Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/577/2024 du 17.07.2024 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/3847/2023 ATAS/577/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 17 juillet 2024 Chambre 8 |
En la cause
A______ représenté par Me Martin AHLSTROM
| recourant |
contre
OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE | intimé |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), qui a exercé la profession de steward de train de 2013 à 2017, a déposé une demande de prestations auprès de l’assurance-invalidité le 6 mai 2020. Il a indiqué être en incapacité totale de travail depuis août 2017 en raison de troubles neuropsychiatriques et bénéficier d’un suivi psychiatrique dispensé au CAPPI Eaux-Vives depuis 2018.
b. Relevant que l’assuré avait travaillé à plein temps jusqu’en août 2017, avant de percevoir les indemnités de l’assurance-chômage pendant deux années, puis d’être soutenu financièrement par l’Hospice général, l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI) a retenu un statut de personne active.
c. Le Docteur B______ avait attesté une incapacité de travail entière du 22 mars au 31 août 2017, de 50% jusqu’au 4 octobre 2017 et une reprise à plein temps dès cette date en raison de troubles somatiques et psychologiques (attestations du 29 août 2017 ; certificat du 4 octobre 2017).
d. La Docteure C______, spécialiste en médecine interne, endocrinologie et diabétologie, a attesté quant à elle une incapacité totale de travail dès le 18 mai 2018.
e. Appelée à se prononcer sur les répercussions de l’état de santé sur l’employabilité de l’assuré à la demande de l’assurance-chômage, la Docteure D______ a confirmé que l’assuré, qui déclarait ne plus pouvoir travailler dans le domaine du service, ni s’approcher des trains, n’était pas apte à reprendre une activité dans le service. Cette appréciation était à revoir une fois l’état psychique stabilisé. Une activité de type chauffeur n’était pas en adéquation avec l’état de santé non plus et le suivi thérapeutique et médicamenteux actuel n’était pas optimal. L’assuré était totalement incapable de travailler depuis la date de l’examen médical, soit le 19 février 2018, en raison d’un trouble psychiatrique non traité.
f. Le Docteur E______, spécialiste en neurologie, a rendu un rapport le
14 juin 2018 suite à deux épisodes de tremblements diffus des quatre membres. Il n’a pas pu en déterminer l’origine, mais a exclu – sous réserve d’une confirmation par IRM – une origine épileptique ou neurologique en général, tout en faisant état d’une très probable origine psychique. Il a également posé le diagnostic de légère polyneuropathie sensitivo-motrice essentiellement axonale longueur-dépendante des membres inférieurs a priori d’origine diabétique. Il a également fait état d’un diabète de type II non insulinorequérant depuis 2012 et d’un état dépressif.
g. La psychiatre traitante de l’assuré, la Docteure F______, a mentionné, à l’attention du médecin-conseil de l’office cantonal de l’emploi, une suspicion de dépression sévère avec symptômes psychotiques. Elle avait introduit un traitement médicamenteux. La capacité de travail était, selon ce médecin, nulle depuis le
17 août 2018. Elle a confirmé son avis dans un rapport du 6 mai 2020 à l’attention de l’assureur-maladie.
h. La Docteure G______, médecin traitante spécialiste en médecine interne, endocrinologie et diabétologie, a exposé que l’assuré souffrait de diabète de type 2, nécessitant une consultation mensuelle en podologie et un régime alimentaire spécifique (certificats des 1er janvier et 1er avril 2020). Dans un rapport du 23 juin 2020 à l’attention de l’OAI, elle posé les diagnostics de diabète de type 2 difficilement compensé, état dépressif sévère avec symptômes psychotiques et polyneuropathie des membres inférieurs. S’agissant de l’incapacité de travail, elle a renvoyé à la Dre F______, psychiatre.
i. Le 3 juillet 2020, la Dre F______ a posé le diagnostic d’état dépressif sévère avec symptômes psychotiques (F32.3). Elle a fait état d’une tension interne importante, d’une légère accélération psychomotrice, d’une hypervigilance, sans trouble mnésique. Il y avait une diminution de la concentration, une thymie triste avec idées noires et perte de l’élan vital. Le discours était imprégné d’idée délirante de persécution. Elle a également fait état d’hallucinations auditives menaçantes. Elle a décrit un patient vivant replié sur lui-même, avec retrait social. Il n’avait ni ami, ni réseau aidant. Ses seules activités sociales étaient les rendez-vous médicaux, en raison du repli sur soi et des hallucinations menaçantes, lesquelles étaient à l’origine d’une perte de contact avec la réalité assez récurrente. Le contact avec autrui était difficile, suscitant beaucoup d’agressivité et une grande irritabilité pouvant générer des conflits (tant physiques que psychologiques). La capacité de travail était nulle depuis le 17 août 2018, car le patient était décompensé sur le plan psychiatrique. La compliance était jugée bonne.
j. L’assuré a séjourné à la Clinique H______ du 28 mai au 15 juin 2020. Le Docteur I______, médecin interne, a confirmé le diagnostic d’épisode dépressif sévère avec symptômes psychotiques, et mentionné également un état de stress post-traumatique. En raison de la péjoration de l’état de santé en cours de séjour (recrudescence d’hallucinations auditives envahissantes avec un discours dévalorisant et parfois injonction auto-agressive), le traitement psychotrope avait été augmenté. Une amélioration clinique a, par la suite, été constatée en raison de l’adhésion à la prise en charge proposée. Le patient rapportait une amélioration de son sommeil et une diminution de la fréquence et de l’intensité des idées noires ainsi que de l’angoisse. Une augmentation de la prise en charge ambulatoire à la sortie sollicitée par l’assuré était soutenue par le médecin.
k. Le Service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR) s’est prononcé le 7 octobre 2020 sous la plume des Docteures J______ et K______. Ces médecins ont considéré, sur la base des avis médicaux au dossier, y compris ceux réunis par l’assurance-chômage, que l’assuré présentait vraisemblablement une atteinte psychiatrique grave depuis mars 2017. La symptomatologie était aiguë et ce malgré un traitement antidépresseur et antipsychotique. La situation devait par conséquent être réévaluée trois mois plus tard.
l. Le 28 octobre 2020, la Dre F______ a signalé une amélioration partielle depuis environ trois mois, permettant de réviser le diagnostic, qui était désormais un état dépressif modéré (F32.1). Elle a ajouté que le patient risquait de sombrer à nouveau dans la dépression en cas d’absence d’activité, du fait de son isolement social. Des mesures de réadaptation lui paraissaient par conséquent indiquées.
m. Le nouveau psychiatre traitant, le Docteur L______, a répondu aux questions de l’OAI le 15 février 2021. L’assuré présentait une activité psychomotrice fluctuante, avec parfois une agitation et une accélération modérée. La thymie était également fluctuante, des moments de tristesse en pleurs et d’irritabilité manifeste avec tension interne s’alternant avec des moments de thymie neutre. La motivation et l’élan vital étaient nettement diminués chez un patient qui décrivait une aboulie, une baisse importante de l’estime de soi et de la capacité à ressentir du plaisir. Son isolement social s’intensifiait. Le discours était concentré sur le mal-être général avec pessimisme. Quant au contenu de la pensée, il y avait des ruminations anxieuses autour de la situation actuelle. Il n’y avait pas d’élément décelable de la lignée psychotique, ni d’attitude d’écoute. En revanche, le médecin notait des idées de culpabilité non-délirantes, un sentiment de désespoir fluctuant concernant l’avenir et des idées de mort passive étaient verbalisées de manière persistante depuis 2018. Depuis le 3 novembre 2020, l’état était stationnaire. L’assuré présentait une tension interne, des troubles de l’attention et de la concentration, une aboulie et une anhédonie. Il était incapable d’exercer une activité professionnelle, car sa capacité d’adaptation était fortement réduite, le moindre changement augmentant l’anxiété avec une intolérance à la frustration manifeste.
n. La Dre J______, du SMR, a estimé qu’une expertise psychiatrique devait être réalisée. Celle-ci a été confiée au Professeur M______.
o. Dans son rapport du 21 septembre 2021, l’expert psychiatre a posé les diagnostics de modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (F62.0) dès 2005, de dysthymie (F34.1) dès 2017 et de traits de personnalité narcissique (Z73.1) dès le début de l’âge adulte. Sans répercussion sur la capacité de travail, il a également noté un trouble mixte des acquisitions scolaires (F81.3) dès l’enfance, ainsi qu’une majoration des symptômes physiques pour des raisons psychologiques (F68.0) dès 2020. Il a considéré que la capacité de travail dans l’activité exercée en dernier lieu, soit celle de steward dans les trains, était nulle, sans évolution possible à moyen terme. Dans une activité adaptée, soit un travail ritualisé en solitaire et impliquant peu d’interactions hiérarchiques, la capacité de travail était de 60% au maximum sans diminution de rendement. Une évolution positive était écartée en raison de la situation clinique figée.
Au status clinique, l’expert a fait état d’un homme ralenti, établissant un contact froid avec une attitude de mise à distance, mais sans méfiance. Par moments visiblement agacé, l’assuré contrôlait son expression verbale, mais la tension interne était perceptible. Le discours était factuel, inauthentique avec de multiples contradictions et peu habité sur le plan affectif. Il était centré sur la souffrance actuelle. L’assuré, qui avait assisté à la noyade de 25 personnes lors de son passage clandestin du Maroc en Espagne en 1990, ainsi qu’à deux suicides sur les voies de chemin de fer durant son travail (en 2013 et 2016), était désormais focalisé sur le conflit conjugal et la procédure de divorce. Il s’estimait incapable de reprendre une activité professionnelle en raison de son irritabilité, de son intolérance à autrui et de ses troubles de concentration. L’expert a noté une thymie triste et une légère baisse de l’élan vital, sans aboulie ni anhédonie. Il n’y avait pas de sentiment de dévalorisation, d’inutilité ou de culpabilité, ni d’idées noires ou d’idéation suicidaire. Le sommeil était mauvais en raison de ruminations et l’humeur morose avec une vision pessimiste de l’avenir. L’expert a également noté une forte irritabilité qui prenait un caractère prédominant lorsque l’assuré était contrarié ou remis en question, ainsi qu’une fatigue intense et une tendance au repli sur soi. Il n’y avait pas d’anxiété, pas d’arguments en faveur d’un trouble anxieux constitué et aucun élément en faveur d’un stress post-traumatique.
S’agissant de la personnalité, le Moi était surinvesti, mais en retrait dans une position de protection sur un plan narcissique. Les relations objectales étaient très peu investies. L’assuré présentait une nette intolérance à la critique et de faibles capacités de mentalisation.
L’évaluation neuropsychologique avait mis en évidence un fonctionnement intellectuel homogène très faible avec des difficultés généralisées sur le plan de la mémoire et sur le plan exécutif (avec toutefois de bonnes compétences d’organisation et de planification). Un ralentissement général était observé, ainsi que des difficultés dans les dimensions de l’inattention, de l’attention soutenue et du maintien de la vigilance, sans signe d’impulsivité. Enfin, l’épreuve de validation des symptômes, permettant de déterminer une éventuelle exagération, concluait à un biais de réponse.
L’expert a pris note des considérations du psychiatre traitant, lequel faisait état d’une péjoration thymique depuis août 2021 avec des idées suicidaires plus intrusives en lien avec des dettes au Maroc. Le suivi avait par conséquent été intensifié, et les doses de Venlafaxine augmentées. Auparavant, l’état de santé avait été stationnaire depuis le début de la prise en charge par le Dr L______.
Concernant l’interaction des diagnostics et l’évolution, l’expert a expliqué que l’assuré avait présenté des troubles des acquisitions scolaires avec de multiples redoublements et un arrêt de la scolarité à 12 ans. Il a retenu une réaction post-traumatique en 1990 durant deux ans suite à la catastrophe survenue lors de l’immigration en Espagne. L’assuré avait depuis lors développé une irritabilité, une tendance au repli et un détachement affectif. Son discours était cependant contradictoire, car il mentionnait pour la période 1998-2009 des promotions en Espagne. Il avait en outre été capable de se marier et d’avoir deux enfants. En 2005, alors que ceux-ci et l’épouse étaient rentrés au pays, la perte d’un ami survivant de la traversée de 1990 avait amené une résurgence du vécu traumatique motivant pour la première fois une demande de soutien psychiatrique. L’assuré était depuis devenu irascible et hostile au rapprochement, tout en affirmant, de manière contradictoire, que la période 2005-2008 avait été bonne, avec l’obtention de la nationalité espagnole. Une modification durable de la personnalité était retenue depuis 2005, avec hostilité face à autrui, méfiance, détachement affectif et irritabilité. Celle-ci n’avait pas empêché l’assuré de tenir un emploi et d’obtenir des promotions en Espagne. L’assuré, de personnalité aux traits narcissiques, s’était retrouvé en échec après sa venue en Suisse dans un travail peu gratifiant. Cette évolution, à laquelle s’étaient ajoutés le conflit de couple et l’éloignement des enfants, était à l’origine d’une décompensation dépressive sévère qui avait duré de 2017 à 2020. À fin 2020, une amélioration clinique était notée et seule une dysthymie était aujourd’hui présente, les critères d’un épisode dépressif n’étant de loin pas remplis. L’expert considérait également que l’analyse à laquelle il avait procédé montrait une majoration nette des symptômes chez un homme décidé à ne pas retravailler, compte tenu de son hostilité face à autrui et des troubles de la concentration. La situation d’un point de vue social et de la capacité de travail était inchangée depuis fin 2020.
L’ensemble des diagnostics excluait un travail en milieu usuel (même en tenant compte de la majoration des symptômes). Dans une activité adaptée (travail en solitaire, avec peu d’interactions hiérarchiques) en économie libre et sous suivi psychiatrique, la capacité de travail était au maximum de 60% dès octobre 2020, sans diminution de rendement. Une diminution de la capacité de travail de 20% tenant compte de la majoration des symptômes observée était à mettre sur le compte de la modification durable de la personnalité, et un 20% supplémentaire devait être reconnu en raison de la dysthymie, les traits de personnalité n’étant pas invalidants dans un cadre adapté.
Le traitement médicamenteux était approprié. L’assuré faisait preuve d’une bonne collaboration de surface, mais présentait une difficulté marquée à suivre les objectifs thérapeutiques, car il s’installait dans une position de victime.
Procédant à une analyse de la cohérence, le médecin a relevé que le tableau clinique n’était pas cohérent avec des signes nets de majoration des symptômes et de nombreuses incohérences dans le discours anamnestique. L’assuré était aidé pour la plupart de ses démarches administratives et pour certaines activités de la vie quotidienne, alors qu’il était capable de voyager pour défendre ses intérêts au Maroc (dépôt d’un recours sur place en 2021) et se montrait très fixé sur la protection de son patrimoine, menacé par son épouse.
Les indicateurs relatifs aux capacités et ressources étaient négatifs. Il y avait des traits de personnalité dysfonctionnels, une modification durable de la personnalité, une atteinte psycho-développementale, un milieu familial néfaste et non soutenant actuellement, une absence de vie sociale et une atteinte partielle des activités de la vie quotidienne. La mobilisation des capacités de résilience existantes était peu probable en raison du défaut de motivation.
Enfin, une évolution positive à moyen terme était exclue en présence d’une situation clinique figée.
p. Dans un avis du 8 avril 2022, le Docteur N______, médecin auprès du SMR, a considéré que l’expertise du Pr M______ était convaincante. Il a retenu un état dépressif sévère avec symptômes psychotiques dès mars 2017, moyen dès octobre 2020 et une dysthymie dès août 2021, ainsi qu’une atteinte durable de la personnalité après une expérience de catastrophe dès 2005. La capacité de travail était nulle dans toute activité dès mars 2017 et le demeurait dans l’activité habituelle de steward dans les trains. Elle était en revanche de 60% dès octobre 2020 dans une activité adaptée, consistant en un travail solitaire ritualisé avec peu d’interactions hiérarchiques. La résistance au stress et la capacité d’adaptation étaient par ailleurs restreintes.
q. Le service de réadaptation de l’OAI a été mandaté afin de déterminer dans quel milieu la capacité de travail résiduelle de l’assuré était exploitable. Après avoir déclaré souhaiter participer à une mesure d’orientation sous la forme d’un stage, l’assuré n’avait plus donné de nouvelles et n’avait plus été joignable. La réadaptatrice a dès lors considéré qu’il ne remplissait ni les conditions objectives, ni les conditions subjectives d’octroi de mesures d’ordre professionnel. Se fondant sur l’extrait de compte individuel, elle a constaté que l’assuré ne percevait aucun revenu au moment du début de l’incapacité de travail en mars 2017. Elle a donc estimé inutile de procéder à un calcul chiffré du taux d’invalidité, les revenus avec et sans invalidité se confondant, car tous deux basés sur les salaires statistiques selon l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ci-après : ESS). Elle a ainsi retenu une perte de gain de 40%.
r. En date du 13 mars 2023, l’OAI a rendu un projet de décision par lequel il a informé l’assuré de son intention de lui accorder une rente entière d’invalidité du 1er novembre au 31 décembre 2020, puis un quart de rente basé sur un degré d’invalidité de 40%, en raison de l’amélioration de l’état de santé à compter de janvier 2021.
s. L’OAI a confirmé sa position par décision du 19 octobre 2023.
B. a. Par acte du 20 novembre 2023, l’assuré, sous la plume de son conseil, a interjeté recours contre cette décision, concluant à son annulation et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 100%, subsidiairement de 70%. À titre plus subsidiaire, il a conclu au renvoi de la cause à l’intimé pour nouvelle décision.
En substance, il a contesté l’amélioration de son état de santé, faisant valoir qu’il se trouvait toujours en incapacité totale de travail. Il a produit un avis de son nouveau psychiatre traitant, le Docteur O______, du 6 novembre 2023, dans lequel ce médecin faisait état d’un diagnostic d’épisode dépressif modéré (chronique) (F32.2) et mentionnait une humeur déprimée modérée, des angoisses, une anhédonie, une baisse de l’élan vital et de la motivation, une fatigue, une insomnie, des troubles de la concentration et de la mémoire ainsi qu’une baisse importante de l’appétit et de l’estime de soi, avec de temps en temps des idées suicidaires. Le recourant a également produit un avis du 12 juin 2023 du
Dr L______, lequel a mentionné une dysthymie durable en légère amélioration depuis l’introduction d’un nouvel antidépresseur, des symptômes de syndrome post-traumatique (cauchemars en lien avec le traumatisme provoquant des insomnies, altération négative des cognitions et de l’humeur) sans que tous les critères soient remplis pour retenir le diagnostic, ainsi qu’un trouble de la personnalité mixte avec des traits narcissiques, impulsifs et dyssociaux, diagnostic prépondérant actuellement. Se basant sur les dires de son patient, il a fait état de limitations fonctionnelles sous la forme de difficultés interpersonnelles majeures (irritabilité, faible tolérance à la frustration), de difficultés de concentration et d’apraxie graphique, ainsi que d’une anxiété présente dès le début de la journée nécessitant la prise de réserves de Quétiapine. Il a ajouté que les diagnostics, les limitations fonctionnelles et relationnelles mentionnées dans l’expertise du Pr M______ étaient toujours d’actualité, l’état du patient étant globalement stationnaire du point de vue de la dysthymie, malgré une légère amélioration liée au changement d’antidépresseur. Les traits de personnalité pathologiques étaient stables dans le temps et contribuaient aux difficultés de réinsertion professionnelle.
b. Dans sa réponse du 19 décembre 2023, l’intimé a conclu au rejet du recours, se référant à un avis du 14 décembre 2023 de la Docteure P______, médecin du SMR, s’agissant de l’aspect médical.
c. Le recourant a dupliqué par pli du 19 janvier 2024. Sur la base d’un avis du
12 décembre 2023 du Dr O______, il a fait valoir que son état clinique ne s’était pas amélioré en 2021, et qu’il ne s’agissait ni d’une dysthymie, ni d’un trouble de la personnalité mixte.
d. La cause a été gardée à juger.
1. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
2. La modification du 21 juin 2019 de la LPGA entrée en vigueur le 1er janvier 2021 est applicable au présent litige, dès lors que le recours n’était pas encore pendant à cette date (art. 82a LPGA a contrario).
3. Le recours a été déposé dans les forme et délai légaux (art. 56ss LPGA), de sorte qu’il est recevable.
4. Le litige porte sur la quotité de la rente versée au recourant au-delà du
31 décembre 2020, dans le cadre de l’examen d’une première demande de rente d’invalidité.
5.
5.1 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du
19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 75).
En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est, en principe, celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire, étant précisé que le juge n’a en principe pas à prendre en considération les modifications du droit postérieures à la date déterminante de la décision administrative litigieuse (ATF 136 V 24
consid. 4.3 et la référence).
Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2).
Selon la jurisprudence, la décision par laquelle l’assurance-invalidité accorde une rente d’invalidité avec effet rétroactif et, en même temps, prévoit l’augmentation, la réduction ou la suppression de cette rente, correspond à une décision de révision au sens de l’art. 17 LPGA (ATF 130 V 343 consid. 3.5.2 ; ATF 125 V 413 consid. 2d et les références). Tout changement important des circonstances propres à influencer le degré d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l’art. 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 130 V 343 consid. 3.5 ; ATF 113 V 273 consid. 1a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_1006/2010 du 22 mars 2011 consid. 2.2).
5.2 En l’occurrence, la décision querellée est postérieure au 1er janvier 2022, mais elle concerne le droit à une rente d’invalidité née le 1er novembre 2020 (demande tardive), avec des changements de circonstances pouvant être survenus en octobre 2020, de sorte que c’est le droit en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 qui est applicable.
6.
6.1 Est réputée invalidité, l’incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d’une infirmité congénitale, d’une maladie ou d’un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d’une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).
6.2
6.2.1 Le marché du travail équilibré est une notion théorique, de sorte que l’on ne peut pas supposer à la légère que la capacité résiduelle de travail est inutilisable (arrêts du Tribunal fédéral 8C_442/2019 du 20 juillet 2019 consid. 4.2 et 9C_485/2014 du 28 novembre 2014 consid. 3.3.1). Lorsqu’il s’agit d’examiner dans quelle mesure un assuré peut encore exploiter économiquement sa capacité de gain résiduelle sur le marché du travail entrant en considération pour lui (art. 16 LPGA), on ne saurait subordonner la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain à des exigences excessives. Il s’ensuit que pour évaluer l’invalidité, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s’il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail lorsque les places de travail disponibles correspondent à l’offre de la main d’œuvre (VSI 1998 p. 293). On ne saurait toutefois se fonder sur des possibilités de travail irréalistes. Il est possible de s’écarter de la notion de marché équilibré du travail lorsque, notamment, l’activité exigible au sens de l’art. 16 LPGA ne peut être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existe quasiment pas sur le marché général du travail ou que son exercice impliquerait de l’employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semble exclu de trouver un emploi correspondant (arrêts du Tribunal fédéral 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4 2 et 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3.2). Le caractère irréaliste des possibilités de travail doit alors découler de l’atteinte à la santé – puisqu’une telle atteinte est indispensable à la reconnaissance d’une invalidité (cf. art. 7 et 8 LPGA) – et non de facteurs psychosociaux ou socioculturels qui sont étrangers à la définition juridique de l’invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_175/2017 du 30 octobre 2017
consid. 4.2).
6.2.2 D’après ces critères, il y a lieu de déterminer dans chaque cas et de manière individuelle si l’assuré est encore en mesure d’exploiter une capacité de travail résiduelle sur le plan économique et de réaliser un salaire suffisant pour exclure une rente. Ni sous l’angle de l’obligation de diminuer le dommage, ni sous celui des possibilités qu’offre un marché du travail équilibré aux assurés pour mettre en œuvre leur capacité de travail résiduelle, on ne saurait exiger d’eux qu’ils prennent des mesures incompatibles avec l’ensemble des circonstances objectives et subjectives (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1066/2009 du 22 septembre 2010 consid. 4.1 et la référence).
7.
7.1.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l’art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l’art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d’une état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l’assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l’assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).
7.1.2 Il y a lieu d’examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d’une procédure structurée d’administration des preuves à l’aide d’indicateurs (ATF 141 V 28), car celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. La question des effets fonctionnels d’un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d’une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu’il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n’est pas le cas, la preuve d’une limitation de la capacité de travail invalidante n’est pas rapportée et l’absence de preuve doit être supportée par le personne concernée (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et ATF 143 V 418 consid. 6 et 7).
Même si un trouble psychique, pris séparément, n’est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l’appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n’est pas invalidante, mais peut l’être lorsqu’elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).
Il convient dorénavant d’évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d’une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d’autre part, les potentiels de compensation (ressources), à l’aide des indicateurs développés par le Tribunal fédéral.
Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu’ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement.
7.1.3 Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective.
La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel la CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 et 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).
Ce diagnostic doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Il suppose l’existence de limitations fonctionnelles dans tous les domaines de la vie (tant professionnelle que privée). Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 et 2.2). Ainsi, si les limitations liées à l’exercice d’une activité résultent d’une exagération des symptômes ou d’une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l’absence d’une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d’assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les difficultés décrites et le comportement observé, l’allégation d’intenses difficultés dont les caractéristiques demeurent vagues, l’absence de demande de soins, les grandes divergences entres les informations fournies par le patient et celles ressortant de l’anamnèse, le fait que les plaintes très démonstratives laissent insensibles l’expert, ainsi que l’allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (cf. ATF 131 V 49 consid. 1.2).
7.2 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d’autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 125 V 261 consid. 4). La tâche du médecin dans le cadre d’une révision de la rente selon l’art. 17 LPGA consiste avant tout à établir l’existence ou non d’une amélioration de l’état de santé de l’assuré en comparant les faits tels qu’ils se présentaient au moment de la décision initiale avec la situation au moment de l’examen (ATF 125 V 369 consid. 2).
7.3 Selon le principe de la libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit sa provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en plein connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 125 V 351 consid. 3).
Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d’observations approfondies et d’investigations complètes, ainsi qu’en pleine connaissance du dossier, et que l’expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu’aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; ATF 125 V consid. 3b/bb).
En cas de divergence entre experts et médecins traitants, il n’est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s’apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu’au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l’administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n’en va différemment que si ces médecins traitants font état l’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l’expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références).
Un rapport du SMR a pour fonction d’opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu’il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d’une expertise médicale (art 44 LPGA) ou d’un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C _542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l’office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve ; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).
8. En l’espèce, le recourant conteste les conclusions de l’expertise psychiatrique du 21 septembre 2021, singulièrement s’agissant de l’amélioration de son état de santé à compter d’octobre 2020. Il convient donc d’examiner la valeur probante de cette expertise.
8.1 Le Pr M______ a rendu son rapport après s’être entretenu à trois reprises avec l’assuré, avoir pris connaissance du dossier, sollicité des renseignements auprès du psychiatre traitant et fait procéder à une évaluation neuropsychologique. Il a posé des diagnostics selon la CIM-10 et les a clairement motivés, en mentionnant notamment les différents critères présents et ceux faisant défaut, ainsi que leur évolution du point de vue de la gravité. L’analyse des plaintes, les constatations objectives cliniques, ainsi que les conclusions du bilan neuropsychologique, lequel comprenait un test de validation des symptômes, ont permis à l’expert de retenir une majoration de ces derniers. Le recourant s’était installé dans une position victimaire et même s’il était aidé pour l’administratif et certaines tâches de la vie courante, il était en mesure de se déplacer seul, de voyager au Maroc et de défendre ses intérêts conjugaux et financiers, ce qui excluait une incapacité totale de travail au moment de l’expertise (examen de la cohérence). Les indicateurs standards permettant d’évaluer la gravité de l’atteinte ont été analysés de manière complète et convaincante. L’amélioration de l’état de santé qu’il avait retenue à compter d’octobre 2020 était corroborée par les constatations des médecins traitants du CAPPI, et avait été confirmée sur le long terme – avec la mention d’une recrudescence provisoire des idéations suicidaires en août 2021 ayant justifié une adaptation de la médication – par le Dr L______. Ce médecin a d’ailleurs exprimé, dans un rapport produit par le recourant, que les conclusions de l’expert étaient toujours d’actualité. L’exagération des symptômes a été discutée et il en a été tenu compte dans l’appréciation de la capacité de travail, laquelle avait été exposée en fonction des interactions des diverses pathologies.
C’est par conséquent à bon droit qu’une amélioration de l’état de santé et de la capacité de travail a été reconnue à partir d’octobre 2020, dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, étant précisé que du point de vue de l’expert (confirmé par les médecins du SMR), l’état dépressif modéré n’avait pas une influence plus importante sur la capacité de travail que la dysthymie présente au moment de l’examen.
8.2 Le nouveau psychiatre traitant a certes fait état d’un certain nombre de symptômes dont une partie n’a pas été constatée par l’expert. Cependant, une bonne partie desdits symptômes repose sur les déclarations de son patient dont il est établi qu’il a une tendance à l’exagération. Or, le médecin traitant ne remettra pas en cause la véracité des plaintes de son patient en raison du lien thérapeutique. Il convient donc de les interpréter avec retenue, ce d’autant que le diagnostic retenu par le Dr O______ – un épisode dépressif modéré – est celui ayant justifié la reconnaissance d’une amélioration de l’état de santé du recourant à fin 2020, tant par l’expert que par les précédents psychiatres traitants. Pour le surplus, le
Dr O______ se limite à écarter les diagnostics posés par l’expert sans prendre la peine d’en exposer les raisons. En pareilles circonstances, le rapport d’expertise ne saurait être sérieusement remis en question, en tous les cas de façon globale, et en particulier sur les diagnostics et la capacité de travail retenus.
8.3 C’est donc à juste titre que le SMR a considéré que l’expertise avait pleine valeur probante et s’est fondé en grande partie sur ses conclusions pour établir son évaluation finale. Cela étant, la chambre de céans considère que le SMR a omis d’examiner la question d’une baisse de rendement, et ce quand bien même l’expert n’en a pas fait état (cf., consid. 7.2 i.f. supra sur le rôle du SMR). En effet, non seulement l’expertise n’est pas motivée sur ce seul point spécifique, mais l’expert mentionne, dans ses constatations cliniques, un homme présentant un ralentissement général. Cette constatation n'est non seulement pas remise en question dans le cadre de la majoration des symptômes évoquée par l’expert, mais elle est corroborée par l’évaluation neuropsychologique. Dans ces circonstances, on voit mal comment le recourant pourrait mettre à profit la capacité résiduelle de travail évaluée par l’expert sans diminution de rendement supplémentaire, ce d’autant qu’il est établi qu’il ne dispose pas d’un potentiel de compensation des limitations fonctionnelles (absence de ressources).
La cause sera par conséquent retournée à l’intimé pour instruction complémentaire sur ce premier point (arrêt de la chambre de céans ATAS/818/2023 du 26 octobre 2023 consid. 17.1 et les références), pour autant que cela se révèle nécessaire, comme cela sera exposé ci-après.
9.
9.1 Reste à examiner la manière dont l’intimé a évalué le taux d’invalidité du recourant, quand bien même ce dernier ne fait valoir aucune critique à ce propos.
9.2 L’OAI a tout d’abord nié le droit à des mesures d’ordre professionnel, en raison du défaut des conditions objectives et subjectives posées à l’octroi de telles mesures. Constatant que l’extrait de compte individuel du recourant ne faisait état d’aucun revenu en mars 2017 (début de l’incapacité de travail durable), il a retenu, tant pour le revenu sans invalidité que pour celui avec invalidité dans une activité adaptée, un salaire hypothétique selon l’ESS (total, pour un homme, sans qualifications spécifiques). Il a donc renoncé à chiffrer les revenus qui étaient identiques et a déterminé la perte de gain sur la base de l’incapacité médico-théorique, fixant le moment de la diminution de la rente d’invalidité trois mois après l’amélioration de l’état de santé.
9.3 Le refus des mesures d’ordre professionnel, de même que la fixation du moment à partir duquel la rente devait subir une éventuelle modification sont conformes au droit (art. 8 al. 1 LAI ; art. 88a al. 1 phr. 2 RAI), vu le défaut d’aptitude subjective à la réadaptation manifeste du recourant et le caractère potentiellement évolutif (de manière négative exclusivement) de la dysthymie.
9.4 Il n’en va en revanche pas de même de l’établissement du revenu sans invalidité.
Celui-ci doit en effet correspondre au revenu de l’activité lucrative que la personne pourrait toucher si elle n’était pas atteinte dans sa santé et il doit être déterminé, en principe, à l’aide du revenu de l’activité lucrative effectivement réalisé juste avant la survenance de l’invalidité.
En l’espèce, l’extrait de compte individuel est certes muet sur d’éventuels revenus en mars 2017. Cependant, il est constant que le recourant était à l’époque au bénéfice d’indemnités journalières maladie en tant qu’employé d’Q______, son contrat de travail ayant pris fin en août 2017. Le revenu sans invalidité devait par conséquent être déterminé sur la base du revenu brut que lui aurait versé son employeur s’il n’avait pas été en incapacité de travail. L’instruction nécessite un complément sur ce point également.
9.5 Quant au revenu avec invalidité, l’intimé n’a absolument pas motivé la raison pour laquelle il s’est fondé sur le revenu statistique pour des hommes exerçant des activités simples et répétitives, tous domaines confondus.
Il convient ici de rappeler que le recourant dispose d’une capacité résiduelle de travail dans une activité solitaire et ritualisée, avec peu d’interactions hiérarchiques (expertise du Pr M______). Sa capacité d’adaptation et sa résistance au stress sont également restreintes (avis du SMR du 8 avril 2022). L’activité habituelle de steward dans les trains, pourtant solitaire et avec peu de contacts hiérarchiques, a été considérée par l’expert comme non adaptée, en raison des contacts avec la clientèle, selon toute vraisemblance. Par ailleurs, l’expertise psychiatrique a également mis en évidence (tests neuropsychologiques) un fonctionnement intellectuel très faible avec des déficits de la mémoire et des déficits attentionnels.
L’activité adaptée devant être ritualisée, seules des activités simples et répétitives sont susceptibles d’entrer en considération.
La chambre de céans voit toutefois mal comment un assuré devant travailler en solitaire, soit sans contact ni avec des collègues ni avec des tiers, pourrait travailler dans les domaines de l’industrie, de la restauration, de la réception ou de la vente. Les activités de bureau ne semblent par ailleurs pas indiquées au vu des déficits intellectuels constatés. Quant aux activités de surveillance, elles apparaissent également inadaptées, en raison de la nécessité de réagir correctement à un imprévu (intrusion de tiers dans la zone surveillée notamment), vu le caractère colérique et irascible du recourant, sa faible résistance au stress et sa capacité d’adaptation limitée. À l’instar de ce que le Tribunal fédéral a retenu dans le cas, relativement similaire, d’une assurée souffrant d’une personnalité borderline et qui avait besoin de pouvoir fonctionner de manière parfaitement autonome et en dehors de toute pression extérieure, dans un environnement protégé et confiné, on peut sérieusement se poser la question de savoir si le recourant est en mesure d’offrir ce qu’on est en droit d’attendre d’un travailleur dans des rapports de travail qualifiés de normaux. En effet, notre Haute Cour a rappelé qu’à la différence de simples fluctuations conjoncturelles, les modifications structurelles que peut connaître le marché du travail sont des circonstances dont il y a lieu de tenir compte en matière d’assurance-invalidité. La structure actuelle du marché du travail n’offre plus les conditions qui permettaient à une personne souffrant de limitations fonctionnelles telles que celles décrites de trouver un emploi au début des années nonante. L’augmentation de la productivité au sein des entreprises, la pression sur la rentabilité ou encore les nécessités liées à la maîtrise des coûts salariaux pèsent sur les salariés qui doivent désormais faire preuve d’engagement et d’efficacité, s’intégrer dans une structure d’entreprise et, partant, montrer des facultés d’adaptation importantes. Le marché du travail ne présente plus une souplesse suffisante permettant, tant bien que mal, d’intégrer en son sein un assuré souffrant de troubles constituant un obstacle irrémédiable à la reprise d’une activité lucrative salariée au regard des conditions actuelles du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_984/2008 du 4 mai 2009 et les références).
Eu égard aux considérations qui précèdent, se pose la question de savoir s’il existe un éventail suffisant d’activités simples et répétitives adaptées aux limitations fonctionnelles du recourant, peu stressantes et ne nécessitant pas ou que peu de capacités d’adaptation. Dans le cas particulier et compte tenu de l’importance des limitations fonctionnelles, la chambre de céans est d’avis que l’intimé aurait dû déterminer si le recourant est encore concrètement à même d’exploiter sa capacité de travail résiduelle sur le marché du travail et de réaliser un revenu suffisant pour exclure le droit à une rente entière d’invalidité. L’intimé s’est manifestement passé de cet examen. La cause lui sera donc renvoyée, afin qu’il détermine les activités concrètement envisageables compatibles avec les limitations fonctionnelles reconnues, et qu’il se prononce sur l’employabilité du recourant sur le marché équilibré du travail tel qu’il se présente aujourd’hui, compte tenu des exigences rappelées ci-dessus. Si l’intimé arrive à la conclusion que le recourant est encore employable en regard des conditions structurelles du marché du travail et qu’il existe suffisamment de postes adaptés à ses limitations fonctionnelles, il lui appartiendra alors de compléter l’instruction sur les points évoqués plus haut (baisse de rendement ; détermination du revenu sans invalidité) et procéder au calcul du taux d’invalidité en se prononçant également sur un éventuel abattement sur le revenu avec invalidité. Si l’OAI devait en revanche arriver à la conclusion qu’il n’existe pas un nombre suffisant d’activités raisonnablement exigibles et/ou que le recourant n’est plus employable au regard des critères du marché du travail actuel, une rente entière devra lui être accordée au-delà du 31 décembre 2020.
10. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la décision querellée annulée, la cause étant renvoyée à l’intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants.
11. Le recourant, qui obtient partiellement gain de cause, est assisté d’un mandataire professionnellement qualifié. Il a dès lors droit à des dépens, qui seront présentement fixés à CHF 1'800.- (art. 61 let. g LPGA).
12. Pour le surplus, la procédure en matière d’assurance-invalidité n’est pas gratuite (art. 69 al. 1bis LAI). Un émolument de CHF 200.- sera mis à charge de l’intimée.
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision de l’intimé du 19 octobre 2023.
4. Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.
5. Alloue au recourant, à charge de l’intimé, une indemnité de CHF 1'800.- pour ses dépens.
6. Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.
7. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Pascale HUGI |
| La présidente suppléante
Laurence PIQUEREZ |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le