Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/474/2024 du 18.06.2024 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | 1.1canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/669/2023 ATAS/474/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 18 juin 2024 Chambre 2 |
En la cause
A______
| recourant |
contre
SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D’ASSURANCE EN CAS D’ACCIDENTS
| intimée |
A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1967, a été engagé le 13 mars 2007 en qualité de maçon à plein temps par Monsieur B______. Ce dernier exploitait alors une entreprise individuelle sous la raison de commerce « Entreprise du bâtiment, C______ », devenue D______ SA (ci-après : l’employeur) le 2 juillet 2014.
b. Le 22 janvier 2019, alors qu’il travaillait sur le chantier d’un bâtiment de ferme sis dans le canton de Genève, l’assuré a été victime d’un accident. Selon la déclaration de sinistre du 23 janvier 2019, adressée à la SUVA (ci-après : l’assureur, la SUVA ou l’intimée), il avait fait une chute alors qu’il était en train de piquer une dalle au moyen d’un gros marteau-piqueur. Des lésions à la jambe droite (« fracture ») et aux doigts de la main droite (« déchirure, torsion/foulure ») s’en étaient suivies.
c. Les suites de cet événement ont été prises en charge par l’assureur.
d. Dans un rapport du 31 janvier 2019, intitulé « demande de garantie pour la rééducation locomotrice », la docteure E______, médecin adjointe auprès du service de chirurgie orthopédique des Hôpitaux universitaires de Genève (ci‑après : HUG), a indiqué que l’assuré, alors âgé de 51 ans, droitier, en bonne santé habituelle, avait chuté le 22 janvier 2019 d’une hauteur de 3m sur un chantier, avec réception sur la jambe droite et la fesse gauche « dans des briques ». En raison de cet événement, il avait subi une luxation de « l’IPD D2 » (articulation interphalangienne distale de l’index), une fracture du plateau tibial droit, une fracture de la tête fibulaire (tête du péroné) à droite ainsi qu’une plaie à la jambe droite. Le service des urgences des HUG, qui avait constaté la fracture du plateau tibial et de la tête du péroné à droite ainsi que la luxation de l’index de la main droite, avait procédé, le jour de l’accident, à une exploration de la fracture du genou droit et à un lavage de la plaie. Il avait également réduit la luxation de l’index droit. Le 25 janvier 2019, une nouvelle intervention avait été effectuée au service de chirurgie orthopédique des HUG, consistant en une ostéosynthèse par plaque du plateau tibial droit. Enfin, un traitement et un suivi postopératoires avaient été mis en place (médication comprenant notamment des antalgiques, usage de cannes anglaises, port d’un tube de protection de l’index, physiothérapie, etc.).
e. Entendu le 13 mai 2019 à son domicile par l’assureur, l’assuré a indiqué qu’il avait appris le métier de maçon au Portugal et toujours exercé cette activité depuis son arrivée en Suisse 27 ans plus tôt. Sur le chantier de la ferme où l’accident s’était produit, il était occupé, avec un collègue, à piquer une dalle à l’étage avec un gros marteau-piqueur. La dalle – qui était probablement fragilisée avec les années – avait cédé à un moment donné et il était tombé 3m plus bas. Son collègue avait juste eu le temps de s’éloigner. « Nous n’av[i]ons commis aucune faute et le chantier était sécurisé ». Décrivant son état de santé actuel, l’assuré a indiqué qu’il avait des douleurs sous le genou, à la marche, quand il effectuait des exercices et après la rééducation. Ces douleurs se manifestaient aussi lorsqu’il
se relevait, après une station debout prolongée et parfois la nuit. Il marchait en charge totale à l’aide d’une canne anglaise. Il pouvait se mettre debout sur la jambe droite, se baisser et bien fléchir la jambe. La mobilité était assez bonne mais son genou était encore gonflé. La masse musculaire avait diminué. En ce qui concernait l’index de sa main droite, l’évolution était bonne, même s’il ressentait encore des douleurs lors de la rééducation. Il ne pouvait pas encore fléchir le doigt complètement. Il était en arrêt de travail à 100%.
f. Le 19 juillet 2019, l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI).
g. Dans un rapport du 24 septembre 2019, le docteur F______, médecin chef de clinique auprès du service de chirurgie orthopédique des HUG, a relaté un entretien d’information qu’il avait accordé à l’assuré. Ce dernier présentait une déformation osseuse post-traumatique du tibia qui rendait nécessaire une nouvelle intervention chirurgicale (ostéotomie de valgisation du genou droit par ouverture interne du tibia).
h. Dans un rapport du 9 octobre 2019, le docteur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin d’arrondissement de l’assureur, a indiqué que la nouvelle intervention évoquée par le Dr F______ était en lien avec l’accident du 22 janvier 2019, qu’elle était justifiée et déboucherait sur une période de convalescence de trois mois. Le Dr G______ a précisé qu’une fois la convalescence achevée, une reprise de l’activité de maçon ne lui semblait pas évidente, vu le type d’activité et les lésions initiales présentées au genou. En outre, il existait un risque d’arthrose post-traumatique important et il convenait donc d’éviter les activités les plus lourdes et privilégier un travail alternant les positions assise et debout.
i. Dans un rapport du 18 septembre 2019 du Dr F______, cosigné par le docteur H______, médecin adjoint auprès du service de chirurgie orthopédique des HUG, ont indiqué avoir reçu l’assuré le 20 août 2019 à leur consultation en raison de gonalgies droites en lien avec une déformation post‑traumatique du membre inférieur droit (déformation en varus). Même si l’évolution avait été favorable après l’opération du 25 janvier 2019, l’assuré présentait un fort risque de développement d’une arthrose post-traumatique en lien avec « la position vicieuse ». Il commençait d’ailleurs déjà à ressentir des douleurs au compartiment interne. Une discussion avait été engagée avec l’assuré concernant une ostéotomie de valgisation (ci-après : OTV).
j. Le 9 janvier 2020, l’assuré a subi une intervention au genou droit, consistant en une ablation du matériel d’ostéosynthèse (posé le 25 janvier 2019) et en une OTV, comprenant une allogreffe de 14mm et la pose d’une plaque Tomofix®.
k. Le 22 septembre 2020, le Dr H______ a prescrit une série de séances de physiothérapie dans le but d’un renforcement musculaire actif « et également avec Compex » (appareil d’électrostimulation musculaire).
l. Par avis du 24 septembre 2020, le docteur I______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin d’arrondissement de l’assureur, a indiqué que la prise en charge du Compex durant le premier semestre 2020 répondait à une demande particulière, liée à la pandémie de COVID-19, mais qu’actuellement, une prolongation de cette prise en charge – ou une acquisition de l’appareil – ne se justifiait pas.
m. Par courrier du 24 septembre 2020, l’assureur a informé le Dr H______
– avec copie à l’assuré – qu’il ne donnerait pas de suite favorable à la prescription du 22 septembre 2020 en tant qu’elle concernait le Compex.
n. Dans un rapport de consultation ambulatoire de suivi du 22 octobre 2020, le docteur H______ a indiqué qu’à « huit » (recte : neuf) mois de l’intervention du 9 janvier 2020, l’évolution était globalement bonne. Même si les radiographies montraient une bonne consolidation, il existait un retard au niveau du renforcement musculaire. Malheureusement, l’assureur ne prenait plus en charge la location du Compex.
o. Dans un rapport de consultation ambulatoire de suivi du 29 janvier 2021, le
Dr H______ a indiqué que l’examen clinique du 26 janvier 2021 confirmait la non-évolution du cas, due à la persistance d’une importante amyotrophie qui empêchait de stabiliser correctement le genou qui, pour le reste, était calme et évoluait favorablement avec une ostéotomie qui avait bien guéri d’un point de vue radiologique. L’axe global montrait un petit varus résiduel. Le Dr H______ recommandait la poursuite de la physiothérapie et de l’utilisation du Compex afin de faire progresser le renforcement musculaire et la diminution des douleurs. Il proposait d’associer ces mesures à une infiltration de cortisone du genou droit pour diminuer l’inflammation. L’assuré présentait une gonarthrose secondaire post-traumatique mais une rééducation adaptée pouvait permettre une stabilisation de la situation. À l’heure actuelle, une prothèse totale du genou apparaissait prématurée. S’agissant d’une éventuelle ablation du matériel d’ostéosynthèse, elle pouvait être envisagée si l’assuré développait des douleurs autour de la plaque médiale. Enfin, le Dr H______ a indiqué qu’il avait fait savoir à l’assuré qu’une reprise de son travail de maçon lui semblait difficilement envisageable dans le contexte de ses opérations et de l’état actuel de son genou. Aussi l’avait-il encouragé à entreprendre des démarches pour une réinsertion professionnelle dans un travail adapté.
p. Le 25 février 2021, l’assuré a été examiné par le Dr I______. Dans son rapport du 1er mars 2021, ce dernier a indiqué que depuis l’intervention du 9 janvier 2020, l’évolution était défavorable. L’assuré marchait toujours avec une canne, qu’il tenait à gauche, et se plaignait de douleurs tant diurnes que nocturnes. Le périmètre de marche était limité à 100m, avec présence de pseudo-lâchages et d’un épanchement récurrent lors de surcharges mécaniques. Il ne pouvait ni monter ni descendre les escaliers. L’appui monopodal n’était pas tenu. L’état n’était pas stabilisé et l’exercice de l’activité de maçon n’était plus exigible actuellement. L’assuré avait accepté la proposition de se rendre à la Clinique romande de réadaptation (ci-après : CRR), à Sion, pour quelques semaines, le but d’un séjour dans cet établissement étant de mettre l’accent sur une rééducation intensive incluant le membre inférieur droit et, le cas échéant, de réaliser un bilan fonctionnel ainsi qu’une évaluation professionnelle.
q. Du 21 avril au 18 mai 2021, l’assuré a séjourné à la CRR. Dans un rapport
du 31 mai 2021, les docteurs J______ et K______, respectivement chef de clinique et médecin assistant au sein de cet établissement, ont indiqué que la prise en charge avait porté sur des séances de physiothérapie, des ateliers professionnels et une évaluation neurologique.
Le traitement antalgique avait été modifié, mais selon les rapports et tests fonctionnels, l’évolution subjective et objective n’avait pas été significative. La participation de l’assuré aux thérapies avait été considérée comme moyenne, celui-ci étant « évitant » et difficile à rassurer sur le fait que la renonciation à la genouillère et aux moyens auxiliaires serait bénéfique à la récupération de la mobilité et de la force, ce qui permettrait très probablement une amélioration fonctionnelle et une diminution des douleurs. Au cours de son séjour, l’assuré avait été évalué aux ateliers professionnels sur des périodes allant jusqu’à 3 heures de travail consécutives. Le temps passé dans les ateliers n’avait pas été augmenté au vu des difficultés multiples rencontrées dans des activités impliquant un niveau d’effort très léger (moins de 5kg) – nettement inférieur à l’ancienne activité –. Les responsables avaient constaté, aux ateliers, une autolimitation de l’effort fourni, principalement par kinésiophobie. Ils avaient par ailleurs observé que l’assuré rencontrait des difficultés autant en position debout qu’en position assise.
Les limitations fonctionnelles pratiquement définitives suivantes étaient retenues pour le genou droit :
- pas de port de charges lourdes (plus de 10-15 kg) répété ;
- pas de marche prolongée, surtout en terrain irrégulier ;
- pas de positions accroupie et à genoux répétées.
Si aucune nouvelle intervention n’était envisagée, la situation était pratiquement stabilisée du point de vue médical et des aptitudes fonctionnelles. Au vu des résultats obtenus à l’issue d’un séjour incluant une prise en charge intensive, la poursuite de la physiothérapie n’était pas préconisée.
L’assuré avait été vu par le docteur L______, consultant de la CRR et spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Dans un rapport de consultation du
30 avril 2021, ce médecin avait indiqué qu’a priori, le résultat radiologique
post-opératoire était correct et que le genou – qui était calme, sec et stable d’un point de vue clinique – pouvait être rééduqué au maximum. L’assuré présentait néanmoins des douleurs importantes, mal systématisées. La prochaine option chirurgicale, qu’il y avait lieu de discuter avec le chirurgien traitant de l’assuré, consistait dans l’ablation de la plaque médiale. Toute chirurgie allant au-delà d’une telle intervention – comme la mise en place d’une prothèse du genou – risquerait de ne pas apporter les résultats escomptés compte tenu de la localisation diffuse et mal systématisée des douleurs.
Enfin, les Drs J______ et K______ ont indiqué que le pronostic de réinsertion dans l’ancienne activité – lourde et contraignante pour le genou – était actuellement défavorable au vu des facteurs médicaux et des limitations fonctionnelles précitées. Une reprise à plein temps de cette activité semblait illusoire. En revanche, le pronostic de réinsertion dans une activité à plein temps, adaptée aux limitations fonctionnelles retenues, était théoriquement favorable.
r. Le 23 juin 2021, l’assuré a téléphoné à l’assureur pour un point de situation. Il avait vu le Dr H______ le 22 juin 2021 aux HUG. Ce praticien proposait « de ne plus rien toucher » et avait ordonné de la physiothérapie. L’assuré estimait pour sa part que son séjour à la CRR ne l’avait pas aidé, tout en soutenant que les médecins de la CRR avaient estimé que la reprise du Compex serait utile.
s. Après avoir été invité par l’assureur à prendre contact avec le Dr J______ pour se renseigner au sujet du Compex, le Dr I______ a indiqué, le 2 juillet 2021 – sur question du gestionnaire du dossier de l’assuré –, que le Dr J______ avait simplement dit à l’assuré que si le Compex lui faisant du bien, il pouvait en faire l’acquisition. En revanche, ce médecin de la CRR n’avait en aucun cas affirmé que l’assureur prendrait en charge les frais liés à cet appareil.
t. Par courrier du 2 juillet 2021, l’assureur a informé l’assuré qu’il n’existait pas de motif médical de prise en charge de l’appareil Compex. Aussi ne pouvait-il que réitérer son refus déjà exprimé le 24 septembre 2020.
u. Le 5 juillet 2021, l’assureur a reçu :
- un rapport du 22 juin 2021 du docteur M______, médecin interne auprès du service de chirurgie orthopédique des HUG, prescrivant neuf séances de physiothérapie ;
- un certificat d’incapacité de travail à 100% pour cause d’accident, établi le 22 juin 2021 par le Dr M______, valable du 20 juin au 20 juillet 2021 ;
v. Dans un rapport du 19 août 2021, les Drs H______ et M______ ont relaté la consultation ambulatoire de suivi qu’ils avaient donnée le 22 juin 2021 à l’assuré. À un an et cinq mois de l’OTV du 9 janvier 2020, l’assuré présentait une persistance de douleurs globales de son genou, d’allure mécanique. Il marchait à l’aide d’une canne. Il était certes possible de proposer l’ablation de la plaque d’ostéotomie. Cependant, l’assuré présentait une symptomatologie diffuse qui n’était pas uniquement imputable à une gêne provenant du matériel. Pour toutes ces raisons, les Drs H______ et M______ ne retenaient pas actuellement d’indication à une ablation du matériel mais recommandaient à l’assuré d’effectuer des exercices de maintien musculaire à domicile, ainsi que des activités sportives compatibles avec la fonction de son genou (vélo, natation). Il existait par ailleurs une indication à la poursuite de la physiothérapie dans un but de renforcement musculaire (quadriceps, abducteurs de la hanche, ischio‑jambiers).
B. a. Par projet de décision du 24 septembre 2021, l’OAI a envisagé, d’une part, d’allouer à l’assuré une rente d’invalidité entière du 1er janvier 2020 au 30 avril 2021 et, d’autre part, de refuser de lui octroyer des mesures professionnelles. Compte tenu d’une amélioration de l’état de santé de l’assuré dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, l’OAI était d’avis que celui-ci présentait une capacité de travail entière dès le 26 janvier 2021 (cf. rapport du 29 janvier 2021 du Dr H______, relatif à l’examen du 26 janvier 2021). En comparant les revenus sans invalidité (CHF 75’497.-) et avec invalidité (CHF 62’015.-) en 2021, la perte de gain s’élevait à CHF 13’482.- et le degré d’invalidité à 18%. Un taux d’invalidité inférieur à 40% n’ouvrait pas droit à des prestations d’assurance sous forme de rente. Par ailleurs, il convenait de supprimer la rente entière d’invalidité trois mois après l’amélioration de l’état de santé – intervenue le 26 janvier 2021 –, soit le 30 avril 2021. Enfin, dans la mesure où le manque à gagner durable était inférieur à 20%, l’assuré ne pouvait pas prétendre à un reclassement.
b. Dans un rapport du 29 septembre 2021, la docteure N______, spécialiste FMH en médecine interne, a informé l’assureur avoir vu l’assuré à sa consultation les 20 juillet et 7 septembre 2021, sans qu’il y ait de changement, aux dires de l’intéressé, par rapport « à son état antérieur à la date ». Le traitement actuel consistait en de la physiothérapie et de l’électrostimulation au moyen d’un appareil Compex. Alors que la physiothérapie n’apportait pas de « grande amélioration », l’électrostimulation avait un bon effet sur la douleur et permettait d’éviter les antalgiques. Sous « remarques », ce médecin a indiqué qu’aux dires
de l’assuré, il lui était difficile de se remettre au travail avec des séquelles et limitations fonctionnelles sans aucune amélioration.
c. Dans un rapport du 12 novembre 2021, relatant un bilan radiographique des membres inférieurs, effectué la veille, le docteur O______, spécialiste FMH en radiologie, a conclu à une discrète déviation en varus des deux membres inférieurs, l’axe passant à 13mm médialement du centre des épines tibiales à droite et à 12mm à gauche. Il n’y avait pas d’inégalité significative de longueur des membres inférieurs.
d. Par courrier du 26 novembre 2021, l’employeur a licencié l’assuré pour le 28 février 2022.
e. Dans un rapport du « 11 novembre 2021 » (recte : rapport du 20 décembre 2021, relatif à une consultation du 11 novembre 2021) à l’assureur, le docteur P______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a indiqué que même si les différents clichés montraient une correction suffisante du varus (4, respectivement 3 degrés du côté controlatéral), l’assuré se plaignait toujours de douleurs importantes, surtout au niveau de la partie antérieure du genou et le long de la partie antérieure du tibia, de sorte que son périmètre de marche était d’environ 100 m et qu’il se déplaçait toujours à l’aide d’une canne. Le bilan radiologique ne révélait pas d’arthrose importante au genou. On visualisait bien les stigmates de la fracture du plateau tibial, mais les images montraient aussi une ostéotomie avec une correction suffisante et un matériel d’ostéosynthèse toujours intact. En conclusion, le Dr P______ avait expliqué à l’assuré qu’il n’y avait pas d’arthrose importante qui pouvait justifier la mise en place d’une prothèse totale de genou. De plus, l’assuré présentait des douleurs surtout antérieures au genou et le long du bord antérieur et interne du tibia, qui étaient également dues à la gêne occasionnée par le matériel d’ostéosynthèse. Au vu de ces éléments, le Dr P______ avait proposé une ablation du matériel d’ostéosynthèse, combinée à une arthroscopie du genou pour réévaluer l’état du cartilage, surtout de l’articulation fémoro-patellaire. L’assuré souhaitait prendre contact avec l’assureur pour évoquer ce plan de traitement.
f. Dans une note du 17 janvier 2022, l’assureur a relaté un entretien téléphonique qu’il avait eu le même jour avec l’assuré. Interrogé au sujet de l’intervention proposée par le Dr P______, l’assuré a indiqué qu’il ne souhaitait pas s’y soumettre, étant donné que toutes les interventions antérieures n’avaient apporté rien de positif jusqu’à ce jour. Pour sa part, le Dr H______ lui avait indiqué qu’il n’avait plus de traitement à lui proposer, hormis la mise en place d’une prothèse du genou. Une telle intervention était toutefois prématurée pour un patient âgé de 54 ans et ne pouvait être envisagée que d’ici dix ans. Enfin, l’assuré a mentionné qu’il était suivi depuis plusieurs mois par la docteure Q______, psychiatre, en raison de troubles psychogènes qu’il attribuait à l’accident du 22 janvier 2019.
g. Par courrier du 25 janvier 2022, le conseil du recourant a transmis à l’assureur une copie d’un courrier du 22 décembre 2021, par lequel l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC), soit pour lui un inspecteur, lui avait fait parvenir, en annexe, un constat de visite de chantier, ayant eu lieu le jour de l’accident. Selon les observations faites à cette occasion, un ouvrier avait chuté sur une dalle du 1er étage sans aucune protection. Le chantier était ouvert au public et des « clôtures de périphérie » n’avaient pas été installées.
h. Le 7 février 2022, le docteur R______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et médecin d’assurance de l’assureur, a reçu l’assuré en vue de son « examen final ». Dans son rapport du 10 février 2022, il a indiqué que de l’avis de l’assuré, la situation de son genou droit s’était détériorée depuis la dernière intervention (OTV du 9 janvier 2020) et après son séjour à la CRR, avec des gonalgies droites quotidiennes limitant son périmètre de marche à environ 100m et la station debout prolongée à environ 10 minutes. L’examen clinique montrait une limitation de la flexion du genou et une amyotrophie du quadriceps droit de l’ordre de 2cm, sans amélioration significative par rapport à l’examen de février 2021. Le dernier bilan radiologique, du mois de novembre 2021, montrait une irrégularité de l’interligne articulaire avec un début de pincement fémoro‑tibial interne, ainsi qu’une sclérose sous-chondrale témoignant d’une gonarthrose fémorotibiale interne débutante. L’OTV était consolidée avec un axe mécanique des membres inférieurs symétrique, passant à environ 12mm médialement à l’épine tibiale des deux côtés. Sur la base de ces éléments, le Dr R______ a estimé qu’en l’absence non seulement d’évolution significative du cas depuis l’examen du Dr I______ du 25 février 2021 et le séjour effectué à la CRR du 21 avril au 18 mai 2021, mais aussi de proposition thérapeutique autre que l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (Dr P______), il était possible de considérer, d’un point de vue assurantiel, que la situation médicale était stabilisée.
L’ancienne activité habituelle de maçon n’était plus exigible et les limitations fonctionnelles suivantes étaient à prendre en compte :
- port de charges limité à 5kg ;
- pas de marches ni stations debout prolongées ;
- pas de positions accroupie et à genoux ;
- pas de montées et descentes d’escaliers, d’échelles et d’escabeaux.
Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles précitées, favorisant l’alternance des positions assise et debout, de courts déplacements avec un port de charges limité et sans montée et descentes d’escaliers, la capacité de travail était entière, sans diminution de rendement.
Sur le plan du suivi, la poursuite du traitement antalgique était indiquée. Le traitement de rééducation, à raison d’une séance par semaine, n’était plus indiqué et n’apporterait pas d’amélioration significative. En revanche, trois séries de neuf séances de physiothérapie et de rééducation dans l’année et une à deux visites médicales annuelles seraient admissibles. L’assuré avait « droit à la rechute » avec, à long terme, une aggravation dégénérative probable pouvant aboutir à une arthroplastie totale du genou droit.
i. Dans un rapport du 14 février 2022, le Dr R______ a évalué l’atteinte à l’intégrité subie par l’assuré à 12.5%, compte tenu d’une arthrose fémorotibiale interne moyenne (7.5%), comportant un risque d’aggravation prévisible ultérieure (5%).
j. Par courrier du 15 février 2022, l’assureur, se référant à l’examen du 7 février 2022 du Dr R______, a informé l’assuré qu’il suspendait le versement des prestations pour les frais de traitement mais continuerait toutefois à prendre en charge les soins réservés par ce médecin. L’indemnité journalière serait allouée jusqu’au 31 mars 2022 (compris) sur la base d’une incapacité totale de travail.
k. Par courriel du 18 février 2022 à l’assureur, la Dre Q______ a indiqué que l’assuré présentait, entre autres, une réaction mixte dépressive et anxieuse, suite à un syndrome douloureux « non résolu » ainsi qu’une baisse thymique (anhédonie, perte d’espoir, etc.). S’y ajoutaient une colère très importante, un grand sentiment d’injustice et des idées de persécution. Des douleurs étaient présentes toute la journée, avec perte de mobilité et difficultés dans toutes les activités. La symptomatologie dépressive, qui correspondait à un état dépressif moyen, était réactionnelle au syndrome douloureux.
l. Par courrier du 28 février 2022, l’assuré, représenté par un avocat, a indiqué qu’il reconnaissait la stabilisation de son état de santé au niveau orthopédique. Cependant, il continuait à avoir besoin d’une genouillère. Aussi convenait-il d’ajouter les frais y relatifs aux prestations pour soins que l’assureur continuerait à prendre en charge. Quant au volet psychiatrique, le courrier du 15 février 2022 omettait d’en tenir en compte. Tout en expliquant qu’il était dans l’attente d’un rapport d’expertise réalisé par la Dre Q______, l’assuré a d’ores et déjà produit,
en pièce jointe, une attestation du 19 octobre 2021 du docteur S______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, à l’attention de l’office cantonal des assurances sociales.
Selon ce médecin, le début du suivi psychothérapeutique remontait au 19 octobre 2021. L’assuré lui avait été adressé par son médecin traitant, la Dre N______, dans un contexte d’abaissement thymique important, accompagné d’anhédonie, de troubles du sommeil, d’une perte de motivation et d’un sentiment d’injustice et d’inutilité auquel s’ajoutait de l’irritabilité. En outre, à la suite de son accident, l’assuré souffrait d’une symptomatologie douloureuse au niveau de sa jambe droite, irradiant dans le genou droit avec une péjoration de l’intensité des douleurs depuis plusieurs mois. Sur la base de ces éléments, le Dr S______ proposait un suivi psychothérapeutique intensif. En dehors du traitement antalgique, qu’il prenait actuellement, l’assuré était réticent à un traitement psychotrope. Le Dr S______ tenait toutefois à préciser qu’il n’avait vu l’assuré qu’une seule fois.
Tirant argument de l’attestation du Dr S______, l’assuré a soutenu qu’il n’y avait pas de stabilisation du cas sur le plan psychique et qu’ainsi, les frais relatifs aux consultations psychiatriques devaient également être pris en charge par l’assureur. Il en allait de même des indemnités journalières qui restaient dues au-delà du 31 mars 2022.
m. Le 18 mars 2022, le Dr R______ a mentionné que les frais relatifs à la genouillère pouvaient être pris en charge par l’assureur dans le cadre des soins futurs.
n. Par appréciation psychiatrique du 30 mars 2022, le docteur T______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et psychiatre d’arrondissement de l’assureur, a indiqué avoir pris connaissance du rapport de la Dre Q______, lequel faisait état, dans un premier temps, d’une « réaction mixte, dépressive et anxieuse » et, dans un second temps, d’un « état dépressif moyen avec syndrome douloureux non résolu ». Étant donné que ce rapport était plus que succinct et qu’il mentionnait des diagnostics ne se référant à aucun manuel diagnostique, le Dr T______ estimait ne pas pouvoir répondre à la question que l’assureur lui avait soumise, à savoir s’il existait un lien de causalité naturelle entre les troubles psychiques présentés par l’assuré et son accident du 22 janvier 2019. Dans ces conditions, la convocation de l’assuré à un examen psychiatrique était nécessaire.
o. Le 6 avril 2022, l’assuré s’est soumis à un examen psychiatrique réalisé par
le Dr T______. Dans son rapport du 13 avril 2022, ce médecin a posé le diagnostic de trouble de l’adaptation avec prédominance d’une perturbation d’autres émotions (F43.32). En ce qui concernait le lien de causalité naturelle de ce trouble, il était au maximum probable et davantage en lien avec les conséquences négatives et délétères de l’accident du 22 janvier 2019 – qui avaient compromis l’insertion professionnelle de l’assuré et l’avaient donc, de ce fait, profondément déstabilisé – qu’avec l’accident en tant que tel. La capacité de travail était clairement nulle dans l’activité habituelle, mais plus pour des raisons somatiques que psychiatriques. Étant donné qu’il n’avait aucune formation professionnelle certifiée, s’approchait de la retraite et maîtrisait mal la langue française, il était peu probable qu’on puisse le réinsérer dans une profession adaptée ou même envisager une quelconque réadaptation. Il n’était pas clair depuis quand la symptomatologie était présente, puisqu’elle aurait été observée par des tiers et non par l’assuré lui-même en premier lieu. En tout cas, la situation était loin d’être stabilisée actuellement.
p. Le 13 mai 2022, l’assureur a procédé au calcul du degré d’invalidité de l’assuré. Pour le revenu sans invalidité, il s’est fondé sur le revenu ressortant de la déclaration d’accident du 23 janvier 2019 (CHF 74’874.15, soit CHF 5’759.55 x 13). Quant au revenu avec invalidité, l’assureur l’a déterminé sur la base de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ci-après : ESS), soit du tableau TA1, tirage « skill level » de l’ESS 2018. Il en ressortait que dans une activité de niveau 1, un homme pouvait réaliser un revenu de CHF 5’417.- par mois, ce qui correspondait à CHF 65’004.- par an pour 40 heures de travail, respectivement CHF 67’766.67 par an en tenant compte de la durée normale de travail dans les entreprises (41.7h). Après indexation à l’indice suisse des salaires (ISS ; tableau T1.15), ce revenu se montait à CHF 68’376.57 en 2019 (+0.9%), CHF 68’923.58 en 2020 (+0.8%), puis à CHF 68’992.51 en 2021 (+0.1% selon « l’estimation trimestrielle actuelle ») et CHF 69’061.50 en 2022 (+0.1% selon « l’estimation trimestrielle actuelle »). En déduisant de ce montant un abattement de 5% au titre des limitations fonctionnelles, le revenu avec invalidité était de CHF 65’608.-. Compte tenu du fait que le salaire ressortant de la convention collective nationale du gros-œuvre pour l’année 2022 était inférieur au gain réalisé au moment de l’accident, il convenait de prendre en considération le dernier salaire obtenu
(CHF 74’874.15). En comparant celui-ci au revenu avec invalidité précité, la perte de gain s’élevait à CHF 9’266.15 et le degré d’invalidité à 12% (12.38%, arrondi à 12%).
C. a. Par décision du 13 mai 2022, l’assureur a alloué à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 12.5% (soit CHF 18’525.-) et une rente d’invalidité de 12% à compter du 1er avril 2022. Il ressortait des investigations menées que l’intéressé était à même, malgré les séquelles de l’accident, d’exercer une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dans différents secteurs de l’industrie, à la condition de ne pas devoir porter de charges supérieures à 5kg et de pouvoir travailler en position alternée assise/debout. Une telle activité était exigible à plein temps et lui permettrait de réaliser un revenu de CHF 65’608.-, d’où une perte de gain de 12% par rapport au gain de CHF 74’874.15 réalisable sans l’accident. Il convenait en conséquence d’allouer une rente correspondant à ce taux d’invalidité de 12%, sans tenir compte d’éventuels troubles psychogènes. Même si ceux-ci étaient de nature à réduire la capacité de gain, l’assureur n’avait pas à en répondre dès lors qu’ils ne présentaient pas de lien de causalité adéquate avec l’accident.
b. Le 16 juin 2022, l’assuré a formé opposition à cette décision, concluant, principalement, à son annulation ainsi qu’à :
- la mise en œuvre d’une expertise indépendante pluridisciplinaire comprenant des volets rhumatologique, orthopédique et psychiatrique, afin de :
o déterminer les atteintes consécutives à l’accident du 22 janvier 2019 ;
o dire si l’état de santé, consécutif à cet accident, était définitif ou non ;
o déterminer, cas échéant, les répercussions desdites atteintes à la santé, consécutives à l’accident du 22 janvier 2019, sur la capacité de travail, les limitations y relatives et la diminution de rendement ;
o fixer, le cas échéant, le degré d’atteinte à l’intégrité consécutivement à l’accident du 22 janvier 2019.
- la reprise des indemnités journalières dès le 1er avril 2022 et à la prise en charge de l’intégralité des frais de traitement (si l’état de santé consécutif à l’accident du 22 janvier 2019 n’était pas définitif) ;
- la réévaluation de la rente d’invalidité à la lumière de l’instruction complémentaire et de l’expertise indépendante pluridisciplinaire et, le cas échéant, l’octroi d’une rente entière d’invalidité (si l’état de santé consécutif à l’accident du 22 janvier 2019 était définitif) ;
- la réévaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, incluant tant les troubles somatiques que psychiques (si l’état de santé consécutif à l’accident du 22 janvier 2019 est définitif).
L’assuré a également conclu, préalablement :
- à l’apport à la procédure du volet du dossier concernant l’employeur, relatif au défaut de mesures de sécurité prises en faveur des employés ;
- à ce qu’un délai complémentaire lui soit accordé afin de compléter son opposition.
À l’appui de sa position, l’assuré a versé au dossier, notamment :
- un rapport établi le 2 juin 2022 par le Dr P______, réitérant les propositions thérapeutiques déjà faites dans son rapport du 2 décembre 2021 et précisant que l’assuré souhaitait prendre contact avec l’assureur pour évoquer ce plan de traitement. La capacité de travail actuelle était nulle dans l’activité de maçon et tout travail manuel lourd. Dans une activité adaptée à son état actuel, c’est-à-dire sans port de charges supérieures à 5kg, permettant une position de travail alternée assise/debout et ne requérant des déplacements qu’à l’intérieur, la capacité de travail pouvait être estimée entre 50% et 100%. En ce qui concernait l’atteinte à l’intégrité corporelle, le
Dr P______ l’estimait à 15% « selon le tableau de la SUVA » ;
- un rapport du 15 juin 2022 du docteur U______ et de la docteure V______, respectivement spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et médecin interne, concluant à la présence d’un état de stress post-traumatique (F43.1) et d’un état dépressif sévère avec symptômes psychotiques (F32.2). Les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient graves et prenaient la forme de ruminations anxieuses qui impactaient ses fonctions cognitives et réduisaient à néant sa capacité de reconversion. Sa capacité à appliquer des compétences professionnelles était actuellement impossible en lien avec ses douleurs chroniques et ses limitations physiques. La résistance psychique et l’adaptabilité étaient de 0% et la capacité de travail nulle, sans perspective d’amélioration à court terme.
Tirant argument des rapports précités, l’assuré a relevé que ceux-ci divergeaient des conclusions des médecins de l’assureur, non seulement sur le plan des diagnostics (psychiatriques), mais aussi au niveau des répercussions des atteintes à la santé (capacité de travail). Aussi apparaissait-il nécessaire d’ordonner une expertise.
Pour le surplus, l’assuré a soutenu qu’il existait un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’accident du 22 janvier 2019 d’une part, et les diverses atteintes somatiques et psychiques d’autre part, si bien qu’il y avait lieu d’examiner le droit aux prestations provisoires (indemnités journalières et frais médicaux) et aux autres prestations (rente d’invalidité et indemnité pour atteinte à l’intégrité) également à la lumière de troubles psychiques résultant de l’événement du 22 janvier 2019.
c. Par pli du 20 juillet 2022 à l’assureur, le conseil de l’assuré a indiqué s’être entretenu avec la fille de ce dernier. Alors qu’il passait des vacances au Portugal, son père avait été victime d’un accident survenu au cours de la semaine du 11 au 17 juillet. Sa jambe droite avait lâché et subi une fracture. Il était actuellement hospitalisé au Portugal et devait prochainement être opéré. Compte tenu de ces développements, l’assureur était invité à reprendre immédiatement le versement des indemnités journalières ainsi que la prise en charge de l’intégralité des frais de traitement.
d. Le 20 juillet 2022, l’assuré a complété son opposition du 16 juin 2022 et soutenu que lors de l’événement du 22 janvier 2019, l’espace entre la dalle vouée à la démolition et le sol mesurait 3m50 et qu’ainsi, la hauteur de chute était de 3m50. Concernant encore les circonstances de l’accident, c’était à tort que le procès-verbal d’audition de l’assuré, du 13 mai 2019, mentionnait que le chantier était sécurisé et qu’aucune faute n’avait été commise. Le dossier devait être réexaminé sur ce point. En effet, il ressortait notamment d’un compte rendu d’accident établi par l’OAC qu’aucun dispositif de protection n’avait été mis en place, raison pour laquelle le conseil de l’assuré avait écrit à l’assureur le 25 janvier 2022 pour l’informer qu’il était amené à se pencher sur la question d’un éventuel cas de responsabilité civile en lien avec l’accident du 22 janvier 2019. Enfin, l’assuré a réitéré que les critères de causalité adéquate entre ses troubles psychiques et l’événement du 22 janvier 2019 étaient réalisés.
Sur la base de ces éléments, l’assuré a persisté à demander l’apport à la procédure du volet du dossier concernant l’employeur – relatif au défaut de mesures de sécurité prises en faveur des employés. Pour le surplus, il a quelque peu reformulé ses conclusions en concluant, principalement, à l’annulation de la décision du 13 mai 2022. Cela fait, l’assureur était invité, principalement, à constater que l’état de santé de l’assuré n’était pas stabilisé et, partant, à reprendre immédiatement le versement des indemnités journalières et la prise en charge de l’intégralité des frais de traitement. Subsidiairement, l’assureur était invité à :
- compléter l’instruction du dossier s’agissant du défaut de mesures de sécurité prises par l’employeur en faveur de l’assuré ;
- ordonner une expertise indépendante pluridisciplinaire rhumatologique, orthopédique, psychiatrique et neuropsychologique afin de :
o déterminer les atteintes consécutives à l’accident du 22 janvier 2019 ;
o dire si l’état de santé consécutif à cet accident est définitif ou non ;
o déterminer, le cas échéant, les répercussion desdites atteintes à la santé consécutives à l’accident du 22 janvier 2019 sur la capacité de travail, les limitations y relatives et la diminution de rendement ;
o fixer, le cas échéant, le degré d’atteinte à l’intégrité consécutivement à l’accident du 22 janvier 2019.
- reprendre le versement des indemnités journalières dès le 1er avril 2022 et prendre en charge l’intégralité des frais de traitement (si son état de santé consécutif à l’accident du 22 janvier 2019 n’était pas définitif) ;
- fixer la rente d’invalidité à la lumière de l’instruction complémentaire et de l’expertise indépendante pluridisciplinaire et, le cas échéant, octroyer une rente entière d’invalidité (si l’état de santé consécutif à l’accident du 22 janvier 2019 était définitif) ;
- réévaluer l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, incluant tant les troubles somatiques que psychiques (si son l’état de santé consécutif à l’accident du 22 janvier 2019 était définitif).
e. Par courriel du 29 juillet 2022 à l’assureur, l’assuré a relaté en substance l’événement du 14 juillet 2022, survenu au Portugal, en ces termes : sa jambe avait lâché et il était tombé. Celle-ci était à présent encore plus faible qu’avant.
f. Par courrier du 3 août 2022 à l’assureur, l’assuré a versé au dossier une copie d’un rapport du 27 juillet 2022 du service de chirurgie orthopédique de l’Hôpital de San Pedro, à Vila Real (Portugal), faisant suite à la chute survenue le 14 juillet 2022. Il ressortait de la traduction dudit rapport qu’il présentait une fracture du fémur droit qui avait fait l’objet d’une intervention, réalisée le 23 juillet 2022 dans cet hôpital, consistant en une réduction ouverte et une ostéosynthèse avec plaque anatomique du fémur distal.
g. Par appréciation du 16 août 2022, le Dr R______ a estimé que le cas était stabilisé pour autant qu’aucun lien de causalité ne soit rendu vraisemblable – par les mesures d’instruction futures – entre l’accident du 22 janvier 2019 et l’atteinte du fémur distal, opérée en juillet 2022 au Portugal.
h. Par courrier du 27 septembre 2022 à l’assureur, l’assuré a précisé les circonstances du nouvel accident subi le 14 juillet 2022 pendant ses vacances au Portugal. Il était sorti de chez lui avec sa femme pour se promener dans le village. Après avoir marché à peine 10 m – à l’aide d’une béquille utilisée du côté gauche –, il avait senti un lâchage de sa jambe droite comme si elle n’avait plus de force. Il avait également entendu un claquement localisé au-dessus de son genou droit. Comme il n’avait plus de force dans sa jambe droite, celle-ci s’était retrouvée sous sa jambe gauche, provoquant ainsi une chute avec réception sur le postérieur. Après être resté un petit moment au sol, il avait essayé d’extirper sa jambe droite – qui était sous sa jambe gauche – mais cela lui faisait trop mal. C’étaient ses fils, préalablement joints au téléphone par leur mère, qui lui avaient prêté secours et l’avaient ramené à la maison. Le transfert à l’hôpital avait eu lieu le lendemain.
i. Par appréciation du 20 octobre 2022, le Dr R______ a considéré que
le lien de causalité entre l’accident du 22 janvier 2019 et la nouvelle atteinte, survenue le 14 juillet 2022, pouvait être considéré comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante. La capacité de travail exigible dans l’ancienne activité de maçon était nulle et ce, de manière définitive. Comme la situation médicale à la suite de l’intervention du 23 juillet 2022 n’était actuellement pas stabilisée, il était trop tôt pour définir les limitations fonctionnelles et le taux d’atteinte à l’intégrité qui découlaient de cette nouvelle atteinte.
j. Par appréciation du 31 octobre 2022, le Dr R______ a indiqué qu’entre la date de l’examen final auquel il avait procédé – 7 février 2022 – et le 14 juillet 2022, l’état de santé de l’assuré était stabilisé. La chute du 14 juillet 2022 avait entraîné de nouvelles atteintes qui n’étaient pas stabilisées. Cet événement devait être considéré comme une rechute du premier accident.
k. Par courrier du 23 novembre 2022, l’assureur a fait savoir à l’assuré qu’il considérait l’événement du 14 juillet 2022 comme une rechute et qu’il prenait en charge les frais de traitement en découlant. En revanche, il n’existait pas de droit au versement d’indemnités journalières car l’assuré était sans activité lucrative « et au bénéfice d’une assurance sociale ». Cette prise en charge de la rechute selon les modalités évoquées ne modifiait en rien la procédure d’opposition qui était en cours.
l. Par courrier du 9 janvier 2023, intitulé « soumission à la médecine des assurances », l’assureur a estimé qu’au vu des différentes pièces récentes au dossier, une appréciation détaillée était nécessaire sur le plan psychiatrique.
m. Par appréciation du 10 janvier 2023, le docteur X______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie au sein de la division Médecine d’assurance Suisse occidentale, a estimé que l’assuré présentait une symptomatologie congruente avec un trouble de l’adaptation avec prédominance d’une perturbation d’autres émotions, apparue plus de trois ans après l’accident subi. Cette dégradation sur
le plan psychiatrique, chez une personne ne présentant a priori aucun antécédent psychiatrique, semblait être en lien avec les conséquences de l’accident. L’assuré n’était plus en mesure, d’une part, de reprendre son activité antérieure de maçon et, d’autre part, une réadaptation à son âge et avec un niveau scolaire ne dépassant pas celui de l’école obligatoire présentait peu de chances de succès. Ce contexte induisait probablement une situation de tension au niveau socio-financier et identitaire. Il semblait que ces aspects avaient été significatifs dans la dégradation clinique sur le plan psychiatrique. Sachant que l’assuré ne semblait pas avoir d’antécédents psychiatriques ni d’autre facteur de risque connu, ces différentes conséquences n’auraient probablement pas existé si l’accident ne s’était pas produit. Dans ce contexte, l’accident était en lien de causalité naturelle « probable et vraisemblable » avec la symptomatologie psychiatrique de l’assuré, même si le lien était indirect.
n. Le 26 janvier 2023, l’assureur a calculé une nouvelle fois le degré d’invalidité et l’a fixé à 18% (au lieu de 12% précédemment, dans le calcul le 13 mai 2022), toujours en vue du versement d’une rente d’invalidité à compter du 1er avril 2022. Toutes choses égales par ailleurs, la différence par rapport au précédent calcul s’expliquait par l’indexation du revenu sans invalidité (CHF 76’303.35 en 2022) et la détermination du revenu avec invalidité sur la base de l’ESS 2020 (non disponible lors du premier calcul), permettant d’aboutir, après indexation à 2022 et maintien d’un abattement de 5%, à CHF 62’770.-. En comparant ce montant au revenu avec invalidité précité, la perte de gain s’élevait à CHF 13’533.35 et le degré d’invalidité à 18% (17.74%, arrondi à 18%).
o. Par décision sur opposition du 26 janvier 2023, l’assureur a indiqué que l’événement survenu le 14 juillet 2022 au Portugal avait justifié une nouvelle prise en charge à titre de rechute (cf. courrier du 23 novembre 2022). En conséquence, demeurait seule litigieuse la clôture du cas au 31 mars 2022, dont les effets avaient été l’arrêt du versement de l’indemnité journalière et de la prise en charge du traitement médical, l’octroi d’une rente et d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité (ci-après : IPAI). Dans la mesure où l’assuré soutenait, dans son opposition, qu’il existait un lien de causalité entre les troubles psychiques et l’accident subi, il convenait de trancher cette question dans un premier temps. Même si les avis des médecins-psychiatres versés à la procédure s’accordaient à admettre un lien de causalité naturelle entre les troubles psychiques et l’accident du 22 janvier 2019, ces troubles n’étaient pas à la charge de l’assurance-accidents dans la mesure où d’un point de vue juridique, leur lien de causalité adéquate avec l’événement du 22 janvier 2019 faisait défaut. La problématique était donc essentiellement somatique. À cet égard, les appréciations du Dr R______
– qui n’étaient pas mises en doute par les autres avis médicaux versés au dossier – devaient se voir reconnaître valeur probante. Partant, en tant qu’elle retenait que l’état de santé était stabilisé, que l’assuré n’était plus en mesure de travailler dans son ancien emploi et qu’il possédait toujours une capacité de travail entière dans une activité adaptée, la décision du 13 mai 2022 pouvait être confirmée. Le degré d’invalidité résultant de la comparaison des revenus avec et sans invalidité étant de 17.74%, l’assuré devait se voir reconnaître un droit à une rente basée sur ce même taux, arrondi à 18%. Cette différence d’évaluation entre la décision du 13 mai 2022 et la décision rendue sur opposition était uniquement liée aux nouvelles statistiques publiées par l’office fédéral de la statistique pour 2020. En effet, ces nouvelles statistiques faisaient état d’un salaire médian du secteur privé plus bas qu’en 2018. L’examen portait enfin sur la question de savoir si l’assureur était fondé à allouer une IPAI de 12.5%. À cet égard, il convenait de s’en tenir également à l’appréciation du Dr R______.
Compte tenu de ces éléments, l’opposition devait être partiellement admise et la décision du 13 mai 2022 modifiée dans le sens d’un degré d’invalidité plus élevé (18%) pour la rente versée à partir du 1er avril 2022. Pour le surplus, l’opposition était rejetée et la décision confirmée, sous réserve des éventuels droits de l’assuré à des prestations dans le contexte de l’événement annoncé le 29 juillet 2022 (chute du « 13 » [recte : 14] juillet 2022).
D. a. Le 27 février 2023, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre cette décision, concluant, principalement, à son annulation. Cela fait, et statuant à nouveau, la chambre de céans était invitée à :
- constater et dire que les troubles psychiques du recourant étaient en lien de causalité naturelle et adéquate avec l’accident du 22 janvier 2019 ;
- constater et dire que l’état de santé du recourant – tant sur le plan physique que psychique – n’était pas stabilisé ;
- renvoyer la cause à l’intimée et lui ordonner de reprendre le versement des indemnités journalières dès le 1er avril 2022, avec intérêts moratoires à 5% l’an, et de prendre en charge les traitements et les soins consécutifs à l’accident du 22 janvier 2019 ;
- renvoyer la cause à l’intimée et ordonner, une fois l’état de santé du recourant stabilisé – tant sur le plan physique que psychique –, la mise en œuvre d’une expertise médicale indépendante pluridisciplinaire orthopédique, psychiatrique et neuropsychologique pour déterminer les atteintes somatiques et psychiques et, le cas échéant, fixer les limitations fonctionnelles, l’éventuelle capacité de travail dans une activité adaptée, la diminution de rendement, le degré d’invalidité et l’IPAI.
Subsidiairement, la chambre de céans était invitée à annuler la décision sur opposition du 26 janvier 2023. Cela fait et statuant à nouveau :
- constater et dire que les troubles psychiques du recourant étaient en lien de causalité naturelle et adéquate avec l’accident du 22 janvier 2019 ;
- ordonner la mise en œuvre d’une expertise médicale indépendante pluridisciplinaire orthopédique, psychiatrique et neuropsychologique pour déterminer les atteintes somatiques et psychiques et, le cas échéant, fixer les limitations fonctionnelles, l’éventuelle capacité de travail dans une activité adaptée, la diminution de rendement, le degré d’invalidité et l’indemnité pour atteinte à l’intégrité physique et psychique ;
- renvoyer la cause à l’intimée pour qu’elle fixe en conséquence la rente d’invalidité et l’IPAI en faveur du recourant et qu’elle prenne en charge les traitements et les soins consécutifs à l’accident du 22 janvier 2019.
Enfin, la chambre de céans était également invitée, préalablement, à ordonner l’apport à la procédure du volet du dossier concernant l’employeur, relatif au défaut de mesures de sécurité prises en faveur des employés, ayant notamment engendré l’accident du 22 janvier 2019.
À l’appui de sa position, le recourant a soutenu qu’il existait un lien de causalité adéquate entre ses troubles psychiques et l’accident du 22 janvier 2019 puisque la quasi-totalité des critères de causalité adéquate établis par la jurisprudence étaient ici réunis. De plus, son état de santé sur le plan psychique et somatique n’était pas stabilisé au moment de la survenance de l’événement du 14 juillet 2022. Aussi convenait-il d’annuler la décision attaquée et de renvoyer la cause à l’intimée pour qu’elle reprenne le versement des indemnités journalières et prenne en charge l’intégralité des frais de traitement en lien avec l’accident du 22 janvier 2019 et ses suites, dont l’événement du 14 juillet 2022 faisait partie.
Si en revanche, la chambre de céans retenait que l’état de santé du recourant était stabilisé, il n’en demeurait pas moins que la capacité de travail dans une activité adaptée, le degré d’invalidité, la perte de rendement et l’indemnités pour atteinte à l’intégrité devaient être revus notamment à la lumière des troubles psychiques. Par ailleurs, au vu des appréciations médicales divergentes concernant l’IPAI et la capacité de travail dans une activité adaptée, l’intimée ne pouvait pas se fonder valablement sur les appréciations de ses médecins. Au vu de ces divergences, la décision litigieuse devait être annulée et la cause renvoyée à l’intimée en vue de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire.
Le recourant a produit notamment :
- une « attestation » établie le 22 février 2023 par Monsieur Y______, aux termes de laquelle celui-ci indiquait avoir été témoin de l’accident du recourant. Il avait été chargé, avec ce dernier, de la démolition de la dalle du 1er étage, tous deux étant équipés de marteaux-piqueurs d’un poids d’environ 25 kg. À un moment donné, lorsqu’il avait voulu commencer à piquer, toute une longueur de poutrelles s’était effondrée juste avec le poids de son marteau-piqueur. Le recourant avait été entraîné dans une chute de plus de 4 m et avait atterri après une chute de plus de 4m dans le trou creusé au rez‑de‑chaussée, sur les gravats et morceaux de béton, avec d’autres morceaux qui lui étaient retombés dessus. Pour sa part, Y______ avait pu se jeter un peu en arrière et ainsi éviter la chute. Il était immédiatement descendu pour rejoindre le recourant, avait appelé la police et une ambulance et avait vu la jambe blessée de son collègue. C’était impressionnant ; on voyait l’os, le tibia s’était détaché et la jambe était à angle droit. Le recourant, qui avait horriblement mal, avait également vu sa jambe et était paniqué. Une fois arrivés, les secours avaient empêché le recourant de regarder sa jambe en la recouvrant d’une couverture. Pour sa part, Y______ avait fait des cauchemars de la scène de l’accident pendant plusieurs semaines. Comme il avait travaillé pendant 20 ans dans le bâtiment, il savait que les travaux que le contremaître avait ordonnés ne respectaient pas les normes de sécurité. Normalement, l’entreprise aurait dû installer un coffrage sous la zone à démolir, afin de sécuriser les ouvriers. Pour ce chantier, de telles mesures n’avaient pas été prises. De plus, il n’existait aucune protection en cas de chute ;
- un rapport du 2 novembre 2021 du Dr H______ au conseil du recourant, retenant, entre autres, qu’à partir du 21 juin 2021 environ, soit à une année et demie de l’OTV qui, entretemps, avait bien guéri, le recourant présentait une capacité de travail entière dans une activité adaptée (pas de port de charges au‑delà de 5 kg, pas de marche en terrain irrégulier, évitement des positions accroupie et à genoux). Concernant la diminution de rendement dans une telle activité, le Dr H______ indiquait ne pas pouvoir se prononcer. Interrogé sur la nécessité de poursuivre un traitement médical afin d’obtenir une notable amélioration de l’état de santé pour éviter une notable aggravation de l’état
de santé actuel, le Dr H______ a répondu qu’une ablation du matériel d’ostéosynthèse était réalisable, comme discuté lors de la consultation du 22 juin 2021, mais qu’il n’était pas d’avis que ceci améliorerait de façon notable la symptomatologie douloureuse.
b. Par réponse du 15 mars 2023, l’intimée a conclu au rejet du recours. Tout en se référant pour l’essentiel à la motivation de la décision litigieuse, elle a relevé pour le surplus que même si les allégations du recourant en lien avec la procédure de recours contre les tiers responsables n’étaient pas en lien avec la procédure d’assurance sociale, il n’était pas inutile de préciser qu’initialement, notamment au vu des déclarations faites par le recourant le 13 mai 2019, aucun élément ne permettrait de déceler une quelconque responsabilité d’un tiers dans la survenance de l’accident du 22 janvier 2019. Dans l’intervalle, l’intimée avait changé son appréciation des circonstances de l’accident et ses services spécialisés – dont la division sécurité au travail de la SUVA – avaient mis en place plusieurs mesures d’instruction qui étaient toujours en cours. Dans le cadre de la procédure de la SUVA contre les tiers responsables, le recourant pourrait « bénéficier de moyens de preuve que [la SUVA trouverait] par le biais de ces différentes mesures ». Pour autant, le recourant ne disposait pas d’un droit de décider de ces mesures ou d’intervenir sur leur déroulement. En effet, la SUVA était subrogée, jusqu’à concurrence des prestations légales, aux droits de l’assuré contre tout tiers responsable. Il lui appartenait dès lors de décider si et quand il y avait lieu de procéder aux mesures d’instruction en matières de responsabilité civile. De même, il était du seul ressort de la SUVA de décider s’il y avait lieu de faire valoir ou non des prétentions récursoires à l’encontre de l’ancien employeur du recourant. En tout état, les éventuelles prétentions récursoires de la SUVA à l’égard de cet ancien employeur n’avaient pas d’influence sur le droit du recourant aux prestations légales qui était seul l’objet du litige. À cet égard, il convenait de nier l’existence d’un lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques du recourant et l’événement du 22 janvier 2019. En conséquence, le droit aux prestations était fonction des seules atteintes somatiques. Aussi convenait-il de confirmer que le cas était stabilisé au plus tard le 10 février 2022, conformément au rapport d’examen final que le Dr R______ avait établi à cette date.
c. Le 19 avril 2023, le recourant a répliqué en axant principalement ses arguments sur la causalité adéquate des troubles psychiques et l’absence de stabilisation du cas à la date retenue par l’intimé.
d. Par courrier du 27 juin 2023, la chambre de céans a imparti un délai à l’intimée pour qu’elle se détermine sur la conclusion préalable prise par le recourant dans son écriture du 27 février 2023 – quant à l’apport du dossier ouvert auprès de la SUVA relativement à l’ancien employeur du recourant – et, cas échéant, qu’elle produise les pièces de ce dossier.
e. Le 13 juillet 2023, l’intimée a versé à la procédure :
- le dossier dit « dossier de cas » ou « dossier d’accident », comprenant l’ensemble des pièces ayant permis à l’assureur de déterminer le droit aux prestations sociales (indemnités journalières, traitement, rente, IPAI, etc.) du recourant à la suite de l’accident du 22 janvier 2019 ;
- le dossier « recours » comprenant les pièces utiles à l’éventuelle action civile que la SUVA pourrait exercer à l’encontre de tout tiers responsable.
L’intimée a par ailleurs précisé ne pas avoir produit le dossier dit « entreprise », contenant des données confidentielles sur l’ancien employeur du recourant (liste du personnel de la société, factures de primes, etc.), lesquelles étaient d’autant moins pertinentes pour la résolution du litige que les autres documents du dossier « entreprise », relatifs aux suites administratives et civiles de l’accident du 22 janvier 2019, y compris les documents de la procédure d’exécution pour la sécurité au travail, figuraient déjà dans les dossiers « de cas » et « recours » transmis à la chambre de céans.
f. Entendu le 12 septembre 2023 par la chambre de céans, le recourant a décrit les travaux qu’il effectuait le 22 janvier 2019 avec son collègue, Y______, peu avant la chute. Alors qu’ils étaient en train de piquer le sol du 1er étage avec leurs marteaux piqueurs de 27 kg, conformément aux instructions de l’architecte, du contremaître et du patron, la partie la plus faible du sol avait cassé juste derrière eux. Le sol avait déjà été excavé de deux mètres au rez. Le sol s’était effondré sous lui jusqu’à environ un demi-mètre derrière lui. Il avait lâché le marteau piqueur et essayé de s’accrocher au mur, mais il n’y avait aucun élément auquel s’accrocher. Il était donc tombé assis sur des éléments en béton (sorte de poutres) que son collègue et lui étaient précédemment en train de casser. Il était resté assis et avait vu sa jambe « séparée en deux » (tibia perpendiculaire à la cuisse) au niveau du genou. Un collègue avait alors placé une veste sur sa jambe droite, lui avait dit de ne pas regarder et lui avait donné un verre d’eau. Il ne se souvenait pas de ce qui s’était passé après, si ce n’est qu’on lui avait posé beaucoup de questions dans l’ambulance. Il n’avait pas perdu connaissance à un quelconque moment, même si juste après la chute, il avait été un peu sonné. Il avait vraiment repris ses esprits quand ses collègues lui avaient parlé. Lorsqu’il était tombé, sa jambe avait touché en premier le sol, de sorte qu’elle s’était cassée et qu’il s’était retrouvé assis. Ensuite, son dos s’était abaissé et sa tête avait touché le sol (des morceaux de béton) fortement. L’index de sa main droite s’était disloqué lorsqu’il avait tapé le sol. Il avait vu son doigt cassé qui lui faisait très mal dans les instants qui avaient suivi la chute. L’ambulancier l’avait rétabli et mis un bandage. La douleur avait été également très forte au genou droit. Cette partie du corps était douloureuse aujourd’hui encore. Contrairement à l’index de la main droite – autour duquel il avait conservé un bandage pendant un mois –, sa jambe droite, plus précisément la cuisse, le genou et le tibia posaient toujours problème à ce jour. Ce qui l’avait le plus marqué lors de son accident, c’était le fait de tomber sans pouvoir s’accrocher. Cette pensée, qui lui revenait souvent, lui donnait une sensation de peur. Quand il s’endormait, l’accident lui revenait souvent en mémoire. Alors, il se réveillait. Pendant la journée, il prenait des médicaments contre les angoisses et la dépression qui l’aidaient un peu à gérer la journée. La glace qu’il mettait sur son genou droit l’aidait aussi à réduire la douleur. De son point de vue, l’état de sa jambe droite n’avait jamais été stabilisé. En effet, même après le 31 mars 2022, cette jambe ne pouvait pas porter le poids de son corps. Aussi, pour éviter de la lester, il utilisait deux béquilles. De plus, cette jambe, qui était douloureuse et qu’il ne pouvait pas plier, avait tendance à lâcher car elle manquait de force. Le 14 juillet 2022 au Portugal, sur un sol légèrement incliné en ciment, un peu jonché de sable, sa béquille avait glissé, si bien que le poids de son corps avait pesé sur sa jambe droite et entraîné le lâchage du genou. Sa jambe droite était alors passée derrière sa jambe gauche et il était tombé sur les fesses.
Sur question du Président, le représentant de la SUVA, également entendu le 12 septembre 2023, a indiqué que selon sa compréhension du terme « protection collective » ressortant du compte rendu d’accident établi par l’OAC (cf. pièce 5 recourant), l’absence de protection collective signifiait qu’il n’y avait pas de rambarde, ni par exemple un étaiement en-dessous pour stabiliser/renforcer le sol du 1er étage. Cependant, ces manquements de l’employeur ne changeaient rien au fait que l’accident du 19 janvier 2022 était de gravité moyenne au sens de la jurisprudence. Dans son appréciation du 20 octobre 2022, le Dr R______ avait indiqué que la situation n’était pas stabilisée. Ce faisant, il n’avait pas précisé qu’il s’agissait de la situation après le 14 juillet 2022 ou entre le 31 mars et le 14 juillet 2022. C’était pour cette raison qu’en réponse à une question complémentaire, le Dr R______ avait précisé le 31 octobre 2022 qu’entre la date de l’examen final auquel il avait procédé – 7 février 2022 – et le 14 juillet 2022, l’état de santé de l’assuré était stabilisé.
g. Par pli du 8 août 2023, l’intimée a transmis un rapport du 29 juin 2023 établi par sa division Sécurité au travail. Il en ressortait que cette dernière n’avait pas été contactée au moment de l’accident du 22 janvier 2019. Ainsi, aucune vision locale/mesure d’enquête n’avait pu être effectuée au moment des faits. Les photos transmises avec le compte rendu d’accident de l’OAC semblaient démontrer l’existence d’une dalle à hourdis composée de béton et de briques en terre cuite. Les matériaux que l’on voyait au rez-de-chaussée concordaient avec ceux provenant de l’effondrement d’une dalle. Cependant, la déposition du « 22 mars 2023 » (recte : 22 février 2023) de Y______, transmise à la division Sécurité au travail par le conseil du recourant, mentionnait la présence d’un trou remplis de débris en béton et autres, ceci avant l’accident. Tout en indiquant que les différents rapports et éléments en sa possession ne lui permettaient « pas d’établir les circonstances et causes de l’accident de manière factuelle », la division Sécurité au travail n’en a pas moins estimé que les déclarations du 22 février 2023 de Y______ mettaient en évidence une absence de planification des travaux et un mode opératoire qui avait exposé le recourant et Y______ de manière directe à un risque de chute suite à l’effondrement de la dalle.
h. Par ordonnance du 21 septembre 2023, la chambre de céans a requis de l’OAI la production du dossier du recourant et réservé la suite de la procédure.
i. Le 5 octobre 2023, la chambre de céans a transmis aux parties une copie du CD-ROM, contenant le dossier d’assurance-invalidité du recourant.
Ce dossier comportait notamment :
- un rapport du 23 juillet 2021 du Service médical régional de l’assurance‑invalidité (ci-après : SMR). Une fracture du plateau tibial droit Schatzker IV, compliquée d’une déformation en varus et d’une amyotrophie, constituait l’atteinte principale. Au titre des autres atteintes, on retenait une « torsion foulure » de la deuxième phalange de l’index. Le début de l’incapacité de travail durable remontait au 22 janvier 2019. Depuis lors l’activité de maçon n’était plus exigible. En revanche, depuis le 26 janvier 2021 – date à laquelle le Dr H______ avait fait état, d’une part, d’une capacité de travail nulle dans l’activité habituelle et, d’autre part, de la nécessité de reprendre une activité adaptée –, la capacité de travail était entière dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (i.e. ne nécessitant ni port répété de charges lourdes [plus de 10kg], ni marche prolongée, surtout en terrain irrégulier, ni position debout prolongée, ni positions accroupie et à genoux répétées) ;
- le projet de décision du 24 septembre 2021 ;
- un courrier de l’assuré du 3 novembre 2018, contestant le projet de décision du 24 septembre 2021 de l’OAI en tant qu’il retenait qu’il existait une capacité de travail entière dans une activité adaptée dès le 26 janvier 2021. À cette date, l’assuré n’avait pas encore séjourné à la CRR et cet établissement avait considéré, à l’issue du séjour, que le cas n’était pas encore stabilisé. De surcroît, le projet de décision précité n’incluait pas les aspects psychiques du cas. Ceux-ci n’avaient fait l’objet d’aucune instruction de la part de l’OAI ;
- un rapport du 19 novembre 2021 du SMR, retenant, à la lumière du rapport du 2 novembre 2021 du Dr H______, que le recourant présentait une capacité de travail entière dans une activité adaptée dès le 22 juin 2021 concernant le volet orthopédique. Sur le plan psychiatrique, les symptômes semblaient réactionnels au projet de décision du 24 septembre 2021, la prise en charge psychiatrique ayant débuté après (cf. le rapport du Dr S______ du 19 octobre 2021). Néanmoins, afin de faire la part entre une atteinte transitoire ou une atteinte durable, il convenait de poursuivre l’instruction ;
- un avis du 12 septembre 2022 du SMR apprenant que l’assuré avait présenté une facture supra- et intercondylienne du fémur droit en date du 16 juillet 2022 (recte : 14 juillet 2022) avec réduction et ostéosynthèse par plaque anatomique en date du 23 juillet 2022. À l’examen des pièces relatives à cet événement, l’état de santé ne serait pas stabilisé avant six mois post‑accident au minimum, soit avant fin janvier 2023. Sur la base de ces éléments, le SMR confiait au gestionnaire le soin de réinterroger, fin janvier 2023, l’orthopédiste qui le suivait pour cet accident, puis de soumettre le dossier au SMR qui verrait la suite à lui donner. La réalisation d’une expertise bidisciplinaire orthopédique et psychiatrique était prématurée ;
- un rapport du 16 mai 2023 de la docteure Z______, cheffe de clinique auprès du service de chirurgie orthopédique des HUG, adressé à l’OAI, faisant état de révisions chirurgicales du genou droit les 26 septembre et 12 octobre 2022 aux HUG. L’évolution était lente et le pronostic réservé. L’assuré n’avait pas encore abandonné ses béquilles. Interrogée sur la capacité de l’assuré, d’un point de vue orthopédique, de reprendre une activité professionnelle et, si oui, à quel taux, la Dre Z______ a répondu que dans une activité strictement adaptée – aux limitations fonctionnelles décrites en ces termes : « mobilité genou, charge, endurance » –, la capacité de travail de l’assuré était entière ;
- un avis du 24 mai 2023 du SMR, rendu dans le cadre de l’audition contre le projet de décision du 24 septembre 2021, aux termes duquel ce service retenait, sur le plan somatique, que la capacité de travail de l’assuré était nulle dans toute activité du 22 janvier 2019 au 21 juin 2021, puis entière dans une activité d’épargne du membre inférieur droit dès le 22 juin 2021. Après quoi, cette capacité de travail avait été nulle dans toute activité du 16 juillet 2022 au 15 mai 2023, puis entière dans une activité d’épargne du membre inférieur droit dès le 16 mai 2023. Sur le plan psychiatrique, les discordances ressortant des rapports versés au dossier faisaient qu’il y avait lieu de maintenir le volet psychiatrique de l’expertise initialement envisagée. Aussi le SMR proposait-il au gestionnaire du dossier de demander une expertise psychiatrique avec bilan neuropsychologique et test de validation des symptômes afin de déterminer la capacité de travail résiduelle de l’assuré dans une activité adaptée. ;
- une décision incidente de l’OAI du 20 juillet 2023, maintenant l’expertise (mono-disciplinaire) auprès de l’expert psychiatre désigné par cette autorité, à savoir le professeur AA______.
j. Par écriture du 26 octobre 2023, l’intimée s’est déterminée sur les pièces du dossier AI en relevant que les dates d’incapacité de travail/capacité de travail dans une activité adaptée retenues par le SMR dans son avis du 24 mai 2023 revenaient à confirmer que l’état de santé du recourant était stabilisé entre le 22 juin 2021 et le 16 juillet 2022, ce qui concordait avec l’avis du Dr R______ et la position défendue par l’intimée.
k. Le 17 novembre 2023, dans le délai prolongé à cet effet, le recourant a fait part également de ses observations concernant le dossier AI. Sur le plan somatique, il contestait l’avis du 16 mai 2023 de la Dre Z______, en tant que ce médecin attestait une capacité de travail entière dans une activité adaptée. Prenant position sur les observations de l’intimée du 26 octobre 2023, il contestait également la stabilisation de son état de santé entre le 22 juin 2021 et le 16 juillet 2022. Sur le plan psychique, sa capacité de travail était nulle. Pour étayer sa position, il a produit notamment :
- un rapport du 6 octobre 2023 du Dr P______ à l’attention du conseil du recourant. Selon ce médecin, la situation avant le deuxième accident n’était pas encore stabilisée. Le recourant était encore sous traitement de physiothérapie pour récupérer sa force musculaire. Pour ses douleurs à la jambe, il lui avait proposé un traitement chirurgical à sa première consultation – du 11 novembre 2021 –, consistant en une ablation du matériel d’ostéosynthèse et une arthroscopie du genou. S’agissant en revanche de la mobilité du genou, qui était très limitée après les deux premières opérations,
le Dr P______ ne s’attendait pas à une amélioration, même après un troisième traitement chirurgical. Interrogé sur le point de savoir si la survenance, en juillet 2022, du deuxième accident était la preuve que l’état de santé du recourant n’était pas stabilisé, le Dr P______ a répondu qu’à son avis, selon les dires du recourant, le deuxième accident qui avait provoqué la fracture du fémur droit était un accident de basse énergie. À l’âge du recourant, il était très inhabituel de subir une telle fracture avec une énergie aussi basse. Comme il l’avait déjà expliqué à son patient, à son avis, cette fracture était aussi le résultat de la raideur de son genou, suite au premier accident. Quant à la faiblesse musculaire, elle pouvait être un facteur de risque pour une chute sur un lâchage musculaire ;
- un rapport du 11 avril 2023 du Dr U______ à l’OAI, considérant en synthèse que la capacité de travail de l’assuré était nulle dans toute activité depuis janvier 2019. En plus des limitations physiques résultant des accidents, il présentait également, du point de vue psychiatrique, une dépression grave
et un état de stress post-traumatique qui avaient un impact significatif
sur sa capacité fonctionnelle et l’empêchaient de reprendre une activité professionnelle.
l. Entendu le 19 décembre 2023 en qualité de témoin par la chambre de céans, le le Dr P______ a indiqué qu’il suivait le recourant depuis le 11 novembre 2021 et que le dernier rendez-vous remontait au mois de septembre 2022, juste après le retour de son patient du Portugal. Il n’y avait pas eu de consultation entre novembre 2021 et septembre 2022. Selon le Dr P______, on pouvait encore s’attendre, en novembre 2021, à une sensible amélioration de l’état de santé du recourant parce qu’il y avait encore une inflammation dans le genou et une gêne due à la présence de la plaque d’ostéosynthèse, posée le 9 janvier 2020 au tibia, qui pouvait être diminuée par l’ablation de cette plaque et une arthroscopie. Interrogé par la chambre de céans sur le point de savoir si une telle amélioration visait uniquement à réduire les douleurs et à améliorer la qualité de vie, ou si elle servait aussi à augmenter la fonctionnalité du membre inférieur droit, voire la capacité de travail, le Dr P______ a répondu que l’intervention aurait eu pour effet de réduire les douleurs et améliorer la qualité de vie. Cependant, il était exact que si on réduisait les douleurs, on pouvait retrouver une capacité de travail dans une activité adaptée. Interrogé sur les raisons pour lesquelles le recourant n’avait pas subi d’intervention visant à retirer la plaque d’ostéosynthèse, le Dr P______ a souligné que cette plaque avait été posée le 9 janvier 2020 et que pour l’enlever, il fallait un os bien consolidé, et donc attendre entre une année et une année et demie. Dans le cas du recourant, on était plutôt dans le délai d’une année et demie car il y avait déjà eu une opération en janvier 2019. Lorsqu’il avait vu le recourant en novembre 2021, son os était suffisamment solide pour ces opérations (ablation du matériel d’ostéosynthèse et arthroscopie). Cela ressortait notamment du rapport du 11 novembre 2021. Depuis l’accident du 14 juillet 2022, ces opérations n’étaient plus indiquées car il y avait à présent d’autres priorités au niveau du traitement. En novembre 2021, le recourant avait une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée, à savoir pour un travail sédentaire. Sur question du représentant de la SUVA, le Dr P______ a précisé qu’il était d’accord avec les limitations fonctionnelles retenues le 10 février 2022 par le Dr R______ mais en désaccord avec la capacité de travail de 100% retenue par ce médecin dans une activité adaptée. Selon le Dr P______, si l’assuré avait subi l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (ci-après : AMO) et l’arthroscopie du genou, sa capacité de travail dans une activité adaptée aurait été de 70 à 80%. En effet, la plupart du temps, il persistait une inflammation au genou qui se manifestait à la fin de longues journées, raison pour laquelle il pensait qu’un taux de 80% était plus raisonnable. On était toutefois dans un registre spéculatif, en ce sens que ce taux aurait pu être retenu après une AMO et une arthroscopie qui se seraient bien passées. Interrogé sur le rapport du Dr H______ du 2 novembre 2021, le Dr P______ a indiqué que contrairement à ce médecin, il était d’avis que l’AMO pouvait à cette époque sensiblement améliorer l’état du genou.
Entendu, le 19 décembre 2023 également, en audience de comparution personnelle des parties, le recourant a déclaré, sur question de son conseil, qu’il était exact qu’il voulait suivre les conseils du Dr P______ concernant l’AMO et l’arthroscopie du genou. Entre sa première consultation chez le Dr P______ et l’accident du 14 juillet 2022, il avait continué ses consultations auprès des HUG. Il avait parlé de la proposition du Dr P______ avec les médecins des HUG. Ceux-ci lui avaient répondu qu’ils n’étaient pas d’accord et qu’il fallait laisser le matériel d’ostéosynthèse. Compte tenu de l’absence de consolidation selon le Dr P______, il n’avait pas jugé utile de parler toute de suite de ces opérations à l’intimée. Prenant position à ce sujet, l’intimée a relevé qu’il ressortait de la note d’entretien téléphonique du 17 janvier 2022 que le recourant ne souhaitait pas subir d’AMO. Cette indication figurait également dans les déclarations du recourant, reproduites en p. 5 du rapport du « 7 février 2022 » (recte : 10 février 2022) du Dr R______ : « Il a vu pour la dernière fois le Dr P______ en décembre 2021. Celui-ci lui a proposé d’envisager [l’AMO] avec une arthroscopie du genou [droit] pour juger du cartilage fémoro-patellaire, mais sans aucune garantie d’amélioration après l’intervention. Pour cette raison, l’assuré ne désire plus subir une 4ème intervention ». Reprenant la parole, le recourant a contesté avoir refusé la proposition du Dr P______ et avoir parlé de ce refus à l’intimée. Par la voix de son conseil, il a également maintenu sa demande d’audition du Dr U______ et de Y______. Pour sa part, l’intimée a indiqué que dans la mesure où, sauf erreur, son médecin-conseil psychiatre avait admis la causalité naturelle entre les troubles psychiques et l’accident du 22 janvier 2019 (cf. rapport du 13 avril 2022 du Dr T______ et rapport du 10 janvier 2023 du Dr X______), cela rendait inutile l’audition du Dr U______ puisque seule était contestée la causalité adéquate au plan psychiatrique.
À l’issue de l’audition des parties, la chambre de céans a imparti un délai à l’intimée pour apporter des précisions quant à la prise en charge du traitement psychiatrique jusqu’à la stabilisation du cas et jusqu’à quelle date ce traitement a ou aurait pu être concrètement pris en charge, ainsi que pour soumettre les déclarations de ce jour du Dr P______ au Dr R______. Elle a par ailleurs accordé le même délai au recourant pour indiquer les questions que son conseil souhaitait encore lui poser lors d’une audience, de même que pour produire les rapports des HUG entre le 2 novembre 2021 et septembre 2022, s’ils existaient. Enfin, elle a réservé la suite de la procédure.
m. Par appréciation du 15 janvier 2024, le Dr R______ a expliqué les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas se rallier aux propos tenus à l’audience du 19 décembre 2023 par le Dr P______ sur la stabilisation de l’état de santé et la capacité de travail dans une activité adaptée. Aussi a-t-il précisé que les conclusions de son rapport du 10 février 2022 étaient toujours d’actualité. Concernant la stabilisation de la situation médicale à la suite de l’événement du « 16 juillet 2022 » (recte : 14 juillet 2022), il n’y avait pas d’éléments au dossier qui permettaient de la confirmer. Au contraire, dans son rapport du 16 mai 2023, la Dre Z______ décrivait un retard de consolidation osseuse au scanner six mois après l’opération et une raideur du genou sans épanchement. Ceci parlait en faveur d’une stabilisation non acquise à cette date.
n. Par courrier du 22 janvier 2024, l’intimée s’est référée entièrement aux conclusions du 15 janvier 2024 du Dr R______. Elle a soutenu, pour le surplus, que les deux interventions projetées par le Dr P______ n’avaient pas d’impact notable sur la capacité de travail mais visaient surtout – comme l’admettait le Dr P______ –, à améliorer la qualité de vie du recourant en diminuant ses douleurs. Cela ne pouvait pas suffire à écarter un état de santé stabilisé. En ce qui concernait les frais médicaux, l’intimée devait prendre en charge le traitement médical jusqu’à la stabilisation de l’état de santé, y compris sur le plan psychique. À cet égard, les médicaments prescrits par la Dre Q______ avaient été pris en charge par l’intimée (traitements des 16 mars 2022, 12 avril 2022, 10 mai 2022 et 7 juin 2022), de même qu’une facture du 18 février 2022. Pour le surplus, l’intimée invitait le recourant, respectivement son assureur-maladie à lui transmettre les factures qui concerneraient sa prise en charge psychiatrique et n’auraient pas encore été envoyées. Cela ne changeait néanmoins rien à la proposition de rejeter le recours contre la décision litigieuse. En effet, l’objet de cette décision portait uniquement sur le moment de la clôture du cas et le droit à une rente d’invalidité et à une IPAI. Dans ce contexte, la prise en charge du traitement médical, qu’il fût psychiatrique ou somatique, ne constituait pas l’objet du litige. Aussi l’intimée a-t-elle maintenu ses conclusions tendant au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée.
o. Le 12 février 2024, dans le délai prolongé à cet effet, le recourant a indiqué qu’il convenait de s’en tenir au fait que son état de santé n’était pas stabilisé au moment de la survenance du second accident en juillet 2022, conformément à l’appréciation du Dr P______, en particulier son rapport du 6 octobre 2023, précisant que le recourant était encore sous traitement de physiothérapie pour récupérer sa force musculaire lorsqu’il avait chuté de sa hauteur au cours de ses vacances au Portugal. Pour le surplus, le recourant a indiqué qu’après vérification auprès des HUG, il n’y avait pas de rapport(s) relatif(s) à des consultations qui auraient eu lieu durant la période comprise entre les mois de novembre 2021 et septembre 2022. En revanche, le recourant a produit – sous pièce 78 –, un rapport du 16 janvier 2024 du docteur AB______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, relatif à une consultation du 17 décembre 2021. Dans ce rapport, ce médecin indiquait mettre en place un traitement conservateur, afin de renforcer
la musculature péri-articulaire, sans retenir (le 17 décembre 2021) d’indication à une AMO. Tirant argument de ce rapport, tout en réitérant qu’il avait toujours été ouvert à l’intervention proposée par le Dr P______ – contrairement à la position contraire que l’intimée et le Dr R______ lui prêtaient, ce qui s’expliquait par sa mauvaise compréhension de la langue française –, le recourant a soutenu que l’intimée ne pouvait pas retenir que son état de santé était stabilisé et, dans la foulée, examiner son droit à une éventuelle rente d’invalidité. Enfin, le recourant a maintenu sa demande d’audition du témoin Y______ et produit une liste de questions que son conseil entendait poser au Dr U______ et à lui-même.
p. Par pli du 21 février 2023, l’intimée a fait valoir qu’en tant que le rapport du
Dr AB______, relatif à la consultation du 17 décembre 2021, ne retenait pas d’indication à une AMO, cet orthopédiste partageait l’avis du Dr R______ et ceux du Dr H______ et du SMR, qui retenaient aussi un état stabilisé à cette époque et donc, avant la rechute du « 16 juillet 2022 ».
q. Le 23 février 2024, une copie de ce courrier a été remise, pour information au recourant.
1.
1.1 Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance‑accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-accidents, à moins que la loi n’y déroge expressément.
1.3 La procédure devant la chambre de céans est régie par les dispositions de la LPGA et de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10).
1.4 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.
2. Le litige porte sur le point de savoir si l’intimée était fondée à considérer que l’état de santé du recourant était stabilisé au 31 mars 2022 et, dans l’affirmative, sur le montant de l’IPAI et le degré d’invalidité déterminant la rente allouée avec effet au 1er avril 2022.
3.
3.1 Aux termes de l’art. 6 al. 1 LAA, l’assureur-accidents verse des prestations à l’assuré en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA).
3.2 L’assuré a droit au traitement médical approprié des lésions résultant de l’accident (art. 10 al. 1 LAA). S’il est totalement ou partiellement incapable de travailler (art. 6 LPGA) à la suite d’un accident, il a droit à une indemnité journalière (art. 16 al. 1 LAA). Le droit à l’indemnité journalière naît le troisième jour qui suit celui de l’accident. Il s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou dès que l’assuré décède (art. 16 al. 2 LAA).
3.3 Si l’assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10 % au moins par suite d’un accident, il a droit à une rente d’invalidité, pour autant que l’accident soit survenu avant l’âge ordinaire de la retraite (art. 18 al. 1 LAA, dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2017). Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA ; méthode ordinaire de la comparaison des revenus).
Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1) ; seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain ; de plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).
3.4 Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme. Le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente.
Dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une
« sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré » (sur cette notion : cf. ci‑après : consid. 5.2.2) et qu’aucune mesure de réadaptation de l’assurance-invalidité n’entre en considération, il appartient à l’assureur-accidents de clore le cas en mettant fin aux frais de traitement ainsi qu’aux indemnités journalières et en examinant le droit à une rente d’invalidité et à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (ATF 144 V 354 consid. 4.1 ; 143 V 148 consid. 3.1.1 ; 134 V 109 consid. 4.1 et les références).
L’art. 19 al. 1 LAA délimite temporellement le droit au traitement médical et le droit à la rente d’invalidité, le moment déterminant étant celui auquel l’état de santé peut être considéré comme relativement stabilisé (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 391/00 du 9 mai 2001 consid. 2a).
4.
4.1 Selon l’art. 24 al. 1 LAA, si, par suite de l’accident, l’assuré souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique, il a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité (al. 1). L’atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie ; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave (art. 36 al. 1 de l’ordonnance sur l’assurance-accidents du 20 décembre 1982 - OLAA ‑ RS ‑ 832.202).
D’après l’art. 25 al. 1 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital ; elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité.
Selon l’art. 36 al. 4 OLAA, il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité. Une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible.
4.2 L’indemnité pour atteinte à l’intégrité a pour but de compenser le dommage subi par un assuré du fait d’une atteinte grave à son intégrité corporelle ou mentale due à un accident (Message du Conseil fédéral à l’appui d’un projet de loi sur l’assurance-accidents, FF 1976 III p. 29). Elle ne sert pas à réparer les conséquences économiques de l’atteinte, qui sont indemnisées au moyen d’une rente d’invalidité, mais joue le rôle d’une réparation morale. Elle vise à compenser le préjudice immatériel (douleurs, souffrances, diminution de la joie de vivre, limitation des jouissances offertes par l’existence etc.) qui perdure au-delà de la phase du traitement médical et dont il y a lieu d’admettre qu’il subsistera la vie durant (ATF 133 V 224 consid. 5.1 et les références). L’indemnité pour atteinte à l’intégrité se caractérise par le fait qu’elle est exclusivement fixée en fonction de facteurs médicaux objectifs, valables pour tous les assurés, et sans égard à des considérations d’ordre subjectif ou personnel (cf. Jean-Maurice FRÉSARD, Margit MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire in : Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht (SBVR), 3ème éd. 2016, n. 311). En cela, elle se distingue de l’indemnité pour tort moral du droit civil, qui procède de l’estimation individuelle d’un dommage immatériel au regard des circonstances particulières du cas. Cela signifie que pour tous les assurés présentant un status médical identique, l’atteinte à l’intégrité est la même (ATF 115 V 147 consid. 1 ; 113 V 218 consid. 4b ; RAMA 2004 n° U 514 p. 415, U 134/03, consid. 5.2 ; RAMA 2000 n° U 362 p. 41).
Une atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel – anatomique ou fonctionnel –, mental ou psychique (cf. Alfred MAURER, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, 1985, p. 414). La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales (SVR 2009 UV n° 27 p. 97, 8C_459/2008, consid. 2.3 ; cf. aussi Thomas FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, 1998,
p. 41). L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins, qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit. n. 317).
L’annexe 3 de l’OLAA comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b ; 124 V 209 consid. 4a/bb ; 113 V 218 consid. 2a) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2). La perte totale de l’usage d’un organe est assimilée à la perte de celui-ci. En cas de perte partielle d’un organe ou de son usage, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est réduite en conséquence ; aucune indemnité ne sera versée dans les cas où un taux inférieur à 5% du montant maximum du gain assuré serait appliqué (ch. 2).
La Division médicale de la CNA a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Dans la mesure, toutefois, où il s’agit de valeurs indicatives destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc ; 116 V 156 consid. 3a p. 157 ; RAMA 1998 n° U 296 p. 235, U 245/96, consid. 2a).
4.3 Il ressort de la table 5 de la SUVA, traitant de l’atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses, qu’une IPAI de 5 à 15% est prévue en cas d’arthrose fémorotibiale
« moyenne ». En présence d’une arthrose « grave » du même type, l’IPAI prévue est comprise entre 15 et 30%.
5.
5.1 La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 119 V 335 consid. 1 ; ATF 118 V 286 consid. 1b et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 125 V 456 consid. 5a et les références).
L’exigence afférente au rapport de causalité naturelle est remplie lorsqu’il y a
lieu d’admettre que, sans l’événement dommageable de caractère accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire, en revanche, que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé ; il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1).
Savoir si l’événement assuré et l’atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l’administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l’appréciation des preuves dans l’assurance sociale. Ainsi, lorsque l’existence d’un rapport de cause à effet entre l’accident et le dommage paraît possible, mais qu’elle ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à des prestations fondées sur l’accident assuré doit être nié (ATF 129 V 177 consid. 3.1 ; 119 V 335 consid. 1 ; 118 V 286 consid. 1b et les références).
Le seul fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu’après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet accident. Il convient en principe d’en rechercher l’étiologie et de vérifier, sur cette base, l’existence du rapport de causalité avec l’événement assuré (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc » ; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb ; RAMA 1999 n° U 341 p. 408 consid. 3b).
5.2 Le droit à des prestations suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 148 V 138 consid. 5.1.1).
5.2.1 En présence d’une atteinte à la santé physique, le problème de la causalité adéquate ne se pose guère, car l’assureur répond aussi des complications les plus singulières et les plus graves qui ne se produisent habituellement pas selon l’expérience médicale (ATF 127 V 102 consid. 5b/bb et les références). En revanche, il en va autrement lorsque des symptômes, bien qu’apparaissant en relation de causalité naturelle avec un événement accidentel, ne sont pas objectivables du point de vue organique. Dans ce cas, il y a lieu d’examiner le caractère adéquat du lien de causalité en se fondant sur le déroulement de l’événement accidentel, compte tenu, selon les circonstances, de certains critères en relation avec cet événement (ATF 117 V 359 consid. 6 ; 117 V 369 consid. 4b ; 115 V 133 consid. 6 ; 115 V 403 consid. 5). En présence de troubles psychiques apparus après un accident, on examine les critères de la causalité adéquate en excluant les aspects psychiques (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa ; 115 V 403 consid. 5c/aa), tandis qu’en présence d’un traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale (ATF 117 V 359 consid. 6a), d’un traumatisme analogue à la colonne cervicale (SVR 1995 UV n° 23 consid. 2) ou d’un traumatisme cranio‑cérébral (ATF 117 V 369 consid. 4b), on peut renoncer à distinguer les éléments physiques des éléments psychiques (sur l’ensemble de la question : ATF 127 V 102 consid. 5b/bb et SVR 2007 UV n° 8 p. 27 consid. 2 et les références).
5.2.2 En application de la pratique sur les conséquences psychiques des accidents (ATF 115 V 133), l’examen des critères de causalité adéquate doit se faire au moment où l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical en rapport avec l’atteinte physique une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, ce qui correspond à la clôture du cas selon l’art. 19 al. 1 LAA (arrêt du Tribunal fédéral 8C_683/2017 du 24 juillet 2018 consid. 5). En revanche, selon la pratique dite du « coup du lapin », l’examen de la causalité adéquate doit se faire au moment où aucune amélioration significative de l’état de santé de l’assuré ne peut être attendue de la poursuite du traitement médical relatif aux troubles typiques du coup du lapin – dont les composantes psychologique et physique ne sont pas facilement différenciées (ATF 134 V 109 consid. 4.3 et 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_303/2017 du 5 septembre 2017 consid. 6.1) ou, autrement
dit, du traitement médical en général (« ärztlichen Behandlung insgesamt » ; Alexandra RUMO-JUNGO, Pierre-André HOLZER, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 4ème éd. 2012, ad art. 6 p. 60). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident, étant précisé que l’amélioration attendue par la continuation du traitement médical doit être « sensible ». Le terme « sensible » indique donc que l’amélioration espérée par un autre traitement (approprié au sens de l’art. 10 al. 1 LAA) doit être importante (ATF 143 V 148 consid. 3.1.1). Des améliorations insignifiantes ne suffisent pas, pas plus que la simple possibilité d’une amélioration (arrêt du Tribunal fédéral 8C_528/2022 du 17 novembre 2022 consid. 7.1 et l’arrêt cité). Le simple fait qu’un traitement médical continue à être nécessaire ne suffit pas non plus en soi (arrêt du Tribunal fédéral 8C_ 956/2009 du 9 mars 2010 consid. 4.1.2). Ni la possibilité très éloignée d’un résultat positif lié à la continuation d’un traitement médical, ni de petits progrès attendus du fait d’autres mesures – balnéothérapie ou physiothérapie par exemple (cf. arrêts du Tribunal fédéral 8C_39/2018 du 11 juillet 2018 consid. 5.1 et 8C_142/2017 du 7 septembre 2017 consid. 4) –, ne confèrent un droit à de plus amples prestations de la part de l’assureur-accidents. Dans ce contexte, l’état de santé de la personne assurée doit être évalué de manière prospective et non rétrospective (arrêt du Tribunal fédéral 8C_142/2017 consid. 4 et les arrêts cités), c’est-à-dire à la lumière des circonstances qui prévalaient au moment de la clôture du cas (arrêt du Tribunal fédéral 8C_83/2017 du 11 décembre 2017 consid. 4.3). Pour ce faire, on se fonde en premier lieu sur les renseignements médicaux relatifs aux possibilités thérapeutiques et à l’évolution de la maladie, qui sont généralement compris dans la notion de pronostic (arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.1 et les arrêts cités).
5.2.3 À noter que tant que le traitement des séquelles organiques de l’accident se poursuit, les éventuelles séquelles non décelables sur le plan organique sont également reconnues comme étant causées par l’accident dans le champ d’application de l’ATF 115 V 133 précité. Même si une telle reconnaissance de
la causalité adéquate des troubles psychiques n’est pas expressément mentionnée par la jurisprudence, elle n’en correspond pas moins à la pratique des assureurs-accidents (André NABOLD, in Marc HÜRZELER/ Ueli KIESER [éd.], Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018,
n. 66 ad art. 6 LAA). Ce n’est qu’à la fin du traitement des séquelles organiques de l’accident que la causalité adéquate est examinée de manière spécifique, soit en excluant les aspects psychiques du cas (ATF 134 V 109 consid. 6.1 et ci-dessus : consid. 5.2.1).
5.2.4 Dans la mesure où le caractère naturel et le caractère adéquat du lien de causalité doivent être remplis cumulativement pour octroyer des prestations d’assurance-accidents, la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat. En revanche, il n’est pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante (ATF 147 V 207 consid. 6.1 et les références).
Par conséquent, si le juge des assurances sociales – saisi d’un examen du lien
de causalité adéquate à l’égard de troubles psychiques alors que la question de
la causalité naturelle a été laissée ouverte –, parvient à la conclusion que l’appréciation de l’assureur-accidents est erronée sur un ou plusieurs critères et que l’admission du lien du causalité adéquate pourrait entrer en considération, il doit, avant de statuer définitivement sur ce dernier point, instruire ou faire instruire par l’assureur-accidents les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle (ATF 148 V 138 consid. 5.5).
6.
6.1 Dans le cas de troubles psychiques additionnels à une atteinte à la santé physique, le caractère adéquat du lien de causalité suppose que l’accident ait eu une importance déterminante dans leur déclenchement. La jurisprudence a tout d’abord classé les accidents en trois catégories, en fonction de leur déroulement : les accidents insignifiants ou de peu de gravité (par ex. une chute banale) ; les accidents de gravité moyenne et les accidents graves. Pour procéder à cette classification, il convient non pas de s’attacher à la manière dont l’assuré a ressenti et assumé le choc traumatique, mais bien plutôt de se fonder, d’un
point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui-même (ATF 140 V 356
consid. 5.3 ; 115 V 133 consid. 6 ; 115 V 403 consid. 5). Sont déterminantes les forces générées par l’accident et non pas les conséquences qui en résultent ou d’autres circonstances concomitantes qui n’ont pas directement trait au déroulement de l’accident, comme les lésions subies par l’assuré ou le fait que l’événement accidentel a eu lieu dans l’obscurité (ATF 148 V 301 consid. 4.3.1 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_595/2015 du 23 août 2016 consid. 3 et les références). La gravité des lésions subies – qui constitue l’un des critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité – ne doit être prise en considération à ce stade de l’examen que dans la mesure où elle donne une indication sur les forces en jeu lors de l’accident (arrêts du Tribunal fédéral 8C_398/2012 du 6 novembre 2012 consid. 5.2 in SVR 2013 UV n° 3 p. 8 et 8C_435/2011 du 13 février 2012 consid. 4.2 in SVR 2012 UV n° 23 p. 84 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2015 du 25 août 2016 consid. 3.3).
Selon la jurisprudence (ATF 115 V 403 consid. 5), lorsque l’accident est insignifiant (l’assuré s’est par exemple cogné la tête ou s’est fait marcher sur le pied) ou de peu de gravité (il a été victime d’une chute banale), l’existence d’un lien de causalité adéquate entre cet événement et d’éventuels troubles psychiques peut, en règle générale, être d’emblée niée. Selon l’expérience de la vie et compte tenu des connaissances actuelles en matière de médecine des accidents, on peut en effet partir de l’idée, sans procéder à un examen approfondi sur le plan psychique, qu’un accident insignifiant ou de peu de gravité n’est pas de nature à provoquer une incapacité de travail (ou de gain) d’origine psychique. L’événement accidentel n’est ici manifestement pas propre à entraîner une atteinte à la santé mentale sous la forme, par exemple, d’une dépression réactionnelle. On sait par expérience que de tels accidents, en raison de leur importance minime, ne peuvent porter atteinte à la santé psychique de la victime. Dans l’hypothèse où, malgré tout, des troubles notables apparaîtraient, on devrait les attribuer avec certitude à des facteurs étrangers à l’accident, tels qu’une prédisposition constitutionnelle. Dans ce cas, l’événement accidentel ne constituerait en réalité que l’occasion pour l’affection mentale de se manifester.
Lorsque l’assuré est victime d’un accident grave, il y a lieu, en règle générale, de considérer comme établie l’existence d’une relation de causalité entre cet événement et l’incapacité de travail (ou de gain) d’origine psychique. D’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, un accident grave est propre, en effet, à entraîner une telle incapacité. Dans ces cas, la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique se révélera la plupart du temps superflue.
6.2 Sont réputés accidents de gravité moyenne les accidents qui ne peuvent être classés dans l’une ou l’autre des catégories décrites ci-dessus. Pour juger du caractère adéquat du lien de causalité entre de tels accidents et l’incapacité de travail (ou de gain) d’origine psychique, il ne faut pas se référer uniquement à l’accident lui-même. Il sied bien plutôt de prendre en considération, du point de vue objectif, l’ensemble des circonstances qui sont en connexité étroite avec l’accident ou qui apparaissent comme des effets directs ou indirects de l’événement assuré. Ces circonstances constituent des critères déterminants dans la mesure où, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, elles sont de nature, en liaison avec l’accident, à entraîner ou aggraver une incapacité de travail (ou de gain) d’origine psychique.
Pour admettre l’existence du lien de causalité en présence d’un accident de gravité moyenne, il faut donc prendre en considération un certain nombre de critères, dont les plus importants sont les suivants (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa ; 115 V 403 consid. 5c/aa) :
- les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident ;
- la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu notamment du fait qu’elles sont propres, selon l’expérience, à entraîner des troubles psychiques ;
- la durée anormalement longue du traitement médical ;
- les douleurs physiques persistantes ;
- les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable des séquelles de l’accident ;
- les difficultés apparues au cours de la guérison et des complications importantes ;
- le degré et la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques.
Tous ces critères ne doivent pas être réunis pour que la causalité adéquate soit admise. De manière générale, lorsqu’il s’agit d’un accident de gravité moyenne (stricto sensu), il faut un cumul de trois critères sur les sept, ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.3 et la référence). Un seul d’entre eux peut être suffisant, notamment si l’on se trouve à la limite de la catégorie des accidents graves (ATF 129 V 402 consid. 4.4.1 et les références ; 115 V 133 consid. 6c/bb ; 115 V 403 consid. 5c/bb). Dans le cas des accidents de gravité moyenne à la limite des accidents de peu de gravité, pour que le caractère adéquat de l’atteinte psychique puisse être retenu, il faut un cumul de quatre critères au moins parmi les sept consacrés par la jurisprudence ou que l’un des critères se manifeste avec une intensité particulière (arrêt du Tribunal fédéral 8C_277/2019 du 22 janvier 2020 consid. 5 et la référence).
7. Selon l’art. 11 OLAA, les prestations d’assurance sont également versées en cas de rechutes et de séquelles tardives ; les bénéficiaires de rentes d’invalidité doivent toutefois remplir les conditions posées à l’art. 21 de la loi.
Sous la note marginale « traitement médical après la fixation de la rente »,
l’art. 21 LAA prévoit que lorsque la rente a été fixée, les prestations pour soins et remboursement de frais (art. 10 à 13) sont accordées à son bénéficiaire notamment lorsqu’il souffre d’une rechute ou de séquelles tardives et que des mesures médicales amélioreraient notablement sa capacité de gain ou empêcheraient une notable diminution de celle-ci (al. 1, let. b). L’assureur peut ordonner la reprise du traitement médical (al. 2). En cas de rechute et de séquelles tardives et, de même, si l’assureur ordonne la reprise du traitement médical, le bénéficiaire de la rente peut prétendre, outre la rente, les prestations pour soins et remboursement de frais (art. 10 à 13). Si le gain de l’intéressé diminue pendant cette période, celui-ci a droit à une indemnité journalière dont le montant est calculé sur la base du dernier gain réalisé avant le nouveau traitement médical (al. 3).
Selon la jurisprudence, les rechutes et les séquelles tardives ont ceci en commun qu’elles sont attribuables à une atteinte à la santé qui, en apparence seulement, mais non dans les faits, était considérée comme guérie. Il y a rechute lorsque c’est la même atteinte qui se manifeste à nouveau. On parle de séquelles tardives lorsqu’une atteinte apparemment guérie produit, au cours d’un laps de temps prolongé, des modifications organiques ou psychiques qui conduisent souvent à un état pathologique différent (ATF 123 V 137 consid. 3a ; 118 V 293 consid. 2c et les références).
Les rechutes et les séquelles tardives se rattachent donc par définition à un événement accidentel effectif. Corrélativement, elles ne peuvent faire naître une obligation de l’assureur-accidents (initial) de verser des prestations que s’il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre les nouvelles plaintes de l’intéressé et l’atteinte à la santé causée à l’époque par l’accident assuré (ATF 118 V 296 consid. 2c et les références ; RAMA 2006 n° U 570 p. 74 consid. 1.5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 80/05 du 18 novembre 2005 consid.1.1).
Les rechutes et les séquelles tardives supposent en règle générale que le droit au traitement médical ait pris fin. Lorsque le cas né de l’accident initial a été clos
par l’octroi d’une rente d’invalidité, l’art. 11 OLAA fait dépendre le droit aux prestations d’assurance de la réalisation des conditions de l’art. 21 LAA. Cette réserve de l’art. 11 OLAA est toutefois sans portée véritable dans la mesure où les art. 21 al. 1 let. b et 21 al. 3 LAA prévoient précisément un droit aux prestations d’assurance en cas de rechute et de séquelles tardives. Lorsque ces éventualités conduisent à une aggravation durable de la capacité de gain, la rente préexistante doit être révisée en application de l’art. 17 al. 1 LPGA (André NABOLD, op. cit., n. 92 ad art. 6 LAA).
8.
8.1 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l’accident, l’incapacité de travail, l’invalidité, l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale) supposent l’instruction de faits d’ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l’assuré à des prestations, l’administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b).
8.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre.
L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que
la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450
consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).
8.3 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d’apprécier certains types d’expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).
8.3.1 Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d’un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu’aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l’assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l’objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l’égard de l’assuré. Ce n’est qu’en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l’impartialité d’une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l’importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l’impartialité de l’expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).
Lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l’art. 44 LPGA, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s’il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d’un médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références ;
142 V 58 consid. 5.1 ; 139 V 225 consid. 5.2 ; 135 V 465 consid. 4.4). En effet,
si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu’ils n’avaient pas la même force probante qu’une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l’art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).
Dans une procédure portant sur l’octroi ou le refus de prestations d’assurances sociales, lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4).
8.3.2 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l’expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. cc). S’il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l’objectivité ou l’impartialité de celui-ci (ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l’éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l’existence d’éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C/973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).
9.
9.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 ; 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6. 1 et la référence).
9.2 Si l’administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d’office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d’administrer d’autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu selon l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b ; 122 V 157 consid. 1d).
9.3 Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu’il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu’ils n’auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu’il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985
p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu’une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu’il considère que l’état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l’expertise administrative n’a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu’ici, lorsqu’il s’agit de préciser un point de l’expertise ordonnée par l’administration ou de demander un complément à l’expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).
10.
10.1 En l’espèce, il ressort en synthèse du dossier – pertinent, auquel l’assuré a eu un accès complet – qu’après avoir été victime, le 22 janvier 2019, d’une chute d’une hauteur d’environ 3.5 m (selon le compte rendu d’accident établi par l’OAC ; pièce 5 recourant) – avec réception sur la jambe droite et la fesse gauche sur des débris jonchant le rez-de-chaussée d’un bâtiment en chantier, lesquels provenaient d’une dalle au 1er étage qu’il était en train de démolir au moyen d’un marteau-piqueur, et sur laquelle il se tenait jusqu’à ce que cette structure s’effondre soudainement sous ses pieds –, le recourant a subi une fracture de la tête tibiale droite, une fracture de la tête du péroné droit, une plaie à la jambe droite ainsi qu’une luxation de l’index droit. Alors que cette dernière atteinte ne faisait plus l’objet de plaintes, une fois le traitement (port d’un bandage de l’index durant un mois) et la rééducation terminés, l’atteinte à la jambe droite, bien que traitée les 22 et 25 janvier 2019, n’en présentait pas moins une déformation osseuse post-traumatique du tibia, ayant nécessité, le 9 janvier 2020, une intervention supplémentaire au genou droit (OTV, comprenant une allogreffe de 14 mm et la pose d’une plaque). Cette nouvelle opération a certes permis de réduire la déformation en varus post-traumatique du membre inférieur droit, mais sans permettre un retour à l’état antérieur à l’accident, le status du membre inférieur droit restant marqué par une limitation de la flexion du genou et une amyotrophie du quadriceps, empêchant la reprise de l’ancienne activité habituelle de maçon (cf. rapport du 10 février 2022 du Dr R______). Vu cette situation, le Dr P______ a proposé, lors d’une première consultation, remontant au 11 novembre 2021, une quatrième opération qui aurait consisté en une ablation du matériel d’ostéosynthèse et une arthroscopie du genou. Cette intervention n’a toutefois jamais eu lieu. Sur le plan psychique, les médecins‑conseils de l’intimée s’accordent à reconnaître que le recourant a développé des troubles psychiques dans les suites de l’accident du 22 janvier 2019 et qu’il existe un lien de causalité naturelle entre ces troubles et cet accident, même si ce lien n’est qu’indirect (cf. rapports du 13 avril 2022 du Dr T______ et du 10 janvier 2023 du Dr X______). La causalité naturelle entre les troubles psychiques et l’accident du 22 janvier 2019 étant admise par l’intimée, la chambre de céans se dispensera, par appréciation anticipée des preuves, de donner suite à la demande d’audition du Dr U______. On rappellera enfin que de l’avis du Dr T______, la situation était loin d’être stabilisée d’un point de vue psychique en avril 2022 (cf. le rapport du 13 avril 2022 précité).
10.2 Étant donné que le recourant conteste principalement la stabilisation de son état de santé à la date retenue par l’intimée – 10 février 2022 – et qu’il réclame, partant, la poursuite du versement des indemnités journalières et de la prise en charge des traitements consécutifs à l’accident du 22 janvier 2019 au-delà de la date la clôture du cas au 31 mars 2022, il convient de déterminer tout d’abord s’il y a lieu d’évaluer la stabilisation en incluant ou en excluant les aspects psychiques du cas.
En l’occurrence, il n’est pas allégué – pas plus qu’il ne ressort des pièces du dossier – que le recourant aurait subi un traumatisme de type « coup du lapin », un traumatisme analogue à la colonne cervicale ou encore un traumatisme cranio‑cérébral lors de l’événement du 22 janvier 2019. Conformément aux principes exposés ci-dessus (consid. 5.2.1 et 5.2.2), il importe donc peu, en principe, que selon l’avis du 13 avril 2022 du Dr T______, la situation était loin d’être stabilisée d’un point de vue psychique en avril 2022 puisqu’en application de la jurisprudence applicable aux troubles psychiques apparus après un accident (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa), la persistance de troubles psychiques et de leur traitement ne constitue pas un motif de report de la clôture du cas, étant donné que les atteintes psychiques ne sont pas prises en compte pour l’appréciation de la causalité adéquate dans la pratique tirée de l’ATF 115 V 133 précité (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_330/2023 du 10 novembre 2023 consid. 6.5 et l’arrêt cité).
Il s’ensuit que la décision litigieuse ne prête en principe pas le flanc à la critique en tant qu’elle fixe le droit à la rente et à l’IPAI dès la clôture du cas prononcée sur la base des seuls éléments somatiques du tableau clinique. En désaccord avec ce point, le recourant fait valoir, d’une part, que le cas n’était pas stabilisé le 10 février 2022, même d’un point de purement somatique, et d’autre part, qu’il existerait, dans son cas, un lien de causalité adéquate entre ses troubles psychiques – non stabilisés à cette date – et l’événement du 22 janvier 2019, si bien que le droit aux prestations provisoires (indemnités journalières et prise en charge du traitement médical) aurait dû se poursuivre au-delà de la date de clôture du cas retenue par l’intimée (31 mars 2022). En tout état, cette dernière n’aurait pas établi correctement son droit à la rente et à l’IPAI, non seulement en faisant abstraction de ses troubles psychiques, mais aussi en considérant, sur le plan somatique, que sa capacité de travail était entière dans une activité adaptée.
10.3 Compte tenu de la nature de ces griefs, il apparaît nécessaire d’examiner les critères de causalité adéquate (cf. ci-après : consid. 10.6). Cependant, étant donné qu’en application de la pratique sur les conséquences psychiques des accidents (ATF 115 V 133), qui est applicable au cas d’espèce, l’examen des critères de causalité adéquate doit se faire au moment où l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical en rapport avec l’atteinte physique une sensible amélioration de l’état de santé (cf. ci-dessus : consid. 5.2.2), il est nécessaire, dans un premier temps, de déterminer ce moment.
À ce propos, le rapport du 10 février 2022 du Dr R______ retient que l’état de santé du recourant était stabilisé à la suite de l’examen final du 7 février 2022. La chambre de céans considère que cette appréciation n’apparaît pas critiquable dans la mesure où des séances de physiothérapie – que le recourant continuait à suivre à cette époque – ne font pas obstacle à la clôture du cas
(cf. ci-dessus : consid. 5.2.2). Quant au point de savoir si l’AMO proposée par le
Dr P______ était de nature à apporter une sensible amélioration de l’état de santé – notamment en augmentant, par ce biais, la capacité de travail réduite par l’accident – et, dans l’affirmative, à reporter la clôture du cas au-delà du 31 mars 2022, elle souffre de rester indécise, étant donné que le recourant a refusé une telle intervention à l’époque où le Dr P______ la lui avait proposée
(cf. la note d’entretien téléphonique du 17 janvier 2022 et le rapport d’examen du 10 février 2022 du Dr R______, relatant ce refus). Le recourant conteste certes, près de deux ans plus tard, avoir tenu les propos que l’intimée lui prête, qu’il attribue à sa mauvaise compréhension du français. Toutefois, de telles explications nouvelles, qui apparaissent en contradiction avec ses premières déclarations, ne sauraient être suivies pour les motifs suivants : il ressort en effet clairement d’un courrier du 28 février 2022 du conseil de l’assuré, faisant suite
au courrier du 15 février 2022 de l’assureur, que « mon mandant reconnaît
la stabilisation de son état de santé au niveau orthopédique. Néanmoins, il conviendrait d’ajouter aux soins que vous continuez à prendre en charge les frais relatifs à la genouillère dont mon mandant a besoin. Quant au volet psychiatrique, votre décision omet de le prendre en compte […] » (cf. pièce 385 intimée). Au regard de ce courrier du 28 février 2022, qui va dans le sens des déclarations du recourant, telles qu’elles ont été relatées les 17 janvier et 10 février 2022, la position de l’intimée n’apparaît pas critiquable en tant qu’elle retient que d’un point de vue somatique, le cas était stabilisé le 10 février 2022 ou à tout le moins le 31 mars 2022, date de la clôture du cas.
10.4 Indépendamment de la portée de ses troubles psychiques pour son droit
aux prestations de l’intimée, le recourant conteste, sur le plan somatique, l’appréciation du 10 février 2022 Dr R______, selon laquelle sa capacité de travail serait entière, sans diminution de rendement, dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles retenues par ce médecin. Par ailleurs, l’IPAI serait également sous-évaluée.
10.4.1 S’agissant de la capacité de travail du recourant dans une activité adaptée, le Dr P______ estimait qu’elle oscillait entre 50 et 100% dans son rapport du 2 juin 2022. Lors de son audition par la chambre de céans, ce médecin a précisé que même s’il était d’accord avec la description, par le Dr R______ des limitations fonctionnelles auxquelles devait répondre une activité adaptée (« port de charges limité à 5kg, marches et stations debout prolongées, positions accroupie et à genoux, montes et descentes des escaliers, échelles et escabeau[x] »), il n’en estimait pas moins que la capacité de travail du recourant était de 50% en novembre 2021 (ceci étant également valable « au printemps 2022 car rien n’avait changé entretemps » ; cf. procès-verbal d’audition du 19 décembre 2023, p. 2) et qu’elle aurait pu être augmentée à 70-80% après l’AMO et l’arthroscopie proposées, sans pour autant atteindre 100%, parce que la plupart du temps, il persistait une inflammation se manifestant à la fin de longues journées. Ainsi, un taux de 80% apparaissait plus raisonnable. L’exigibilité d’une activité adaptée à 80% relevait néanmoins d’une spéculation dans la mesure où un tel taux d’activité supposait à son tour que l’AMO et l’arthroscopie proposées se fussent bien passées. Enfin, le Dr P______ a établi, en ces termes, une corrélation entre les douleurs et le taux d’activité exigible : « il est exact que si on réduit les douleurs, on peut retrouver une capacité de travail dans une activité adaptée » (cf. procès-verbal d’audition du 19 décembre 2023, p. 2).
Bien que le Dr R______ ait pris connaissance du procès-verbal d’audition du 19 décembre 2023 du Dr P______, il ne ressort pas de la détermination de ce médecin à ce sujet pour quels motifs le respect des limitations fonctionnelles à lui seul suffirait à garantir l’exigibilité d’une activité adaptée à plein temps et sans diminution de rendement. En outre, le Dr R______ se prononce sur les douleurs seulement dans le contexte de l’AMO en affirmant que si elle avait été effectuée, cette intervention n’aurait « eu qu’un impact très limité sur la capacité de travail dans une activité adaptée » puisque « la présence du matériel [n’a] que très peu d’impact sur les douleurs » (cf. appréciation du 15 janvier 2024 du
Dr R______, p. 4). Ce faisant, le Dr R______ ne prend pas position sur l’incidence des douleurs comme telles – qu’il ne remet pas en cause – sur
la capacité de travail exigible dans une activité adaptée et/ou le rendement atteignable dans une telle activité. Il se limite à affirmer que « les déclarations
à l’audience du Dr P______ n’apportent aucun argument susceptible de modifier notre appréciation » (cf. avis du 15 janvier 2024 du Dr R______, p. 4). Force est cependant de constater que la lecture du rapport du 10 février 2022 du Dr R______ n’aborde pas la question de l’éventuelle incidence des douleurs sur la capacité de travail exigible et le rendement dans une activité adaptée. En outre, ce médecin ne prend pas position non plus sur les constatations effectuées dans le cadre des ateliers professionnels de la CRR, où il a été constaté que même dans des activités exécutées en position assise avec « la jambe droite en décharge sur un support à hauteur de bassin », « avec un ajustement de la table en hauteur » (pièce 263, p. 13 intimée), « le dos n’est pas maintenu droit du fait de la surélévation de la jambe droite pour décharger les appuis. La position est limitante après une durée de moins d’une heure. Des changements de position sont nécessaires régulièrement », étant relevé par ailleurs que « la mobilisation du genou est limitante sur les flexions de faible amplitude », que les déplacements à plat [effectués au moyen d’une canne anglaise] sont lents et que « la position debout statique […], peu endurante, est évitée par le patient » (pièce 263, p. 15 intimée) Enfin, il est précisé que le recourant a été pris en charge aux ateliers sur des périodes allant jusqu’à trois heures consécutives et que « le temps passé dans les ateliers n’a pas été augmenté au vu des difficultés rencontrées » (pièce 263,
p. 14 intimée).
À la lumière des éléments qui précèdent, l’appréciation de la capacité de travail
du recourant dans une activité adaptée par le Dr P______ à 50% est à tout le moins de nature à laisser subsister un doute quant à la fiabilité et la pertinence de l’appréciation du Dr R______, retenant le double de ce pourcentage. En l’état de l’instruction du dossier, il n’est par conséquent pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que dans une activité adaptée, la capacité de travail exigible du recourant serait entière, sans diminution de rendement, d’un point de vue strictement somatique.
10.4.2 En ce qui concerne l’IPAI, le Dr R______ l’a fixée à 12.5%. Dans son estimation du 14 février 2022, ce médecin explique, en référence à la table 5 de la SUVA, traitant de l’atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses, que dans le cas du recourant, on est en présence d’une arthrose fémorotibiale interne moyenne (7.5%) avec aggravation prévisible ultérieure (5%).
Au regard de la fourchette de 5 à 15% prévue par ladite table en cas d’arthrose fémorotibiale « moyenne », l’appréciation du Dr R______ n’apparaît en principe pas critiquable.
Dans son rapport du 2 juin 2022, le Dr P______ indique qu’il estime l’atteinte « aux alentours de 15% ». Dans la mesure où elle n’est ni motivée ni n’explique les raisons pour lesquelles elle s’écarte de l’avis du Dr R______, cette appréciation du Dr P______ n’est pas de nature à remettre en cause les conclusions cohérentes et motivées du Dr R______ retenant un taux d’IPAI de 12.5%. D’un point de vue uniquement somatique, il convient par conséquent de s’en tenir à ce taux.
10.5 Il convient à présent, comprenant les troubles psychiques, d’examiner les critères de causalité adéquate, ce qui requiert préalablement que l’on qualifie l’accident du 22 janvier 2019 selon sa gravité.
10.5.1 Bien que la gravité d’un accident ne s’apprécie pas uniquement en fonction de la hauteur de chute (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 97/94 du 30 décembre 2004 consid. 4.3 et les références), le Tribunal fédéral n’en considère pas moins, dans sa propre synthèse de la jurisprudence, que d’après la casuistique en matière de chutes d’une certaine hauteur, sont considérées comme faisant partie de la limite supérieure de la catégorie des accidents de gravité moyenne, les chutes qui se sont produites d’une hauteur entre 5 et 8m et qui ont entraîné des lésions osseuses relativement sévères (arrêt du Tribunal fédéral 8C_657/2013 du
3 juillet 2014 consid. 4.1). On relèvera néanmoins que dans ce dernier arrêt, le Tribunal fédéral a retenu la présence d’un accident de gravité moyenne à la limite des accidents graves dans le cas d’un ouvrier ayant chuté d’une hauteur comprise entre 4 et 5 m, ayant subi une fracture du sternum, un traumatisme cranio-cérébral léger, des contusions et des plaies superficielles au visage, lesquelles étaient dues à la chute de quelques planches (panneaux de décoffrage) qu’il avait reçues sur la tête.
Dans la pratique, les chutes d’une hauteur comprises entre 2 et 4m sont encore qualifiées d’accidents de gravité moyenne au sens strict. La hauteur de chute se calcule en fonction de la distance entre les pieds de la personne assurée – ou de la surface qui la supporte – par rapport au sol sur lequel elle tombe (SVR 2019 UV n° 41 p. 155 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_596/2022 du 11 janvier 2023
consid. 4.4.1). La jurisprudence fédérale n’a pas rangé dans les accidents de gravité moyenne au sens strict, mais dans les accidents de gravité moyenne à la limite des accidents graves la chute d’une hauteur de 5.4 à 8m d’un échafaudage (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 392/05 du 16 décembre 2005 consid. 2.1), la chute d’une hauteur de 7 à 8 m d’un balcon situé au troisième étage d’un bâtiment en construction (arrêt du Tribunal fédéral des assurances
U 168/04 du 8 octobre 2004 consid. 5.2), la chute d’une hauteur d’environ 8m dans un conduit de cheminée (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 231/94 du 10 mai 1995 consid. 3c, cité in : RAMA 2005 n° U 555 p. 322 consid. 3.4.1), la chute d’une hauteur de 5m sur un sol goudronné, ayant provoqué une fracture bilatérale du tibia et du péroné (RAMA 1998 n° U 307 p. 448) ou encore la chute d’une échelle d’une hauteur d’environ 5m, lors de laquelle l’assuré a subi une commotion cérébrale, une fracture de l’aile droite du bassin, une fracture distale du radius à droite avec arrachement du processus styloïde de l’ulna, une bursite traumatique de l’olécrane ainsi qu’une plaie par déchirure au-dessus de l’œil droit (arrêt S. non publié du 4 décembre 1996, cité in RAMA 1998, p. 448 consid. 3a). Dans un arrêt ancien, le Tribunal fédéral des assurances a même qualifié d’accident grave la chute d’une échelle d’une hauteur de 4 à 5m sur le trottoir, ayant entraîné plusieurs fractures graves (arrêt R. non publié du 25 juin 1989, cité in RAMA 1998, p. 448 et dans l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2022 du 28 février 2023 consid. 6.2.3). En cohérence avec ce qui précède, le Tribunal fédéral a considéré dans un arrêt assez récent que dans le cas d’un ouvrier ayant fait une chute comprise entre 3 et 3.5m sur une dalle en béton et subi des fractures du fémur proximal gauche, du radius distal gauche et du plateau tibial droit, l’accident devait être qualifié de gravité moyenne au sens strict (arrêt du Tribunal fédéral 8C_547/2020 du 1er mars 2021 consid. 3.2).
10.5.2 En l’occurrence, le recourant a affirmé dans un premier temps que la hauteur de chute était de 3m (cf. son audition du 13 mai 2019 à son domicile ainsi que le rapport du 31 janvier 2019 de la Dre E______). Dans son complément d’opposition du 20 juillet 2022, il a indiqué que l’espace entre la dalle du 1er étage et le sol du rez-de-chaussée, dont certains endroits étaient déjà creusés, mesurait 3.5m, tout en précisant qu’il était tombé d’une hauteur de 3.5 m (cf. pièce 66 recourant, p. 2 et 8). Au stade du recours, il a en revanche soutenu que la hauteur de chute était de plus de 4 m – référence étant faite à l’attestation du 22 février 2023 de Y______ (pièce 4 recourant) – et que cette hauteur, conjuguée au déroulement de l’accident et aux lésions subies, impliquait que l’événement du 22 janvier 2019 soit qualifié de grave ou à tout le moins de gravité moyenne à la limite des accidents graves. Enfin, lors de son audition par la chambre de céans, le recourant a fait mention d’une chute « d’environ 4 m » (cf. procès-verbal d’audience du 12 septembre 2023, p. 4).
Pour sa part, l’intimée a retenu dans la décision litigieuse que le recourant était tombé d’une hauteur de 3 ou 3.5m et qu’au regard de la casuistique tirée de la jurisprudence fédérale, il devait exister des circonstances supplémentaires d’une certaine importance pour qu’une chute de moins de 5m soit considérée comme à la limite des accidents grave. L’intimée a précisé à cet égard qu’en subissant les lésions qui étaient les siennes après son atterrissage sur des gravats, de telles « circonstances supplémentaires » n’étaient pas réunies et qu’ainsi, l’accident devait être qualifié de gravité moyenne stricto sensu.
La chambre de céans constate qu’en tant que le recourant a présenté, dans les suites immédiates de l’accident, une luxation de l’index droit et, à sa jambe droite, une plaie, une fracture du plateau tibial ainsi qu’une fracture de la tête du péroné, il existe une relative proximité avec le type de lésions évoquées dans l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_547/2020 du 1er mars 2021. En ce qui concerne la hauteur de chute, la chambre de céans ne voit pas de raison de s’écarter de la version alléguée par le recourant (3.5m) dans son complément d’opposition du 20 juillet 2022, ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, cette valeur correspond à celle indiquée par l’OAC dans son compte rendu d’accident du 22 janvier 2019, lequel comporte des photos montrant le rez-de-chaussée du bâtiment, lequel est excavé au point qu’il se situe en dessous du niveau de la cour qui jouxte cette construction (cf. pièce 5 recourant). En second lieu, le fait que le sol du rez-de-chaussée ait été creusé à certains endroits, aux dires du recourant, n’a pas empêché ce dernier d’affirmer qu’il s’était « retrouvé conscient et gisant 3.5m plus bas dans un trou déjà encombré de gravats » (cf. complément d’opposition du 20 juillet 2022, p. 2), ce qui revient à inclure la profondeur de l’excavation dans la hauteur de chute retenue par l’OAC. Dans ces circonstances, l’affirmation faite pour la première fois par Y______ quatre ans après l’accident, selon laquelle le recourant aurait effectué « une chute de plus de 4m dans le trou creusé au rez-de-chaussée, sur les gravats et morceaux de béton […] » (cf. pièce 4 recourant) apparaît d’autant moins plausible que Y______ explique uniquement la hauteur de chute de plus de 4m qu’il allègue par la présence du « trou creusé au rez-de-chaussée », rempli de gravats, ce qui correspond à des caractéristiques déjà mentionnées dans le complément d’opposition du 22 juillet 2019 en relation avec une chute d’une hauteur de 3.50m. En outre, à l’examen des photos annexées au compte rendu de l’accident établi par l’OAC, le « trou » mentionné par Y______ dans sa déposition correspond simplement à l’excavation du rez-de-chaussée précitée. Cette dernière présente une profondeur régulière sur sa partie visible, à savoir la portion du sol non masquée par les gravats, et s’étend à toute la pièce où le recourant a terminé sa chute (cf. pièce 5 recourant ; en particulier l’image le montrant sur une civière). On constate par ailleurs que les gravats, abondants par endroits, tendent à réduire la hauteur de chute possible.
Dans ces circonstances, une hauteur de chute de plus de 4m doit être écartée et la chambre de céans se dispensera, par appréciation anticipée des preuves (cf. ci‑dessus : consid. 9.2) de donner suite à la demande d’audition de Y______ en qualité de témoin.
Aussi convient-il de s’en tenir à une chute de 3.5 m et de qualifier l’accident du 22 janvier 2019 de gravité moyenne au sens strict, comme l’a retenu l’intimée.
10.6 L’accident du 22 janvier 2019 étant de gravité moyenne au sens strict, l’existence d’une relation de causalité adéquate entre les troubles psychiques du recourant et cet événement requiert la réalisation de trois critères de causalité adéquate, l’un d’entre eux pouvant être suffisant s’il est présent de manière particulièrement marquante (cf. ci-dessus : consid. 6.2). Aussi convient-il d’examiner les sept critères jurisprudentiels ci-après.
10.6.1 S’agissant des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident, l’intimée est d’avis que ce critère n’est pas rempli. Le recourant fait valoir que tel serait au contraire le cas.
La raison pour laquelle la jurisprudence a adopté le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident repose sur l’idée que de telles circonstances sont propres à déclencher chez la personne qui les vit des processus psychiques pouvant conduire ultérieurement au développement d’une affection psychique. L’examen se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances de l’espèce. C’est le déroulement de l’accident dans son ensemble qu’il faut prendre en considération. L’examen se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances de l’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse. Il faut en effet observer qu’à tout accident de gravité moyenne est associé un certain caractère impressionnant, lequel ne suffit pas pour admettre l’existence du critère en question. Il convient d’accorder à ce critère une portée moindre lorsque la personne ne se souvient pas de l’accident (arrêt du Tribunal fédéral 8C_361/2022 du 13 octobre 2022 consid. 5.3.1 et la référence). Ce critère peut être considéré comme rempli s’il existait objectivement une menace immédiate pour la vie de la personne (arrêt du Tribunal fédéral 8C_703/2022 du 1er septembre 2023 consid. 4.3 et les références).
La position dans laquelle un assuré chute ou se reçoit au sol pourrait, selon les circonstances, entraîner l’admission du critère invoqué. Toutefois, le fait d’être tombé sur le côté (d’environ 4m) ne saurait, objectivement, conférer à l’accident un caractère particulièrement impressionnant ou dramatique. Lorsqu’un assuré glisse et chute, une réception latérale n’est pas forcément plus traumatisante qu’une chute verticale (arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 6.3.1.2).
Dans les arrêts 8C_657/2013 du 3 juillet 2014 (consid. 5.4) et U 603/2006 du 7 mars 2007 (consid. 5), le Tribunal fédéral a rappelé sa casuistique concernant le caractère particulièrement impressionnant ou dramatique en matière de chutes.
- ce critère avait été nié notamment :
o dans le cas d’un travailleur victime d’un accident dans les circonstances suivantes : une lourde pierre s’était détachée d’un mur haut de 2.7m d’un immeuble en démolition et lui avait percuté le dos, puis la cheville gauche, alors qu’il s’apprêtait à franchir une fenêtre ; le choc l’avait projeté en avant et il s’était trouvé face contre terre, à cheval sur la base de l’encadrement de la fenêtre ;
o dans le cas d’un travailleur qui était tombé d’un échafaudage d’une hauteur d’environ 3 à 4m ou d’un travailleur qui avait chuté d’une échelle d’une hauteur d’environ 4.5m dans une fouille.
- ce critère avait été admis dans le cas d’un assuré qui, lors de travaux de démolition de boxes de garages, s’était trouvé pressé contre une benne de déchets par un pan de mur en plâtre s’écroulant sur lui tandis que le toit menaçait également de s’effondrer, et qui avait subi plusieurs fractures à la suite de cet événement nécessitant une hospitalisation de plusieurs jours (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 89/99 du 10 juillet 2000).
En l’espèce, la chambre de céans considère qu’au regard de la négation du critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident dans des cas similaires, il n’existe pas de motif d’en admettre la réalisation dans le cas d’espèce (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_657/2013 du 3 juillet 2014 : chute d’un ouvrier d’une hauteur de 4.5m dans une fosse, perte de connaissance après impact au sol et plaies superficielles au visage occasionnées par la chute simultanée de planches de décoffrage). Tirant argument de ce dernier arrêt, le recourant fait valoir en substance que des débris de la dalle sont en partie retombés sur lui et que si dans l’arrêt 8C_657/2013 précité, le Tribunal fédéral a nié le caractère particulièrement impressionnant de l’accident, c’est parce que l’ouvrier n’avait pas vu tomber les planches sur lui (il avait perdu connaissance), alors que lui-même était resté conscient tout du long
et avait vu sa jambe cassée, à l’équerre, après sa chute dans un trou, due au lâchage soudain et inattendu de la dalle du 1er étage sur laquelle il se tenait, sans que des mesures aient été mises en œuvre par son employeur pour sécuriser les travaux de démolition de cette dalle. La chambre de céans rappelle cependant que selon le Tribunal fédéral, la survenance d’un accident de gravité moyenne présente toujours un certain caractère impressionnant pour la personne qui en est victime, et que cela ne suffit pas en soi à conduire à l’admission de ce critère (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_204/2019 du 12 mai 2020 consid. 6.2.3), quand bien même la victime serait hantée par le souvenir de l’événement. Ainsi, le fait de voir et revoir les images traumatiques de l’accident ne suffit pas pour considérer que le critère du caractère particulièrement impressionnant de l’accident est réalisé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_663/2019 du 9 juin 2020 consid. 4.3.4). Il s’ensuit que le fait pour le recourant d’avoir indiqué en juin 2022 à sa psychiatre, la Dre V______, qu’il avait des flashbacks, soit des moments où il revoyait l’accident (cf. rapport non daté de ce médecin, faisant suite à un examen neuropsychologique effectué entre le 20 et le 28 juin 2022 ; pièce 56, p. 1 recourant), ne suffit pas en soi.
On précisera enfin que l’accident du 22 janvier 2019 ne saurait être comparé au cas ayant fait l’objet de l’arrêt U 89/99 précité. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral des assurances a souligné qu’il n’était pas possible, pour l’assuré, d’évaluer les masses de débris provenant de la paroi latérale qui s’était effondrée sur lui et qui l’auraient poussé encore plus fortement contre la benne et éventuellement écrasé. Le fait que le toit plat du bâtiment du garage se fût effondré contre l’arrière du bâtiment détruit était également à prendre en compte. Lorsque le mur latéral s’était écroulé en direction de l’assuré, il fallait s’attendre à ce que le processus d’effondrement ne soit pas encore terminé, que le toit puisse également se briser au-dessus de l’assuré et projeter d’autres débris contre lui alors qu’il ne pouvait se protéger d’aucune manière. Ainsi, le caractère particulièrement impressionnant de l’accident devait être considéré comme rempli dans une large mesure (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 88/89 précité, consid. 3b). Or, les éléments qui rendent le déroulement de l’accident précité particulièrement impressionnant ne se retrouvent pas dans celui dont a été victime le recourant, notamment parce qu’il n’en ressort pas qu’il en aurait découlé objectivement une menace immédiate
pour sa vie (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_703/2022 précité, consid. 4.3).
L’intimée était dès lors fondée à nier la réalisation du critère du caractère particulièrement impressionnant de l’accident.
10.6.2 Quant au critère de gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu notamment du fait qu’elles sont propres, selon l’expérience, à entraîner des troubles psychiques, sa réalisation requiert d’abord l’existence de lésions physiques graves ou, s’agissant de la nature particulière des lésions physiques, d’atteintes à des organes auxquels l’homme attache normalement une importance subjective particulière (par exemple la perte d’un œil ou certains cas de mutilations à la main dominante ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_249/2018 du
12 mars 2019 consid. 5.2.2, publié in SVR 2019 UV n° 27 p. 99, par renvoi à l’arrêt 8C_566/2013 du 18 août 2014 consid. 6.2.2 et la référence). Dans le cas d’un accident de la voie publique qui s’était soldé par une lésion complexe du membre inférieur droit et une entorse grave du genou gauche, le Tribunal fédéral
a estimé, dans un arrêt du 15 février 2021, que même si l’assuré présentait des atteintes relativement importantes à ses membres inférieurs – qui ne lui laissaient pas d’autre choix que de se déplacer à l’aide de deux béquilles, même dans son appartement –, ces atteintes ne présentaient pas une nature particulière au sens de la jurisprudence ni n’atteignaient le seuil de gravité requis. Elles n’étaient pas non plus comparables aux lésions potentiellement fatales dont il était question dans l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_398/2012 du 6 novembre 2020 – rupture de la rate, fissure de l’estomac, hémopneumothorax bilatéral et fracture costale en série (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2020 du 15 février 2021 consid. 4.3.2 et les références).
En l’occurrence, il n’est pas contestable que le recourant présente une atteinte relativement importante à sa jambe droite et qu’il se déplaçait toujours avec une canne, même au moment d’être victime d’une nouvelle chute le 14 juillet 2022. Cela étant, au regard de la qualification retenue par le Tribunal fédéral pour une atteinte aux membres inférieurs et un handicap comparable en termes de mobilité (utilisation de béquilles ; cf. l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2020 précité), c’est à juste titre que l’intimée a nié la réalisation du critère de la gravité ou de la nature particulière des lésions physiques.
10.6.3 Pour l’appréciation du critère de la durée anormalement longue du traitement médical, il faut uniquement prendre en compte le traitement thérapeutique nécessaire (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 369/05 du 23 novembre 2006 consid. 8.3.1). N’en font pas partie les mesures d’instruction médicale et les simples contrôles chez le médecin (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 393/05 du 27 avril 2006 consid. 8.2.4). L’aspect temporel n’est pas seul décisif ; sont également à prendre en considération la nature et l’intensité du traitement, et si l’on peut en attendre une amélioration de l’état de santé de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral 8C_566/2013 du 18 août 2014 consid. 6.2.3 et les références). La prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations même pendant une certaine durée ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêt du Tribunal fédéral 8C_361/2007 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 380/04 du 15 mars 2005 consid. 5.2.4, in RAMA 2005 n° U 549 p. 239). La jurisprudence a notamment nié que ce critère fût rempli dans le cas d’un assuré dont le traitement médical du membre supérieur accidenté avait consisté en plusieurs opérations chirurgicales et duré 18 mois (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 37/06 du 22 février 2007 consid. 7.3). Enfin, le Tribunal fédéral a jugé que l’on ne pouvait pas retenir une durée anormalement longue des soins médicaux, pour un traitement ayant duré environ seize mois, constitué pour une large part d’ergothérapie, ce qui ne constituait pas un traitement particulièrement pénible et invasif (arrêt du Tribunal fédéral 8C_98/2015 du 18 juin 2015 consid. 4.5).
En l’espèce, le recourant a subi des interventions à sa jambe droite les 22 et 25 janvier 2019 ainsi que le 9 janvier 2020, soit trois interventions en l’espace de douze mois. Par la suite, il a uniquement bénéficié d’un traitement conservateur, composé d’une infiltration de cortisone du genou droit (cf. rapport du 29 janvier 2021 du Dr H______) et de séances de physiothérapie et d’électrostimulation, complétées par de la médication antalgique, ce qui ne constitue pas un traitement particulièrement pénible et invasif. L’ensemble de ces éléments ne suffisent pas à fonder le critère de la durée anormalement longue des soins médicaux.
Le recourant objecte qu’il y aurait lieu d’ajouter aux trois interventions précitées celle subie au Portugal après la rechute survenue le 14 juillet 2022. Cet argument n’est a priori pas dénué de pertinence. Cependant, en application de la pratique sur les conséquences psychiques des accidents (ATF 115 V 133), applicable au cas d’espèce (ci-dessus : consid. 10.2), l’examen des critères de causalité adéquate doit se faire au moment où l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical en rapport avec l’atteinte physique une sensible amélioration de l’état de santé. Or, pour les motifs déjà indiqués (cf. ci-dessus : consid. 10.3), ce moment coïncide avec le rapport du 10 février 2022 du Dr R______. Il s’ensuit que pour apprécier le critère de la durée anormalement longue des soins médicaux, il n’est pas possible de prendre en considération les interventions supplémentaires que le recourant a subies à la jambe droite après le 14 juillet 2022.
Aussi ce critère n’est-il pas réalisé.
10.6.4 Pour que le critère des douleurs physiques persistantes soit rempli, il est nécessaire que celles-ci aient existé sans interruption notable durant tout le temps écoulé entre l’accident et la clôture du cas (art. 19 al. 1 LAA ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_13/2022 du 29 septembre 2022 consid. 4.4.1). L’intensité des douleurs est examinée au regard de leur crédibilité, ainsi que de l’empêchement qu’elles entraînent dans la vie quotidienne (ATF 134 V 109 consid. 10.2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_565/2022 du 23 mai 2023 consid. 4.2.7).
En l’espèce, il ressort notamment de l’attestation de Y______ que le recourant a eu « horriblement mal » à la suite de sa chute du 22 janvier 2019 (cf. pièce 4 recourant). Au terme de son séjour – du 31 janvier au 8 février 2019 – au sein de l’unité de de médecine physique et réadaptation orthopédique des HUG, le recourant s’est vu prescrire notamment du Tramal®, soit un analgésique opioïde indiqué pour les douleurs aiguës ou prolongées de moyenne à forte intensité (cf. https://compendium.ch). Durant la période ayant précédé la nouvelle intervention (OTV du 9 janvier 2020), il existait des douleurs sous le genou, parfois la nuit, après une station debout prolongée, lorsqu’il marchait ou se relevait ainsi que pendant et après des exercices de rééducation (cf. audition du 13 mai 2019 à domicile ; pièce 36 intimée). Au cours d’un entretien téléphonique avec l’intimée le 6 août 2019, la fille du recourant a rapporté que les douleurs étaient toujours présentes et l’évolution stagnante (pièce 53 intimée). Le recourant a indiqué à l’intimée en août et novembre 2019 qu’en lieu et place du Tramal, il préférait la prise de Voltarène et d’autres produits à titre personnel (« Silagic », etc.) pour ses douleurs (pièces 56 et 89 intimée). Après l’intervention du 9 janvier 2020, le recourant s’est vu prescrire à nouveau du Tramal® (pièce 116, p. 2 intimée). Le 21 mars 2020, il se plaignait de douleurs principalement localisées en interne, en regard de la plaque, et de douleurs également antérieures au niveau de la « TTA » (tubérosité tibiale antérieure ; pièce 30 recourant). À la suite d’une recrudescence des douleurs en juillet et octobre 2020 (pièces 31 et 32 recourant), le recourant a bénéficié, à des fins antalgiques, d’une infiltration intra-articulaire de cortisone au genou droit le 18 février 2021 (pièces 33 et 34 recourant). Dans le cadre de l’examen réalisé le 25 février 2021 par le Dr I______, le recourant a indiqué que l’infiltration de cortisone précitée avait aggravé les douleurs sans améliorer la mobilité de son genou droit. Selon le Dr I______, l’évolution était défavorable ; l’intéressé marchait toujours avec une canne et se plaignait de douleurs aussi bien diurnes que nocturnes, nécessitant la prise de Tramal® le soir pour éviter des réveils systématiques. Son périmètre de marche était limité à 100m, avec présence de pseudo-lâchages. Il ne pouvait ni monter ni descendre les escaliers et l’appui monopodal n’était pas tenu à droite (cf. pièce 243 intimée). Un an plus tard environ, soit lors de l’examen final du 7 février 2022 du Dr R______, les mêmes plaintes, relatives aux douleurs et à leurs effets étaient toujours d’actualité (présence de douleurs nocturnes insomniantes, station debout limitée à environ 10min avec appui principalement sur le membre inférieur gauche et avec une canne, impossibilité de monter et descendre les escaliers, de s’accroupir, de s’agenouiller), voire en aggravation : en plus des pseudo-lâchages qu’elles causaient, les douleurs du genou droit s’accompagnaient régulièrement d’un gonflement de celui-ci et de craquements rotuliens à la flexion/extension (cf. pièce 368 intimée). Dans le même sens, la Dre Q______ mentionnait, en février 2022, sur le plan somatique, des douleurs présentes toute la journée, avec perte de mobilité et difficultés dans toutes les activités (pièce 44 recourant).
La décision litigieuse retient que le critère des douleurs physiques persistantes ne serait manifestement pas rempli (tout en laissant cette question ouverte), motif pris que selon les médecins de la CRR, il n’existe pas seulement des douleurs importantes, diffuses et mal systématisées, mais aussi des facteurs extra‑médicaux, notamment un catastrophisme élevé et une kinésiophobie modérée chez un patient centré sur les douleurs et avec une perception du handicap majeure.
La chambre de céans constate que l’intimée omet de souligner que les médecins de la CRR considèrent que « les plaintes et limitations fonctionnelles s’expliquent principalement par les lésions objectives constatées pendant le séjour » (cf. pièce 263, p. 5 intimée) et qu’ils jugent les douleurs « importantes » indépendamment de leur présentation, qualifiée de « diffuse » et « mal systématisée » (pièce 264,
p. 2 intimée). Quant aux facteurs extra-médicaux mis en exergue par l’intimée, les médecins de la CRR les présentent comme des facteurs pouvant influencer négativement les aptitudes fonctionnelles (cf. pièce 263, p. 5 intimée). Entendu à ce sujet par la chambre de céans, le recourant a déclaré que lors de son séjour à la CRR, on l’avait « forcé à faire des exercices avec sa jambe droite qui [lui avaient] fait très mal, y compris le vélo, alors [qu’il] n’y arrivait pas. [On lui] avait dit aussi [qu’il] pouvai[t] marcher sans ses béquilles. En effet, il les utilisait toujours. [Lorsqu’il] marchait avec ses béquilles, les infirmières se moquaient de [lui] et le mimaient […] car les soignants pensaient [qu’il] n’avai[t] pas besoin de cannes » (cf. procès-verbal d’audience du 12 septembre 2023, p. 6). Bien que de tels détails ne ressortent pas du rapport de la CRR mais que la thématique qu’ils concernent soit présentée, dans ce rapport, comme de l’autolimitation « principalement par kinésiophobie » (cf. pièce 263, p. 6 intimée), il n’en reste pas moins qu’avant le séjour du recourant à la CRR, le Dr I______ signalait déjà un périmètre de marche limité à 100m, avec présence de « pseudo-lâchages » (pièce 243, p. 7 intimée). À cet égard, le Dr R______ souligne dans son rapport du 20 octobre 2022, que les phénomènes de lâchage ou pseudo-lâchage « en raison des douleurs », qu’il avait déjà décrits dans son rapport d’examen final du 10 février 2022, lui paraissent « plausible[s] » et qu’il est vraisemblable qu’ils puissent entraîner une chute telle que celle qui s’est produite le 14 juillet 2022 (cf. pièce 483, p. 4 intimée). Compte tenu de cette dernière appréciation du Dr R______, on ne saurait retenir, contrairement à l’intimée, que les empêchements dus aux douleurs – dont le fait de toujours se déplacer avec une canne, notamment pour limiter un risque (bien réel) de chute – seraient majorés par des facteurs extra-médicaux. Il convient au contraire de retenir que les plaintes et limitations fonctionnelles du recourant s’expliquent par ses lésions traumatiques au membre inférieur droit et les douleurs qu’elles induisent. Cela est également corroboré par les explications données par le Dr P______ devant la chambre de céans : « l’accident du 22 janvier 2019 a laissé trois séquelles majeures au recourant [la première d’entre elles étant] la douleur importante » (cf. procès-verbal d’audience du 19 décembre 2023, p. 2). Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de douter qu’il existe, aux dires du recourant, des douleurs physiques se manifestant même la nuit et que celles-ci ont été présentes sans interruption notable entre la date de l’accident – 22 janvier 2019 – et celle retenue par l’intimée pour la clôture du cas. En outre, dans la mesure où le rapport du 10 février 2022 du Dr R______ tient compte, dans les limitations fonctionnelles qu’il retient, des empêchements – station debout limitée à dix minutes avec appui principalement sur la jambe gauche et une canne, impossibilité de s’accroupir, de s’agenouiller, d’emprunter les escaliers, etc., selon les plaintes du recourant – que ces douleurs entraînent sur le plan de la mobilité et, par voie de conséquence, les activités de la vie quotidienne, l’intensité des douleurs apparaît également corroborée par les empêchements qu’elle entraîne.
Dans ces conditions, le critère des douleurs physiques persistantes apparaît réalisé, mais sans qu’il le soit de manière particulièrement marquante.
10.6.5 S’agissant du critère des erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable des séquelles de l’accident, le recourant ne s’en prévaut pas. Par ailleurs, en l’absence d’éléments au dossier suggérant que les séquelles de l’accident auraient été aggravées par un traitement non conforme aux règles de l’art, le fait que le critère en question n’a pas été retenu par l’intimée ne prête pas le flanc à la critique.
10.6.6 En ce qui concerne le critère des difficultés apparues au cours de la guérison et des complications importantes, il convient de préciser que ces deux aspects ne doivent pas être remplis de manière cumulative. Le critère des difficultés apparues au cours de la guérison et/ou la présence de complications importantes requiert l’existence de motifs particuliers ayant entravé la guérison.
À cet égard, la prise de nombreux médicaments et la mise en œuvre de différentes thérapies ne suffisent pas pour répondre à ce critère. Il en va de même lorsqu’en dépit de thérapies régulières, il n’a été possible d’obtenir ni l’absence de symptômes ni une capacité de travail (complète) dans l’activité habituelle (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_257/2007 du 16 mai 2008 consid. 7.6 et les arrêts cités).
En l’espèce, la décision litigieuse nie la réalisation du critère des difficultés apparues au cours de la guérison et/ou des complications importantes au motif que les médecins de la CRR ont constaté un résultat radiologique postopératoire correct avec un genou qui est, d’un point de vue clinique, calme, sec et stable. En second lieu, l’intimée est d’avis que même s’il n’a pas été possible de supprimer les douleurs ou de rétablir une capacité de travail entière, « les interventions réalisées jusqu’à ce jour apparaissent compatibles avec la suite de fractures ».
La chambre de céans constate pour sa part que les suites de l’intervention du 25 janvier 2019 ont été marquées, selon le Dr H______, par une « mal-union (fracture consolidée mais avec une déformation) » (pièce 36 recourant), ayant nécessité, le 9 janvier 2020, une nouvelle intervention au genou droit (ablation du matériel d’ostéosynthèse posté le 25 janvier 2019 et OTV). Un an après la correction de la déformation tibiale par OTV, le Dr H______ a certes constaté, lors d’un examen clinique du 26 janvier 2021, que le genou était calme, avec une ostéotomie qui avait bien guéri d’un point de vue radiologique. Cependant, ce médecin n’en relevait pas moins l’apparition d’une gonarthrose post-traumatique et qu’il persistait une importante amyotrophie qui empêchait de stabiliser correctement le genou (cf. pièce 33 recourant). Quant aux médecins de la CRR sur l’appréciation desquels la décision litigieuse se fonde pour conclure à la non‑réalisation du critère des difficultés apparues au cours de la guérison et/ou des complications importantes, ils indiquent également qu’un ultrason du genou du droit, pratiqué le 23 avril 2021, montre qu’il existe, en regard du plateau tibial interne, différents matériaux d’ostéosynthèse avec des signes inflammatoires positifs tout autour, ce qui les fait retenir, entre autres, un « probable conflit entre ce matériel [d’ostéosynthèse] et la partie distale [du tendon] de la patte d’oie […] » (cf. pièce 263, pp. 24-25 intimée). Quant au Dr I______, il évoque, dans son rapport du 1er mars 2021, une évolution défavorable, caractérisée notamment par la présence de « pseudo-lâchages » (pièce 243 intimée). Ce phénomène est aussi décrit dans le rapport d’examen final du 10 février 2022 du Dr R______ (« pseudo-lâchages du genou en raison des douleurs » ; pièce 45, p. 5 recourant) ainsi que par le Dr P______. Dans un rapport du 20 septembre 2022, ce médecin indique en effet que le recourant « est connu pour des séquelles importantes de son accident de 2019 avec une arthrose post-traumatique débutante qui est responsable de douleurs résiduelles importantes ainsi que d’une raideur à cause de deux opérations majeures qu’il a [subies] pour le traitement de sa fracture et ses séquelles. Dans ce cas de figure, il [lui] semble tout à fait possible que la douleur et la faiblesse soient responsables de la chute [du 14 juillet 2022] et que la raideur puisse être à l’origine de la transmission d’une force très importante au fémur distal, site de sa nouvelle fracture » (cf. pièce 64 recourant). Se ralliant sur ce point à l’avis du Dr P______, le Dr R______ indique dans son rapport du 20 octobre 2022 que « les phénomènes de lâchage ou pseudo-lâchage en raison des douleurs, étaient déjà décrits par l’assuré lors de l’examen […] du 10.02.2022. Ceux-ci sont plausible[s] avec l’atteinte au genou [droit] à la suite de l’événement du 22.01.2019 et il est vraisemblable qu’ils puissent entraîner une chute » (cf. pièce 483, p. 4 intimée). On relèvera enfin que lors de son audition par la chambre de céans, le Dr P______ a résumé la situation comme suit : « l’accident du 22 janvier 2019 a laissé trois séquelles majeures au recourant. [La première] était la douleur importante ; deuxièmement, à cause de cette douleur, il y avait une perte musculaire importante pour laquelle il était sous traitement avec un appareil d’électrostimulation (Compex) ; et la troisième séquelle était la raideur du genou (perte de la capacité à plier le genou). Le caractère faible du genou amenait à des lâchages et à des chutes » (cf. procès-verbal d’audience du 19 décembre 2023, p. 2).
Il résulte en synthèse de ce qui précède que sans la « mal-union (fracture consolidée mais avec une déformation) » évoquée par le Dr H______ à la suite de l’opération du 25 janvier 2019, une seconde opération n’aurait pas été nécessaire le 9 janvier 2020 et que malgré celle-ci, l’évolution post-opératoire a été marquée par une instabilité et une raideur du genou droit, des signes inflammatoires autour des matériaux d’ostéosynthèse et l’apparition d’une gonarthrose post-traumatique qui est également source de douleurs. En concours avec la faiblesse musculaire empêchant de stabiliser correctement le genou, les douleurs sont la cause de lâchages et pseudo-lâchages du genou, conduisant à l’utilisation durable d’une canne pour les déplacements et à un risque de chutes (déjà présent le 10 février 2022), dont les conséquences délétères sont amplifiées par la raideur du genou en cas de chute. Compte tenu des difficultés majeures qu’illustre une telle évolution au décours des interventions des 25 janvier 2019 et 9 janvier 2020, il y a lieu de considérer que le critère des difficultés apparues au cours de la guérison et/ou des complications importantes est réalisé, mais sans qu’il le soit de manière marquante.
10.6.7 En ce qui concerne le critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques, il doit se rapporter aux seules lésions physiques et ne se mesure pas uniquement au regard de la profession antérieurement exercée par l’assuré. Ainsi, il n’est pas rempli lorsque l’assuré est apte, même après un certain laps de temps, à exercer à plein temps une activité adaptée aux séquelles accidentelles qu’il présente (arrêts du Tribunal fédéral 8C_93/2022 du 19 octobre 2022 consid. 5.3 et 8C_209/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.2.2). Ce critère est en principe admis pour une incapacité totale de travail de près de trois ans (arrêts du Tribunal fédéral 8C_600/2020 du 3 mai 2021 consid. 4.2.4 et 8C_547/2020 du 1er mars 2021 consid. 5.1), mais pas en présence d’une incapacité de travail totale d’un peu plus d’une année (arrêt du Tribunal fédéral 8C_209/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.2.2), d’un an et demi (arrêt du Tribunal fédéral 8C_627/2019 du 10 mars 2020 consid. 5.4.5), de 20 mois (arrêt du Tribunal fédéral 8C_93/2022 du 19 octobre 2022 consid. 5.3), de 21 mois (arrêt du Tribunal fédéral 8C_600/2020 précité consid. 4.2.4) ou de deux ans et quatre mois (arrêt du Tribunal fédéral 8C_547/2020 du 1er mars 2021 consid. 5.3 et 5.4).
En l’espèce, le rapport du 10 février 2022, sur lequel la décision litigieuse se fonde, retient que le cas est stabilisé et que si l’ancienne activité habituelle de maçon n’est plus exigible, tel n’est pas le cas pour une activité ne nécessitant ni port de charges supérieures à 5kg, ni marches, ni stations debout prolongées, ni positions accroupies ou à genoux, ni montées ni descentes d’escaliers, d’échelles et d’escabeaux, une telle activité adaptée étant exigible à plein temps et sans diminution de rendement.
La chambre de céans constate que pour se prononcer sur le critère du degré et
de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques, il n’est pas nécessaire de départager les avis discordants des Drs P______ et R______ sur le taux d’activité exigible dans une activité adaptée (cf. ci‑dessus : consid. 10.4.1). En effet, même en se fondant sur l’appréciation – moins favorable au recourant – du Dr R______, celle-ci n’en implique pas moins qu’il existait, du 22 janvier 2019 au 10 février 2022, voire jusqu’à l’arrêt du versement des indemnités journalières au 31 mars 2022, une incapacité de travail totale dans toute activité en raison des seules lésions physiques, ce qui correspond à une durée d’un peu plus de trois ans. On relève cependant que dans un rapport du 2 novembre 2021 – que le SMR a fait sien dans le cadre du dossier d’assurance-invalidité (cf. avis du 24 mai 2023 du SMR) –, le Dr H______ estimait que le recourant pouvait reprendre à plein temps une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles « à partir du 22 juin 2021 environ » (cf. pièce 36 recourant). Cette appréciation du Dr H______ et la durée d’incapacité de travail totale qu’elle sous-tend (deux ans et cinq mois) n’apparaît toutefois pas déterminante dès lors que la décision litigieuse fixe la cessation des indemnités journalières au 31 mars 2022 sur la base du rapport du 10 février 2022 du
Dr R______, retenant une capacité de travail entière dans toute activité adaptée et un état de santé stabilisé « à partir du 10 février 2022 » (cf. décision litigieuse, p. 12 in fine), étant précisé que la SUVA n’a pas évoqué la possibilité de l’exercice d’une activité adaptée avant le rapport d’examen final de son médecin-conseil du 10 février 2022. De plus, le Dr R______ intègre à son appréciation des rapports médicaux non pris en compte par le Dr H______ – car postérieurs au rapport du 2 novembre 2021 de ce médecin – pour constater que la situation avait évolué (même si ce n’était pas de manière significative) après le séjour du recourant à la CRR. Dans ces conditions, la chambre de céans retiendra, en cohérence avec la décision litigieuse (sur ce point), que le recourant a présenté, sur le plan somatique, une incapacité de travail totale dans toute activité à partir du 22 janvier 2019 et que celle-ci a duré en tout cas jusqu’au rapport d’examen final du 10 février 2022 du Dr R______.
Au vu de la casuistique précitée, le laps de temps écoulé jusqu’à la date de ce rapport suffit pour admettre que le critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques est réalisé.
10.7 Compte tenu de l’examen des critères de causalité adéquate qui précède, trois d’entre eux (ci-dessus : consid. 10.6.4, 10.6.6 et 10.6.7) sont réalisés, ce qui suffit, en présence d’un accident de gravité moyenne au sens strict, pour établir un lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques – dont la causalité naturelle est admise par l’intimée – et l’accident du 22 janvier 2019.
Pour ce type de situation, la jurisprudence prévoit que la clôture séparée d’un cas d’assurance-accidents pour les troubles psychiques d’une part et les troubles somatiques d’autre part n’entre pas en ligne de compte et qu’il y a lieu de procéder à une clôture globale du cas (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2020 du 15 février 2021 consid. 2.3 et les références). Or, dans la mesure où il ressort de l’appréciation non contestée du Dr T______, datée du 13 avril 2022, que sur le plan psychique, la situation « semblait loin d’être stabilisée actuellement […] et qu’il est effectivement trop tôt pour se prononcer quant à une atteinte à l’intégrité dans ce domaine » (cf. pièce 409, p. 9 intimée), la chambre de céans ne peut que constater que c’est de manière prématurée que l’intimée a clos le cas au 31 mars 2022, quand bien même le cas était stabilisé au plan somatique le 10 février 2022 (ci-dessus : consid. 10.3).
11. Il reste à examiner les conséquences de cette clôture prématurée du cas, sachant que le recourant conclut au renvoi de la cause à l’intimée, d’une part pour qu’elle reprenne en charge le traitement médical des lésions résultant de l’accident du 22 janvier 2019 et le versement des indemnités journalières dès le 1er avril 2022, d’autre part pour qu’elle ordonne, une fois l’état de santé stabilisé, une expertise indépendante (art. 44 LPGA) pluridisciplinaire, orthopédique, psychiatrique et neuropsychiatrique.
11.1 S’agissant des aspects psychiques du cas, la chambre de céans constate qu’il existe des divergences sur le plan des diagnostics et de l’incapacité de travail qui en découle. Alors que le Dr T______ retient un trouble de l’adaptation avec prédominance d’une perturbation d’autres émotions (F43.23) et une capacité de travail du recourant qui est « clairement nulle dans son activité habituelle mais plus pour des raisons somatiques que psychiatriques » (pièce 409, p. 8 intimée), les médecins du recourant mentionnaient, en février 2022, entre autres, une « symptomatologie dépressive réactionnelle au syndrome douloureux » et une capacité de travail nulle sur le plan psychique (rapport du 18 février 2022 de la Dre Q______ ; pièce 44 recourant), un état de stress post-traumatique (F43.1) et un état dépressif sévère avec symptômes psychotiques (F32.2) en juin 2022, entraînant une capacité de travail nulle (rapport du 15 juin 2022 des Drs U______ et V______). Cette incapacité de travail totale pour raisons psychiques était toujours d’actualité dans toute activité en avril 2023 (rapport du 11 avril 2023 à l’OAI des Drs U______ et AC______; pièce 74 recourant).
En tout état, il ne ressort d’aucun des rapports psychiatriques précités que l’examen des troubles du recourant aurait été effectué conformément à la procédure probatoire structurée instaurée par l’ATF 141 V 281. On précisera à cet égard que le changement de jurisprudence opéré dans le domaine de l’assurance‑invalidité relativement aux troubles psychiques (ATF 143 V 409 et 418 ; 141 V 281) s’applique par analogie lorsqu’il y a lieu d’examiner le droit à une rente de l’assurance-accidents obligatoire en cas de syndrome sans pathogénèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique (ATF 141 V 574 consid. 5.2). En outre, dans la mesure où l’intimée n’a procédé à aucune instruction sur le plan psychique – hormis sur la question de la causalité naturelle (qu’elle a admise) –, il lui incombera de mettre en œuvre une expertise psychiatrique indépendante (au sens de l’art. 44 LPGA), satisfaisant aux réquisits jurisprudentiels précités.
11.2 S’agissant des aspects somatiques du cas, la chambre de céans ne saurait retenir, pour les motifs indiqués (ci-dessus : consid. 10.4.1) qu’il serait établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le recourant présentait, sitôt son état de santé stabilisé, une capacité de travail de travail entière dans une activité adaptée. Cela étant, d’une part, la cause est de toute manière renvoyée à l’intimée pour instruction complémentaire sur le plan psychique (ci-dessus : consid. 11.1) et, d’autre part, selon le résultat de ces investigations – lesquelles porteront notamment sur le caractère incapacitant des troubles psychiques dans l’activité habituelle de maçon et dans une activité adaptée –, on ne saurait exclure, en l’état, que le désaccord médical opposant les Drs P______ et R______
– sur la capacité de travail exigible dans une activité adaptée (avant la rechute du
14 juillet 2022) – conserve une portée pratique pour le droit aux prestations d’assurance à partir du 1er avril 2022. Il apparaît donc indispensable que l’intimée ajoute un volet orthopédique à l’expertise psychiatrique qu’il lui incombera de mettre en œuvre.
11.3 Étant donné qu’une expertise au moins bidisciplinaire (psychiatrique et orthopédique) apparaît nécessaire, la cause sera renvoyée à l’intimée pour qu’elle procède à une telle instruction. En fonction du résultat de celle-ci, notamment de la date de clôture globale du cas (cf. ci-dessus : consid. 10.7) qui sera retenue, il appartiendra à l’intimée d’en tirer les conséquences juridiques sur le droit aux prestations du recourant dans le cadre d’une nouvelle décision. La chambre de céans ne saurait donc, en l’état du dossier, donner suite aux conclusions du recourant en tant qu’elles lui demandent d’ordonner d’ores et déjà la reprise du versement des indemnités journalières et du traitement médical à compter de la date à laquelle ces prestations ont cessé d’être prises en charge pour les suites de l’événement du 22 janvier 2019. Il est rappelé que le présent arrêt confirme, d’un point de vue strictement somatique, la stabilisation du cas en février-mars 2022 ainsi que le taux d’IPAI de 12.5%.
12. Compte tenu de ce qui précède, la recours sera partiellement admis, la décision sur opposition du 26 janvier 2023 annulée et la cause renvoyée à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.
13. Étant donné que le recourant obtient partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 3'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens, à charge de l’intimée (art. 61 let. g LPA ; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5.10.03).
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
*****
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet partiellement.
3. Annule la décision sur opposition du 26 janvier 2023.
4. Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.
5. Alloue au recourant une indemnité de CHF 3'000.-, à charge de l’intimée, valant participation à ses dépens.
6. Dit que la procédure est gratuite.
7. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.
La greffière
Christine RAVIER |
| Le président
Blaise PAGAN |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le