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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2749/2023

ATAS/150/2024 du 06.03.2024 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2749/2023 ATAS/150/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 6 mars 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

représentée par APAS - association pour la permanence de défense des patients et des assurés, soit pour elle Roman SEITENFUS, mandataire

recourante

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante), née le ______ 1990, est titulaire d’un Bachelor en économie d’entreprise délivré en 2015 par la Haute école de gestion à Genève.

b. Depuis lors, elle a travaillé :

En 2016 :

-          En tant qu’assistante en audit auprès de B______ dans le département Trade Industries & Services (deux mois) ;

-          En tant qu’assistante de gestion de fortune internationale auprès de C______ (sept mois) ;

En 2017-2018 :

-          En tant qu’agent de sûreté à l’aéroport de Genève pour D______ (six mois) ;

-          En tant qu’hôtesse d’accueil pour E______, Palexpo ;

En 2018 :

-          En tant qu’aspirante garde-frontière, auprès de F______ (un mois) ;

-          En tant que responsable administrative chez G______ (du 1er octobre au 31 décembre 2018).

c. Elle a été totalement incapable de travailler du 13 décembre 2015 au 31 janvier 2016 puis à nouveau dès le 1er octobre 2018.

B. a. Le 2 avril 2021, l’assurée a saisi l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé) d’une demande de prestations en raison d’une anxiété généralisée, ayant nécessité plusieurs hospitalisations et plusieurs suivis.

b. Dans le cadre de l’instruction de la demande de prestations, l’OAI a notamment récolté divers rapports, dont :

-          La lettre de sortie établie le 28 janvier 2016 par les médecins de la clinique H______, dans laquelle l’assurée a été hospitalisée du 22 décembre 2015 au 23 janvier 2016 en raison d’un épisode dépressif moyen à sévère (F32.1), les comorbidités étant celles de traits de personnalité anankastique (F60.5) et traits de personnalité émotionnellement labile (F60.3). L’assurée avait été adressée à la clinique par les médecins de l’unité d’investigations et de traitements brefs psychiatriques (UITB) des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : les HUG), après une semaine d’hospitalisation, dans le contexte d’une symptomatologie anxio-dépressive, suite à un abus médicamenteux.

-          La lettre de sortie établie le 6 mars 2019 par les médecins de la clinique H______, dont il ressort que l’assurée avait été hospitalisée du 24 janvier au 6 mars 2019 pour mise à l’abri d’idéations suicidaires, le diagnostic étant alors celui de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F33.2).

-          Le rapport d’évaluation neuropsychologique établi le 14 juillet 2021 par le professeur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, ainsi que par Mesdames J______, psychologue spécialiste en psychothérapie et neuropsychologie FSP, et K______, psychologue diplômée, dans lequel le diagnostic de trouble de la personnalité émotionnellement labile, de type borderline (F60.31) depuis le début de l’âge adulte a été posé. Sur le plan professionnel, une réinsertion à l’aide de l’assurance-invalidité était recommandée, l’assurée étant toutefois dans l’impossibilité de fonctionner en milieu compétitif usuel en économie libre, les limitations fonctionnelles étant les suivantes : intolérance à la contrainte, au stress et à l’ennui, conflictualité, fragilité/vulnérabilité au niveau des investissements amenant à des désinvestissements massifs à l’origine d’une perte de motivation/persévérance.

-          Un rapport du service des urgences des HUG du 16 septembre 2021, où l’assurée a été admise le 15 septembre 2021 en raison de crise d’angoisses, idéation suicidaire et mutisme, avec plusieurs abus médicamenteux durant les 48 heures précédentes.

-          Un rapport établi le 30 septembre 2021 par le docteur L______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, psychiatre traitant de l’assurée depuis 2020, dans lequel ce dernier a posé le diagnostic de trouble de la personnalité émotionnellement labile, de type borderline (F60.31), depuis le début de l’âge adulte, entraînant une incapacité totale de travailler dans l’activité habituelle et, dès le 1er novembre 2021, une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles mentionnées dans le rapport d’évaluation neuropsychologique du 4 juillet 2021 (voir supra).

-          Un rapport établi le 10 novembre 2022 par le Dr L______, dans lequel ce dernier a confirmé le trouble de la personnalité émotionnellement labile, de type borderline (F60.3) et évoqué une diminution légère à modérée de la tolérance au stress et à la frustration. La capacité de travail dans l’activité habituelle était entière, étant encore précisé que l’assurée avait postulé, de sa propre initiative, pour un poste d’assistante administrative à 100% dans une école de langue privée, poste pour lequel elle avait été engagée à compter du 3 octobre 2022. L’activité se déroulait jusqu’alors sans complications. Toutefois, pour le psychiatre traitant, cette tentative devait être considérée comme un essai, à observer et soutenir.

c. Compte tenu des rapports précités, le service médical régional de l’assurance-invalidité (SMR) a considéré, dans un avis du 13 janvier 2023, que la capacité de travail de l’assurée était de 100% dans l’activité habituelle (recte : dans l’activité habituelle : 0% du 1er août 2020 au 2 octobre 2022, puis 100% dès le 3 octobre 2022) et, dans une activité adaptée, de 50% du 1er novembre 2021 au 2 octobre 2022 et de 100% dès le 3 octobre 2022, l’aptitude à la réadaptation à 50% existant depuis le 1er novembre 2021.

d. Par projet de décision du 22 mars 2023, l’OAI a informé l’assurée qu’il entendait la mettre au bénéfice d’une rente entière limitée dans le temps, pour la période du 1er octobre 2021 au 31 octobre 2022, la rente étant supprimée dès le 1er novembre 2022, dès lors qu’elle avait été engagée en qualité d’assistante administrative à 100% dès le 3 octobre 2022.

e. Le 10 mai 2023, le Dr L______ a informé l’OAI que « l’observation clinique [mettait] en évidence un non-aboutissement de sa tentative de travailler dans le marché libre en dehors d’une mesure AI, entreprise depuis octobre 2022, ceci faute du milieu professionnel en question de répondre à ses besoins particuliers issus de sa psychopathologie. En particulier, l’assurée avait rencontré des difficultés dans son activité professionnelle dès le mois de mars 2023, en raison de son état de santé qui s’était détérioré. Après une tentative de reprise à 50% au mois d’avril, elle s’était à nouveau retrouvée dans l’incapacité totale de travailler dans son domaine d’activité dès le 20 avril 2023, ayant démissionné le 19 avril 2023. Une reconversion professionnelle avec le soutien de l’OAI était souhaitable et possible au vu de ses capacités intellectuelles et relationnelles.

f. Le rapport précité a été soumis au SMR, qui a considéré, dans un avis du 13 juin 2023, que le Dr L______ n’apportait aucun élément objectif d’aggravation de l’état de santé de l’assurée, relevant par ailleurs que « les facteurs contextuels d’ordre professionnel [n’entraient] pas dans l’appréciation de l’exigibilité médico-théorique ».

g. Par décisions du 30 juin 2023 l’OAI a confirmé les termes de son projet de décision, mettant l’assurée au bénéfice d’une rente entière limitée dans le temps, pour la période du 1er octobre 2021 au 31 janvier 2022 (première décision) puis du 1er février 2022 au 31 octobre 2022 (deuxième décision).

C. a. Le 1er septembre 2023, sous la plume de son conseil, l’assurée a interjeté recours contre la première (recte deuxième) décision précitée, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation partielle et, cela fait, à la constatation qu’elle avait droit à une rente entière dès le 1er juin 2023. À l’appui de sa position, elle a notamment expliqué que son état de santé ne lui permettait pas de travailler de manière pérenne. En effet, sa tentative de reprise d’une activité professionnelle, qui devait être considérée comme un essai, avait dû être arrêtée dès le mois d’avril 2023, sa capacité de travail étant nulle dans l’activité habituelle et ce dès le mois d’avril 2023 et, dès le 1er juin 2023, de 50% dans une activité strictement adaptée aux limitations fonctionnelles.

b. Par écriture du 3 octobre 2023, l’office intimé a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée, relevant que la recourante avait travaillé pendant six mois après sa reprise, soit pendant une période qui dépassait les périodes d’essai stricto sensu usuelles. L’intimé a également considéré qu’il ressortait du rapport du psychiatre traitant que l’incapacité de travail dans le domaine d’activité habituelle résultait d’une difficulté pour la recourante de travailler avec l’employeur concret et non pas d’une incapacité dans son domaine d’activité, le psychiatre faisant par ailleurs état de bonnes ressources intellectuelles et relationnelles.

c. Le 29 novembre 2023, la recourante a sollicité l’audition du Dr L______, afin que celui-ci puisse fournir des renseignements médicaux supplémentaires quant au trouble dont elle souffrait, et notamment sur l’évolution de l’intensité dudit trouble depuis le mois de septembre 2022 et en lien avec son rapport du 10 mai 2023.

d. Le 27 février 2024, le recourant a transmis à la chambre de céans un rapport du Dr L______, dont il ressortait que son état s’était péjoré. Il maintenait en conséquence ses conclusions.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.

Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA.

Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

3.             Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.

En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).

En l’occurrence, la recourante conclut au versement d’une rente d’invalidité à compter du 1er juin 2023, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur nouvelle teneur.

4.             Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d’invalidité dès le 1er juin 2023, singulièrement sur la question de la reprise de son invalidité.

4.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

4.2 A droit à une rente d’invalidité, l’assuré dont la capacité de gain ou la capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, qui a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40 % en moyenne durant une année sans interruption notable et qui, au terme de cette année, est invalide (art. 8 LPGA) à 40 % au moins (art. 28 al. 1 LAI).

Est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA).

La notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

4.3  

4.3.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

4.3.2 Le trouble de la personnalité émotionnellement labile (F60.3) est un trouble de la personnalité caractérisé par une tendance nette à agir de façon impulsive et sans considération pour les conséquences possibles, une humeur imprévisible et capricieuse, une tendance aux explosions émotionnelles et une difficulté à contrôler les comportements impulsifs, une tendance à adopter un comportement querelleur et à entrer en conflit avec les autres, particulièrement lorsque les actes impulsifs sont contrariés ou empêchés. Deux types peuvent être distingués: le type impulsif, caractérisé principalement par une instabilité émotionnelle et un manque de contrôle des impulsions, et le type borderline, caractérisé en outre par des perturbations de l'image de soi, de l'établissement de projets et des préférences personnelles, par un sentiment chronique de vide intérieur, par des relations interpersonnelles intenses et instables et par une tendance à adopter un comportement autodestructeur, comprenant des tentatives de suicide et des gestes suicidaires.

5.              

5.1 Selon l’art. 17 al. 1 LPGA, si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Il convient ici de relever que l’entrée en vigueur de l’art. 17 LPGA, le 1er janvier 2003, n’a pas apporté de modification aux principes jurisprudentiels développés sous le régime de l’ancien art. 41 LAI, de sorte que ceux-ci demeurent applicables par analogie (ATF 130 V 343 consid. 3.5).

Le point de savoir si un changement notable des circonstances s’est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu’ils se présentaient au moment de la dernière révision de la rente entrée en force et les circonstances qui régnaient à l’époque de la décision litigieuse. C’est en effet la dernière décision qui repose sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit qui constitue le point de départ temporel pour l’examen d’une modification du degré d’invalidité lors d’une nouvelle révision de la rente (ATF 133 V 108 consid. 5.4 ; ATF 130 V 343 consid. 3.5.2).

5.2 Selon la jurisprudence, une décision par laquelle l'assurance-invalidité accorde une rente d'invalidité avec effet rétroactif et, en même temps, prévoit l'augmentation, la réduction ou la suppression de cette rente, correspond à une décision de révision au sens de l’art. 17 LPGA (ATF 130 V 343 consid. 3.5.2 ; 125 V 413 consid. 2d et les références ; VSI 2001 p. 157 consid. 2). Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d'invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l'article 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l'état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 130 V 343 consid. 3.5 ; 113 V 273 consid. 1a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_1006/2010 du 22 mars 2011 consid 2.2).

5.3  

5.3.1 Aux termes de l’art. 88a al. 1 RAI, si la capacité de gain de l’assuré s’améliore, ce changement n’est déterminant pour la suppression de tout ou partie du droit aux prestations qu’à partir du moment où on peut s’attendre à ce que l’amélioration constatée se maintienne durant une assez longue période. Il en va de même lorsqu’un tel changement déterminant a duré trois mois déjà, sans interruption notable et sans qu’une complication prochaine soit à craindre.

Selon la jurisprudence, le sens et le but de l'art. 88a al. 1 RAI est notamment de donner au bénéficiaire de la rente une certaine assurance en ce qui concerne le versement régulier de ses prestations. Des modifications temporaires des facteurs qui fondent le droit à la rente ne doivent pas conduire à une adaptation par la voie de la révision; au regard de la sécurité du droit, l'octroi d'une rente entré en force se doit d'avoir une certaine stabilité. En cas de modification de la capacité de gain, la rente doit être supprimée ou réduite avec effet immédiat si la modification paraît durable et par conséquent stable (première phrase de l'art. 88a al. 1 RAI); on attendra en revanche trois mois au cas où le caractère évolutif de l'atteinte à la santé, notamment la possibilité d'une aggravation, ne permettrait pas un jugement immédiat (deuxième phrase de la disposition. En règle générale, pour examiner s'il y a lieu de réduire ou de supprimer la rente immédiatement ou après trois mois, il faut examiner pour le futur si l'amélioration de la capacité de gain peut être considérée comme durable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_32/2015 du 10 septembre 2015 consid. 4.1). 

5.3.2 Selon l’art. 29bis RAI, si la rente a été supprimée du fait de l’abaissement du degré d’invalidité et que l’assuré, dans les trois ans qui suivent, présente à nouveau un degré d’invalidité ouvrant le droit à une rente en raison d’une incapacité de travail de même origine, on déduira de la période d’attente que lui imposerait l’art. 28 al. 1 let. b LAI, celle qui a précédé le premier octroi.

La jurisprudence a précisé que l'art. 29bis RAI est applicable uniquement au calcul de la période d'attente selon l'art. 28 al. 1 let. b LAI, et non à la détermination de la période d'attente selon l'art. 29 al. 1 LAI. Ainsi, en cas de nouvelle demande de rente, le délai de six mois prévu à l’art. 29 al. 1 LAI doit être respecté, celui-ci étant de nature procédurale (ATF 142 V 547 consid. 3).

Dans un arrêt 8C_888/2011 du 7 mai 2012 considérant 5.2 (publié in SVR 2012 IV n° 48 p. 176), le Tribunal fédéral a jugé qu'aucune prestation de rente ne pouvait être octroyée avant le dépôt de la nouvelle demande, même si l'article 29bis RAI prévoit que sera déduite de la période d'attente celle qui a précédé le premier octroi (arrêt du Tribunal fédéral 9C_348/2014 du 16 octobre 2014 consid. 3.2.2).

A noter que l’art. 29bis RAI trouve uniquement application lorsque la suppression de rente est entrée en force et que dans les trois ans, il y a une reprise de l’invalidité (MEYER / REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 2022, n° 25 ad Art. 29 LAI).

5.4 Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (art. 43 LPGA), l'administration est tenue de prendre d'office les mesures d'instruction nécessaires et de recueillir les renseignements dont elle a besoin. En particulier, elle doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 283 consid. 4a).

6.              

6.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 V 427 consid. 3.2 ; 139 V 176 consid. 5.3 et les références).  Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

6.2 Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l'administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151 consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

7.             En l’espèce, le 2 avril 2021, la recourante a saisi l’intimé d’une demande de prestations en raison d’un trouble de la personnalité émotionnellement labile, de type borderline, avec pour conséquence une incapacité totale de travailler dans son activité habituelle d’assistante administrative et, dès le 1er novembre 2021, une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles retenues (intolérance à la contrainte, au stress et à l’ennui, conflictualité, fragilité / vulnérabilité au niveau des investissements amenant à des désinvestissements massifs à l’origine d’une perte de motivation [ persévérance]).

De sa propre initiative, la recourante a toutefois postulé pour un poste d’assistante administrative dans une école de langue privée, pour lequel elle été engagée à compter du 3 octobre 2022.

Compte tenu de la reprise d’une activité professionnelle pendant plus de trois mois, l’intimé a, à juste titre, limité la rente octroyée à la recourante au 31 octobre 2022. La seconde décision du 30 juin 2023 est par conséquent correcte sur ce point, ce qui n’est au demeurant pas contesté par la recourante.

En revanche, comme cela ressort du courrier établi le 10 mai 2023 par le Dr L______, l’assurée semble avoir été totalement incapable de travailler au mois de mars et avoir tenté une reprise à 50% au mois d’avril, reprise qui s’est soldée par un échec. Elle a par la suite donné sa démission le 19 avril 2023, pour une date non connue mais probablement pour le 31 mai 2023. En effet, il ressort du recours du 1er septembre 2023 que pour la recourante, son invalidité a repris suite à la fin de son contrat de travail, raison pour laquelle elle a conclu à l’octroi d’une rente entière dès le 1er juin 2023.

Dès lors que la potentielle reprise de l’invalidité a eu lieu avant même que l’OAI ne se prononce sur le droit à la rente de la recourante et qu’il ne lui octroie une rente limitée dans le temps par décision du 30 juin 2023, l’art. 29bis RAI ne trouve pas application, cette disposition nécessitant une suppression de la rente entrée en force au moment de la reprise de l’invalidité, ce qui n’était de toute évidence pas le cas en l’espèce.

En revanche, l’intimé devait intégrer ce changement de circonstances dans sa décision, ce qu’il semble avoir fait, dès lors qu’il a soumis le courrier du Dr L______ du 10 mai 2023 à son SMR, lequel a toutefois considéré que c’était pour des motifs contextuels d’ordre professionnel que la recourante avait démissionné de son poste, motifs qui n’avaient pas à être pris en considération pour déterminer la capacité de travail. Allant dans le même sens, l’OAI a retenu, de son côté, dans sa réponse du 3 octobre 2023, que l’incapacité de travail résultait d’une difficulté pour la recourante de travailler avec l’employeur concret et non pas d’une incapacité de travail dans son domaine d’activité, le psychiatre faisant par ailleurs état de bonnes ressources intellectuelles et relationnelles.

La chambre de céans ne saurait toutefois suivre les conclusions du SMR et de l’OAI. En effet, rien dans le courrier du Dr L______ ne permet de considérer que ce serait pour des motifs autres que médicaux que la recourante serait en incapacité totale de travailler dans son activité habituelle d’assistante administrative. Certes, ce médecin n’a pas été très précis en ce qui concerne les motifs pour lesquels la recourante avait démissionné. Cela étant, il a clairement exposé que « l’observation clinique [mettait] en évidence un non-aboutissement de sa tentative de travailler dans le marché libre en dehors d’une mesure AI, entreprise depuis octobre 2022, ceci faute du milieu professionnel en question de répondre à ses besoins particuliers issus de sa psychopathologie » ou encore qu’elle avait « rencontré des difficultés dans son activité professionnelle depuis le mois de mars [dues] à son état de santé qui s’[était] détérioré ». Le Dr L______ semble ainsi bien lier l’incapacité de travail de la recourante à son atteinte à la santé.

Par ailleurs, le fait que la recourante dispose de bonnes ressources intellectuelles et relationnelles ne permet pas encore de considérer qu’elle est capable de travailler dans son activité habituelle d’assistante administrative.

À toutes fins utiles, la chambre de céans rappelle encore que dans un arrêt 9C_984/2008 du 4 mai 2009, le Tribunal fédéral a considéré que l’assuré, qui souffrait d’une personnalité borderline et qui avait besoin de pouvoir fonctionner de manière parfaitement autonome et en dehors de toute pression extérieure, dans un environnement protégé et confiné, ne pouvait offrir ce que l’on est en droit d’attendre d’un travailleur dans des rapports de travail qualifiés de normaux. Bien plus, notre Haute Cour a rappelé qu’à la différence de simples fluctuations conjoncturelles (arrêt du Tribunal fédéral I 198/76 du 4 octobre 1976 consid. 2, in RCC 1977 p. 206), les modifications structurelles que peut connaître le marché du travail sont des circonstances dont il y a lieu de tenir compte en matière d'assurance-invalidité (ATF I 436/92 du 29 septembre 1993 consid. 4c et 5b). La structure actuelle du marché du travail n'offre plus les conditions qui permettaient encore à une personne comme l'assuré, à l'aube des années nonante, de trouver un emploi et d'exercer par intermittence une activité lucrative. L'augmentation de la productivité au sein des entreprises, la pression sur la rentabilité ou encore les nécessités liées à la maîtrise des coûts salariaux pèsent sur les salariés qui doivent désormais faire preuve d'engagement et d'efficacité, s'intégrer dans une structure d'entreprise et, partant, montrer des facultés d'adaptation importantes. Si le marché du travail présentait, par le passé, une souplesse suffisante permettant, tant bien que mal, d'intégrer en son sein la personne de cet assuré, la nature et l'importance du trouble de la personnalité constitue, au regard des conditions actuelles du marché du travail, des obstacles irrémédiables à la reprise d'une activité lucrative salariée.

Or, dans le cas présent, avant la reprise de l’activité professionnelle, le 3 octobre 2022, les médecins de la recourante avaient retenu les limitations fonctionnelles suivantes : intolérance à la contrainte, au stress et à l’ennui, conflictualité, fragilité/vulnérabilité au niveau des investissements amenant à des désinvestissements massifs à l’origine d’une perte de motivation/persévérance.

Il ressort donc de ce qui précède que l’intimé a pris sa décision sur la base d’un dossier manifestement insuffisamment instruit. En effet, le courrier du Dr L______ n’est pas très précis sur les raisons pour lesquelles le poste en question ne répondait pas ou plus aux besoins particuliers de la pathologie de la recourante. Cela étant, en application du principe de l’instruction d’office au sens de l’art. 43 LPGA, il appartenait à l’OAI de solliciter des explications complémentaires de ce médecin et d’ordonner, au besoin, une expertise, avant de rendre une décision sur le droit à une rente en raison de la nouvelle incapacité de travail dans l’activité habituelle. Cette instruction complémentaire était d’autant plus indispensable que l’activité d’assistante administrative avait été dans un premier temps considérée comme inadaptée au vu des limitations fonctionnelles retenues par le Prof. I______ et par Mmes J______ et K______ dans leur rapport du 14 juillet 2021 et reprises par le Dr L______ dans son rapport du 30 septembre 2021 et vu les réserves que ce dernier a formulées dans son courrier du 10 novembre 2022, dans lequel il a notamment précisé qu’il s’agissait d’une tentative qui devait être considérée comme un essai, à observer et soutenir. Dans la mesure où seul le SMR s’est prononcé, un renvoi pour instruction complémentaire s’impose afin de respecter le principe du double degré de juridiction.

8.             Au vu de ce qui précède, il convient donc d’annuler la décision querellée en tant qu’elle ne se prononce pas sur le droit à une rente postérieurement au 30 avril 2023 et de renvoyer la cause à l’OAI pour instruction complémentaire sur cette question et nouvelle décision.

La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 1'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

La procédure n’étant plus gratuite, l’intimé sera condamné au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al.1bis LAI).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable,

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision du 30 juin 2023 en tant qu’elle ne se prononce pas sur le droit à une rente postérieurement au 1er juin 2023.

4.        Renvoie la cause à l’office intimé pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

5.        Alloue à la recourante une indemnité de CHF 1'000.-, à la charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le