était pas claire et qu'il était préférable de fermer l'établissement, respectivement "laisser les choses en l'état". C'est au juge du fond, déjà saisi, qu'il appartiendra de trancher ces questions au terme d'une procédure probatoire complète. L'appelante elle-même trouve "compréhensible qu'il serait préférable que [certains de] ses arguments puissent être examinés au fond".

Pour le surplus, la Cour fait entièrement sienne la motivation du Tribunal (ci-dessus. "En fait", let. C.s).

Dans la mesure où l'appelante a fondé sa requête de mesures provisionnelles sur l'art. 927 CC, dont l'une des conditions n'est pas réalisée, c'est à juste titre que les premiers juges ne se sont pas penchés sur la question des prétendus préjudices irréparables que subiraient la bailleresse et/ou les nouveaux locataires.

En définitive, l'ordonnance attaquée sera confirmée.

4. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 16 décembre 2023 par A______ SICAV contre l'ordonnance JTBL/1045/2023 rendue le 29 novembre 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/21744/2023.

Au fond :

Confirme l'ordonnance attaquée.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe FERRERO, Madame Nevena PULJIC, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.