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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3256/2023

ATAS/101/2024 du 14.02.2024 ( LAA ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3256/2023 ATAS/101/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 14 février 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______
représenté par Me Yves MABILLARD, avocat

 

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1986, a subi un accident le 4 juin 2018 dans le cadre de son activité professionnelle auprès de l’entreprise B______ SA. Une grave entorse de sa cheville droite a été diagnostiquée.

b. La SUVA caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : la SUVA ou l’intimée) a pris en charge le cas.

c. Le 28 mars 2023, la SUVA a informé l’assuré qu’elle avait l’intention de le soumettre à une expertise pluridisciplinaire (orthopédie et neurologie), qui serait confiée aux docteurs C______ et D______, du BEM Riviera, à Montreux.

d. Le 5 avril 2023, l’assuré a informé la SUVA qu’il était disposé à collaborer et à se soumettre à une expertise, mais qu’il s’opposait à la désignation des Drs C______ et D______ comme experts. Il proposait en conséquence de mandater le CEMEDEX.

e. Le 11 mai 2023, la SUVA a informé l’assuré que l’expertise serait confiée au centre hospitalier universitaire vaudois (ci-après : le CHUV) Unisanté, à Lausanne, plus particulièrement à la docteure E______ pour le volet médecine interne et au docteur F______ pour le volet orthopédique. Le nom de l’expert en neurologie lui serait communiqué ultérieurement.

f. Le 19 juillet 2023, la SUVA a informé l’assuré que l’expertise neurologique serait effectuée par le docteur G______, supervisé par la docteure H______.

g. Le 16 août 2023, l’assuré a demandé à la SUVA de ne mandater que la Dre H______ et pas le Dr G______, car selon ses recherches sur internet, ce dernier serait médecin généraliste et non spécialiste en neurologie.

h. Par courriel du 24 août 2023, la SUVA a demandé à Unisanté si la Dre H______ serait disposée à réaliser l’expertise neurologique sans le Dr G______.

i. Le 24 août 2023, Unisanté a répondu à la SUVA que le service de neurologie du CHUV était un service universitaire qui avait pour mission la formation des médecins. Le Dr G______ serait supervisé par la Dre H______ et il verrait l’assuré avec la Dre H______. Si ces conditions ne convenaient pas à l’assuré, l’expertise ne pourrait pas être réalisée.

j. Le 13 septembre 2023, l’assuré a confirmé qu’il refusait de se soumettre à l’expertise ordonnée par la SUVA.

k. Par courriel du 14 septembre 2023 adressé à la SUVA, l’assuré a indiqué qu’il ne voulait pas d’une expertise « bidon ».

l. Par décision incidente du 15 septembre 2023, la SUVA a confirmé l’attribution du mandat d’expertise à Unisanté et en particulier au Dr G______, supervisé par la Dre H______, précisant que les experts seraient priés de rédiger un rapport d’expertise sur la base des actes du dossier, si l’assuré ne se présentait pas à leur convocation.

B. a. Par recours du 6 octobre 2023 adressé à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, l’assuré a exposé en détail sa situation à la chambre de céans et relevé que le premier expert en neurologie désigné par l’intimée, le Dr C______, travaillait pour la CRR et que le second expert désigné, le Dr D______, était mal vu sur internet. Le Dr G______ était un faux expert en neurologie, mais supervisé par une vraie experte en neurologie. En conclusion, il refusait de se soumettre à l’expertise.

b. Le 26 octobre 2023, l’assuré a ajouté qu’il n’avait plus confiance en la SUVA pour diverses raisons et qu’il était terrorisé par cette dernière depuis cinq ans. Le Dr I______ était la personne la plus dangereuse qu’il avait rencontrée en 37 ans, il était dérangé et ne méritait pas son titre de docteur.

c. Par réponse du 2 novembre 2023, l’intimée a indiqué qu’il était nécessaire de mettre en oeuvre une expertise bidisciplinaire (orthopédique et neurologique).

En l’absence d’éléments pertinents contre le principe d’une expertise, la désignation des experts et les questions posées à ces derniers, l’intimée avait pris la décision incidente du 15 septembre 2023 et confirmé l’attribution du mandat d’expertise à Unisanté.

Le volet neurologique de l’expertise serait mené par le service de neurologie du CHUV et non par un médecin généraliste. En effet, c’était la Dre H______, spécialiste en neurologie, qui superviserait (dirigerait) l’expertise. Elle serait assistée par le Dr G______, qui était médecin assistant au service de neurologie du CHUV. Le rapport d’expertise neurologique serait donc signé par ces deux médecins, conformément à la pratique des hôpitaux universitaires. Unisanté était le centre d’expertise du CHUV et par conséquent rattaché aux différents services de cet hôpital universitaire, dont la mission était la formation des médecins. Cela ne préjugeait en rien la qualité de l’expertise qui serait rendue. Pour le reste, le recourant n’alléguait aucun motif de récusation des experts. En conséquence, la SUVA concluait au rejet du recours.

d. Le 9 novembre 2023, la SUVA a transmis à la chambre de céans un courriel d’Unisanté indiquant que le Dr G______ faisait partie du service de neurologie du CHUV en tant que médecin assistant et qu’il serait supervisé par la Dr H______, médecin-cadre.

e. Le 24 novembre 2023, l’assuré a fait valoir qu’il s’agissait d’une expertise indépendante, soit une analyse ponctuelle et unique de son cas dont le résultat déterminerait le sort de son dossier. Le dossier contenait des avis médicaux contraires exprimés par plusieurs médecins, notamment sur le plan neurologique. Les compétences de l’expert neurologue étaient dès lors particulièrement importantes. Le choix de l’expert en neurologie s’était porté sur la Dre H______. Il appartenait à cette dernière d’assumer l’honneur qui lui avait été fait par la SUVA en la désignant et de l’assumer pleinement, en la réalisant elle-même, puisque cela était souhaité par les parties et exigé par le recourant.

Lors de l’expertise, rien de l’empêchait d’être accompagnée, à des fins de formation, par des médecins internes. Ce n’était toutefois pas ce que l’experte proposait, puisqu’elle imposait et conditionnait son acceptation de faire l’expertise au fait que celle-ci soit réalisée par son assistant, le Dr G______, qui était au mieux un « neurologue stagiaire ». Certes elle annonçait superviser l’expertise. Cela étant, l’assuré ignorait ce que la supervision signifiait concrètement et cette délégation posait plusieurs questions : serait-elle présente ? tout au long de l’expertise ? reprendrait-elle le Dr G______ si celui-ci omettait quelque chose ? qui manipulerait son pied, le Dr G______ seulement ou les deux ? si ce n’était que le Dr G______, comment la Dre H______ pourrait s’assurer que les constatations de celui-ci étaient correctes ?

Cette série de questions non exhaustive démontrait que la volonté de la Dre H______ d’imposer son assistant était source d’interrogations et le potentiel manque de compétence du médecin-assistant pourrait être évoquée. Partant, le résultat de l’expertise pourrait être contesté. Par ailleurs, la condition posée péremptoirement par la Dre H______ pour réaliser l’expertise démontrait un manque de considération et d’implication dans sa tâche d’experte. Les enjeux de cette expertise pour le recourant méritaient un investissement personnel sérieux et impliqué des experts, ce que la réponse de la Dre H______ ne laissait pas entrevoir.

Pour des motifs d’économie de procédure, il convenait de ne pas imposer au recourant la volonté de la Dre H______ de confier cette expertise à son assistant alors qu’une solution simple s’imposait. Il suffisait de nommer un neurologue qui ait envie de s’occuper personnellement de cette expertise.

f. Le 13 décembre 2023, l’intimée a fait valoir que la Dre H______ n’entendait pas déléguer l’expertise à son médecin assistant, mais bel et bien collaborer avec ce dernier. Ce procédé était avantageux pour le recourant, car il permettait un double regard sur son dossier. Il était évident que c’était la Dre H______, dont les compétences en qualité d’experte et neurologue n’étaient pas questionnées, qui dirigerait/superviserait l’expertise. Encore une fois, il s’agissait d’une pratique usuelle dans les centres universitaires qui avaient pour mission de former les futurs médecins. Il fallait en outre rappeler qu’il n’existait aucun motif de récusation et qu’il n’appartenait pas à l’intimée de décider quel médecin assistant accompagnerait la Dre H______ pour la réalisation de l’expertise neurologique. Par ailleurs, en raison du système de tournus qui avait cours dans les hôpitaux universitaires, il n’était pas certain qu’au final ce soit le Dr G______ qui assiste la Dre H______ au moment de l’expertise. Ceci démontrait une fois de plus que c’était bien la spécialiste en neurologie qui se chargerait de l’expertise et non un de ses assistants. Dans la mesure où le recourant ne démontrait aucun motif de récusation de l’experte, on ne pouvait préjuger à ce stade du déroulé de l’expertise, ni du rapport d’expertise qui suivrait. Le recourant ne reprochait pas à la Dre H______ de méconnaître les règles relatives à une expertise. Les critiques du recourant étaient ainsi infondées et devaient être écartées.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les délai et forme prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 56 ss LPGA).

3.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision incidente de l’intimée en tant qu’elle persiste à mandater comme expert le Dr G______.

4.             Dans l’ATF 137 V 210 consid. 3, le Tribunal fédéral a instauré de nouveaux principes visant à consolider le caractère équitable des procédures administratives et de recours judiciaires en matière d'assurance-invalidité par le renforcement des droits de participation de l'assuré à l'établissement d'une expertise (droit de se prononcer sur le choix de l'expert, de connaître les questions qui lui seront posées et d'en formuler d'autres) et ce afin que soient garantis les droits des parties découlant notamment du droit d'être entendu et de la notion de procès équitable (art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101, art. 42 LPGA et art. 6 ch. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 [CEDH; RS 0.101]; ATF 137 V 210 consid. 3.2.4.6 et 3.2.4.9). L'assuré a le droit de se déterminer préalablement sur les questions à l'attention des experts dans le cadre de la décision de mise en œuvre de l'expertise (ATF 137 V 210 consid 3.4.2.9).

Le Tribunal fédéral a par ailleurs précisé que l’assuré peut faire valoir contre une décision incidente d’expertise médicale non seulement des motifs formels de récusation contre les experts, mais également des motifs matériels, tels que par exemple le grief que l'expertise constituerait une seconde opinion superflue, contre la forme ou l’étendue de l’expertise, par exemple le choix des disciplines médicales dans une expertise pluridisciplinaire, ou contre l’expert désigné, en ce qui concerne notamment sa compétence professionnelle (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7; ATF 138 V 271 consid. 1.1). Selon le Tribunal fédéral, il est de la responsabilité tant de l’assureur social que de l’assuré de parer aux alourdissements de la procédure qui peuvent être évités, en gardant à l’esprit qu’une expertise qui repose sur un accord mutuel donne des résultats plus concluants et mieux acceptés par l’assuré (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6).

S'agissant plus particulièrement de la mise en œuvre d'une expertise consensuelle, le Tribunal fédéral a précisé dans un arrêt subséquent qu'il est dans l'intérêt des parties d'éviter une prolongation de la procédure en s'efforçant de parvenir à un consensus sur l'expertise, après que des objections matérielles ou formelles ont été soulevées par l'assuré. Ce n'est que si le consensus ne peut pas atteint que l'assureur pourra ordonner une expertise, en rendant une décision qui pourra être attaquée par l'assuré (ATF 138 V 271 consid. 1.1).

Enfin, la chambre de céans a jugé qu'indépendamment des griefs invoqués par l'assuré à l'encontre de l'expert, la désignation de l'expert par l'assureur devait être annulée et la cause lui être renvoyée lorsqu'il n'avait pas essayé de parvenir à un accord avec l'assuré sur le choix de l'expert, en violation des droits de participation de l'assuré dans la procédure de désignation de l'expert. Elle a précisé à cet égard que ce n'est pas uniquement en présence de justes motifs de récusation à l'encontre de l'expert que l'assuré pouvait émettre des contre-propositions (ATAS/226/2013 et ATAS/263/2013). Il n'en demeure pas moins qu'une partie ne saurait s’opposer à la désignation d’un expert sans donner des motifs valables, tels que des doutes sur son indépendance ou sa compétence. En effet, cela reviendrait à accorder à une partie un droit de veto sur le choix d'un expert (ATAS/1029/2017 du 16 novembre 2017).

5.             En l'espèce, il faut relever que, conformément à la jurisprudence, l’intimée a tenté de mettre en œuvre une expertise de façon consensuelle avec le recourant en renonçant aux premiers experts qu’elle entendait nommer et en demandant le 24 août 2023 à Unisanté si la Dre H______ serait disposée à réaliser l’expertise neurologique, sans le Dr G______, ce qui a toutefois été refusé, avec la précision que la Dre H______ verrait le recourant avec le Dr G______. Le recourant ne conteste pas que l’expertise soit confiée à des médecins du CHUV, par le biais d’Unisanté, ni les compétences de la Dre H______ mais conteste la compétence du Dr G______, au motif que celui-ci était assistant. Bien que les assistants soient encore en formation, cela ne suffit pas à fonder un doute leur compétence à réaliser l’expertise sous la supervision d’une neurologue expérimentée, la Dre H______. Cette dernière est à même d’apprécier dans quelle mesure elle peut collaborer avec le Dr G______ et a engagé sa propre responsabilité en acceptant le mandat d’expertise en tant que superviseuse. Cette façon de procéder est en outre courante et admise dans la pratique des hôpitaux universitaires, qui ont pour mission de former les futurs médecins. En conclusion, le recourant n’a pas fait valoir de motifs justifiant que la désignation comme expert du Dr G______ soit annulée. Si ce dernier n’était plus assistant du service de neurologie au moment de l’expertise, l’intimée devra soumettre au recourant le nom du médecin appelé à le remplacer.

6.             En conséquence, le recours sera rejeté.

La procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le