Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/794/2024 du 10.10.2024 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/1884/2024 ATAS/794/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 10 octobre 2024 Chambre 3 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE | intimé |
A. a. Le 14 février 2022, Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en 1988, de nationalité égyptienne, arrivé en Suisse en 2006, au bénéfice d’une formation d’électricien, employé dans le bâtiment, a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI).
b. L’instruction du dossier a permis d’établir que l’intéressé avait souffert de plusieurs atteintes ostéo-articulaires, au genou droit, à l’épaule droite et au poignet gauche. Se fondant sur les indications fournies par le docteur B______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, le Service médical régional de l’AI (SMR) a considéré que, depuis le 12 août 2021, la capacité à exercer l’activité habituelle était nulle ; en revanche, à compter du 10 juillet 2023 – date coïncidant avec l’inscription de l’assuré au chômage – il avait recouvré une pleine capacité à exercer une activité adaptée aux limitations fonctionnelles d’épargne de l’épaule et du genou droits (port de charges limité à 5 kg, pas de travail des membres supérieurs au-delà de l’horizontale, pas de mouvements répétitifs du membre supérieur gauche, pas de position accroupie ou agenouillée, pas de montées d’escaliers ou d’échelles à répétition, pas de marche en terrain irrégulier, pas de station debout ou de marche prolongée).
c. Le 29 septembre 2023, l’OAI a adressé à l’assuré un projet de décision dont il ressortait qu’il envisageait de lui reconnaître le droit à une rente entière d’invalidité limitée dans le temps, du 1er août 2022 au 31 octobre 2023.
d. La caisse de compensation FER-CIAM (ci-après : la caisse) a été chargée de procéder au calcul de rente, ce dont l’assuré a été informé par courrier du 10 novembre 2023.
e. Par courriel du 5 février 2024, l’OAI a été informé par la caisse que l’assuré n’avait pas donné suite aux demandes de renseignements qui lui avaient été adressées, malgré plusieurs rappels. La caisse avait ainsi réclamé en vain à l’assuré la copie de l’acte de naissance de sa fille, des informations sur ses obligations éventuelles d’entretien et sa situation familiale, l’adresse de son fils et de la mère de celui-ci, etc.
f. Par sommation du 16 février 2024, adressée à l’assuré par courrier recommandé (non réclamé par son destinataire) et pli simple, l’OAI l’a enjoint de transmettre à la caisse les informations réclamées par celle-ci en lui rappelant son obligation de collaborer. Il était précisé qu’à défaut de réponse de sa part dans le délai accordé au 29 mars 2024, l’OAI lui nierait le droit à toute prestation.
g. L’assuré n’ayant pas donné suite, l’OAI, en date du 5 avril 2024 lui a adressé un nouveau projet de décision lui niant le droit à toute prestation au motif que la caisse était, du fait de son refus de collaborer, dans l’incapacité de calculer la rente.
h. Une décision formelle en ce sens a été rendue le 13 mai 2024.
B. a. Par écriture du 27 mai 2024, l’intéressé a interjeté recours contre cette décision en expliquant que son état de santé et sa situation de logement très précaires l’avaient mis dans l’impossibilité de répondre aux différents courriers qui lui avaient été adressés les derniers mois.
Il expliquait avoir désormais repris un suivi médical adapté et s’être assuré d’une aide pour le seconder dans ses démarches. Il sollicitait un délai supplémentaire pour envoyer les documents réclamés par la caisse.
b. Par courrier du 10 juin 2024, la Cour de céans a accordé à l’intéressé un délai au 21 juin 2024 pour produire les documents demandés, l’avisant qu’à défaut, la cause serait gardée à juger en l’état.
Ce courrier a été envoyé à l’intéressé à l’adresse indiquée dans son recours par pli recommandé et sous pli simple (adresse correspondant d’ailleurs à celle du registre de l’Office cantonal de la population et des migrations [OCPM]). Le pli recommandé est revenu en retour à la Cour de céans avec la mention « parti ».
c. Par courrier du 8 août 2024, la Cour de céans en a informé l’intimé en lui accordant un délai pour lui transmettre le dossier, sa prise de position et lui indiquer si l’assuré s’était manifesté dans l’intervalle ou avait communiqué une nouvelle adresse.
d. Le 13 août 2024, la personne chez laquelle l’assuré est officiellement domicilié a téléphoné à la Cour de céans pour l’informer que l’assuré avait quitté les lieux et n’avait plus donné de nouvelles depuis.
e. L’intimé, par écriture du 26 août 2024, a conclu au rejet du recours.
L’assuré ne s’étant pas conformé à son obligation de renseigner, l’OAI considère que la décision litigieuse a été rendue à juste titre.
f. Après investigations, la Cour de céans a découvert que le recourant avait déménagé à Versoix, sans l’en aviser, pas plus que l’OCPM.
g. Les autres faits seront repris – en tant que de besoin – dans la partie « en droit » du présent arrêt.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Le délai de recours est de 30 jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).
Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.
2.
2.1 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.
2.2 Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705), ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI ‑ RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.
En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).
En l’occurrence, le droit aux prestations s’ouvrirait en août 2022, de sorte que le nouveau droit s’applique.
3. Le litige se limite à la question du bien-fondé de la décision de l’intimé de nier au recourant le droit à toute prestation de l’assurance-invalidité pour défaut de collaboration.
4.
4.1 Selon l'art. 28 al. 2 LPGA, quiconque fait valoir son droit à des prestations doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir ce droit et fixer les prestations dues.
Aux termes de l'art. 43 LPGA, l'assureur examine les demandes, prend d'office les mesures d'instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin (al. 1, 1ère phrase). L'assuré doit se soumettre à des examens médicaux ou techniques si ceux-ci sont nécessaires à l'appréciation du cas et qu'ils peuvent être raisonnablement exigés (al. 2). Si l'assuré ou d'autres requérants refusent de manière inexcusable de se conformer à leur obligation de renseigner ou de collaborer à l'instruction, l'assureur peut se prononcer en l'état du dossier ou clore l'instruction et décider de ne pas entrer en matière. Il doit leur avoir adressé une mise en demeure écrite les avertissant des conséquences juridiques et leur impartissant un délai de réflexion convenable (al. 3).
L'art. 7b al. 1 LAI prévoit que les prestations peuvent être réduites ou refusées conformément à l'art. 21 al. 4 LPGA si l'assuré a manqué aux obligations prévues à l'art. 43 al. 2 LPGA. L’art. 21 al. 4 LPGA prévoit la possibilité pour l’assureur de réduire ou de refuser temporairement ou définitivement les prestations si l’assuré se soustrait, s’oppose ou ne participe pas spontanément – dans les limites de ce qui peut être exigé de lui – à un traitement ou à une mesure de réinsertion professionnelle raisonnablement exigible et susceptible d’améliorer notablement sa capacité de travail ou d’offrir une nouvelle possibilité de gain.
4.2 Selon la jurisprudence, l'application de l'art. 43 al. 3 LPGA dans un cas où des prestations sont en cours et où l'assuré qui les perçoit refuse de manière inexcusable de se conformer à son devoir de renseigner ou de collaborer à l'instruction de la procédure de révision, empêchant par là que l'organe d'exécution de l'assurance-invalidité établisse les faits pertinents, suppose que le fardeau de la preuve soit renversé. En principe, il incombe bien à l'administration d'établir une modification notable des circonstances influençant le degré d'invalidité de l'assuré, si elle entend réduire ou supprimer la rente. Toutefois, lorsque l'assuré refuse de façon inexcusable de la renseigner, il lui est impossible de démontrer les faits conduisant à une modification du taux d'invalidité. Dans un tel cas, lorsque l'assuré empêche fautivement que l'office AI administre les preuves nécessaires, il convient d'admettre un renversement du fardeau de la preuve (cf. consid. 2.2 non publié de l'ATF 129 III 181). Il appartient alors à l'assuré d'établir que son état de santé, ou d'autres circonstances déterminantes, n'ont pas subi de modifications susceptibles de changer le taux d'invalidité qu'il présente (arrêt du Tribunal fédéral 9C_961/2008 du 30 novembre 2009 consid. 6.3.3, in SVR 2010 IV n° 30 p. 94 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_372/2015 du 19 février 2016).
Cas échéant, l’assureur pourra rejeter la demande présentée par l’intéressé en considérant que les faits dont celui-ci entend tirer un droit ne sont pas démontrés (ATF 117 V 261 consid. 3b p. 264 et références citées).
L’office AI peut suspendre les prestations en cas de violation de l’obligation de collaborer. Une telle sanction suppose toutefois que les informations demandées en vain soient nécessaires pour clarifier la situation ou pour fixer les prestations, qu’elles ne soient pas accessibles autrement sans frais disproportionnés et que les renseignements refusés en violation fautive de l’obligation de collaborer soient pertinents pour fixer le taux d’invalidité de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral 9C_345/2007 du 26 mars 2008 consid. 4). Si l’office AI cesse de verser des prestations parce que l’assuré manque à son obligation de collaborer à une procédure de révision, la procédure est reprise par la suite en tant que procédure de révision si l’assuré accepte de nouveau de remplir cette obligation (arrêt du Tribunal fédéral 8C_724/2015 du 29 février 2016 consid. 4 ; CIIAI ch. 7015).
4.3 En l’occurrence, force est de constater que l’intimé a pu mener à bien l’instruction de la demande de prestations et établir que l’assuré avait droit à une rente entière d’invalidité pour la période du 1er août 2022 au 31 octobre 2023.
Ce n’est qu’au stade de l’exécution de cette décision et du calcul de ladite rente, que l’assuré a fait défaut.
Par conséquent, l’intimé n’était pas en droit de considérer que le recourant refusait de se conformer à son obligation de collaborer à l’instruction de la procédure de manière inexcusable, ladite instruction ayant pu être menée à terme. C’est le lieu de rappeler que la sanction visant à nier le droit aux prestations suppose que les informations demandées en vain soient nécessaires pour clarifier la situation et que les renseignements refusés en violation fautive de l’obligation de collaborer soient pertinents pour fixer le taux d’invalidité de l’assuré, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’occurrence.
Dans ces conditions, l’intimé n’était pas fondé à nier purement et simplement tout droit aux prestations à l’assuré, violant ainsi de manière manifeste le principe de proportionnalité.
Cela étant, la caisse étant dans l’incapacité de calculer concrètement la rente à laquelle le recourant a droit, il convient de suspendre l’octroi de celle-ci et de la conditionner au fait que l’intéressé fournisse les renseignements qui lui sont réclamés, pour autant que ceux-ci ne puissent être obtenus autrement.
5. Eu égard aux considérations qui précèdent, le recours est partiellement admis et la décision litigieuse réformée, en ce sens que la négation du droit à la moindre prestation est remplacée par la suspension de l’octroi de la rente entière dont le droit est reconnu d’août 2022 à octobre 2023 à la condition que l’assuré fournisse les éléments réclamés par la caisse pour procéder au calcul de rente.
6. Étant donné que, depuis le 1er juillet 2006, la procédure n'est plus gratuite
(art. 69 al. 1bis LAI), au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 500.-.
***
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Admet partiellement le recours.
3. Reconnaît au recourant le droit à une rente d'invalidité du 1er août 2022 au 31 octobre 2023.
4. Suspend l’octroi de ladite rente.
5. Met un émolument de CHF 500.- à la charge de l’intimé.
6. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Diana ZIERI |
| La présidente
Karine STECK
|
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le