Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/525/2022

ATAS/530/2024 du 27.06.2024 ( LAA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/525/2022 ATAS/530/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 27 juin 2024

Chambre 3

 

En la cause

A______

représentée par SWISS CLAIMS NETWORK SA, mandataire

 

recourante

 

contre

CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS – SUVA

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née en 1969, travaillait pour plusieurs employeurs pour un total d’environ 20 h./sem. en tant qu’employée domestique, lorsque, le 3 décembre 2014, elle a été victime d’un accident dans le cadre de son activité professionnelle : alors qu’elle ramassait des feuilles mortes à l’aide d’un tracteur, celui-ci s’est coincé. En voulant le débloquer, l’assurée s’est blessée à la main droite. Elle a été conduite aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), où les diagnostics d’amputation de la deuxième phalange du troisième doigt et de la troisième phalange du cinquième doigt, ainsi que de fracture comminutive avec délabrement des tissus mous du quatrième doigt au niveau des deux premières phalanges de la main droite ont été posés, étant précisé que l’assurée est droitière.

b. L’assurée a par la suite rapidement développé des troubles psychiques importants, puisque, le 19 janvier 2015, elle a été admise au Département de santé mentale et de psychiatrie des HUG. Le docteur B______, interne, a indiqué un début de suivi au centre de thérapies brèves pour des troubles de l’humeur. La patiente souffrait d’un état anxio-dépressif post‑accident après une amputation de plusieurs doigts de la main droite, d’un syndrome post-traumatique (cauchemars et irritabilité) et elle rencontrait des problèmes relationnels avec son mari.

c. Ont été versés au dossier, notamment, les éléments suivants :

-          Dans un rapport du 27 mai 2015, le docteur C______, psychiatre traitant, a fait état d’une symptomatologie aiguë de type post-traumatique (anxiété, flash-backs, troubles du sommeil). La capacité de travail était nulle du point de vue psychique.

-          Dans un rapport du 2 octobre 2015, le docteur, du Département de chirurgie des HUG, a adressé l’assurée à la Consultation de la douleur chronique en expliquant que le traumatisme avait été extrêmement sévère dans sa perception par la patiente et dans l’acceptation de sa main. Malgré une chirurgie au résultat global satisfaisant au vu du traumatisme sévère, l’assurée souffrait toujours de douleurs diffuses dans les deuxième, troisième et quatrième doigts.

-          Le 27 octobre 2015, le Dr B______ a confirmé le diagnostic d’état de stress post-traumatique et y a ajouté celui de trouble de l’adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive.

-          L’assurée a fait l’objet d’une appréciation psychiatrique en date du 25 novembre 2015 par le docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et médecin-conseil de la SUVA, qui a conclu à l’existence d’un lien de causalité naturelle entre les troubles psychiques retenus (état de stress post-traumatique et troubles de l’adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive) et l’accident.

-          Dans un rapport du 3 février 2016, le psychiatre traitant a indiqué la persistance d’une symptomatologie importante (reviviscence, souvenirs envahissants, anxiété, insomnies, dissociation, anhédonie, troubles de la concentration). Il a émis un pronostic défavorable, tout en précisant qu’un traitement prothésique des doigts amputés pourrait influencer très favorablement l’évolution des troubles psychiatriques.

d. Le 8 mars 2016, l’assurée a chuté dans un tram ayant freiné d’urgence, ce qui lui a occasionné un traumatisme crânien, une plaie de l’arcade sourcilière gauche et un syndrome de Berlin au niveau de l’œil gauche. Les médecins ont considéré que le statu quo sine avait été atteint six mois après le traumatisme sur le plan orthopédique.

e. Ont encore été versés au dossier, notamment, les documents suivants :

-          Dans un rapport non daté, reçu par la SUVA le 19 janvier 2017, le psychiatre traitant a fait état d’une situation inchangée. Les diagnostics de syndrome de stress post-traumatique et d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques étaient toujours valables.

-          Après examen de l’assurée, le Dr E______, dans son rapport du 29 mars 2017, a relevé une détresse émotionnelle avec des plaintes assez peu systématisées, chronicisées et quasiment aucune évolution favorable. Il notait un léger décalage entre le subjectif et les constats objectifs et concluait à une anxiété psychique, ainsi qu’à une labilité de l’humeur avec dominante dépressive d’intensité légère et autres réactions émotionnelles (irritabilité, colère, conduite régressive). Ce dernier aspect était qualifié de particulièrement inquiétant, car compromettant la réinsertion de l’assurée. Celle-ci restait fixée sur les conséquences de l’accident, qu’elle interprétait sur un mode particulièrement dramatisé, raison pour laquelle le médecin concluait à un trouble de l’adaptation, avec perturbations mixtes des émotions et des conduites. En revanche, le diagnostic d’état de stress post-traumatique n’était plus retenu, vu l’absence de symptomatologie intrusive et d’hyperactivité neurovégétative.

-          Un bilan neuropsychologique par Madame F______, neuropsychologue FSP, en mars 2017, a conclu à un syndrome dysexécutif cognitif (déficit de la mémoire de travail, défaut de flexibilité mentale, ralentissement de la vitesse de traitement et faiblesse du contrôle inhibiteur) et comportemental (inertie cognitive et baisse de la motivation), ainsi qu’à des difficultés attentionnelles importantes (déficit du maintien attentionnel et attention sélective et divisée) retentissant sur les capacités mnésiques. Les difficultés cognitives s’associaient à des difficultés comportementales, dans le contexte d’un état anxio-dépressif notable cliniquement.

-          Le 11 septembre 2017, le Dr C______ a estimé que la capacité de travail de l’assurée était nulle dans toute activité. A titre de limitations fonctionnelles, il a cité un ralentissement psychomoteur, de la fatigue et des troubles de l’attention et de la concentration. Il a également relevé que la douleur physique quotidienne, ainsi que la confrontation visuelle aux doigts amputés réveillaient automatiquement la symptomatologie post-traumatique et dépressive.

f. Par décision du 20 novembre 2017, confirmée sur opposition le 5 février 2018, la SUVA a nié à l’assurée tout droit à une rente d’invalidité, faute de perte de gain suffisante. En effet, les séquelles physiques de l’accident ne l’empêchaient pas d’exercer une activité adaptée, c’est-à-dire n’impliquant ni mouvements répétés avec port de charges, ni préhension franche au niveau de la main droite. D’éventuels troubles psychogènes n’étaient pas à prendre en considération par la SUVA, faute de relation de causalité adéquate avec l’accident. Pour le surplus, l’assurée se voyait reconnaître un droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) de 15%.

g. Saisie d’un recours de l’assurée, la Cour de céans, par arrêt du 29 août 2019 (ATAS/800/2019), l’a partiellement admis et a renvoyé la cause à la SUVA à charge pour celle-ci de compléter l’instruction de manière à prendre en compte l’intégralité du tableau, tant physique que psychique.

La Cour a qualifié l’évènement du 3 décembre 2014 de moyennement grave, à la limite de l’accident grave. Dès lors, au vu des circonstances particulièrement dramatiques de l’accident, ainsi que de la nature et DE la gravité particulières des lésions physiques, l’existence d’un lien de causalité adéquate devait être reconnu entre l’accident et les atteintes psychiques alléguées.

B. a. La SUVA a alors repris l’instruction de la cause. Ont été recueillis, notamment, les éléments suivants :

-          Le 31 janvier 2020, le Dr C______ a indiqué que la capacité de travail de sa patiente restait nulle du fait de son humeur trop fluctuante, l’amélioration de la thymie demeurant insuffisante au maintien d’une capacité de travail durable. Les diagnostics de syndrome de stress post-traumatique et d’épisode dépressif modéré étaient retenus.

-          Dans un rapport du 27 février 2020, après un nouvel examen de l’assurée, le Dr E______ a retenu les diagnostics de troubles de l’humeur (affectifs) persistants sans précision (F 34.9), de symptômes séquellaires d’état de stress post-traumatique (F 43.1) et, possiblement, de syndrome douloureux somatoforme persistant, vu les plaintes de l’intéressée (céphalées quotidiennes, douleurs continues du dos, aux cervicales, au niveau des épaules et des deux mains). Le médecin suggérait que la capacité de travail soit évaluée après un stage d’évaluation. L’IPAI était évaluée à 20%.

-          Le 18 janvier 2021, le docteur G______ (spécialiste en chirurgie orthopédique et en chirurgie de la main) mandaté par la SUVA, a conclu à une limitation fonctionnelle douloureuse des 3e et 4e rayons de la main droite avec diminution de la force digito-palmaire, à un status après ablation partielle du matériel d'ostéosynthèse de D4 droit et décompression du tunnel carpien droit le 15 janvier 2018, à un status après confection de moignons d'amputation de bonne qualité aux têtes de P2 D3 et D4 et ostéosynthèse de Pl D3 et D4 en urgence, à un status après délabrement des extrémités des trois derniers doigts de la main droite le 3 décembre 2014 avec amputation IPD de D3, fracture multifragmentaire ouverte des trois phalanges de D4 et plaie de la pulpe de D5 et à un status après ancienne arthrodèse IPD de D5 droit en 2008. L’expert a relevé diverses incohérences faisant suspecter l’intervention de phénomènes d’autolimitation. L'utilisation de la main droite en force, de façon très répétitive ou pour des gestes nécessitant une haute habilité manuelle était définitivement compromise. Quant à des activités nécessitant des gestes de préhension répétitifs « à pleine main » de la main droite, elles n’étaient exigibles qu'avec une diminution du temps ou de rendement de l'ordre de 50%. Les activités se limitant principalement à l'usage des deux premiers doigts de la main droite restaient exigibles à 100% (en termes de temps et de rendement). L'utilisation légère de la main droite restait parfaitement exigible « surtout avec le pouce et l'index », sans limitation de temps, ni de rendement. Au vu de ces limitations fonctionnelles, la capacité à exercer l’activité habituelle d’employée domestique était de l’ordre de 50%. Il n’y avait en revanche aucune limitation dans une activité adaptée. L’IPAI était évaluée à 10% sous l’angle somatique et à 30% supplémentaires pour les seuls troubles psychiques.

-          Egalement mandaté par la SUVA, le docteur Étienne H______ (spécialiste en psychiatrie et psychothérapie), a diagnostiqué une dysmorphophobie (F 45.2), ainsi qu’une majoration de symptômes physiques pour raisons psychologiques (F 68.0). Il a écarté tous les autres diagnostics évoqués précédemment, en particulier ceux d’état de stress post-traumatique et de trouble dépressif. Concernant la capacité de travail, il a conclu : « une estimation prudente de la capacité de travail serait de l'ordre de 50% de l'activité professionnelle antérieure de manière globale sans pouvoir distinguer la diminution horaire et la diminution de rendement. Cette diminution de la capacité de travail est identique à celle déterminée par le Dr G______ dans son rapport du 18 janvier 2021 et ne saurait s'y additionner » (p. 18). L’état de l’assurée était en outre décrit comme stabilisé et le pronostic peu favorable sur le plan psychique. Concernant l’IPAI, un taux de 30% était retenu, distinct de celui de 10% relatif aux atteintes somatiques, reconnu par le Dr G______ dans son volet de l’expertise (p. 21). Pour le surplus, notamment la question des limitations fonctionnelles et de la capacité de travail dans une activité adaptée, l’expert-psychiatre renvoyait à l’expertise du Dr G______ du 18 janvier 2021 (p. 20). Concernant l’aspect consensuel de l’expertise, il indiquait que « les experts ont échangé leurs projets de rapport puis ont eu un entretien téléphonique le 18 janvier 2021 et sont parvenus à un accord consensuel sur toutes les questions posées » (p. 19).

-          Par courrier du 11 avril 2021, le Dr C______ a fait part de son désaccord avec l’expertise psychiatrique, tant sous l’angle des diagnostics posés que sous celui de la capacité de travail résiduelle, qu’il a estimée à 25% au maximum.

-          Sur questions complémentaires de la SUVA, le Dr G______ a indiqué que, sur le plan orthopédique, la capacité de travail dans l’activité habituelle d’employée domestique était de 50% sans perte de rendement, ou de 100% avec un rendement diminué de moitié. Il a renvoyé au Dr H______ s’agissant des limitations fonctionnelles sous l’angle psychique et a conclu qu’en prenant en compte l’état de santé tant physique que psychique, la capacité de travail dans une activité adaptée (« ne nécessitant qu’une utilisation légère de sa main droite, surtout avec le pouce et l’index »), était totale, sans diminution de rendement.

-          Quant au Dr H______, il a précisé, le 30 mai 2021, que, du point de vue strictement psychiatrique, l’assurée pouvait effectuer toutes les tâches ménagères dont elle s’acquittait précédemment, « sans restriction autre qu’une restriction horaire et rendement ». Il a ajouté : elle « peut effectuer toutes les tâches ménagères dans sa vie privée. Elle peut donc effectuer les mêmes tâches dans son activité professionnelle. Il est vraisemblable qu’en raison des séquelles somatiques et des troubles psychiques, une telle activité professionnelle peut être exercée à 50% ». Dans une activité adaptée, qui épargnerait en partie l’utilisation de la main droite et sans exigences de rendement élevées, la capacité de travail serait de 75%.

-          Les experts ont complété leur appréciation par un rapport commun du 21 août 2021, dans lequel ils ont indiqué avoir abouti consensuellement à une « capacité de travail, en termes de temps et de rendement de 50% dans l’activité antérieure d’employée domestique » et à une capacité de travail de 100%, sans perte de rendement, dans une activité adaptée (sans mouvements répétés avec port de charges, ni préhension franche au niveau de la main droite).

b. Par décision du 20 septembre 2021, confirmée sur opposition le 18 janvier 2022, la SUVA a reconnu à l’assurée une diminution de capacité de gain de 18%, ouvrant, sur la base d’un gain assuré de CHF 12'755.-, le droit à une rente mensuelle de CHF 153.05. Le gain réalisable sans l’accident a été évalué à CHF 61'218.- pour un plein temps. Quant au gain d’invalide, il a été fixé à CHF 46'580.-, sur la base des chiffres ressortant, au niveau de compétence 1, de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), en tenant compte d’une réduction de 15% du fait des limitations fonctionnelles et de l’appréciation globale. Pour le surplus, une atteinte à l’intégrité de 40% a été reconnue, ouvrant le droit à une IPAI de CHF 50'400.-.

C. a. Le 14 février 2022, l’assurée a interjeté recours contre cette décision en concluant à son annulation et à l’octroi d’une rente d’invalidité d’au minimum 75%, subsidiairement à la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire.

b. Dans sa réponse du 15 février 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours.

c. Par écriture du 22 mars 2022, la recourante a persisté dans les termes et conclusions de son recours.

d. Le 14 avril 2022, l’intimée a fait de même.

e. Le 16 novembre 2022, sur ordonnance de la Cour de céans, l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI) a versé à la procédure le dossier complet de l’assurée auprès de ses services. Il en ressort ce qui suit :

-          Par décision du 12 juillet 2018 (pièces 68 et 69 OAI), l’OAI a reconnu à l’assurée le droit à une rente entière d’invalidité à partir du 1er décembre 2015. Il a retenu que son statut était celui d’une personne se consacrant à 43% à son activité professionnelle et à 57% à son ménage. Depuis le 3 décembre 2014, elle est dans l’incapacité totale d’exercer la moindre activité lucrative. Elle rencontre en outre des empêchements à accomplir ses activités habituelles à hauteur de 46,6%. Sous l’angle médical, la décision de l’OAI se fonde principalement sur l’appréciation de son service médical régional (SMR) du 7 août 2017, admettant une totale incapacité de travail dans toute activité du fait des diagnostics retenus (amputation de P3D5, avec fracture comminutive de P1, P2, P3 et D4, amputation de l’IPD D3 de la main droite, épisode dépressif sévère et syndrome de stress post-traumatique). Au titre des limitations fonctionnelles figurent : un rendement réduit de la force et de la préhension fine, un manque de sensibilité associé à des douleurs chroniques d’amputations au niveau de la main droite, un trouble du sommeil, un syndrome dysexécutif cognitif, un ralentissement de la vitesse de traitement et des difficultés attentionnelles (pièce 50 OAI).

-          Par décision du 25 février 2021, l’OAI a diminué la rente allouée à l’assuréE à un trois-quarts de rente, du fait d’un taux d’invalidité réduit à 61% (pièces 115 à 117 OAI). Une incapacité totale de travailler restait reconnue, mais il a été tenu compte du gain réalisé depuis août 2019 en qualité d’aide à domicile, ramenant la perte de gain à 88.07% (au lieu de 100%). Le SMR a considéré que l’état de santé de l’intéressée ne s’était pas amélioré depuis août 2017. Cette appréciation se fondait notamment sur un rapport du 12 février 2020 du Dr C______ attestant d’une capacité de travail de 20%, uniquement dans une activité adaptée avec une grande souplesse de la part de l’employeur (pièce 90 OAI).

f. Invitées à se déterminer sur le dossier de l’OAI, les parties ont indiqué que celui-ci n’appelait pas d’observations supplémentaires de leur part. L’intimée s’est contentée de relever que la recourante avait repris une activité professionnelle.

g. Le 22 mai 2023 (ATAS/360/2023), la Cour de céans a ordonné une expertise bidisciplinaire, comprenant un volet psychiatrique, confié au docteur I______, et un autre, confié aux docteurs J______ et K______ (remplacé par la suite, à la demande du Dr J______, par la docteure L______, les parties ayant été avisées de ce changement), spécialistes en chirurgie de la main auprès de la Clinique M______.

Cette ordonnance était motivée par le fait que la Cour de céans avait considéré le volet psychiatrique de l’expertise mise sur pied par la SUVA non convaincant (cf. considérant 13 de l’ordonnance).

h. Les experts spécialistes en chirurgie de la main ont rendu leur rapport en date du 13 octobre 2023.

Ils ont retenu à titre de diagnostics : une plaie délabrante des extrémités des trois derniers doigts de la main droite avec une amputation trans-articulaire de l’interphalangienne distale du majeur, une fracture plurifragmentaire ouverte des phalanges proximales et moyenne de l’annulaire, une plaie profonde avec perte de substance de la phalange distale de l’auriculaire avec mise à nu du matériel d’ostéosynthèse compliqué par un état de stress post-traumatique et un flexome irréductible de l’articulation interphalangienne proximale de l’annulaire.

Les experts ont conclu à une stabilisation sur le plan somatique, en comparaison au status décrit par le Dr G______ en 2020. Ont été observées : une perte de force de la main droite en raison d’un enroulement digital incomplet et de la présence d’un flexome imposant à la patiente une adaptation entrainant une fatigabilité de la main. Ont donc été retenus à titre de limitations fonctionnelles, le fait de ne pouvoir exercer une activité manuelle fine et l’obligation d’éviter le port de charges lourdes et les activités répétées.

Il a été constaté que l’activité bimanuelle était conservée dans la réalisation des gestes simples du quotidien. L’assurée avait déjà repris une activité à temps partiel de ménage et de garde d’enfants, mais un taux horaire de 100% ne pouvait être exigé en raison des douleurs et d’une fatigabilité. Cela étant, les experts ont retenu une capacité de 100% dans une activité adaptée. En effet, au plan somatique, il n’y avait pas d’incapacité de travail dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles.

Les experts se sont déclarés d’accord avec l’analyse du Dr G______, précisant que le status orthopédique était instable depuis plusieurs années.

Les experts ont relevé certaines incohérences : l’assurée avait montré une utilisation bimanuelle sans faciès douloureux, ce qui ne correspondait pas à ses diverses plaintes ; des discrépances apparaissaient à l’anamnèse (par exemple, elle pouvait se baigner à la mer sans douleur, mais ne pouvait faire la vaisselle au travail) ; l’assurée décrivait un blocage psychologique en raison d’une probable dysmorphophobie, mais ne portait pas les prothèses esthétiques réalisées pour elle.

i. Le Dr I______ a rendu son rapport en date du 5 décembre 2023.

À l’issue d’un rapport détaillé et argumenté, l’expert a retenu les diagnostics d’état de stress post-traumatique (ESPT) de gravité moyenne (F43.1), de phobie sociale de gravité moyenne (F40.1) et de dysthymie légère (F34.1).

S’agissant de l’incapacité de travail due aux troubles se trouvant en relation de causalité naturelle avec l’accident, l’expert a considéré que le degré d’anxiété résiduel lié à la persistance de l’ESPT diminuait de 25% la capacité de travail dans toute activité respectant les limitations fonctionnelles d’ordre psychique énoncées (pas d’utilisation d’engins potentiellement dangereux, pas de nécessité d’une attention soutenue), respectant les limitations d’ordre physique et compatible avec les compétences de l’assurée. Il a émis l’avis que l’activité habituelle d’employée de maison, qualifiée de diverse et variée, à condition de ne pas impliquer l’utilisation d’engins potentiellement dangereux ou une concentration importante, était adaptée et exigible à un taux d’activité diminué de 25% pour tenir compte de l’anxiété résiduelle provoquée par le seul ESPT.

Au vu des données cliniques disponibles, l’expert a estimé vraisemblable qu’il y ait eu une incapacité de travail pour motifs psychiques de 50% entre la date de l’accident et le 2 décembre 2017, période pendant laquelle l’ensemble de la pathologie psychiatrique a été en relation de causalité naturelle avec l’accident. A partir de cette date, l’incapacité de travail due au seul ESPT a été de 25%. Autrement dit, au plan psychique et dans une activité adaptée, la capacité de travail a été de 50% entre le 3 décembre 2014 et le 2 décembre 2017 puis de 75% depuis le 3 décembre 2017.

j. Dans leur l’appréciation consensuelle bidisciplinaire les experts ont retenu que, globalement, c’est-à-dire compte tenu des atteintes physiques et psychiques en relation de causalité naturelle avec l’accident, l’incapacité de travail est de 25% dans toute activité adaptée aux compétences de l’assurée et à ses limitations fonctionnelles aux plans somatique et psychique et ce, depuis le 3 décembre 2017. La situation est stabilisée sur le plan somatique.

k. L’intimée s’est déterminée en date du 30 janvier 2024.

Elle a pris note des suggestions du Dr I______ quant à une amélioration du traitement, tout en faisant remarquer que, puisque ces modifications n’étaient pas susceptibles d’apporter d’amélioration notable en termes de capacité de travail, la situation sur le plan psychique pouvait être qualifiée de stabilisée.

Sur le plan somatique, elle a constaté que la stabilisation était reconnue depuis novembre 2017.

L’intimée a pour le surplus indiqué se rallier à la conclusion consensuelle des experts visant à reconnaitre, compte tenu des atteintes physiques et psychiques en relation de causalité naturelle avec l’accident, une incapacité de travail de 25% dans toute activé adaptée.

Dès lors, l’intimée a procédé au recalcul du degré d’invalidité. Se référant aux salaires statistiques de l’ESS de 2016 (le droit à la rente étant ouvert au 1er novembre 2017), l’intimée a évalué le revenu après invalidité, pour une activité exercée à 75% et après réduction supplémentaire de 15% à CHF 34'934,65 (4'363.- CHF/mois pour 40 h./sem. = 54'799.45 CHF/an pour 41,7 h./sem., après indexation selon l’indice des salaires nominaux [+ 0,4%]). Comparé au revenu avant invalidité non contesté de CHF 50'511.-, il en résulte un degré d’invalidité de 38,18% arrondi à 38%.

Dès lors, l’intimée a modifié ses conclusions dans le sens de l’octroi d’une rente d’invalidité de 38% dès le 1er novembre 2017 en faveur de l’assurée.

l. Par écriture du 26 février 2024, la recourante, pour sa part, a indiqué contester la capacité de travail retenue par l’expert.

Elle produit un avis de son psychiatre traitant qui maintient que, selon lui, la capacité de travail de sa patiente ne dépasse pas 25%. En substance, le psychiatre traitant fait valoir que les limitations et douleurs physiques décrites par sa patiente déclenchent automatiquement des douleurs psychiques aiguës et impliquant des importantes limitations fonctionnelles, dont il estime qu’elles ont été sous-estimées.

Il reproche à l’expert d’avoir également sous-estimé les symptômes de l’assurée au niveau de l’humeur. La symptomatologie dépressive est certes globalement fluctuante, mais souvent sévère et de type mélancolique quand la patiente est confrontée à ses douleurs ou à ses séquelles. Il ajoute que le métier de sa patiente étant éminemment manuel, il lui semble extravagant d’évaluer sa capacité de travail à 75%.

m. Par écriture du 6 mars 2024, l’intimée a persisté dans ses conclusions.

n. Les autres faits seront repris - en tant que de besoin - dans la partie "en droit" du présent arrêt.


 

 

EN DROIT

 

1.             La compétence de la Cour de céans et la recevabilité du recours ayant été d’ores et déjà examinées dans l’ordonnance du 22 mai 2023, il n’y a pas lieu d’y revenir.

2.              

2.1 À teneur de l'art. 1 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20), les dispositions de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

2.2 Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

2.3 Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l'accident est survenu avant cette date, le droit de la recourante aux prestations d'assurance est soumis à l'ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2016.

3.             Le litige se limite à la quotité de la rente d’invalidité que la recourante peut prétendre de la part de l’intimée. Il convient de prendre acte que celle-ci propose désormais l’octroi d’une rente correspondant à un taux de 38%.

4.              

4.1 Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA ; ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 et les références).

La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les références ; ATF 129 V 402 consid. 4.3.1 et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et la référence ; ATF 129 V 402 consid. 2.2 et les références).

4.2 Si l'assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite d’un accident, il a droit à une rente d'invalidité (art. 18 al. 1 aLAA). Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA ; méthode ordinaire de la comparaison des revenus).

4.3 Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources) (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence).

Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).

-            Catégorie « Degré de gravité fonctionnel » (ATF 141 V 281 consid. 4.3)

A.       Complexe « Atteinte à la santé » (consid. 4.3.1)

Expression des éléments pertinents pour le diagnostic (consid. 4.3.1.1), succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à cet égard (consid. 4.3.1.2), comorbidités (consid. 4.3.1.3).

B.       Complexe « Personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles ; consid. 4.3.2) 

C.       Complexe « Contexte social » (consid. 4.3.3)

-            Catégorie « Cohérence » (aspects du comportement ; consid. 4.4) 

Limitation uniforme du niveau d'activité dans tous les domaines comparables de la vie (consid. 4.4.1), poids des souffrances révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation (consid. 4.4.2).

Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2).

Opéré dans le domaine de l'assurance-invalidité, ce changement vaut par analogie lorsqu'il y a lieu d'examiner le droit à une rente de l'assurance-accidents obligatoire en cas de syndrome sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique dont la relation de causalité naturelle et adéquate avec l'accident assuré a été admise (ATF 141 V 574 consid. 5.2).

4.4 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 132 V 93 consid. 4 et les références ; ATF 125 V 256 consid. 4 et les références). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

4.5 Selon le principe de la libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2). L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).

4.6 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 137 V 210 consid. 1.3.4 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

5.              

5.1 En l’espèce, l’intimée, dans ses dernières conclusions, s’est ralliée à celles des experts judiciaires, en ce sens qu’elle a admis une incapacité de travail de 25% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles physiques et psychiques et procédé dès lors à un nouveau calcul du degré d’invalidité, comparant le revenu avant invalidité – non contesté – à celui qu’aurait pu obtenir l’assurée en 2017 en exerçant à 75% une activité simple et répétitive, en tenant compte d’une diminution supplémentaire de 15%. Ce nouveau calcul l’a conduite à conclure à ce que l’assurée a droit à une rente correspondant à un degré d’invalidité de 38%.

5.2 La recourante, quant à elle, conclut à l’octroi d’une rente d’invalidité d’au minimum 75%, en invoquant l’avis de son psychiatre traitant.

Ce dernier maintient ce qu’il soutient depuis des années, à savoir que la capacité de travail de sa patiente ne dépasserait pas 25%. En substance, le psychiatre traitant fait valoir que les limitations et douleurs physiques dont souffrent l’assurée déclenchent « automatiquement » des douleurs psychiques impliquant des importantes limitations fonctionnelles, dont il estime qu’elles ont été sous-estimées, tout comme les symptômes dépressifs, dont il allègue qu’ils sont certes globalement fluctuants, mais souvent sévères et de type mélancolique. Il ajoute que le métier de sa patiente étant éminemment manuel, il lui semble extravagant d’évaluer sa capacité de travail à 75%.

Cela étant, on relèvera d’emblée que ce dernier argument tombe à faux puisque les experts ont expressément indiqué que la capacité de travail de 75% qu’ils retenaient ne concernait pas l’activité habituelle mais une activité adaptée aux limitations fonctionnelles qu’ils ont énoncées. On rappellera à cet égard qu’en vertu de son obligation de diminuer le dommage, la recourante doit être prête à se réorienter vers une activité adaptée, ce qu’elle semble au demeurant avoir déjà fait d’ailleurs, en reprenant une activité mixte de ménage et de garde d’enfants.

Quant aux autres arguments du psychiatre traitant, on notera qu’ils consistent simplement à substituer sa propre appréciation, fort peu motivée, à celle de l’expert psychiatre, à laquelle il convient de reconnaître pleine valeur probante.

En effet, outre que le rapport de l’expert psychiatre judiciaire remplit à la forme tous les réquisits jurisprudentiels, sa motivation est fort convaincante.

Le Dr I______ a procédé à un résumé du dossier et des avis médicaux qu’il comprenait, il s’est livré à une anamnèse extrêmement détaillée, avant de se faire le relais des plaintes de l’assurée. Il a ensuite procédé à une description du status psychiatrique, là encore, de manière détaillée. Il a procédé à un examen de dépistage des troubles cognitifs, qui a révélé un score situé en-dessous de la normale, étant précisé que les scores déficitaires concernaient l’orientation dans le temps, la mémoire, l’attention et le calcul. L’expert a précisé que cet examen ne permettait pas de faire la part des choses entre la faiblesse du bagage scolaire et les problèmes attentionnels, mais que l’existence d’un trouble attentionnel était probable.

S’agissant des diagnostics qu’il a retenus, l’expert a expliqué que l’examen mettait en évidence une composante anxieuse au premier plan du tableau clinique, des troubles cognitifs, une perturbation chronique de l’humeur et des plaintes douloureuses extérieures au champ de la main lésée. En définitive, il a retenu les diagnostics d’état de stress post-traumatique de gravité moyenne (F43.1), de phobie sociale de gravité moyenne (F40.1) et de dysthymie légère (F34.1), en expliquant, pour chacun, les raisons qui le conduisaient à les valider.

L’expert a également expliqué les raisons qui le poussaient à écarter les diagnostics de dysmorphophobie (crainte ou conviction qu’une partie du corps est devenue difforme) et de majoration de symptômes physiques pour raisons psychologiques retenus par le Dr H______.

Loin de sous-estimer les symptômes de l’assurée – comme le prétend le psychiatre traitant –, l’expert a souligné que seul un traumatisme avec grave atteinte ou menace de grave atteinte à l’intégrité physique ou à la vie était à même de produire des phénomènes intrusifs du type de ceux que présente l’expertisée. Il a ainsi constaté que l'ESPT était encore actif et se manifestait par des flashbacks de l’accident.

De même, l’expert a tenu compte de la persistance de l’ESPT en préconisant d’exclure toute utilisation d’outils ou d’engins potentiellement dangereux en raison du risque de réactiver le traumatisme. Il a admis que l’ESPT diminuait la capacité d’attention et de concentration par les phénomènes intrusifs qui survenaient occasionnellement, probablement par un mécanisme de dissociation de la conscience et que, plus généralement, les troubles cognitifs constatés contre-indiquaient toute activité exigeant un degré élevé et soutenu de concentration et d’attention. Il a reconnu que l’anxiété résiduelle due à l’ESPT entrainait des troubles cognitifs, un manque de confiance en soi et une appréhension diffuse diminuant le rendement. Cependant, il a précisé que les limitations fonctionnelles étaient de degré modéré, car les phénomènes intrusifs se produisaient surtout en présence de stimuli rappelant l’accident.

Quant à la phobie sociale et à la dysthymie, il a indiqué qu’elles n’étaient plus en relation de causalité naturelle avec l’accident.

Pour évaluer la capacité de travail, l’expert a en outre examiné les différents indicateurs jurisprudentiels. En particulier, il a indiqué que le tableau clinique était cohérent. Tout au plus pouvait-on s’étonner de la durée particulièrement longue de l’ESPT, compte tenu de la nature du facteur de stress. Mais il peut arriver qu’un ESPT devienne chronique, même si le traumatisme n’est pas d’une gravité catastrophique. L’expert a également souligné l’absence de discordance entre les plaintes alléguées et ce qui était connu de la vie quotidienne de l’assurée : les limitations apparaissaient massives, aussi bien dans le domaine professionnel que personnel. Cela étant, il a relevé que les limitations que l’expertisée s’impose dépassent probablement le niveau de limitation inhérent aux atteintes psychologiques objectives. L’expert a conclu à une part d’autolimitation fondée sur une perception irrationnelle des atteintes. En substance, le comportement de l’assurée est cohérent avec ses plaintes, mais les limitations alléguées paraissent excessives par rapport à l’état de santé objectif qui devrait être compatible avec une activité au moins partielle dans le domaine professionnel et importante dans le domaine du quotidien.

L’expert a également précisé que la capacité de travail limitée à 25% par le psychiatre traitant lui paraissait trop importante eu égard aux constatations cliniques. Il a relevé à ce propos que le psychiatre traitant ne distinguait pas entre les atteintes en relation de causalité avec l’accident et celles ne l’étant pas.

Comme précédemment indiqué, il convient de reconnaître pleine valeur probante aux conclusions des experts judiciaires et de s’y rallier, tout comme l’a fait l’intimée.

Le nouveau calcul du degré d’invalidité opéré par cette dernière ne prête pas le flanc à la critique et n’est d’ailleurs pas contesté en tant que tel par la recourante.

6.             Au vu de ce qui précède, le recours est partiellement admis dans le sens proposé par l’intimée.

 

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 3’000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

***


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Réforme la décision du 18 janvier 2022, en ce sens que le droit à une rente correspondant à un degré d’invalidité de 38% est reconnu à la recourante à compter du 1er novembre 2017. Le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 40% est confirmé.

4.        Rejette le recours pour le surplus.

5.         Condamne l’intimée à verser à la recourante la somme de CHF 3’000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Diana ZIERI

 

La présidente

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le