Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/893/2024 du 18.11.2024 ( AI )
En droit
QrÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE | ||
A/2716/2022 ATAS/893/2024
COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales Ordonnance d’expertise du 18 novembre 2024 Chambre 8 |
En la cause
A______ représenté par Me Mélanie MATHYS DONZE, avocate
| recourant |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITE DU CANTON DE GENEVE
| intimé |
A. a. Monsieur A______, né le ______ 1976, de nationalité portugaise, exerçait la profession de chauffeur poids-lourds à plein temps. Le 17 juin 2009, l’assuré – alors serveur – a été placé en arrêt de travail et a perçu les indemnités journalières de la part de l’assureur perte de gain SWICA ASSURANCES (ci-après : SWICA), qui a déposé, le 3 février 2010, une demande de prestations de l’assurance-invalidité pour le compte de l’assuré.
b. À l’époque, la Docteure B______, psychiatre traitante, a posé les diagnostics de trouble anxieux et dépressif mixte (F41.3) et trouble dissociatif sans précision (F44.9), justifiant une incapacité de travail totale. Le Docteur C______, médecin traitant, a quant à lui mentionné un état dépressif moyen et des crises pseudo-épileptiques d’origine somatoforme avec répercussion sur la capacité de travail. Il a également mentionné des rachialgies diffuses post-traumatiques suite à plusieurs chutes, un status post contusions de l’épaule droite et une PSH post-traumatique. Dans un rapport du 31 juillet 2009, la Docteure D______, neurologue, a considéré une pathologie neurologique peu probable, la surcharge psychologique importante pouvant expliquer une bonne partie des symptômes. Des radiographies du rachis dorsal et dorso-pelvien ont mis en évidence des séquelles d’une ostéochondrose dorso-lombaire avec des discopathies lombaires multiples et un léger renversement antérieur du torse (rapport du Docteur E______ du 16 octobre 2009). D’autres clichés effectués le 26 mai 2009 ont quant à eux démontré une bascule pelvienne vers la droite et une discarthrose débutante L3-L4 (rapport de la Docteure F______).
c. Une expertise psychiatrique a été effectuée sur mandat de SWICA le 22 février 2010. La Docteure G______ a posé les diagnostics de troubles dissociatifs mixtes (F44.7) comportant des troubles moteurs dissociatifs, des convulsions dissociatives ainsi que des pertes de connaissance accompagnées de chutes, un état de stress post-traumatique (F43.1) et une comorbidité anxio-dépressive moyenne. La capacité de travail était nulle dans tout type d’activité pour une durée indéterminée, l’état de l’assuré n’étant pas stabilisé.
d. Le Docteur H______, psychiatre traitant, a fait état quant à lui d’un trouble dissociatif (de conversion) mixte (F44.7) et considéré qu’une capacité de travail de 50% dans tout type d’activité pourrait être envisagée. Des mesures de réadaptation ayant pour but de « renarcissiser » l’assuré pourraient lui permettre de mieux gérer les épisodes d’anxiété majeurs (rapport du 7 avril 2010).
e. Le 1er juillet 2010, l’assuré a pu reprendre une activité professionnelle à plein temps en qualité de chauffeur poids-lourds dans le canton de Vaud.
f. En raison de la tardiveté de la demande, la rente de durée limitée à laquelle l’assuré aurait pu prétendre lui a été refusée par décision du 1er septembre 2010.
B. a. Le 10 juin 2011, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations suite à un accident de la circulation routière survenu le 25 novembre 2010.
b. Dans un rapport du 17 février 2011, le Docteur I______, du service de neurochirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), a fait état d’une maladie dégénérative du disque pluri-étagée C3-C4, C4-C5, C5-C6 et C6-C7, avec hernie discale paramédiane et foraminale au niveau C5-C6 gauche et C6-C7 gauche avec conflit radiculaire de la racine C6 et C7 à gauche. Au niveau lombaire, une protrusion discale L4-L5 droite avec un début de conflit radiculaire au niveau du départ de la racine L5 droite a également été mise en évidence, une intervention chirurgicale étant envisagée.
c. Le Docteur J______, médecin traitant, a posé les diagnostics de cervico-dorsalgie post-traumatique (événement du 25 novembre 2010) et état anxio-dépressif, justifiant une incapacité de travail de 100% (rapport du 6 juillet 2011). Il spécifiait l’existence d’un cervico-dorsalgie chronique et disait craindre un dommage permanent sous la forme d’un syndrome somatopsychique.
d. Le 28 octobre 2011, le Dr I______ a relevé une cervicobrachialgie gauche de territoire plutôt C6 et C7 et une sciatalgie de distribution L4 et L5 droite, qui persistait et était associée à des douleurs lombaires et cervicales améliorées mais toujours présentes. Un nouvel accident de la circulation le 2 septembre 2011 (l’assuré, conducteur, s’était fait percuter par l’arrière avec perte de connaissance) avait justifié des examens d’imagerie qui n’avaient pas montré de lésion traumatique récente et confirmé un canal cervical étroit. À l’examen clinique, une hyposensibilité dans le dermatome C6-C7 à gauche était retrouvée avec abolition du réflexe tricipital et hyperréflexie importante des autres réflexes ostéotendineux. Une chirurgie décompressive n’était toutefois pas indiquée, car étendue à plusieurs niveaux et sans garantie de soulager les symptômes. En revanche, il existait un risque que le patient développe une myélopathie cervicale. Des examens complémentaires étaient indiqués, de même que la continuation de la prise en charge rhumatologique, physiothérapeutique et médicamenteuse.
Dans un rapport intermédiaire du 8 novembre 2011, le médecin traitant a indiqué un état stationnaire depuis l’été 2011 avec douleurs chroniques du rachis post traumatiques et dépression réactionnelle. Des tests en vue d’une orientation professionnelle étaient indiqués pour ce patient totalement incapable de reprendre son activité habituelle de chauffeur. La compliance était qualifiée d’optimale (médication antidouleur [morphine et Targin] et antidépressive) et le suivi psychiatrique se poursuivait.
e. L’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI) a soumis l’assuré à une expertise pluridisciplinaire effectuée au K______. Les experts ont rendu leur rapport d’expertise pluridisciplinaire le 29 septembre 2014. Sur le plan de la médecine interne, il n’y avait pas de plainte spontanée significative (sous réserve d’une incontinence urinaire encore à discuter), et aucune justification à une incapacité de travail. Sur le plan rhumatologique, l’assuré présentait toujours des douleurs intenses occupant l’ensemble du corps, principalement le long de l’axe vertébral et aux ceintures. L’expertise mettait en évidence un syndrome douloureux floride avec la présence de tous les trigger points de Yulus (18/18) et de tous les signes de non-organicité de Waddell et Hoover, sans qu’aucun symptôme de déficit neurologique périphérique radiculaire ou tronculaire ne soit constaté ; au piqué-touché et au diapason, l’assuré prétendait ne ressentir aucune sensation sur l’ensemble des membres supérieur gauche et inférieur droit, de la racine aux extrémités ; on ne décelait aucun signe évident de déséquilibre sur absence de sensibilité profonde ; il n’y avait pas d’atteinte centrale non plus. On était en présence d’un syndrome douloureux chronique (fibromyalgie) sans lésion anatomique ou maladie inflammatoire ou métabolique susceptible de l’expliquer ; les imageries du rachis avec ses images d’anciennes maladies de Scheuermann, ses modifications dégénératives débutantes et ses hernies et protrusions sans compression radiculaire ne corroboraient pas toutes les plaintes, dont une grande partie allait de pair avec une incohérence sur le plan nosologique. Se référant à la jurisprudence alors en vigueur, l’expert a considéré que ces troubles ne pouvaient justifier à eux seuls une incapacité de travail de longue durée, mais tout au plus des limitations dans l’activité de chauffeur poids-lourds. Une nouvelle évaluation de l’incapacité de travail devrait éventuellement être faite si les symptômes de dysfonctionnement vésico-sphinctérien d’origine neurologique étaient démontrés par un urologue. La capacité de travail était complète en temps et rendement, les limitations étant de ne pas devoir porter de charges supérieures à huit kilos. Sur le plan psychique, l’expert retenait une forme de dysthymie et un trouble dépressif récurrent en rémission. Il n’y avait pas ou plus de raison de retenir un syndrome de stress post-traumatique, ni de modification durable de la personnalité. L’évocation des plaintes algiques pouvait faire suspecter un syndrome douloureux somatoforme persistant ; l’examen somatique avait mis en évidence les signes de la fibromyalgie ainsi que des phénomènes d’amplification. Il était retenu un trouble somatoforme indifférencié associé à des phénomènes d’amplification, mais il n’y avait pas de pathologie psychiatrique sévère, ni de perte d’intégration sociale, ni d’état psychique cristallisé, ni d’échec des traitements ambulatoires, et on ne pouvait pas considérer que les cervicalgies et lombalgies chroniques sur modification dégénérative représentaient un processus maladif s’étendant sur plusieurs années. La capacité de travail était complète dans une activité adaptée, sans limitation fonctionnelle, ni diminution de rendement. Il avait présenté par le passé des troubles psychiques plus sévères, ayant justifié une incapacité de travail transitoire à 100%, mais il n’y avait plus de motif d’incapacité de travail depuis la nouvelle demande de prestations de l’AI déposée en juin 2011.
Au terme de leur évaluation consensuelle, les experts ont retenu, au titre de diagnostics ayant une répercussion sur la capacité de travail, des cervicalgies chroniques et des lombalgies chroniques sur modification dégénérative du rachis sans syndrome radiculaire et, au titre de diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail, une dysthymie, un trouble dépressif récurrent en rémission, un trouble somatoforme indifférencié dans le cadre d’une fibromyalgie et une obésité de classe II. L’assuré présentait une limitation, sur le plan physique, liée aux douleurs cervicales et lombaires en cas de port et de transport de charges supérieures à 8 kg, sans limitations sur le plan psychique, mental, et social. L’assuré avait une capacité de travail de 100%, avec respect des limitations dues aux charges à porter, dans toute activité.
f. Par décision du 18 mars 2015, l’OAI a refusé toute prestation à l’assuré, en raison d’une pleine capacité de travail dans une activité respectant les limitations fonctionnelles d’épargne du dos. L’ancienne activité étant adaptée, il n’y avait pas lieu de mettre en place des mesures professionnelles. Dite décision a été confirmée par arrêt de la chambre de céans du 24 mai 2016 qui a estimé que la fibromyalgie reconnue au recourant n’était pas incapacitante, appréciation entérinée par le Tribunal fédéral dans un arrêt du 26 janvier 2017.
C. a. En parallèle, la SUVA est intervenue en qualité d’assureur-accidents et a alloué des prestations jusqu’au 30 juin 2011. À compter de cette date, la SUVA a nié l’existence d’un lien de causalité adéquate entre les troubles présentés et l’accident assuré. De l’avis de l’assureur, les atteintes à la santé dont le recourant se plaignait n’étaient pas perceptibles cliniquement.
b. Pour rendre sa décision, elle s’est fondée sur un rapport de son médecin d’arrondissement, le Dr L______, lequel faisait suite à un examen par ses soins de l’assuré et à une évaluation interdisciplinaire effectuée lors d’un séjour de ce dernier à la Clinique romande de réadaptation en avril 2011.
En résumé, le Dr L______ a retenu (avis du 23 mai 2011) que des infiltrations au niveau lombaire avaient été effectuées à trois reprises, sans bénéfice. L’intervention chirurgicale envisagée par le service de neurochirurgie des HUG avait été écartée en raison des risques et de la présence de multiples hernies. Lors du séjour en clinique, le tableau présenté par l’assuré était dominé par un comportement douloureux chez un patient qui n’avait pas d’autres limitations que celles qu’il s’imposait en raison des douleurs. L’examen neurologique était normal (y compris l’ENMG) et il avait été finalement décidé que les images radiologiques ne montraient pas une compression radiculaire certaine. Les médecins de la clinique avaient finalement conclu à un traumatisme cervical indirect, correspondant à un degré II de la classification QTF pour le Whiplash et à des lombalgies chroniques non spécifiques décompensées par l’accident. Un comportement démonstratif et des incohérences avaient été relevées. Au niveau psychiatrique, un tableau de dépression chronique était reconnu, mais de sévérité insuffisante pour qu’un diagnostic de trouble dépressif majeur de degré léger puisse être retenu, celui de dysthymie étant posé. L’incapacité de travail n’avait pas parue justifiée ni d’un point de vue somatique, ni d’un point de vue psychiatrique. Le Dr L______ a conclu à l’absence de séquelles somatiques de l’accident du 25 novembre 2010.
D. a. Le 24 mai 2018, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations, alléguant une aggravation de son état de santé.
b. La Docteure M______, médecin adjoint auprès du Centre multidisciplinaire d’études et de traitement de la douleur, a posé les diagnostics de cervicobrachialgies droites (canal cervical étroit sur discopathies, sans myélopathie associée ; status post accident de la voie publique en 2010), status post cure de hernie ombilicale le 16 janvier 2014 et épisodes dépressifs récurrents (rapport du 7 avril 2015). Les scores de qualité de vie étaient tous diminués, à l’exception de la limitation émotionnelle. L’anamnèse et le status évoquaient la présence principalement des douleurs nociceptives mécaniques. Une composante neurogène, non objectivée sur IRM et cliniquement peu claire, devait encore être investiguée. La diminution de la médicamentation opioïde était recommandée, et la reprise d’un antidépresseur à but antalgique devait être rediscutée en cas d’objectivation d’une composante neurogène.
c. Le 15 novembre 2018, le Dr N______, radiologue, a fait le bilan d’un traitement de désensibilisation inter-épineuse et des dernières articulaires lombaires. Il a relevé une amélioration subjective de 50%, avec persistance de lombalgie gauche et un changement de symptomatologie évoluant vers un syndrome discogène.
En janvier 2019, le Dr N______ a procédé à quatre blocs de la douleur en L5-S1, L4-L5, L3-L4 et L2-L3, le premier s’étant révélé négatif. Selon le médecin, les trois disques de L2-L3 à L4-L5 étaient positifs, expliquant la lombalgie mécanique médiane.
Le 12 mars 2019, une nouvelle IRM a montré une situation sensiblement superposable à celle prévalant en 2017 et 2018, avec une triple discopathie de L2-L3 à L4-L5, prédominant en L4-L5 où existait une protrusion discale paramédiane droite.
En mars 2019, le Dr N______ a procédé à un traitement étagé de fragmentation du collagène discal avec mise en hypopression du disque. Le 26 mars 2019, il a mentionné que l’assuré se décrivait soulagé et était souriant. La douleur cervicale était désormais prioritaire. Les flexions lombaires réalisées étaient d’amplitude satisfaisante et l’amélioration devait être continue. Cette dernière a été confirmée lors du contrôle du 30 avril 2019, lors duquel le patient a mentionné un bénéfice de 60% sur les douleurs. L’amélioration persistait en août 2019, l’assuré ne se plaignant plus de douleurs lombaires, mais d’une raideur. Une symptomatologie aigüe de névralgie cervico-brachiale gauche avec un épisode de parésie et de dysesthésie de territoire C8 était évoquée et une IRM organisée. Un bloc de la douleur effectué le 15 août 2019 s’était révélé positif.
d. En août 2019, le Docteur O______, radiologue, a procédé à une infiltration des tendons épicondyliens externes gauches pour épicondylite nodulaire symptomatique.
e. Une IRM cervicale réalisée le 15 août 2019 a mis en évidence une cervicarthrose avec pincement discal étagé et discopathies circonférentielles, un canal cervical étroit à 8 mm en C3-C4 et C4-C5, sans myélopathie cervicarthrosique, absence de souffrance sous-chondrale avec disco-uncarthrose étagée en C3-C4 et C6-C7 bilatérale, et en C5-C6 gauche.
f. Dans un rapport du 26 septembre 2019, la Dcoteure P______, rhumatologue, a fait état de douleurs chroniques invalidantes lombaires et cervico-dorsales, avec anesthésie du membre inférieur droit et du bras gauche, sans évidence de lésions sensitives aux examens pratiqués. Un traitement de la douleur était en cours dans un centre spécialisé et des séances de physiothérapie prescrites. Le médecin a également mentionné un état dépressif chronique depuis plusieurs années, une perte de poids de plus de 35 kg après by-pass gastrique en juillet 2018 pour obésité et oesophagopathie. Les infiltrations au niveau de la colonne lombaire et un traitement par hypopression discale au laser avaient permis une réduction des douleurs lombaires et un gain en souplesse dorso-lombaire. À l’examen clinique, elle a constaté une anesthésie des membres inférieur droit et supérieur gauche, des signes d’épicondylite au bras gauche, un lumbago chronique avec limitations aux mouvements de flexion antérieure et nécessité de changement de position pendant le temps de l’entretien médical, des cervicalgies chroniques et un état dépressif moyen. Selon ce médecin, les diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail étaient un syndrome somatoforme douloureux depuis 2010 (accident), une anesthésie des membres inférieur droit et supérieur gauche et un état dépressif moyen, pour lequel une psychothérapie était en cours. Le pronostic sur la capacité de travail était engagé en raison des douleurs chroniques qui répondaient partiellement aux traitements. Le permis de conduire poids-lourds lui ayant été retiré en 2015 en raison de l’altération de la sensibilité des membres et de l’utilisation d’analgésiques opioïdes, l’assuré ne pouvait reprendre son ancienne activité. Une activité adaptée était envisageable jusqu’à trois heures par jour.
g. Le psychiatre traitant, le Docteur Q______ a attesté une incapacité de travail totale dans toute activité depuis le début de son suivi en janvier 2016, mais de 50% dans une activité adaptée en ne tenant compte que de l’aspect psychiatrique dès août 2019 (rapport du 12 juillet 2019). Il a posé le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen (F33.1). L’état dépressif était constaté depuis le début du suivi et consécutif à des difficultés familiales et à la perte d’emploi en raison de son état psychique. Le médecin a mentionné une baisse de l’estime de soi importante, un sentiment d’inutilité et de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Dans ce contexte, des symptômes anxio-dépressifs s’étaient développés. La situation était fluctuante, en fonction de l’importance des douleurs et des autres complications somatiques, notamment des ulcères gastriques consécutifs à la prise d’antalgiques, toute recrudescence de tels problèmes ayant un effet négatif sur l’état dépressif. L’évolution était favorable depuis quelques mois, le patient étant volontaire et cherchant à se sortir de sa situation. Des symptômes dépressifs persistaient toutefois, avec une intolérance au stress, des difficultés de concentration et une fatigabilité qui fluctuaient et dépendaient de l’évolution des dorsalgies. La fatigabilité pouvait également être en lien avec des carences liées à l’importante perte de poids. S’agissant des limitations fonctionnelles, l’assuré n’était pas à même de se concentrer sur une longue période ni rester assis longtemps (changements de position fréquents durant l’heure d’entretien).
h. La Dre R______, neurochirurgienne, a posé les diagnostics de lumbago chronique avec lombosciatalgie principalement L5 invalidant, légèrement déficitaire ; status post infiltration épidurale L4-L5 avec amélioration du lumbago sans effet sur la jambe ; surpoids ; by-pass gastrique en mars 2016 ; status post compression médullaire cervicale avec parésie du membre supérieur post-accident anamnestiquement ; status post ulcère Forrest grade 3 avec hospitalisation en mai 2018 pour hémorragie digestive (rapport du 15 janvier 2020). Elle a rapporté des douleurs invalidantes (induisant des pertes urinaires depuis plus d’un an) et un état chronique avec qualité de vie réduite et impact élevé sur la vie quotidienne. La radiculopathie invalidante principalement L5 gauche avait peu de corrélat sur l’IRM. Elle a considéré deux options de traitement, dépendantes d’examens et consiliums futurs : une spondylodèse et une neurostimulation.
i. La Dre P______ a signalé que les infiltrations au niveau de la colonne lombaire et le traitement par hypopression discale au laser avaient conduit à une réduction temporaire de l’intensité des douleurs. Une épicondylite bilatérale avait été infiltrée sans réel bénéfice au début de l’année. L’état était stationnaire avec des douleurs en permanence handicapant le patient, lequel arrivait cependant à s’occuper de ses enfants, les accompagner à l’école et préparer à manger pour la famille, mais avec plusieurs périodes de repos pendant la journée (rapports des 3 mars et 30 juin 2020).
j. Quant au psychiatre traitant, il a rapporté lui aussi un état stationnaire dans un rapport du 17 juillet 2020, le diagnostic étant un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen. Le problème principal restait les douleurs. Il a également fait état d’un important déconditionnement, l’assuré n’ayant plus travaillé depuis neuf ans. S’agissant du déroulement type d’une journée, le Dr Q______ a expliqué que son patient amenait les enfants à l’école le matin, préparait en général le repas et qu’il passait l’après-midi avec la cadette. Il était contraint de garder les enfants, pour des motifs financiers. Les tâches plus lourdes étaient impossibles en raison des douleurs et il existait un repli social, l’assuré ne restant presque qu’exclusivement avec son épouse et ses enfants. Enfin, une activité adaptée était possible à 50%, d’un point de vue strictement psychiatrique, et ce taux pouvait augmenter progressivement, car le fait de retrouver du travail, donc un sentiment de dignité, aurait un effet bénéfique sur le moral de l’assuré.
k. Dans l’incapacité d’évaluer l’impact du trouble somatoforme douloureux sur la capacité de travail de l’assuré en raison notamment de la persistance d’activités de la vie courante relativement nombreuses et importantes et des traitements antalgiques et psychiatriques modérés (sans modification depuis longtemps), le SMR a sollicité une expertise médicale pluridisciplinaire qui a été confiée au S______ à Fribourg.
Les Docteurs T______, rhumatologue, U______, spécialiste en médecine interne générale, et V______, psychiatre, ont rendu leur rapport le 26 février 2021. Ils ont retenu les diagnostics de cervicobrachialgies bilatérales chroniques sur cervicarthrose avec discopathies étagées, canal cervical étroit (M54.2) ; lombosciatalgies chroniques de type L4-L5 à droite, L5-S1 à gauche, discopathies circonférentielles étagées de L2-L3 à L5-S1, protrusion discale paramédiane droite en L4-L5 (M54.5) ; épicondylalgie chronique bilatérale (M77.1) ; syndrome musculosquelettique douloureux (R52.9) ; trouble dépressif récurrent, en rémission (F33.4) ; hypokinésie inférieure avec un ventricule droit légèrement dilaté mais une fonction systolique normale ; obésité de type I (BMI 35.5 kg/m2) ; status post bypass gastrique (mars 2018). Ils ont reconnu des limitations fonctionnelles, à savoir : changements de position fréquents possibles ; pas de mouvements itératifs contraignants pour le rachis cervical et/ou lombaire en flexion/extension/rotation/inclinaison latérale de la nuque, respectivement du tronc ; pas de travail en position agenouillée ni accroupie ; pas de travail en hauteur (échelles, échafaudages) ; pas de port itératif de charges de plus de
5-7 kg ; pas de travail avec les membres supérieurs levés en hauteur ; pas de travail avec des engins émettant des ondes à basses fréquences. Il n’y avait pas d’aspects liés à la personnalité pouvant avoir une incidence sur la capacité de travail. Les capacités de résistance et d’endurance étaient intactes. Des difficultés étaient dues, sur le plan fonctionnel, à des cervicobrachialgies et lombosciatalgies dans le cadre de troubles dégénératifs, qui empêchaient l’assuré de réaliser des travaux physiques de force. L’expertisé n’avait aucune plainte sur le plan psychiatrique et ses activités journalières prouvaient l’absence d’affection psychique. La cohérence et la plausibilité étaient également conservées sur le plan de la médecine interne et rhumatologique, avec cependant la participation d’une composante non organique à la symptomatologie algique (présence de 3/5 signes de non-organicité de Waddell, et présence de 14/18 points typiques de la fibromyalgie rapportés douloureux à la pression). La capacité de travail était entière dans l’activité antérieure (chauffeur de poids-lourds) avec une diminution de rendement de 20% depuis juillet 2018 en raison des douleurs lombaires chroniques résistantes aux traitements, et de 100% sans diminution de rendement dans une activité adaptée depuis 2010. D’un point de vue rhumatologique, l’assuré se plaignait de cervicobrachialgies, de lombosciatalgies et d’épicondylalgies bilatérales de type mécanique. Les investigations radiologiques objectivaient des troubles dégénératifs de la colonne cervicale et lombaire. Le status rachidien était globalement dans la norme, avec toutefois de discrètes contractures paracervicales et paralombaires, outre une rectitude de la colonne dorsolombaire lors de la mobilisation en flexion/extension associée à une diminution des amplitudes articulaires. Le status neurologique relevait des zones d’hypoesthésie pouvant faire suspecter une irritation L4-L5 à droite, L5-S1 à gauche. La symptomatologie algique dont se plaignait l’assuré pouvait être rapportée aux troubles radiologiques constatés, mais apparaissait quelque peu exagérée. La présence de 3/5 signes de Waddell et 14/18 point typiques de la fibromyalgie positifs à la pression laissait supposer une composante non organique à la symptomatologie algique et un syndrome musculosquelettique douloureux diffus associé était suspecté. Une réelle aggravation depuis l’expertise rhumatologique faite au K______ n’a pas été mise en évidence, seule une perte de rendement de 20% depuis juillet 2018 était retenue en raison des douleurs chroniques lombaires nécessitant la prise régulière de pauses pour faire des étirements. L’assuré conservait des capacités et des ressources pour réaliser toutes les activités de la vie quotidienne et exercer une activité adaptée. Les difficultés résidaient dans le fait de souffrir de cervicalgies et de lombalgies dans le cadre de troubles dégénératifs.
L’évaluation de médecine interne a quant à elle conduit l’expert à retenir (outre les diagnostics mentionnés dans l’évaluation consensuelle), des pertes d’urine sans atteinte neurologique authentifiée, des troubles neurologiques sans déficit d’origine somatique démontré, des troubles du sommeil se répercutant sur l’échelle de somnolence d’Epworth malgré un lourd traitement et des troubles digestifs liés au by-pass gastrique plus ou moins compensés. L’assuré avait des activités domestiques, des activités bénévoles (s’occupant de personnes âgées) et participait à une association en lien avec ses origines portugaises. L’expert a considéré qu’il n’y avait pas de pathologie susceptible de retentir sur la capacité de travail s’agissant de la médecine interne générale.
L’anamnèse psychiatrique a mis en évidence qu’en sus des activités quotidiennes déjà mentionnées, l’assuré était très bien entouré par son épouse et ses copains avec qui il allait souvent manger, qu’il était actif sur les réseaux sociaux, qu’il s’occupait d’un jardin potager et de vingt poules sur un terrain cultivable de 80m2, et qu’il pratiquait parfois le tir avec des amis policiers. Les week-ends étaient passés en famille ou avec les copains. Il s’était rendu en vacances en 2019 en voiture au Portugal. Il n’avait pas pris de vacances en 2020 en raison de la pandémie, et n’avait pas de projet pour 2021 pour des motifs financiers. Il n’y avait pas de troubles de la concentration ou de la mémoire rapportés. L’assuré mentionnait une tristesse fluctuante, mais n’ayant jamais duré plus de trois semaines d’affilée à part en 2009. L’assuré avait souri à plusieurs reprises durant l’examen, même fait des blagues, mais avait dû se lever quelques fois à cause des douleurs. L’humeur n’était pas dépressive, il n’y avait pas de signe clinique de ralentissement psychomoteur, pas de sentiment d’infériorité, de dévalorisation, pas d’idée d’inutilité, l’élan vital n’était pas perturbé et les troubles du sommeil étaient liés aux douleurs. Les constatations cliniques étaient conformes aux dires de l’assuré, qui ne prenait pas l’antidépresseur à la dose prescrite par le psychiatre traitant, vu le dosage plasmatique. L’expert ne retenait pas le trouble somatoforme diagnostiqué en 2014, car même si l’assuré s’était plaint pendant l’entretien, la douleur n'était pas prégnante, elle n’était ni persistante ni sévère ni pénible et elle n’entravait pas toutes les activités de la vie quotidienne. Il n’y avait pas non plus de trouble de la personnalité ni de trouble de l’addiction. En l’absence d’un trouble de la personnalité ou d’un trouble dépressif, il n’y avait pas d’incapacité de travail d’un point de vue psychiatrique depuis au moins 2010.
l. Le Docteur W______, médecin SMR, a relaté dans son rapport du 8 mars 2021 que l’état de santé de l’assuré s’était bien aggravé en mars 2018, avec une chirurgie abdominale (mise en place d’un by-pass), compliquée d’un ulcère de l’anastomose intestinale, et une aggravation en juillet 2018 des douleurs lombaires justifiant trois infiltrations de corticoïdes, sans efficacité. Le médecin a considéré que les conclusions des experts étaient convaincantes en ce qui concernait la description de la situation médicale actuelle et de son évolution. L’état clinique de l’assuré était demeuré globalement stable depuis l’expertise du K______ en 2015. Selon le Dr W______, l’activité de chauffeur de poids-lourds n’était définitivement plus possible, car incompatible avec les limitations fonctionnelles, raison pour laquelle il s’écartait de l’expertise sur ce point. Pour le surplus, malgré une modification de l’état de santé en mars 2018, la capacité de travail demeurait entière dans toutes les activités respectant les limitations fonctionnelles d’épargne du dos, lesquelles avaient déjà été décrites en mars 2015 par le SMR.
E. a. L’OAI a préavisé un refus de rente et de mesures de réadaptation.
b. Faisant usage de son droit d’être entendu, l’assuré a contesté ce projet et conclu à l’octroi d’une rente entière d’invalidité. Il a en substance fait valoir qu’un abattement aurait dû être retenu sur le revenu d’invalide, que ce dernier était de toute évidence nul en raison de l’absence d’activité correspondant aux limitations fonctionnelles multiples qu’il présentait et qu’une capacité entière de travail sur le plan psychiatrique ne saurait être retenue sur la base de l’expertise, car cela était contradictoire et contraire aux conclusions du SMR. L’assuré a fait parvenir un rapport de la Dre M______ du 5 juillet 2021. Dans ce document, la praticienne a relaté des douleurs constantes cotées à 10/10. Selon le questionnaire OSWESTRY, le score était compatible avec une incapacité fonctionnelle lombaire sévère correspondant à un état grabataire ou un catastrophisme. L’assuré ne dormait pas plus de deux heures d’affilée en raison des douleurs. Un bilan de l’incontinence uro-fécale, qui le limitait dans ses sorties, devait être réalisé dans les semaines à venir.
c. L’assuré a encore transmis à l’OAI un rapport du Docteur X______, du service de neurorééducation des HUG, du 21 juillet 2021, faisant suite à un examen urodynamique avec cystographie mictionnelle. Le médecin a conclu à une vessie normocompliante, hyposensible, hyperactive. Sur le plan étiologique, l’association des troubles urinaires, fécaux et sexuels était évocatrice d’une origine neurologique. L’association des divers symptômes évoquait un lien avec une myélopathie cervicale, pas confirmée par IRM. Le traitement médicamenteux a été modifié, induisant une amélioration des symptômes de l’incontinence, et avait donc été complété (rapport du 7 octobre 2021).
d. La Dre P______ a transmis un rapport le 24 janvier 2022, dans lequel elle a mentionné une aggravation de l’incontinence fécale et urinaire depuis plusieurs mois. L’assuré devait porter un condom urinaire 24h/24h et des protections pour les fuites fécales. Tout effort physique minimal provoquait des fuites urinaires ou fécales. Un inconfort dans toutes les activités quotidiennes s’ajoutait aux limitations déjà décrites auparavant et l’assuré ne pouvait assumer de travaux qui comportaient des activités répétitives. Le médecin a ainsi conclu à l’absence de capacité de travail même dans une activité strictement adaptée aux limitations fonctionnelles.
e. Le Docteur Y______, neurologue, a constaté la conservation et la symétrie de la sensibilité, des réflexes normovifs, symétriques et tous présents. Il y avait des lâchages algiques. Les examens spécialisés par neurographie motrice n’avaient montré aucune atteinte nerveuse centrale surtout médullaire (rapport du 13 juillet 2021).
f. Le Dr X______ a mentionné une aggravation des symptômes rapportés par le patient lors de la consultation du 12 janvier 2022 (multiples fuites urinaires de jour comme de nuit et persistance de troubles érectiles). L’incontinence fécale n’était plus que sporadique, mais avec une alternance de diarrhées et de constipation. Le traitement médicamenteux avait été adapté.
g. Appelé à se prononcer sur les conséquences de l’incontinence uro-fécale de l’assuré sur sa capacité de travail, le Dr X______ a exposé, le 13 mai 2022, que l’intéressé devrait bénéficier d’un accès facile aux toilettes pour la gestion de l’incontinence en présence d’une capacité de travail, dont l’évaluation dépassait largement son domaine de spécialité. L’incontinence et les troubles urinaires documentés à l’examen urodynamique s’étaient aggravés.
h. À réception de ce rapport, le SMR a considéré qu’il convenait d’adapter les limitations fonctionnelles de la manière suivante : impossibilité de porter, charger et pousser des poids supérieurs à 3-5 kg de manière occasionnelle ; avoir la possibilité de changer souvent de position assis/debout ; pas de travaux comportant des activités répétitives ; accès facile aux toilettes pour la gestion de l’incontinence.
i. L’assuré – qui avait entretemps déposé une demande d’allocation pour impotent – a informé l’OAI qu’une intervention chirurgicale était prévue au niveau des cervicales suite à un rendez-vous du 15 juin 2022 avec la neurochirurgienne.
j. Le 5 juillet 2022, l’OAI a rendu une décision de refus de rente d’invalidité et de mesures professionnelles notifiée par courrier postal ordinaire à l’assuré le 11 juillet 2022.
F. a. Agissant seul, A______ a interjeté recours contre la décision du 5 juillet 2022 de l’OAI en date du 29 août 2022, concluant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité. Il se référait aux avis de ses médecins pour faire valoir qu’il n’était plus du tout capable de travailler, même dans une activité adaptée, en raison de ses troubles physiques et psychiques.
Il a produit un rapport du 19 septembre 2022 du Dr Q______, contresigné par la Dre P______. Ces médecins ont exposé de manière détaillée pour quels motifs l’ancienne activité de chauffeur poids-lourd dans le domaine du transport des produits dangereux leur paraissait totalement contre-indiquée, voire dangereuse pour autrui. Le Dr Q______ a abondamment critiqué l’expertise pluridisciplinaire, faisant état de trois niveaux d’incohérence : premièrement, le point de vue de l’expert psychiatre entrait en contradiction avec d’autres documents du dossier, et évoquait des confusions de dossier sans plus d’investigations. Deuxièmement, les deux autres experts étaient partis du principe qu’il n’y avait pas de lésions somatiques expliquant les plaintes du patient, ce qui était contredit par l’intervention neurochirurgicale. Enfin, le médecin du SMR, qui mentionnait que la profession de chauffeur n’était plus exigible, ne tirait aucune conséquence de cette constatation. Concernant plus particulièrement la sphère psychiatrique, le Dr Q______ regrettait de ne pas avoir été contacté et qu’il n’ait pas été pris davantage compte de ses rapports. Il a relevé qu’en déclarant à l’expert qu’il n’avait plus eu de symptômes dépressifs après 2009, l’assuré avait en réalité voulu parler des mois qui avaient suivi son traitement au CTB à l’époque, car il y avait eu des périodes de dépression ayant nécessité suivis et traitements ultérieurement. Les problèmes soulevés par ses confrères (chutes, malaises, incontinence, etc.), ayant notamment conduit la Dre R______ à procéder à une double discectomie C3-C4 et C4-C5 (cf. rapport du 28 septembre 2022). En conclusion, le médecin a fait part de son incompréhension face au refus de prestations.
b. Assisté d’un nouveau conseil, l’assuré a produit plusieurs documents médicaux. La Dre P______, laquelle reprenait les considérations déjà émises et faisait état d’une intervention neurochirurgicale en octobre 2022 (le 12) pour canal cervical étroit avec syndrome médullaire, a considéré qu’il faudrait quelques mois avant de comprendre si le syndrome médullaire avait pu être résolu ou amélioré par la chirurgie. Les limitations fonctionnelles mentionnées étaient aggravées par rapport aux précédents rapports, l’aide de l’épouse étant désormais nécessaire pour mettre chaussures et chaussettes, se laver, et l’autonomie de marche était très faible. La Dre R______ a quant à elle exposé (attestation du 8 décembre 2022) que l’assuré présentait une sténose cervicale à deux niveaux C3-C4 et C4-C5 avec une empreinte sur la moelle épinière et suspicion d’une myélopathie plutôt clinique avec hyposensibilité et manque de force au bras et surtout aux doigts. Des problèmes urologiques s’étaient rajoutés, avec une vessie hyperactive avec dyssynergie vésico-sphinctérienne à laquelle s’est rajoutée une incontinence fécale. Devant le tableau clinique et l’échec des traitements conservateurs, l’intervention avait été décidée. Le 28 mars 2023, le même médecin a mentionné une bonne évolution post-opératoire. En revanche, l’assuré présentait désormais des douleurs invalidantes irradiant sur le trajet S1 gauche non expliquées sur la base de l’IRM. La situation s’était péjorée et l’assuré n’était plus soulagé par les infiltrations. Le patient avait dû être par ailleurs hospitalisé pour des troubles psychiques aigus. Une intervention chirurgicale n’était pas envisagée, mais la pose d’un stimulateur neuro-médullaire devait être évaluée, sur la base d’un avis du Docteur Z______ du 21 mars 2023, spécialiste de la douleur. Ce dernier médecin faisait quant à lui état de douleurs potentiellement neuropathiques centrales, déjà connues antérieurement et péjorées dans le contexte actuel de troubles anxiogènes. L’hospitalisation volontaire prévue en milieu psychiatrique – le patient se sentait en danger pour lui-même et pour sa famille – était appuyée par le praticien qui estimait que cela pouvait soulager l’aspect psychologique impactant les douleurs.
Le 4 septembre 2023, après une phase test positive de trois semaines sur les douleurs neuropathiques dans les deux membres inférieurs, le Dr Z______ a procédé à l’implantation d’un neurostimulateur pour douleurs chroniques secondaires neuropathiques sur discopathies et troubles dégénératifs du rachis.
Le recourant a également fait valoir que ses médecins continuaient à lui reconnaître une incapacité de travail totale. Au vu de l’importante intervention chirurgicale décidée le 15 juin 2022 par la neurochirurgienne, sa situation médicale aggravée n’avait non seulement pas été prise en considération par l’OAI, mais n’était pas stabilisée au moment de la décision, justifiant dès lors une incapacité de travail entière dans tout type d’activité. Il a donc conclu, à titre préalable, à la mise en œuvre d’une expertise judiciaire pluridisciplinaire, à titre principal, à l’octroi d’une rente entière d’invalidité, et à titre subsidiaire, au renvoi de la cause à l’OAI pour nouvelle instruction au sens des considérants, le tout sous suite de frais et dépens.
c. Par écriture du 25 octobre 2022, l’OAI a conclu au rejet du recours. Il a fait valoir que l’expertise du S______ avait pleine valeur probante, que les problèmes urologiques avaient fait l’objet d’une investigation complémentaire et n’induisaient qu’une limitation fonctionnelle supplémentaire (accès facilité aux toilettes) et que les rapports complémentaires produits n’apportaient aucun élément médical objectif nouveau permettant de remettre en question l’appréciation faite par les experts et le SMR. Quant à l’intervention neurochirurgicale, elle n’induisait qu’une incapacité de travail totale limitée dans le temps postérieure à la décision.
L’OAI a produit un rapport du 20 octobre 2022 du SMR. La Docteure AA______ y indiquait que les critiques du psychiatre traitant n’étaient pas étayées par un status clinique et que les épisodes dépressifs mentionnés n’étaient pas précisés au niveau de leur intensité ni de leur durée. S’agissant de l’intervention en neurochirurgie, l’IRM n’avait pas démontré d’anomalies de signal compatibles avec une myélopathie, et les potentiels évoqués sensitifs et moteurs effectués le 13 juillet 2021 parlaient en défaveur d’une atteinte médullaire. Quant aux diagnostics retenus par la Dre R______ dans son rapport du 15 juin 2022, soit un canal cervical étroit C3-C4 et C4-C5 sans myélopathie électrophysiologique ni radiologique avec troubles urinaires, sexuels et des selles avec probable atteinte médullaire, ils étaient déjà connus, de même que les troubles sphinctériens, et aucune aggravation n’était annoncée depuis 2021.
d. Le recourant a répliqué en date du 2 décembre 2022. Il a persisté dans ses conclusions et dans sa motivation, niant toute valeur probante à l’expertise pluridisciplinaire rendue par le S______, laquelle ne tenait de surcroît pas compte de l’évolution de son état de santé jusqu’au moment de la décision de l’OAI. Il s’est référé au courrier du Dr Q______, du 24 novembre 2022, dans lequel ce médecin exposait que des symptômes de nature dissociative avaient existé et étaient encore présents, renforcés dans le contexte de l’opération, à tel point que l’épouse du recourant s’inquiétait de devoir laisser les enfants seuls avec leur père. De l’avis du Dr Q______, si lesdits symptômes n’étaient pas en lien avec un syndrome de stress post-traumatique, d’autres pistes devaient être évoquées. Un rapport de sortie du service de neurochirurgie des HUG était également transmis, lequel faisait état d’une chirurgie le 12 octobre 2022 pour canal cervical étroit sur cervicarthrose et discarthrose C3/C4 et C4/C5 avec syndrome médullaire : discectomie C3/C4 et C4/C5 sous microscope avec mise en place d’une cage HRC aux deux niveaux, chez un patient connu et suivi pour un canal cervical étroit sans signe électrophysiologique ou radiologique de myélopathie, avec compression médullaire. L’intéressé présentait de longue date des troubles sphinctériens avec atteinte urinaire, fécale et sexuelle depuis plusieurs années en progression.
e. Dans sa duplique du 20 décembre 2022, se référant à l’avis du SMR joint, l’OAI a fait savoir que les documents médicaux produits n’étaient pas de nature à modifier l’appréciation qui avait été faite du cas, respectivement se rapportaient à des faits survenus postérieurement à la date de la décision.
f. Dans une écriture complémentaire du 10 février 2023, le recourant a notamment expliqué, s’agissant de ses activités quotidiennes, que s’il possédait effectivement avec son épouse un petit potager, c’était cette dernière qui s’en occupait sur ses conseils. L’activité de tir exercée avec des amis n’était quant à elle qu’un projet et non une réalité. Il n’était plus parti en vacances depuis 2017 en raison de son état de santé. Postérieurement à l’expertise réalisée en février 2021, le jardin potager avait été restitué, car son épouse n’avait plus le temps de s’en occuper et le recourant en était incapable. Ses médecins traitants et en particulier la Dre P______ avaient également relaté une entrave dans l’accomplissement des activités quotidiennes. La situation avait continué à se péjorer jusqu’à la date de la décision querellée, à tel point que le recourant ne pouvait plus, à ce moment-là, mettre seul chaussettes et chaussures, ni prendre une douche sans assistance, ni accompagner les enfants à l’école, ni effectuer les tâches ménagères légères. Ses déplacements à pied étaient très limités (seulement quelques centaines de mètres). Cette aggravation avait justifié le dépôt d’une demande d’allocation pour impotent avant que l’OAI ne rende sa décision relative à la demande de rente. Ces faits ne correspondaient en rien avec ce qui avait été retenu par les experts, de sorte que l’anamnèse effectuée par ces derniers était erronée et l’expertise ne pouvait se voir accorder pleine valeur probante. Il a expliqué que la dégradation de son état de santé, cumulant aux douleurs et à la fatigue des pertes urinaires et fécales quotidiennes toujours plus importantes, l’avaient plongé dans un état dépressif et de détresse profonds. Son fils avait été contraint d’appeler sa mère au travail à plusieurs reprises, car il était tombé suite à un blocage et aux douleurs et ne pouvait pas se relever. Le traitement par opioïdes en injection et les infiltrations au niveau de la colonne lui avaient causé des séquelles au niveau des dents et de l’estomac non prises en considération par les experts. Enfin, le recourant a relevé que l’intervention chirurgicale liée à l’aggravation de son état de santé avait été annoncée à l’OAI en juin 2022, soit avant la décision de refus de prestations, et qu’il convenait par conséquent de la prendre en considération.
G. a. Le 17 avril 2024, la chambre de céans a tenu une audience de comparution personnelle et d’enquêtes.
b. À cette occasion, le recourant a exposé que suite à l’opération effectuée en 2022, ses migraines avaient complètement disparu, de même que les douleurs du crâne jusqu’au niveau des muscles pectoraux.
En septembre 2023, les médecins avaient procédé à la pose d’un neurostimulateur pour soulager ses douleurs lombaires, ce qui s’était révélé efficace, puisqu’il avait pu réduire progressivement le traitement médicamenteux et n’avait désormais plus recours aux infiltrations lombaires qui s’effectuaient auparavant à intervalles de deux mois.
Les pertes d’urine et de selles avaient persisté, mais avec une certaine amélioration toutefois. Le traitement auprès du service de neurorééducation se poursuivait. Il devait porter des protections en permanence, qu’il devait changer environ toutes les heures. Concernant les pertes de selles, elles n’étaient pas quotidiennes, en raison notamment de problèmes de constipation intermittente.
Le recourant a également indiqué être suivi pour des problèmes de polypes intestinaux.
Sur question, il a déclaré avoir toujours régulièrement pris les antidépresseurs prescrits par son psychiatre traitant et être actuellement sous traitement anxiolytique et antidépresseur.
Il a expliqué avoir déclaré à l’expert psychiatre ne plus avoir été déprimé plus de trois semaines d’affiliée depuis 2009 en pensant à la reprise du travail à plein temps à l’époque, jusqu’au second accident. Mais il était faux de dire qu’il n’avait plus connu de problèmes de dépression depuis lors. Il avait d’ailleurs été hospitalisé en milieu psychiatrique à deux reprises après l’intervention neurochirurgicale, dont une fois suite à un transfert en ambulance, car les urgentistes avaient initialement pensé à un AVC.
S’agissant de ses activités quotidiennes, il s’habillait seul, ce qui consistait un progrès, et amenait les enfants à l’école située de l’autre côté de la rue. Il préparait en principe les repas du midi et du soir. Sa participation aux tâches ménagères se limitait à faire la vaisselle et nettoyer la table et le plan de travail après le repas. Durant la journée, il se reposait pour être en forme pour s’occuper des enfants, avec qui il jouait, mais pas à des jeux impliquant une activité physique, et qu’il aidait pour les devoirs. Il ne faisait plus de jardinage depuis longtemps et se limitait à acheter le pain, le reste des courses étant faites par son épouse.
c. Durant l’audience qui a duré moins de trois heures, le recourant a quitté la salle pour se rendre aux toilettes deux fois et a changé de position assis-debout à réitérées reprises.
d. Lors de son audition, la Dre R______ a expliqué que la décision de procéder à l’intervention chirurgicale s’était faite après deux ans de pesée des risques et bénéfices, vu l’important risque de tétraplégie. Le recourant présentait d’importantes douleurs, auxquelles se sont ajoutés des troubles neuro-urologiques et érectiles. C’est la persistance de ces symptômes, malgré tous les traitements prescrits et suivis, qui avait conduit à la décision d’intervenir chirurgicalement.
La myélopathie suspectée n’a été ni infirmée, ni confirmée par la chirurgie, car elle ne peut pas être constatée. Le canal cervical étroit a été rétabli à deux endroits, en espérant que la progression des symptômes cesse et, si possible, que ceux-ci régressent. Les symptômes du recourant étaient plutôt atypiques, en l’absence d’un signal radiologique. Mais la sévérité de la pathologie, ainsi que la gravité de l’incontinence uro-fécale, en présence d’un canal cervical étroit laissaient suspecter une atteinte médullaire. Le médecin a précisé qu’il pouvait y avoir myélopathie en l’absence de signal. L’intervention avait permis une amélioration de la symptomatologie au niveau des douleurs, notamment dans le bras et dans la jambe, ainsi que s’agissant de l’incontinence.
Sur question, la spécialiste a expliqué que l’état de santé de son patient n’était pas stabilisé en juin 2022, lorsque la décision d’opérer avait été prise.
S’agissant des douleurs lombaires, les examens et traitements effectués permettaient de considérer que les plaintes du recourant étaient justifiées par un substrat organique.
Les tests réalisés par le Dr Z______ avaient permis de confirmer l’origine neuropathique des douleurs. Toutefois, les douleurs étaient également en partie d’origine mécanique pour la Dre R______.
Invitée à se prononcer sur l’exagération des symptômes relevée par les experts du S______, la praticienne a exposé que l’intégralité des limitations alléguée par le recourant n’avait pas pu être objectivée, mais qu’il tenait toutefois des propos cohérents avec ceux qu’il avait vis-à-vis du Dr Z______. Quant aux douleurs alléguées, la spécialiste a déclaré ne pas les remettre en question. Concernant les diagnostics retenus par les experts du S______ (M54.2, M54.5 et R52.9), elle les confirmait, tout en précisant que son patient avait récupéré des cervicobrachialgies, que le canal cervical étroit avait été libéré et que la symptomatologie des lombosciatalgies chroniques s’était nettement améliorée grâce notamment à la neurostimulation.
La neurochirurgienne a déclaré qu’avant l’intervention chirurgicale, son patient n’avait pas de capacité de travail dans une activité physique. L’incontinence ne pouvait à elle seule justifier une incapacité de travail. Les limitations fonctionnelles actuelles, tant au niveau cervical que lombaire, étaient demeurées identiques à avant l’intervention chirurgicale, à savoir : pas de port de poids supérieur à 5-10 kg au-dessus de l’horizontale ; par de rotation cervicale répétitive ; pas de réclination forcée ; pas de travail sur les escaliers et les échafaudages ; pas de port de poids de plus de 10-15 kg, pas de mouvement répétitif en flexion, pas de position accroupie ni à genoux, alternance des positions assis-debout toutes les 30 à 60 minutes. A six mois post-intervention, elle estimait la capacité de travail à 50 à 70%, rendement compris, ce qui incluait la nécessité de prendre des pauses en raison des douleurs et de l’incontinence.
e. Le Dr Q______ a également été entendu. Concernant le faible taux plasmatique de fluoxétine relevé par les experts du S______, le médecin a déclaré ne pas penser qu’il y avait eu un problème de compliance sur une longue durée, car il avait personnellement constaté une amélioration de l’état de santé sous traitement. Le spécialiste a également mentionné que les antidépresseurs ont parfois dû être interrompus en raison de pathologies ne relevant pas de la sphère psychiatrique. Depuis 2018, la fréquence des rendez-vous était en moyenne à la quinzaine. La fréquence était augmentée en cas de nécessité, respectivement diminuée notamment lors des hospitalisations ou en raison de traitements somatiques.
Il a déclaré que le trouble de la personnalité du recourant, qui présentait une variabilité de l’estime de soi, un trouble de la perception des émotions et une difficulté d’introspection conduisant à un trouble dissociatif, n’avait pas été suffisamment pris en considération, notamment par l’expert psychiatre du S______. Le recourant, qui ne comprenait pas et ne contrôlait pas les émotions, en tous cas par moments, pouvait tomber dans les pommes, jeter des objets, frapper contre les murs, entrer dans une crise de colère ou un repli profond et ne se souvenir de rien ensuite. Les crises dissociatives avaient été bien documentées en 2009-2010, car survenues en milieu médical. Elles persistaient à ce jour, même s’il était parfois difficile de les distinguer des chutes liées aux douleurs ou à l’hypotension. Le trouble de la personnalité s’était exacerbé en 2023, ayant justifié deux hospitalisations en mars et juillet. Craignant que son patient ne commette un acte suicidaire, il l’avait d’ailleurs lui-même emmené à l’hôpital en juillet. En sus du trouble de la personnalité, le recourant présentait lors des deux hospitalisations un état dépressif de gravité sévère. Une autre consultation des urgences avait eu lieu suite à un malaise, et les médecins l’avaient orienté vers le service d’urgences psychiatriques, sans que le médecin ne puisse donner la date.
S’agissant de la pathologie dépressive, il confirmait son diagnostic de trouble dépressif récurrent. L’état dépressif était constant, mais variable en intensité, quoique d’intensité moyenne en règle générale, ce que le médecin vérifiait de temps à autre au moyen de l’échelle MADRS. Il regrettait que l’expert ait pris pour argent comptant, sans investiguer davantage, les propos de son patient qui avait voulu mettre en avant ses douleurs. Cela avait conduit l’expert à retenir à tort un diagnostic de trouble dépressif récurrent en rémission depuis 2009. Le recourant, qui vivait reclus sur sa famille, manquait de motivation pour entreprendre certaines activités, présentait des troubles de la concentration, des troubles du sommeil et une fatigabilité liés à la fois à l’état dépressif et aux traitements médicamenteux.
Enfin, il a mentionné un problème d’alcool depuis 2022, sous la forme d’alcoolisation importante et occasionnelle.
Questionné sur la capacité de travail, le médecin a confirmé considérer que son patient disposait d’une capacité de travail résiduelle dans une activité adaptée de 50% d’un point de vue strictement psychiatrique, sous réserve toutefois que la réinsertion se fasse de manière progressive, en commençant par un travail en atelier protégé. Il lui était difficile de se prononcer sur la capacité de travail en prenant en considération les limitations fonctionnelles qui ne relevaient pas de son domaine. Mais il avait de la peine à imaginer un emploi adapté compte tenu de ses propres constatations lors des entretiens : le recourant devait changer de chaise, se lever fréquemment, et aller aux toilettes avant et après la consultation et parfois même pendant.
f. Par courrier du 10 octobre 2024, la chambre de céans a informé les parties de son intention de confier une mission d’expertise bidisciplinaire aux Professeurs AB______, médecin-chef du service de chirurgie orthopédique responsable de la chirurgie spinale auprès de l’Hôpital fribourgeois, et AC______, médecin directrice du service de psychiatrie forensique du centre de soins hospitaliers de Marsens. Elle leur a communiqué les questions qu’elle allait soumettre aux experts.
g. Par pli du 15 octobre 2024, le recourant a exposé ne pas avoir de motif de récusation. Il a toutefois souhaité qu’un troisième médecin, spécialiste en neurochirurgie ou neurologie, soit désigné, au vu de l’opération de la colonne vertébrale qu’il avait subie et du fait qu’un examen neuropsychologique était souhaité dans la mission d’expertise. Il a par ailleurs sollicité la modification du libellé de plusieurs questions de la mission d’expertise et produit un rapport complémentaire du 2 mai 2024 du Dr Y______, neurologue, en sollicitant que les experts se prononcent sur son contenu.
Ce dernier concluait à la mise en évidence de signes compatibles avec une lésion radiculaire aiguë C5-C6 à droite, en raison de la présence de signes de dénervation aiguë dans le muscle deltoïde, ainsi qu’à de discrets signes de syndrome du tunnel carpien étroit à droite avec une atteinte essentiellement myélinique et une possible composante axonale et motrice débutante. Une IRM cervicale était organisée auprès du Dr N______, afin d’évaluer l’indication à une éventuelle infiltration.
h. L’intimé – qui n’avait ni question complémentaire, ni motif de récusation à faire valoir – s’est opposé à la mise en œuvre de l’expertise, considérant qu’il existait déjà au dossier un rapport d’expertise pluridisciplinaire ayant valeur probante.
1. Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI – RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2.
2.1 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.
Le 1er juin 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).
2.2 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 75), ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706).
En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est, en principe, celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulière de droit transitoire, étant précisé que le juge n’a en principe pas à prendre en considération les modifications du droit postérieures à la date déterminante de la décision administrative litigieuse (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).
En l’occurrence, la décision querellée concerne un octroi de rente dont le droit est né au plus tôt en novembre 2018, eu égard à la date du dépôt de la nouvelle demande de prestations (art. 29 al. 1 LAI à teneur duquel le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations), de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.
3. Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA – E 5 10]).
Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.
4. De jurisprudence constante, le juge apprécie en règle générale la légalité des décisions entreprises d’après l’état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1). Les survenus postérieurement, et qui ont modifié cette situation, doivent en principe faire l’objet d’une nouvelle décision administrative (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 130 V 130 consid. 2.1). Même s’il a été rendu postérieurement à la date déterminante, un rapport médical doit cependant être pris en considération, dans la mesure où il a trait à la situation antérieure à cette date (cf. ATF 99 V 98 consid. 4 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2018 du 25 juillet 2018 consid. 4.2).
5. Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité dans le cadre de la nouvelle demande de prestations déposée en mai 2018.
6. Lorsqu’une rente a été refusée parce que le degré d’invalidité était insuffisant, une nouvelle demande ne peut être examinée que si la personne assurée rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits (art. 87 al. 2 RAI).
Cette exigence est présentement réalisée et non contestée.
7. Est réputée invalidité, l’incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d’une infirmité congénitale, d’une maladie ou d’un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d’une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).
8. En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s’il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.
Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).
Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d’invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l’incapacité fonctionnelle qu’il importe d’évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).
9.
9.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).
La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel la CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1).
9.2 Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).
Le Tribunal fédéral a en revanche maintenu, voire renforcé la portée des motifs d'exclusion définis dans l'ATF 131 V 49, aux termes desquels il y a lieu de conclure à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit aux prestations d'assurance, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, et ce même si les caractéristiques d'un trouble au sens de la classification sont réalisées. Des indices d'une telle exagération apparaissent notamment en cas de discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psycho-social intact (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 et 2.2.2 ; 132 V 65 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_16/2016 du 14 juin 2016 consid. 3.2).
9.3 L'organe chargé de l'application du droit doit, avant de procéder à l'examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'assurance-invalidité, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (cf. ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 5.2.2 et la référence).
Pour des motifs de proportionnalité, on peut renoncer à une appréciation selon la grille d’évaluation normative et structurée si elle n’est pas nécessaire ou si elle est inappropriée. Il en va ainsi notamment lorsqu’il n’existe aucun indice en faveur d’une incapacité de travail durable ou lorsque l’incapacité de travail est niée sous l’angle psychique sur la base d’un rapport probant établi par un médecin spécialisé et que d’éventuelles appréciations contraires n’ont pas de valeur probante du fait qu’elles proviennent de médecins n’ayant pas une qualification spécialisée ou pour d’autres raisons (arrêts du Tribunal fédéral 9C_101/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.3 et la référence et 9C_724/2018 du 11 juillet 2019 consid. 7). En l’absence d’un diagnostic psychiatrique, une telle appréciation n’a pas non plus à être effectuée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_176/2018 du 16 août 2018 consid. 3.2.2).
10. Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence).
Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).
Ces indicateurs sont classés comme suit :
I. Catégorie « degré de gravité fonctionnelle »
Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l’instrument de base de l’analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).
A. Axe « atteinte à la santé »
1. Caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour le diagnostic
Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1).
L'influence d'une atteinte à la santé sur la capacité de travail est davantage déterminante que sa qualification en matière d'assurance-invalidité (ATF 142 V 106 consid. 4.4). Diagnostiquer une atteinte à la santé, soit identifier une maladie d'après ses symptômes, équivaut à l'appréciation d'une situation médicale déterminée qui, selon les médecins consultés, peut aboutir à des résultats différents en raison précisément de la marge d'appréciation inhérente à la science médicale (ATF 145 V 361 consid. 4.1.2 ; 9C_212/2020 du 4 septembre 2020 consid. 4.2; 9C_762/2019 du 16 juin 2020 consid. 5.2).
2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers
Le déroulement et l'issue d'un traitement médical sont en règle générale aussi d'importants indicateurs concernant le degré de gravité du trouble psychique évalué. Il en va de même du déroulement et de l'issue d'une mesure de réadaptation professionnelle. Ainsi, l'échec définitif d'une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l'art de même que l'échec d'une mesure de réadaptation – malgré une coopération optimale de l'assuré – sont en principe considérés comme des indices sérieux d'une atteinte invalidante à la santé. A l'inverse, le défaut de coopération optimale conduit plutôt à nier le caractère invalidant du trouble en question. Le résultat de l'appréciation dépend toutefois de l'ensemble des circonstances individuelles du cas d'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2.1.3 et la référence).
3. Comorbidités
La présence de comorbidités ou troubles concomitants est un indicateur à prendre en considération en relation avec le degré de gravité fonctionnel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_650/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.3 et la référence). On ne saurait toutefois inférer la réalisation concrète de l'indicateur "comorbidité" et, partant, un indice suggérant la gravité et le caractère invalidant de l'atteinte à la santé, de la seule existence de maladies psychiatriques et somatiques concomitantes. Encore faut-il examiner si l'interaction de ces troubles ayant valeur de maladie prive l'assuré de certaines ressources (arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.3 et le référence). Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Une atteinte qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidante en tant que telle (cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2, in : RSAS 2011 IV n° 17, p. 44) n’est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du 6 juin 2011 consid. 3.4.2.1, in : RSAS 2012 IV n° 1, p. 1) mais doit à la rigueur être prise en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d’affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l’approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).
Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).
B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)
Le « complexe personnalité » englobe, à côté des formes classiques du diagnostic de la personnalité qui vise à saisir la structure et les troubles de la personnalité, le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du moi » qui désignent des capacités inhérentes à la personnalité, permettant des déductions sur la gravité de l’atteinte à la santé et de la capacité de travail (par exemple : auto-perception et perception d’autrui, contrôle de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation ; cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Étant donné que l’évaluation de la personnalité est davantage dépendante de la perception du médecin examinateur que l’analyse d’autres indicateurs, les exigences de motivation sont plus élevées (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2).
Le Tribunal fédéral a estimé qu’un assuré présentait des ressources personnelles et adaptatives suffisantes, au vu notamment de la description positive qu’il avait donnée de sa personnalité, sans diminution de l'estime ou de la confiance en soi et sans peur de l'avenir (arrêt du Tribunal fédéral 8C_584/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2).
C. Axe « contexte social »
Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.3).
Lors de l'examen des ressources que peut procurer le contexte social et familial pour surmonter l'atteinte à la santé ou ses effets, il y a lieu de tenir compte notamment de l'existence d'une structure quotidienne et d'un cercle de proches [ ]. Le contexte familial est susceptible de fournir des ressources à la personne assurée pour surmonter son atteinte à la santé ou les effets de cette dernière sur sa capacité de travail, nonobstant le fait que son attitude peut rendre plus difficile les relations interfamiliales (arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2019 du 30 septembre 2020 consid. 6.2.5.3). Toutefois, des ressources préservées ne sauraient être inférées de relations maintenues avec certains membres de la famille dont la personne assurée est dépendante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2020 du 22 octobre 2020 consid. 5.2)
II. Catégorie « cohérence »
Il convient ensuite d’examiner si les conséquences qui sont tirées de l’analyse des indicateurs de la catégorie « degré de gravité fonctionnel » résistent à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence ». Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l’assuré (ATF 141 V 281 consid. 4.4). A ce titre, il convient notamment d’examiner si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans la vie professionnelle et dans la vie privée, de comparer les niveaux d’activité sociale avant et après l’atteinte à la santé ou d’analyser la mesure dans laquelle les traitements et les mesures de réadaptation sont mis à profit ou négligés. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d’autres raisons qu’une atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.3).
A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie
Il s’agit ici de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu’ici doit désormais être interprété de telle sorte qu’il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé (ATF 141 V 281 consid. 4.4.1).
B. Poids de la souffrance révélé par l’anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation
L'interruption de toute thérapie médicalement indiquée sur le plan psychique et le refus de participer à des mesures de réadaptation d'ordre professionnel sont des indices importants que l’assuré ne présente pas une évolution consolidée de la douleur et que les limitations invoquées sont dues à d'autres motifs qu'à son atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_569/2017 du 18 juillet 2018 consid. 5.5.2).
La prise en compte d’options thérapeutiques, autrement dit la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, permet d’évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons qu’à l'atteinte à la santé assurée (ATF 141 V 281 consid. 4.4.2).
11.
11.1 Le point de départ de l'évaluation prévue pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), les troubles dépressifs (ATF 143 V 409), les autres troubles psychiques (ATF 143 V 418) et les troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (ATF 145 V 215) est l'ensemble des éléments médicaux et constatations y relatives. Les experts doivent motiver le diagnostic psychique de telle manière que l'organe d'application du droit puisse comprendre non seulement si les critères de classification sont remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1), mais également si la pathologie diagnostiquée présente un degré de gravité susceptible d'occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_551/2019 du 24 avril 2020 consid. 4.1 et la référence).
11.2 Dans un arrêt de principe du 2 décembre 2019 (ATF 145 V 361), le Tribunal fédéral, à la lumière de l'ATF 141 V 281, a notamment posé une délimitation, entre l'examen (libre), par les autorités chargées de l'application du droit, de l'admission d'une incapacité de travail par l'expert psychiatre, d'une part, et une appréciation juridique parallèle inadmissible, d'autre part.
Selon le Tribunal fédéral, dans tous les cas, l’administration et, en cas de recours, le juge, doivent examiner si et dans quelle mesure les experts ont suffisamment et de manière compréhensible étayé leur évaluation de l'incapacité de travail, en tenant compte des indicateurs pertinents (questions de preuve). À cette fin, les experts doivent établir un lien avec la partie précédente de l'expertise médico-psychiatrique (avec extraits du dossier, anamnèse, constatations, diagnostics, etc.), c'est-à-dire qu'ils doivent se référer en détails aux résultats médico-psychiatriques des examens et explorations cliniques menés dans les règles de l’art qui relèvent de leur compétence. Le médecin doit donc exposer de manière détaillée les raisons médico-psychiatriques pour lesquelles les éléments constatés sont susceptibles de restreindre la capacité fonctionnelle et les ressources psychiques en termes qualitatifs, quantitatifs et temporels (ATF 143 V 418 consid. 6). À titre d’exemple, dans le cadre de troubles dépressifs récurrents de degrés légers à modérés qui sont souvent au premier plan dans l’examen de l’invalidité au sens de l’AI, cela signifie qu’il ne suffit pas que l'expert psychiatre déduise directement de l'épisode dépressif diagnostiqué une incapacité de travail, quel qu'en soit le degré ; il doit bien plutôt démontrer si et dans quelle mesure les constatations qu'il a faites (tristesse, désespoir, manque de dynamisme, fatigue, troubles de la concentration et de l'attention, diminution de la capacité d'adaptation, etc.), limitent la capacité de travail, en tenant compte – à des fins de comparaison, de contrôle et de plausibilité – des autres activités personnelles, familiales et sociales de la personne requérant une rente. Si les experts s'acquittent de cette tâche de manière convaincante, en tenant compte des éléments de preuve établis par l'ATF 141 V 281, l'évaluation des répercussions de l’atteinte psychique sera également valable du point de vue des organes chargés de l’application du droit, que ce soit l’administration ou le juge. À défaut, il se justifie, juridiquement, de s'en écarter (ATF 145 V 361 consid. 4.3 et la référence).
11.3 En ce qui concerne l'évaluation du caractère invalidant des affections psychosomatiques et psychiques, l'appréciation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l'application du droit à la lumière de l'ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_585/2019 du 3 juin 2020 consid. 2 et les références). Il peut ainsi arriver que les organes d'application du droit se distancient de l'évaluation médicale de la capacité de travail établie par l’expertise sans que celle-ci ne perde sa valeur probante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_128/2018 du 17 juillet 2018 consid. 2.2 et les références). Du point de vue juridique, il est même nécessaire de s’écarter de l’appréciation médicale de la capacité de travail si l’évaluation n’est pas suffisamment motivée et compréhensible au vu des indicateurs pertinents, ou n’est pas convaincante du point de vue des éléments de preuve instaurés par l’ATF 141 V 281. S’écarter de l’évaluation médicale est alors admissible, du point de vue juridique, sans que d’autres investigations médicales ne soient nécessaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_832/2019 du 6 mai 2020 consid. 2.2). Toutefois, lorsque l’administration ou le juge, au terme de son appréciation des preuves, parvient à la conclusion que le rapport d'expertise évalue la capacité de travail en fonction des critères de médecine des assurances établis dans l'ATF 141 V 281 et qu’il satisfait en outre aux exigences générales en matière de preuves (ATF 134 V 231 consid. 5.1), il a force probante et ses conclusions sur la capacité de travail doivent être suivies par les organes d'application de la loi. Une appréciation juridique parallèle libre en fonction de la grille d'évaluation normative et structurée ne doit pas être entreprise (cf. ATF 145 V 361 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_213/2020 du 19 mai 2020 consid. 4.3 et les références).
En fin de compte, la question décisive est toujours celle des répercussions fonctionnelles d'un trouble. La preuve d'une incapacité de travail de longue durée et significative liée à l’état de santé ne peut être considérée comme rapportée que si, dans le cadre d’un examen global, les éléments de preuve pertinents donnent une image cohérente de l’existence de limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation invalidante de la capacité de travail n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_423/2019 du 7 février 2020 consid. 3.2.2 et les références).
12.
12.1 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2 et les références; 125 V 256 consid. 4 et les références). En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).
Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).
Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.
12.2 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).
12.3 Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).
12.4 On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV n. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références).
13. Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).
14. Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).
15.
15.1 En l’espèce, l’intimé s’est fondé sur l’expertise pluridisciplinaire réalisée par le S______ pour rendre sa décision litigieuse, par laquelle il a refusé tout droit aux prestations au recourant, considérant qu’il était pleinement capable de travailler dans une activité adaptée, l’ancienne activité de chauffeur poids-lourds de matières dangereuses ayant été définitivement écartée par le SMR.
15.2 L’expertise, d’un point de vue somatique, a été rendue alors que l’état de santé du recourant n’était pas stabilisé, comme l’a fait remarquer la Dre R______ en audience. En effet, une intervention chirurgicale importante au niveau cervical a été décidée en juin 2022, ce qui avait été communiqué à l’intimé, avant même que celui-ci ne rende sa décision litigieuse. Dite intervention avait permis, de l’avis de la neurochirurgienne traitante, d’amender une partie de la symptomatologie douloureuse et d’améliorer l’incontinence. L’atteinte médullaire, mentionnée comme évolution possible dès 2011, et niée par les experts en l’absence de signal, semble dès lors hautement vraisemblable, bien que ne pouvant être constatée (cf. audition de la Dre R______). Certes, l’intervention chirurgicale a eu lieu après que la décision de l’intime a été rendue, mais dans la mesure où elle avait été décidée avant, et qu’elle a rendu hautement vraisemblable l’existence d’une pathologie niée par les experts en améliorant une partie des symptômes, elle doit être prise en considération. Les conclusions de l’expertise du S______ étant basées sur un postulat erroné, elles ne peuvent être suivies et une expertise judiciaire se justifie s’agissant de l’évaluation des troubles de la colonne vertébrale.
15.3 S’agissant du volet psychiatrique, il y a lieu de tenir compte d’une probable incompréhension entre l’expert et le recourant au sujet de l’existence de symptômes de nature dépressive. Le recourant a expliqué de manière convaincante à la chambre de céans pour quelle raison il avait déclaré ne pas s’être senti déprimé plus de trois semaines d’affilée depuis 2009, ce qui ne correspondait pas à la réalité, ni surtout aux constatations de son psychiatre traitant. Le Dr Q______ avait également expliqué avoir lui-même remarqué l’effet bénéfique du traitement antidépresseur sur la symptomatologie, ce qui lui faisait douter d’un défaut de compliance, en tous les cas sur le long terme. En outre, il fallait aussi prendre en compte que la médicamentation psychotrope devait parfois être diminuée ou arrêtée en raison des interactions avec les pathologies somatiques. Ce dernier considérait que l’expert n’avait pas pris suffisamment en considération le trouble de la personnalité de son patient, qui le conduisait parfois à des crises dissociatives, pouvant conduire à des pertes de connaissance ou à des crises violentes. Celles-ci avaient été bien documentées en 2009-2010, car elles étaient intervenues en milieu hospitalier, ce qui n’avait plus été le cas les années suivantes. Et elles étaient parfois difficiles à distinguer de chutes liées aux douleurs ou à l’hypotension, mais elles persistaient. Enfin, les activités quotidiennes du recourant étaient très limitées, celui-ci manquant de motivation pour les entreprendre. Il vivait reclus sur sa famille et avait en outre développé un trouble lié à la consommation d’alcool non pris en considération par l’expert. Le psychiatre traitant s’est également plaint du fait que l’expert n’avait pas pris la peine de le contacter pour obtenir des informations complémentaires.
Sur la base des explications claires fournies par le psychiatre traitant, ainsi que de ses constatations cliniques, il apparaît que le volet psychiatrique de l’expertise doive également être remis en question, car des éléments pertinents et vérifiables ont été ignorés. Les faits retenus par l’expert psychiatre semblent même ne pas correspondre à la réalité, en particulier s’agissant des activités quotidiennes du recourant et de sa compliance au traitement. Par ailleurs, il semblerait que l’éventualité d’un trouble de la personnalité n'ait pas été suffisamment investiguée. En tous les cas, l’expert n’écarte pas de façon circonstanciée pour quel motif un tel trouble n’est pas retenu. Quant à un trouble addictologique, apparu de manière concomitante à la décision entreprise, il n’en est pas fait mention non plus.
Partant, les conclusions de l’expert psychiatre n’emportent pas conviction et il apparaît également nécessaire d’éclaircir la situation médicale sous cet angle.
15.4 Au vu de ce qui précède, il est nécessaire de procéder à la réalisation d’une expertise judiciaire bidisciplinaire en orthopédie et en psychiatrie, afin de déterminer la nature des troubles du recourant, leur éventuel caractère invalidant, cas échéant depuis quand et à quel degré. Le Pr AB______ étant spécialisé dans la chirurgie du rachis cervical, nul n’est besoin d’avoir recours à un neurochirurgien pour la réalisation de l’expertise. Quant à l’examen neuropsychologique que la chambre de céans souhaite voir effectué, dans la mesure où un tel examen relève du domaine de la psychiatrie, la désignation d’un neurologue ne paraît pas indispensable non plus.
La nomination de deux experts permettra de discuter consensuellement le cas et d’établir les influences réciproques éventuelles des troubles somatiques sur les troubles psychiques et inversement.
Enfin, il appartiendra aux experts mandatés de se prononcer sur la nécessité de compléter leur évaluation par une expertise relevant d’une autre spécialité médicale.
S’agissant des précisions aux questions 4.7 et 11.2 sollicitées par le recourant, elles ne sont pas utiles, car déjà englobées implicitement dans la formulation. Il en va de même de la première partie de la question 11.3 que le recourant souhaite voir ajoutée. Quant à demande relative à la question 7.4, l’ancienne activité de chauffeur poids-lourds pour matières dangereuses ayant été définitivement déclarée non adaptée par le SMR, elle s’avère superflue.
En revanche, et quand bien même l’examen du Dr Y______ a trait à des faits largement postérieurs à la décision entreprise, une question sera ajoutée, dans le sens requis par le recourant.
***
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant préparatoirement
A. Ordonne une expertise médicale orthopédique et psychiatrique de Monsieur A______. La confie aux Professeurs AB______ et AC______.
B. Dit que la mission d’expertise sera la suivante :
I. Prendre connaissance du dossier de la cause.
II. Prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité la personne expertisée, voire auprès des membres de sa famille.
III. Examiner et entendre la personne expertisée et ordonner tout autre examen utile, en particulier un examen neuropsychologique.
IV. Établir un rapport détaillé comprenant les éléments suivants :
1. Anamnèse détaillée (y compris description d’une journée-type)
2. Plaintes de la personne expertisée
3. Status clinique et constatations objectives
4. Diagnostics (selon un système de classification reconnu)
Préciser quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogenèse).
4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail.
4.1.1 Dates d’apparition.
4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail.
4.2.1 Dates d’apparition.
4.3 Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?
4.4 Les atteintes et les plaintes de la personne expertisée correspondent-elles à un substrat organique objectivable ?
4.5 Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable ? (Discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d’intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l’expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact).
4.6 Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?
4.7 L’état de santé de la personne expertisée s’est-il amélioré/détérioré depuis 2018 ? Dans l’affirmative, à quel(s) moment(s) et de quelle manière ?
4.8 Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par la personne expertisée).
4.9 Est-ce que le tableau clinique est cohérent, compte tenu du ou des diagnostic(s) retenu(s) ou y a-t-il des atypies ? En présence d’atypies, celles-ci s’expliquent-elles d’un point de vue médical ?
4.10 Est-ce que ce qui est connu de l’évolution chez la personne expertisée correspond à ce qui est attendu pour le ou les diagnostic(s) retenu(s) ?
4.11 Quels sont les niveaux d’activités sociales et d’activités de la vie quotidienne et comment ont-ils évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?
4.12 Dans l’ensemble, le comportement de la personne expertisée vous semble-t-il cohérent et pourquoi ?
5. Limitations fonctionnelles
5.1 Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic.
5.1.1 Dates d’apparition.
5.2 Les plaintes sont-elles objectivées ?
6. Capacité de travail
6.1 Dater la survenance de l’incapacité de travail durable dans l’activité habituelle pour chaque diagnostic, indiquer son taux pour chaque diagnostic et détailler l’évolution de ce taux pour chaque diagnostic.
6.2 La personne expertisée est-elle capable d’exercer son activité lucrative habituelle ?
6.2.1 Si non, ou seulement partiellement, pourquoi ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?
6.2.2 Depuis quelle date sa capacité de travail est-elle réduite / nulle ?
6.3 La personne expertisée est-elle capable d’exercer une activité lucrative adaptée à ses limitations fonctionnelles ?
6.3.1 Si non, ou seulement partiellement, pourquoi ? Quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?
6.3.2 Si oui, quel est le domaine d’activité lucrative adapté ? À quel taux ? Depuis quelle date ?
6.3.3 Dire s’il y a une diminution de rendement et la chiffrer.
6.4 Comment la capacité de travail de la personne expertisée a-t-elle évolué depuis 2018 ?
6.5 Des mesures médicales sont-elles nécessaires préalablement à la reprise d’une activité lucrative ? Si oui, lesquelles ?
6.6 Quel est votre pronostic quant à l’exigibilité de la reprise d’une activité lucrative ?
7. Traitement
7.1 Examen du traitement suivi par la personne expertisée et analyse de son adéquation.
7.2 Est-ce que la personne expertisée s’est engagée ou s’engage dans les traitements qui sont raisonnablement exigibles et possiblement efficaces dans son cas ou n’a-t-elle que peu ou pas de demande de soins ?
7.3 En cas de prise de traitement médicamenteux, soit antalgique, soit psychotrope, pouvez-vous vérifier la compliance ou la biodisponibilité à l’aide d’un dosage sanguin ?
7.4 En cas de nécessité de prise de traitement médicamenteux, ces traitements induisent-ils des limitations fonctionnelles et/ou ont-ils une répercussion sur la capacité de travail ?
7.5 Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée.
8. Personnalité
8.1 Est-ce que la personne expertisée présente un trouble de la personnalité selon les critères diagnostiques des ouvrages de référence et si oui, lequel ? Quel code ?
8.2 Est-ce que la personne expertisée présente des traits de la personnalité pathologiques et, si oui, lesquels ?
8.3 Le cas échéant, quelle est l’influence de ce trouble de la personnalité ou de ces traits de personnalité pathologiques sur les limitations éventuelles et sur l’évolution des troubles de la personne expertisée ?
8.4 La personne expertisée se montre-t-elle authentique ou y a-t-il des signes d’exagération des symptômes ou de simulation ?
9. Ressources
9.1 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur le plan somatique ?
9.2 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée sur les plans :
a) psychique
b) mental
c) social et familial. En particulier, la personne expertisée peut-elle compter sur le soutien de ses proches ?
10. Appréciation d’avis médicaux du dossier
10.1 Êtes-vous d’accord avec les avis médicaux du Dr Q______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, des 12 juillet 2019, 17 juillet 2020, 19 septembre 2022, 24 novembre 2022 et 17 avril 2024 (audience) ? Si non, pourquoi ?
10.2 Êtes-vous d’accord avec les conclusions de l’expertise pluridisciplinaire du S______, du 26 février 2021 ? Si non, pourquoi ?
10.3 Faire tout commentaire utile s’agissant du rapport d’électroneuro
myographie du Dr Y______ du 2 mai 2024.
11. Quel est le pronostic de manière générale ?
12. Des mesures de réadaptation professionnelle sont-elles, à votre avis, envisageables ?
13. Faire toutes autres observations ou suggestions utiles, y compris indiquer la nécessité éventuelle de compléter l’expertise dans un autre domaine.
C. Invite les experts à procéder à une appréciation consensuelle du cas :
Les limitations fonctionnelles somatiques et psychiatriques s’influencent-elles réciproquement, et, si oui, de quelle façon ? Compte tenu des limitations fonctionnelles somatiques et psychiques, la personne expertisée dispose-t-elle globalement d’une capacité de travail ? Si oui à quel taux et depuis quelle date ? Si non ou dans une mesure restreinte, quelles sont les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte ?
D. Invite les experts à déposer à leur meilleure convenance un rapport en trois exemplaires auprès de la chambre de céans.
E. Réserve le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente
Laurence PIQUEREZ
|
Une copie conforme de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le