Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/628/2024 du 19.08.2024 ( AI ) , REJETE
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/1927/2024 ATAS/628/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 19 août 2024 Chambre 6 |
En la cause
A______ | recourante |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE |
intimé |
A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1966, a été licenciée par son employeur, l’Institution genevoise de maintien à domicile (ci-après : IMAD), par décision du 22 mars 2019, pour le 30 août 2019, délai reporté ensuite au 31 octobre 2019.
b. Elle a déposé une demande de prestations d’invalidité le 31 juillet 2018.
B. a. Le 23 août 2018, le docteur B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a attesté d’une incapacité de travail totale de l’assurée dès le 16 juin 2018.
b. À la demande de l’assurance-maladie perte de gain, le docteur C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a rendu une expertise le 17 septembre 2018, concluant à une capacité de travail nulle dans le poste habituel et totale dans un poste sans situation de conflit anxiogène, dès le 1er octobre 2018.
c. Le 3 décembre 2018, le docteur D______, spécialiste FMH en médecine du travail de l’IMAD, a attesté d’une incapacité de travail totale de l’assurée dans son poste à l’IMAD et d’une capacité de travail totale dans un autre service, sans situation de conflit.
d. Par arrêt du 29 octobre 2019, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : CJCA) a partiellement admis le recours interjeté par l’assurée à l’encontre de la décision de licenciement de l’IMAD du 22 mars 2019 et condamné l’IMAD à verser à l’assurée trois mois de son dernier traitement brut. Les considérants 5b et 7d du jugement mentionnent que les parties admettent une incapacité de travail totale de l’assurée dans son poste à l’IMAD et une capacité de travail totale dans un poste hors de l’IMAD, et que l’assurée n’est pas en incapacité de travailler au sens de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA).
e. Le 30 octobre 2019, le service médical régional de l’assurance-invalidité (ci‑après : SMR) s’est rallié à l’expertise du Dr C______ et a considéré que l’atteinte à la santé ne relevait pas de l’AI.
f. Par décision du 10 décembre 2019, l’office cantonal de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI) a rejeté la demande de prestations.
g. Le 30 novembre 2020, l’assurée a déposé une demande d’allocation pour impotence (ci-après : API) en raison d’un carcinome canalaire infiltrant diagnostiqué en janvier 2020.
h. Par décision du 12 mai 2021, l’OAI a refusé la demande d’API.
i. Le 27 septembre 2022, l’assurée a déposé une demande de mesures professionnelles / rente d’invalidité.
j. Le 4 février 2024, le SMR a estimé que la capacité de travail était nulle depuis février 2020 dans toute activité, au vu d’un épisode dépressif sévère (retentissement psychique à l’annonce de la pathologie oncologique).
k. Par projet de décision du 13 février 2024, l’OAI a alloué à la recourante une rente entière d’invalidité dès le 1er mai 2021, la demande de prestations ayant été déposée le 30 novembre 2020.
l. Le 19 avril 2024, l’assurée a contesté le départ de son droit à une rente d’invalidité, estimant qu’elle avait droit à une rente d’invalidité depuis le 1er juillet 2019, soit à l’issue de son licenciement. L’avis du SMR du 30 octobre 2019 occultait les rapports du Dr B______, lequel confirmait une capacité de travail nulle depuis 2018, pour motifs psychiques. Elle avait enduré beaucoup de souffrances psychiques depuis 2017 et en particulier depuis son licenciement.
m. Le 19 avril 2024, la docteure E______, médecin adjointe au service d’oncologie des HUG, a rendu un rapport médical attestant d’un diagnostic de cancer du sein en janvier 2020, lequel s’était probablement développé durant plusieurs mois, voire années avant janvier 2020.
n. Le 8 mai 2024, le SMR a confirmé ses précédentes conclusions.
C. a. Le 6 juin 2024, l’assurée a recouru à l’encontre du projet de décision de l’OAI, en requérant une rente entière d’invalidité dès le 30 juin 2019.
b. Par décision du 11 juin 2024, l’OAI a alloué à la recourante une rente entière d’invalidité dès le 1er mai 2021.
c. Le 4 juillet 2024, l’OAI a conclu à l’irrecevabilité du recours, lequel était prématuré.
d. Le 19 juillet 2024, la recourante a répliqué, en relevant que la motivation du projet de décision mentionnait la voie de recours.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.
En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références)
En l’occurrence, la décision querellée a certes été rendue postérieurement au 1er janvier 2022. Toutefois, le litige porte sur le départ du droit à la rente d’invalidité, dont il n’est pas contesté que le droit est né antérieurement à cette date, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021.
1.3 Selon l’art. 69 al. 1 let a LAI, en dérogation aux art. 52 et 28 de la LPGA, les décisions des offices AI cantonaux peuvent directement faire l’objet d’un recours devant le tribunal des assurances du domicile de l’office concerné. Quant aux préavis que l’office AI communique aux assurés, les parties peuvent faire part de leur observations les concernant dans un délai de 30 jours (art. 57a al. 1 et 3 LAI).
En l’occurrence, la recourante a saisi la chambre de céans d’un recours à l’encontre de la motivation du préavis de l’intimé du 13 février 2024. Cependant, l’intimé ayant rendu sa décision, soumise à recours, le 11 juin 2024 et la recourante ayant répliqué postérieurement à celle-ci, le 19 juillet 2024, en contestant sa teneur, il y a lieu de considérer qu’elle a recouru à l’encontre de la décision du 11 juin 2024, de sorte que son recours sera déclaré recevable.
2. Le litige porte sur le départ du droit à la rente entière d’invalidité de la recourante, l’intimé l’ayant allouée dès le 1er mai 2021 et la recourante y concluant dès le 30 juin 2019.
3.
3.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).
3.2 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.
Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).
Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).
3.3 En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.
4.
4.1 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2 et les références ; 125 V 256 consid. 4 et les références). En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).
Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).
Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.
4.2 Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; 125 V 351 consid. 3b/bb).
4.3 Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve ; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).
5. En l’occurrence, la recourante a déposé une première demande de prestations le 31 juillet 2018, laquelle a donné lieu à la décision de l’intimé du 10 décembre 2019, entrée en force. Le 30 novembre 2020, la recourante a déposé une deuxième demande de prestations (intitulée demande d’allocation pour impotent - API), que l’intimé a admis comme étant une demande de toute prestation d’invalidité, soit également d’une demande de rente d’invalidité.
En application de l’art. 29 al. 1 LAI, le droit à la rente d’invalidité de la recourante ne peut naitre que six mois plus tard, soit dès le 1er mai 2021, conformément à la décision de l’intimé du 11 juin 2024. C’est donc à juge titre que l’intimé à alloué à la recourante une rente d’invalidité dès le 1er mai 2021.
Par surabondance, il convient de relever que selon l’art. 28 al. 1 let. b LAI, l’assuré doit, pour avoir droit à une rente d’invalidité, avoir présenté une incapacité de travail d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable. Or, selon les pièces au dossier de la recourante, si celle-ci a bien présenté une totale incapacité de travail dans son poste habituel à l’IMAD, elle était considérée comme capable de travailler dans tout poste de travail qui ne soit pas à l’IMAD depuis mars 2018, ce qui ressort tant de l’arrêt de la CJCA précité, lequel précise que les parties admettent une capacité de travail totale de la recourante dans une activité hors IMAD, de l’expertise du Dr C______ du 17 septembre 2018, de l’avis du Dr D______ du 3 décembre 2018 et de celui du SMR du 30 octobre 2019. L’avis de la Dre E______ du 19 avril 2014, selon lequel le cancer du sein de la recourante, diagnostiqué en janvier 2020, s’était développé antérieurement, ne permet pas de mettre en cause le constat d’une capacité de travail de la recourante dans une activité adaptée, antérieurement à janvier 2020, ce d’autant que la Dre E______ ne se prononce pas sur la capacité de travail de la recourante.
C’est sur cette base que l’intimé a rejeté la première demande de prestations, par décision du 10 décembre 2019, d’ailleurs entrée en force. L’incapacité de travail totale de la recourante dans toute activité, admise par l’intimé dès le 1er février 2020, n’est ainsi pas contestable.
Au vu de ce qui précède, le droit à une rente entière d’invalidité est né le 1er mai 2021, fondé sur une incapacité de travail totale de la recourante dès le 1er février 2020 et une demande de prestations déposée le 30 novembre 2020.
6. Partant, le recours ne peut qu’être rejeté.
Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner la recourante au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. Le rejette.
3. Met un émolument de CHF 200.- à charge de la recourante.
4. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Adriana MALANGA |
| La présidente
Valérie MONTANI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le