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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4277/2022

ATAS/130/2024 du 29.02.2024 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4277/2022 ATAS/130/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 29 février 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

représentée par de Me Andres PEREZ, avocat

 

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la recourante) est née le ______ 1970 à Kinshasa au Zaïre, de nationalité française et au bénéfice d’un permis d’établissement en Suisse. Elle est divorcée depuis 2004 et mère de deux enfants majeurs, nés les 30 janvier 1996 et 25 mars 1999.

b. L’assurée a demandé les prestations de l’assurance-invalidité auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé) le 9 avril 2020, indiquant avoir vécu de 1970 à 1980 en République Démocratique du Congo (RDC), de 1980 à 1994 en France. Elle était en incapacité de travail à 100% depuis le 26 août 2019. Elle travaillait comme animatrice parascolaire pour le B______ (ci-après : le B______) à 26% depuis le 29 septembre 2015. Elle avait eu à la fin de l’année 2018 un burnout, qui était dû à 21 ans de stress, trois emplois et une vie de famille en tant que mère célibataire.

c. Selon le rapport de son employeur du 23 avril 2020, l’assurée a eu de nombreuses absences pour cause de maladie dès avril 2017 pour des durées variables, puis elle a été en arrêt maladie durable dès le 23 septembre 2019.

d. Selon un rapport d’expertise établi le 25 mai 2020, à la demande de La Mobilière Suisse Société d’assurances SA (ci-après : la Mobilière), par le docteur C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, auprès de D______, l’assurée souffrait d’un épisode dépressif sévère, sans symptômes psychotiques, sa capacité de travail dans toute activité était de 0% et elle devrait être de 100% à la mi-août 2020.

e. Selon un rapport établi le 24 août 2020 par la docteure E______, spécialiste FMH en médecine interne et maladie allergiques, l’assurée souffrait d’un état dépressif depuis avril 2019 et d’un burnout depuis le 23 septembre 2019. Sa capacité de travail était de 0% dans toute activité dès cette date en raison d’un manque de concentration et d’une fatigue.

f. Dans un rapport établi le 22 octobre 2020, le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a indiqué que l’assurée souffrait d’un trouble dépressif récurrent avec un épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F32.2). Il s’agissait du premier épisode dépressif connu chez l’assurée, mais l’évolution étant supérieure à six mois, il convenait d’utiliser la cotation diagnostique de trouble dépressif récurrent.

g. Selon un « assessment en psychiatrie » établi le 11 décembre 2020 par le Dr C______ sur demande de la Mobilière, celui-ci a procédé à un examen clinique de l’assurée le 17 novembre 2020 et posé le diagnostic d’épisode dépressif sévère, sans symptôme psychotique, en rémission complète, sans limitation fonctionnelle. La capacité de travail dans la dernière activité était de 100%. La proposition d’une reprise à 100% au 30 novembre 2020 semblait cohérente avec les résultats de l’examen.

h. Le B______ a résilié le contrat de l’assurée au 31 mars 2021.

i. Dans un rapport du 12 août 2021, le Dr F______ a indiqué que l’assurée souffrait toujours d’un trouble dépressif dont l’intensité actuelle était sévère et que sa capacité de travail était de 25% dans toute activité. Du fait des limitations fonctionnelles retenues avec l’existence de symptômes dépressifs résiduels, l’augmentation trop rapide de la charge de travail et du taux de travail risquait de déstabiliser l’état de santé de l’assurée.

j. Par projet de décision du 26 septembre 2022, l’OAI a rejeté la demande de l’assurée. Il retenait qu’elle se consacrait à 34% à son activité professionnelle et pour les 66% restant à l’accomplissement de ses travaux habituels dans le ménage. À l’issue de l’instruction médicale, l’OAI lui reconnaissait une incapacité de travail totale dès le 26 août 2019, début du délai d’attente d’un an, et considérait que dans toute activité, sa capacité de travail était entière dès le 18 novembre 2020.

Au vu de sa situation particulière, l’OAI considérait qu’elle ne présentait pas d’empêchements dans le ménage, compte tenu du fait qu’il existait une pleine capacité de travail dans la sphère professionnelle dès le 18 novembre 2020. À l’échéance du délai d’attente, son taux d’invalidité était de 34%, en tenant compte de la pondération entre la part professionnelle et la part des travaux habituels de ses activités. Cela ne lui ouvrait pas droit à une rente d’invalidité. Son état de santé s’était amélioré dès le 18 novembre 2020. Dès cette date, sa capacité de travail était entière dans son activité habituelle. Par conséquent, des mesures professionnelles n’étaient pas indiquées dans sa situation.

k. Le 26 octobre 2022, l’assurée a formé opposition au projet de décision.

l. Par décision du 9 novembre 2022, l’OAI a confirmé son projet de décision.

B. a. Le 16 décembre 2022, l’assurée a formé recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre la décision de l’OAI, concluant à son annulation et à sa mise au bénéfice d’une rente d’invalidité dont le taux restait à déterminer, sous suite de frais et dépens.

b. Le 11 janvier 2023, l’intimé a conclu au rejet du recours.

c. La recourante a répliqué.

d. Par ordonnance du 9 juin 2023, la chambre de céans a ordonné l’apport du dossier de la recourante auprès de l’OCE, qu’elle a reçu le 26 juin suivant.

e. La chambre de céans a entendu les parties le 28 juin 2023.

f. Le 10 juillet 2023, l’intimé a estimé que les éléments apportés par la recourante et ceux ressortant du dossier de l’OCE ne l’amenaient pas à reconsidérer sa décision.

g. Le 12 juillet 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions.

h. Par courrier du 25 janvier 2024, la chambre de céans a informé les parties de son intention de mettre en œuvre une expertise psychiatrique et leur a communiqué le nom de l’expert pressenti, ainsi que les questions qu’elle avait l’intention de lui poser, en leur impartissant un délai pour faire valoir une éventuelle cause de récusation et se déterminer sur les questions posées.

i. Le 6 février 2024, l’intimé a informé la chambre de céans qu’il s’opposait à une expertise judiciaire. Aucun élément médical objectif, voire aucun élément de nature clinique ou diagnostique qui aurait été ignoré n’avait été apporté par la recourante, de sorte que la mise en place d’une expertise ne se justifiait pas. Si par impossible, la chambre persistait dans son intention d’ordonner ladite expertise, il n’avait pas de motifs de récusation à l’encontre de l’expert annoncé. Il proposait, à la demande du SMR dans son avis du 30 janvier 2024 annexé, d’ajouter les questions suivantes :

-          Description d’une journée habituelle de l’assurée ;

-          Effectuer un dosage des médicaments psychotropes afin d’évaluer la compliance/efficacité thérapeutique.

j. La recourante n’a pas fait d’observations dans le délai imparti.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

3.             Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d’invalidité.

4.             Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.

En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue postérieurement au 1er janvier 2022. Toutefois, la demande de prestations a été déposée en avril 2020 et la recourante a été durablement en arrêt maladie dès 2019, de sorte que son éventuel droit à une rente d’invalidité naîtrait antérieurement au 1er janvier 2022 (cf. art. 28 al. 1 let. b et 29 al. 1 LAI) et que les dispositions applicables sont celles en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021.

5.              

5.1  

5.1.1 La recourante a fait valoir qu’un statut d’active devait lui être reconnu.

5.1.2 L’intimé a fait valoir que le seul fait que la recourante se soit inscrite à l’assurance-chômage à 100% n’était pas suffisant pour modifier son statut, car aucune recherche d’emploi à temps complet n’avait été produite suite à la demande de l’assurée du 4 novembre 2021. De plus, il ne ressortait pas de son compte individuel qu’elle aurait travaillé par périodes à temps plein.

5.2 Tant lors de l'examen initial du droit à la rente qu'à l'occasion d'une révision de celle-ci (art. 17 LPGA), il faut examiner sous l'angle des art. 4 et 5 LAI quelle méthode d'évaluation de l'invalidité il convient d'appliquer (art. 28a LAI, en corrélation avec les art. 27 ss RAI). Le choix de l'une des trois méthodes entrant en considération (méthode générale de comparaison des revenus, méthode mixte, méthode spécifique) dépendra du statut du bénéficiaire potentiel de la rente : assuré exerçant une activité lucrative à temps complet, assuré exerçant une activité lucrative à temps partiel, assuré non actif. On décidera que l'assuré appartient à l'une ou l'autre de ces trois catégories en fonction de ce qu'il aurait fait dans les mêmes circonstances si l'atteinte à la santé n'était pas survenue. Lorsque l'assuré accomplit ses travaux habituels, il convient d'examiner, à la lumière de sa situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle, si, étant valide il aurait consacré l'essentiel de son activité à son ménage ou s'il aurait exercé une activité lucrative. Pour déterminer le champ d'activité probable de l'assuré, il faut notamment prendre en considération la situation financière du ménage, l'éducation des enfants, l'âge de l'assuré, ses qualifications professionnelles, sa formation ainsi que ses affinités et talents personnels (ATF 144 I 28 consid. 2.3; ATF 137 V 334 consid. 3.2; ATF 117 V 194 consid. 3b; Pratique VSI 1997 p. 301 ss consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2016 du 17 février 2017 consid. 2.2). Cette évaluation tiendra également compte de la volonté hypothétique de l'assurée, qui comme fait interne ne peut être l'objet d'une administration directe de la preuve et doit être déduite d'indices extérieurs (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2015 du 11 mai 2015 consid. 2.3 et l'arrêt cité) établis au degré de la vraisemblance prépondérante tel que requis en droit des assurances sociales (ATF 126 V 353 consid. 5b).

Selon la pratique, la question du statut doit être tranchée sur la base de l'évolution de la situation jusqu'au prononcé de la décision administrative litigieuse, encore que, pour admettre l'éventualité de la reprise d'une activité lucrative partielle ou complète, il faut que la force probatoire reconnue habituellement en droit des assurances sociales atteigne le degré de vraisemblance prépondérante (ATF 144 I 28 consid. 2.3 et les références; ATF 141 V 15 consid. 3.1; ATF 137 V 334 consid. 3.2; ATF 125 V 146 consid. 2c ainsi que les références).

5.3 En l’espèce, quand bien même il est établi que la recourante travaillait à temps partiel pour le B______ et J______ et qu’il ressort de son compte individuel qu’elle n’a jamais travaillé à temps plein, elle a allégué qu’elle aurait souhaité le faire, si sa santé le permettait. Cela est corroboré par le fait qu’elle a obtenu en Bretagne un CAP de cuisine à 18 ans et qu’elle a allégué avoir travaillé à 100% pendant 4-5 ans en France dans la restauration comme cuisinière, puis à Genève, comme serveuse dans un pub jusqu’à sa séparation en 2002-2003. De plus, elle était divorcée et dans une situation financière difficile, puisqu’elle touchait une aide financière de l’Hospice général (note relative au choix de la méthode d’évaluation de l’invalidité du 4 juin 2021), et ses enfants, étant adultes, ne nécessitaient pas une activité à temps partiel, mais au contraire une meilleure situation, car ils dépendaient financièrement d’elle, étant encore en formation. Il est outre établi que la recourante s’est inscrite au chômage à 100% et qu’elle a fait des recherches d’emploi dans ce sens, notamment comme serveuse, aide cuisinière, gouvernante ou conductrice d’octobre 2013 à août 2015. En conclusion, il se justifie de lui reconnaître un statut d’active.

6.             Il en résulte que le grief de la recourante portant sur la nécessité d’une enquête à domicile sur les empêchements dans les travaux ménagers n’a pas à être examiné, cette question n’étant pas relevante pour établir le taux d’invalidité dans le cadre d’un statut d’active.

7.              

7.1  

7.1.1 La recourante a encore fait valoir que son état de santé ne s’était pas amélioré à partir du 18 novembre 2020 et a contesté la valeur probante du rapport du Dr C______.

7.1.2 Pour l’intimé, l’expertise du Dr C______ était probante. Celui-ci avait pris de soin de s’entretenir avec le Dr F______ et avait expliqué de manière circonstanciée les raisons pour lesquelles la reprise de travail à 100% en novembre 2020 était cohérente avec les résultats de l’examen. Il avait également précisé que la recourante assumait toutes ses tâches ménagères sans aucune aide.

L’amélioration de l’état de santé était dûment motivée et le service médical régional de l’OAI (ci-après : le SMR) relevait également que le médecin psychiatre de l’assurée avait décrit dans son rapport du 16 avril 2021 une amélioration clinique depuis son précédent rapport du 22 octobre 2020. Son estimation de la capacité de travail de la patiente n’était donc que l’appréciation différente d’une situation similaire à celle prise en compte par l’expert C______.

7.2  

7.2.1 En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA; ATF 130 V 343 consid. 3.4). La détermination du taux d'invalidité ne saurait reposer sur la simple évaluation médico-théorique de la capacité de travail de l'assuré car cela revient à déduire de manière abstraite le degré d'invalidité de l'incapacité de travail, sans tenir compte de l'incidence économique de l'atteinte à la santé (ATF 114 V 281 consid. 1c et 310 consid. 3c; RAMA 1996 n° U 237 p. 36 consid. 3b).

7.2.2 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Ainsi, en principe, lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

On ajoutera qu'en cas de divergence d’opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en œuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 8C_755/2020 du 19 avril 2021 consid. 3.2 et les références). 

7.3 En l’espèce, le rapport d’expertise du Dr C______ du 25 mai 2020 est fondé sur un examen clinique fait le 12 mai précédent. Il comporte un résumé des plaintes de la recourante, mais l’anamnèse n’est guère détaillée. L’expert a retenu le diagnostic d’épisode dépressif sévère, sans symptôme psychotique, et une capacité de travail de 0% dans toute activité, précisant que deux à trois mois après la mise en place d’un nouveau traitement antidépresseur et son ajustement, soit à la mi-août 2020, la capacité de travail devrait être de 100%.

Dans son rapport complémentaire du 11 décembre 2020, le Dr C______ a indiqué, sur la base d’un nouvel examen clinique de l’assurée qui a eu lieu le 17 novembre 2020, que son état de santé était en nette amélioration en comparaison de ce qu’il était le 12 mai 2020. Il a posé le diagnostic d’épisode dépressif sévère, sans symptôme psychotique, en rémission complète. Il n’y avait pas de limitations fonctionnelles et la capacité de travail dans la dernière activité était de 100%. La recherche d’un éventuel trouble bipolaire était judicieuse et pouvait améliorer la prévention d’éventuelles rechutes chez l’assurée qui était actuellement euthymique. L’expert avait discuté avec le Dr F______ le 26 novembre, qui contestait la capacité de sa patiente à reprendre son travail le 30 novembre 2020. Le Dr F______ retenait un trouble dépressif récurrent, mais ce trouble ne pouvait être posé en présence d’un seul épisode dépressif quel que soit sa durée. La proposition d’une reprise de travail à 100% au 30 novembre 2020 semblait cohérente avec les résultats de l’examen et cette proposition était maintenue.

Le diagnostic de trouble dépressif récurrent (F32.2) retenu par le Dr F______ le 22 octobre 2020 apparaît en effet contestable, car selon la CIM-10, la classification F32.2 correspond à un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques et pas à un trouble récurrent (F33). De plus, ce trouble suppose la présence dans le passé d’au moins un épisode dépressif ayant persisté pendant au moins deux semaines, ce qui n’était pas le cas de la recourante, selon le Dr F______. Il faut toutefois relever à cet égard que le 19 février 2021, la docteure G______ et le docteur H______ ont retenu un doute sur les antécédents dépressifs de la recourante durant l’enfance et l’adolescence ainsi que sur des épisodes dépressifs saisonniers et que le Dr C______ lui-même ne semblait pas exclure de possibles antécédents dépressifs en retenant que la recherche d’un éventuel trouble bipolaire était judicieuse et pouvait améliorer la prévention d’éventuelles rechutes chez l’assurée qui était actuellement euthymique.

Cela étant, l’état de santé de la recourante, tel qu’il ressort du rapport établi par le Dr F______ le 22 octobre 2022, soit à peu près à la même période que les constats du Dr C______, laissent penser qu’il était plus atteint que ne l’a retenu ce dernier. En effet, la recourante avait rapporté le jour précédent une tristesse de l’humeur présente la majorité du temps, une perte des intérêts habituels, une grande fatigabilité et une altération sévère de ses fonctions instinctuelles. Elle pouvait ne manger qu’une fois par jour et son rythme nycthéméral était très perturbé par des ruminations anxieuses insomniantes. Ses idées étaient teintées de dévalorisation, de perte de confiance et d’un sentiment d’insuffisance. Le Dr F______ précisait que l’échelle BDI-21 revenait à 46, ce qui était compatible avec l’épisode sévère retenu, et que l’état de la recourante impactait directement ses capacités à prendre soin d’elle et de son domicile. Elle peinait à faire son ménage et sa vaisselle, car cela lui demandait une quantité importante d’énergie, ainsi qu’à voir ses amis du fait de son irritabilité et de sa fatigabilité. Sa capacité de travail était nulle dans toute activité.

Par ailleurs, même si le Dr F______ a retenu le 16 avril 2021 une certaine amélioration de l’état de santé de la recourante, avec un trouble dépressif d’intensité actuelle moyenne, il relevait que sa reprise de l’activité professionnelle se heurtait à des symptômes dépressifs résiduels et une fatigabilité marquée et que l’évolution du trouble dépressif était chronique, malgré les ajustements, le suivi régulier et l’amélioration partielle de la symptomatologie. L’augmentation trop rapide de la charge de travail et du taux de travail risquait selon lui de déstabiliser l’état de santé de l’assurée. Il relevait également que celle-ci apparaissait dynamique et avait un contact facile, mais que cela cachait un malaise plus profond.

Si une amélioration de l’état de santé était ainsi constatée par le Dr F______ dans son rapport précité, celui-ci ne retenait pas que la recourante était pleinement capable de travailler, contrairement au Dr C______, et il signalait que celle-ci pouvait ne pas laisser paraître l’intensité de ses difficultés, qui ont pu par conséquent échapper à l’expert.

Il ressort en outre du rapport du Dr F______ du 12 août 2021 que l’amélioration de l’état de santé de la recourante n’a pas duré et que l’intensité du trouble dépressif était redevenue sévère, avec la BDI-21 à 33/63, alors qu’elle était de 24/63 le 16 avril 2021.

Les rapports du Dr F______, qui suivait régulièrement la recourante, suffisent à faire douter des conclusions du Dr C______.

Celles-ci sont également remises en cause par le rapport établi le 19 février 2021 par la Dre G______ et le Dr H______, qui ont retenu après trois rendez-vous faits en février 2021, que la recourante souffrait d’un épisode dépressif caractérisé, avec une symptomatologie d’intensité modérée (score de 19 sur 60 de l’échelle MADR) au moment de l’évaluation, et des hypothèses diagnostiques de TDAH et de trouble de la personnalité émotionnellement labile, à confirmer.

En conclusion, il se justifie de faire procéder à une nouvelle expertise psychiatrique de la recourante qui sera confiée au Professeur I______.

La mission d’expertise sera complétée avec les questions suggérées par l’intimé.

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

1.      Ordonne une expertise psychiatrique de la recourante.

2.      Commet à ces fins le professeur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, ______ Genève.

3.      Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A)      prendre connaissance du dossier de la cause ;

B)       si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité l’assurée ;

C)       examiner et entendre l’assurée, après s’être entouré de tous les éléments utiles, au besoin d’avis d’autres spécialistes ;

D)      si nécessaire, ordonner d’autres examens.

4.      Charge l’expert d’établir un rapport détaillé et de répondre aux questions suivantes :

1.         Quelle est l’anamnèse détaillée du cas ?

2.         Quelles sont les plaintes et données subjectives de l’assurée ?

3.         Décrire une journée habituelle de la recourante.

4.         Quels sont le status clinique et les constatations objectives ?

5.         Quels sont les diagnostics selon la classification internationale ?

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogénèse) :

5.1         Avec répercussion sur la capacité de travail (en mentionnant les dates d'apparition)

5.2         Sans répercussion sur la capacité de travail (en mentionnant les dates d'apparition)

5.3         Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

5.4         Depuis quand les différentes atteintes sont-elles présentes ?

5.5         Les plaintes sont-elles objectivées ?

5.6         Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

5.7         Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

6.         Quelles sont les limitations fonctionnelles ?

Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic (en mentionnant leur date d’apparition) :

6.1  Dans l’activité habituelle,

6.2  Dans une activité adaptée.

6.3 Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par l’assurée).

6.4. Les limitations du niveau d’activité sont-elles uniformes dans tous les domaines (professionnel mais aussi personnel) ? Quel est le niveau d’activité sociale et comment a-t-il évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

7.         Traitement

7.1         Effectuer un dosage des médicaments psychotropes afin d’évaluer la compliance/efficacité thérapeutique.

7.2         Quels ont été les traitements entrepris et avec quel succès (évolution et résultats des thérapies) ?

7.3         L’assurée a-t-elle fait preuve de résistance à l’égard des traitements proposés ? Qualifier la compliance

7.4         Dans quelle mesure les traitements ont-ils été mis à profit ou négligés ?

7.5         Les troubles psychiques constatés nécessitent-ils une prise en charge spécialisée ?

7.6         Nécessitent-il un traitement neuroleptique ?

7.7         Pour le cas où il y aurait refus ou mauvaise acceptation d’une thérapie recommandée et accessible : cette attitude doit-elle être attribuée à une incapacité de l’assurée à reconnaître sa maladie ou à une autre raison ?

8.         Ressources

8.1         De quelles ressources mobilisables l’assurée dispose-t-elle ?

8.2         Est-ce que l’assurée présente un trouble de la personnalité selon les critères diagnostiques des ouvrages de référence ou une altération des capacités inhérentes à la personnalité ?

8.3         Si oui, quelles sont ses répercussions fonctionnelles (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité, motivation, notamment) sur la capacité à gérer le quotidien, à travailler et/ou en termes d’adaptation (motivez votre position) ?

8.4         Quel est le contexte social ? L’assurée peut-elle compter sur le soutien de ses proches ?

9.         Capacité de travail

9.1         Mentionner globalement les conséquences des divers diagnostics retenus sur la capacité de travail de l’assurée, en pourcent :

a) dans l’activité habituelle,

b) dans une activité adaptée.

9.2         Dater la survenance de l’incapacité de travail durable, indiquer l'évolution de son taux en datant les changements.

9.3         Évaluer l’exigibilité, en pourcent, d’une activité lucrative adaptée, indiquer depuis quand une telle activité est exigible et quel est le domaine d’activité adapté.

9.4         Dire s'il y a une diminution de rendement et la chiffrer.

9.5         Si une diminution de rendement est retenue, celle-ci est-elle déjà incluse dans une éventuelle réduction de la capacité de travail ou vient-elle en sus ?

9.6         Serait-il possible d’améliorer la capacité de travail par des mesures médicales ? Indiquer quelles seraient les propositions thérapeutiques et leur influence sur la capacité de travail.

9.7         Dans l’ensemble, le comportement de l’assurée vous semble-t-il cohérent ?

10.     Appréciation d’avis médicaux du dossier

10.1 Êtes-vous d'accord avec les diagnostics et la capacité de travail retenus par le Dr C______ dans ses rapports des 25 mai 2020 et 11 décembre 2020 ? pour quels motifs ?

10.2 Êtes-vous d’accord avec les rapports du Dr F______ des 21 octobre 2020, 16 avril et 12 août 2021 ? pour quels motifs ?

10.3 Êtes-vous d’accord avec le rapport établi le 19 février 2021 par les Drs G______ et H______ ?

11.     Faire toute remarque utile et proposition utile.

5.      Invite l’expert à déposer, dans les trois mois dès réception de la mission d’expertise, un rapport en trois exemplaires à la chambre de céans.

6.      Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le