Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/162/2023

ATAS/1016/2023 du 19.12.2023 ( LCA ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/162/2023 ATAS/1016/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 19 décembre 2023

Chambre 15

 

En la cause

A______
représenté par Me Thierry STICHER

 

 

recourante

 

contre

VAUDOISE GENERALE, COMPAGNIE D’ASSURANCES SA

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée ou la demanderesse), née le ______ 1976, a travaillé en qualité de concierge au service de l’entreprise B______ SA (ci-après : l’employeur) du 1er juillet 2004 jusqu’au 31 mai 2022, date à laquelle son contrat a pris fin suite à sa résiliation par l’employeur. En 2021, elle était assurée à titre collectif auprès de la Vaudoise Générale Compagnie d’Assurances SA (ci-après : l’assureur ou la défenderesse) via une assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie, soumise à la loi sur le contrat d’assurance et prévoyant le versement d’indemnités journalières durant 730 jours au maximum, sous déduction d’un délai d’attente de quatorze jours.

b. En dernier lieu, son revenu s’élevait à CHF 1’850.- par mois, correspondant à un taux d’activité de 40% (soit 17h sur un horaire habituel de 42h par semaine). L’assurée était également au service d’un autre employeur pour un taux d’activité de 20%. Pour ce deuxième emploi, elle était assurée auprès d’une société d’assurance tierce pour les conséquences d’une perte de gain en cas de maladie.

B. a. Le 16 février 2021, l’employeur a transmis à l’assureur une déclaration de maladie. À celle-ci étaient annexés deux certificats médicaux établis les 8 et 15 février 2021 par le docteur C______, spécialiste FMH en médecine générale, attestant une incapacité de travail totale du 8 au 15 février 2021, respectivement du 15 au 22 février 2021.

b. Par la suite, le Dr C______ a prolongé régulièrement ces arrêts de travail en continuant à faire état d’une incapacité de travail totale.

c. Dans un rapport du 1er avril 2021 à l’assureur, le Dr C______ a indiqué que depuis 2019, l’assurée lui signalait épisodiquement des lombalgies. Celles-ci étaient fortes depuis le 8 février 2021 et bilatérales. Elle présentait par ailleurs une obésité sévère de stade II et était exposée à un « stress professionnel ». Une reprise même partielle du travail n’était pas prévue pour le moment.

d. Par pli du 12 mai 2021, l’assureur a informé l’assurée avoir signalé, le jour même, son incapacité de travail à l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : l’OAI) en lui transmettant un formulaire de détection précoce.

e. Par courriel du 25 juin 2021, l’assurée a transmis à l’assureur un courrier du 11 juin 2021 par lequel le Dr C______ invitait le médecin-conseil de l’assureur à bien vouloir autoriser l’assurée à se rendre au Portugal du 5 au 30 juillet 2021 pour y prendre des vacances. Pour le traitement de ses lombalgies invalidantes, elle avait bénéficié d’infiltrations sous scanner, de séances de physiothérapie et d’une médication adéquate. Malgré ces mesures, elle restait « bloquée du dos ». Enfin, le Dr C______ a précisé que les vacances évoquées n’entraineraient aucun retard au niveau de la prise en charge médicale du cas et permettraient au contraire à l’assurée de bénéficier d’un soulagement psychologique en retournant dans son pays.

f. Par courrier du 15 novembre 2021, l’assureur a fait savoir à l’assurée que son médecin-conseil était d’avis, après examen du dossier, qu’elle disposait désormais d’une pleine capacité de travail dans le cadre d’une activité professionnelle adaptée à son état de santé. Afin de lui permettre de prendre les dispositions nécessaires, elle recevrait des indemnités journalières jusqu’au 28 février 2022 inclus. Tout en recommandant à l’assurée de « mettre en valeur [sa] capacité de travail », l’assureur a précisé qu’une prolongation de certificat médical ne pourrait être prise en compte pour un éventuel réexamen du dossier par le médecin-conseil « qu’avec l’appui de nouveaux arguments médicaux prépondérants ».

g. Par pli du 29 novembre 2021 à l’assurée, l’assureur a précisé que son médecin-conseil était d’avis qu’elle disposait d’une capacité de travail correspondant à son taux d’activité habituel dans une activité adaptée, à savoir une activité légère, sans port de charges supérieures à 10 kg, et permettant une alternance des positions.

h. Par courrier du 11 janvier 2022 à l’assureur, le docteur D______, médecin adjoint auprès du Service de rhumatologie des Hôpitaux universitaires
de Genève (ci-après : HUG), a fait part de son désaccord avec les conclusions du médecin-conseil telles qu’elles étaient rapportées dans le courrier du 29 novembre 2021 adressé à l’assurée. En effet, lorsqu’il avait revu l’assurée à sa consultation, fin novembre 2021, le Dr D______ avait constaté une évolution cliniquement très défavorable avec une extension des zones douloureuses, une évolution par crises de plus en plus fréquentes et une décompensation psychologique très importante malgré une augmentation du traitement antidépresseur (Venlafaxine). En conclusion, le Dr D______ ne retenait plus le diagnostic de lombalgies communes chroniques. Au vu des nouveaux symptômes en cours, qui étaient encore plus invalidants que les précédents, un nouveau bilan était en cours. Dans ce contexte, un arrêt de travail à 100% était toujours médicalement nécessaire, quelle que soit l’activité professionnelle envisagée.

i. Déférant à une convocation de l’assureur, l’assurée s’est rendue le 14 février 2022 auprès du docteur E______, spécialiste FMH en rhumatologie, pour se soumettre à une expertise. Dans son rapport du 21 février 2022, ce médecin a indiqué que l’examen rhumatologique mettait en évidence tous les points douloureux pour une fibromyalgie (18 sur 18). Le reste de l’examen était dans la norme. La fibromyalgie avait toujours une origine liée à un important facteur de stress « (femme battue, abusée, inceste, mobbing ou perte d’un enfant) ». Une fois la cause identifiée, le traitement consistait à traiter cette dernière par des méthodes psychiatriques et cognitives du comportement. Il s’agissait donc d’une maladie d’origine psychologique qui nécessitait l’avis d’un psychiatre pour se prononcer sur la capacité de travail. D’un point de vue rhumatologique, la capacité de travail de l’assurée était pleine et entière dans son activité de concierge, dès le 1er mars 2022.

j. Le 16 mars 2022, l’assurée s’est soumise à une expertise psychiatrique dont l’assureur avait confié la réalisation au docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Dans ses conclusions du 17 mars 2022,
ce médecin a retenu la présence de symptômes caractéristiques d’un épisode dépressif sévère, sans symptômes psychotiques (F32.2), actuellement en rémission partielle. Celui-ci était apparu en réaction à des douleurs dorsales insupportables, à quatre amis décédés en 2021 et à une surcharge de travail avec des « pressions de la part d’un responsable ». Cette situation avait culminé avec un épuisement physique et psychique. Actuellement, cet épisode dépressif n’était plus sévère, mais d’intensité moyenne avec un syndrome somatique (F32.11).
Sur le plan des diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail, l’assurée présentait un trouble douloureux somatoforme persistant (F45.4), dont les indices de gravité jurisprudentiels n’étaient pas remplis actuellement, une accentuation de certains traits de la personnalité (traits de la personnalité anxieuse et dépendante, actuellement non décompensés ; Z73.1) et des difficultés liées à l’emploi et au chômage (Z56.1). En tenant compte de l’ensemble du tableau clinique et de l’évolution actuelle, l’expert a considéré que la capacité de travail de l’assurée, « d’un point de vue médico-théorique et psychiatrique », auprès d’un autre employeur ou du chômage, était nulle jusqu’au 31 mai 2022, mais entière, sans diminution de rendement, dès le 1er juin 2022. Ce temps était nécessaire en raison d’un épisode dépressif qui était toujours en rémission partielle, mais pour lequel le pronostic était positif. En revanche, la capacité de travail auprès de l’employeur actuel était nulle, pour une durée indéterminée.

C. a. Par courrier du 22 mars 2022 à Assista TCS SA, mandataire de l’assurée, l’assureur s’est référé aux expertises des Drs E______ et F______ qui avaient été mises en œuvre sur proposition de son médecin-conseil. Dans la mesure où les conclusions des examens effectués indiquaient que l’assurée avait une capacité de travail totale dès le 1er juin 2022 auprès d’un nouvel employeur, le versement des prestations prendrait fin le 31 mai 2022. D’ici-là, l’assurée était invitée à faire suivre les certificats médicaux, et Assista TCS SA à conseiller à sa mandante de mettre en valeur sa capacité de travail et, le cas échéant, de s’inscrire au chômage dans les meilleurs délais. Dans ce contexte, un certificat médical n’aurait pas de valeur probante suffisante pour justifier une éventuelle poursuite de l’incapacité de travail. Seul un rapport médical détaillé, contenant des éléments médicaux nouveaux importants serait pris en compte par le médecin-conseil pour examiner une éventuelle prolongation de l’incapacité de travail au-delà du 31 mai 2022.

b. Dans un rapport du 29 juin 2022 à l’assureur, le docteur G______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a indiqué que l’épisode dépressif sévère (F32.2) et le syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4) étaient tous deux incapacitants. Les limitations fonctionnelles liées
aux diagnostics précités se manifestaient par une tristesse quotidienne, des ruminations anxieuses, des troubles du sommeil, une intolérance au stress, une fatigue accrue, des troubles de la mémoire et de la concentration, ainsi que des douleurs fortes et invalidantes. D’un point de vue strictement psychiatrique, la capacité de travail de l’assurée était nulle dans toute activité professionnelle et ceci pour une durée indéterminée.

c. Dans un rapport du 10 juillet 2022, le docteur H______, neurologue, a indiqué que l’assurée souffrait de douleurs cervicales et lombaires et qu’elle présentait aussi des troubles de la sensibilité de l’hémiface de l’hémicorps gauche. Le diagnostic avec répercussion sur la capacité de travail était celui de « probable fibromyalgie ». Celle-ci faisait l’objet d’un traitement antidépresseur à visée antalgique. L’évolution était très stationnaire, les plaintes douloureuses se poursuivant malgré l’introduction de plusieurs traitements.

d. Par courrier du 1er septembre 2022, l’assurée, désormais assistée d’un avocat,
a invité en substance l’assureur à poursuivre le versement des indemnités journalières au-delà du 31 mai 2022. En effet, l’avis du Dr F______ remontait à mi-mars 2022, soit deux mois et demi avant le début de la reprise de capacité de travail indiquée. Il était donc manifeste que ladite reprise n’était qu’un simple pronostic.

e. Par pli du 13 septembre 2022, l’assureur a informé l’assurée qu’après examen du rapport du Dr G______, son médecin-conseil n’avait relevé aucun élément nouveau qui lui permettait de revenir sur sa recommandation. Étant donné que le contrat de travail de l’assurée avait été résilié pour le 31 mai 2022, une reprise du travail à 100% auprès d’un nouvel employeur était exigible dès le 1er juin 2022.

f. Dans un rapport du 14 novembre 2022 au conseil de l’assurée, le Dr G______ a fait part de son désaccord avec les conclusions du Dr F______ en précisant que depuis qu’il suivait l’assurée (août à octobre 2021, puis de la mi-décembre 2021 à ce jour), celle-ci présentait un ralentissement psychomoteur, des troubles de l’attention et de la concentration importants, des troubles du sommeil et une intolérance au stress. Tous ces symptômes étaient stationnaires, voire en aggravation depuis le début du suivi. Ils étaient aussi résistants à tout traitement médicamenteux tenté et à toute technique psychothérapeutique mise en place. La capacité de travail était nulle dans toute activité, pour une durée indéterminée.

g. Par pli du 24 novembre 2022, l’assurée, se référant au rapport du 14 novembre 2022, a invité l’assureur à reconsidérer sa position.

h. Par avis du 1er décembre 2022, le docteur I______, spécialiste FMH en médecine interne et médecin-conseil de l’assureur, a indiqué que le rapport du 14 novembre 2022 du Dr G______ ne mettait en évidence aucun élément nouveau susceptible de modifier le cadre fixé par l’expertise du Dr F______, à savoir une capacité de travail dans tout emploi à 40% (taux habituel de l’assurée).

D. a. Le 16 janvier 2023, l’assurée a saisi la chambre des assurances sociales de
la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’une demande en paiement contre l’assureur. Elle a conclu, préalablement, à la mise en œuvre d’une expertise judiciaire – afin de déterminer sa capacité de travail entre le 1er juin 2022 et le 31 janvier 2023 – et, principalement, à ce que la défenderesse fût condamnée à lui verser la somme de CHF 12’513.60 à titre d’indemnités journalières avec intérêts à compter du 1er juin 2022, sous réserve d’une amplification des conclusions à réception de la police d’assurance et des conditions générales d’assurance (ci-après : CGA) applicables, le tout sous suite de frais et dépens.

b. Par courrier du 18 janvier 2023, la chambre de céans a invité les parties à indiquer si elles sollicitaient la tenue d’une audience de débats.

c. Le 23 janvier 2023, en réponse au courrier du 18 janvier 2023, la demanderesse a indiqué qu’elle ne renonçait pas, en l’état, à la tenue d’une audience, à tout le moins jusqu’à réception du mémoire de réponse de la défenderesse. Ce ne serait qu’à réception de cette écriture qu’elle serait en mesure de formuler les éventuelles offres de preuve.

d. Par pli du 14 février 2023, la défenderesse a demandé à pouvoir bénéficier d’un délai pour produire sa réponse et se déterminer sur la tenue d’une audience de débats.

e. Par réponse du 21 mars 2023, la défenderesse a relevé que le Dr F______, dans une prise de position du 6 février 2023, indiquait manquer d’éléments pour confirmer ou infirmer une aggravation survenue après l’entretien d’expertise du 16 mars 2022. Cependant, il existait des discordances qui n’étaient pas de nature à remettre en question son rapport d’expertise du 17 mars 2022.

La défenderesse a ajouté qu’il ressortait du dossier AI en sa possession que l’OAI avait donné mandat au service médical régional (ci-après : SMR) de statuer sur les droits de l’assurée et sa capacité de travail. Par avis du 23 novembre 2022, le SMR avait recommandé la réalisation d’un examen spécialisé rhumatologique et psychiatrique auprès du SMR ou d’une expertise bi-disciplinaire rhumatologique et psychiatrique. Selon la défenderesse, la réalisation de l’expertise à venir pouvait « servir dans la présente cause par économie de procédure ». Sur la base de ces éléments, la défenderesse a conclu, préalablement, à ce que la chambre de céans suspende la procédure jusqu’à la réalisation de l’examen spécialisé par le SMR (ou de l’expertise bi-disciplinaire précitée) et, principalement, au rejet de la demande, sans frais ni dépens.

f. Le 17 avril 2023, la demanderesse a répliqué en soulignant que la reprise d’une capacité de travail au « 1er mars 2022 » (recte : « 1er juin 2022 ») n’était qu’un pronostic du Dr F______, formulé le 17 mars 2022, qui ne s’était toutefois pas réalisé à l’échéance prévue. Au regard de ces éléments, elle a sollicité sa propre audition afin de confirmer qu’il n’existait aucun problème relationnel avec son ex-employeur. Elle a également sollicité l’audition des Drs F______ et G______ en qualité de témoins, ainsi que leur confrontation dans le but de départager leur point de vue sur la capacité de travail pour la période postérieure au 17 mars 2023 (date du rapport du Dr F______) et le degré de l’épisode dépressif. Enfin, s’il n’était pas possible de départager les avis médicaux, elle persistait à demander la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire. Enfin, la demanderesse s’est opposée à la suspension de la procédure, dans la mesure où l’on ignorait à quel moment l’examen spécialisé rhumatologique et psychiatrique (prévu dans la procédure AI) serait réalisé.

La demanderesse a également produit un rapport du Dr G______ du 5 avril 2023, indiquant que son état de santé s’était aggravé depuis l’expertise du Dr F______ et que sa capacité de travail était nulle dans toute activité, probablement de manière définitive.

g. Le 10 mai 2023, la défenderesse a dupliqué en faisant savoir qu’elle s’opposait à ce stade à la réalisation d’une expertise judiciaire. Étant donné qu’un examen bi-disciplinaire était déjà en cours auprès de l’OAI et que celui-ci portait sur le même objet, à savoir la capacité de travail de la demanderesse et une éventuelle exigibilité, le résultat de cette expertise pouvait permettre de trancher la seule question litigieuse – à savoir la capacité de travail de la demanderesse à partir du 1er juin 2022 – dans un délai bien plus court et à moindres frais. Partant, la réalisation d’une expertise judiciaire n’apparaissait pas indiquée à ce stade. Aussi s’y est-elle opposée en réitérant sa demande de suspension de la procédure dans l’attente du résultat de l’examen bi-disciplinaire réalisé à la demande de l’OAI.

h. Par écriture du 7 juin 2023, la demanderesse a produit un rapport du 24 mars 2023 des docteurs J______, psychiatre et psychothérapeute, et K______, spécialiste FMH en rhumatologie, médecins examinateurs auprès du SMR Vevey, faisant suite à leur examen bi-disciplinaire du 20 février 2023 et concluant à une capacité de travail exigible nulle dans l’activité de concierge et de personne préposée à l’entretien et au nettoyage de bureaux. En revanche, cette capacité était de 70% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles rhumatologiques et psychiatriques, ce depuis le 8 février 2021.

Se référant à ce rapport, la demanderesse a relevé que les médecins du SMR s’écartaient de manière motivée de l’avis du Dr F______ – sur lequel était fondée la position de la défenderesse – et confirmaient l’incapacité de travail totale dans l’activité habituelle de concierge. Pour le reste, la demanderesse a précisé que même si elle contestait l’appréciation d’une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée, cette appréciation n’était pas pertinente dès lors que c’était l’incapacité de travail – et non pas une incapacité de gain – qui était assurée. De plus, la défenderesse n’avait mis à aucun moment la demanderesse en demeure de rechercher une activité adaptée en lui donnant un délai suffisant pour ce faire. Il était donc manifeste que des prestations étaient dues au-delà du 31 mai 2022. À cet égard, elle avait conclu, dans un premier temps, à l’octroi d’une somme de CHF 12’513.60, calculée sur la base de prestations à hauteur de 720 jours. Cependant, comme il ressortait de la police d’assurance et des CGA, produites par la défenderesse dans l’intervalle, que les prestations convenues correspondaient à 730 jours – et non à 720 comme supposé initialement –, la demanderesse a amplifié ses conclusions en concluant à la condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de CHF 13’041.60 à titre d’indemnités journalières maladie avec intérêts à 5% à compter du 1er juin 2022.

i. Le 9 juin 2023, une copie de cette écriture a été transmise, pour information, à la défenderesse.

j. Les autres faits seront mentionnés, si nécessaire, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l’art. 7 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC – RS 272) et à l’art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l’organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale prévue par la LAMal, relevant de la loi fédérale sur le contrat d’assurance du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA – RS 221.229.1).

L’assurance en cause dans le litige déféré à la chambre de céans est une assurance collective d’indemnités journalières soumise à la LCA, comme cela ressort
de la police d’assurance du 19 novembre 2018 et des conditions générales d’assurance, dans leur édition du 1er juin 2015 (ci-après : CGA), auxquelles celle-ci renvoie.

La chambre de céans est donc compétente à raison de la matière pour statuer sur la demande.

1.2 Sauf disposition contraire de la loi, pour les actions dirigées contre les personnes morales, le for est celui de leur siège (art. 10 al. 1 let. b CPC), étant précisé que l’art. 17 al. 1 CPC consacre la possibilité d’une élection de for écrite.

En l’occurrence, l’art. B7 des CGA prévoit que pour tout litige résultant « du présent contrat », la défenderesse reconnaît la compétence des tribunaux du domicile suisse de la personne assurée ou de l’ayant droit.

La demanderesse ayant son domicile à Genève, la chambre de céans est compétente à raison du lieu pour connaître de la demande.

1.3 Les litiges relatifs aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie ne sont pas soumis à la procédure de conciliation préalable de l’art. 197 CPC lorsque les cantons ont prévu une instance cantonale unique selon l’art. 7 CPC (ATF 138 III 558 consid. 4.5 et 4.6 ; ATAS/577/2011 du 31 mai 2011), étant précisé que le législateur genevois a fait usage de cette possibilité (art. 134 al. 1 let. c LOJ).

1.4 Pour le reste, la demande respecte les conditions formelles prescrites par les art. 130 et 244 CPC ainsi que les autres conditions de recevabilité prévues par l’art. 59 CPC, de sorte qu’elle est recevable.

2.             La LCA a fait l’objet d’une révision entrée en vigueur le 1er janvier 2022 (modification du 19 juin 2020 ; RO 2020 4969 ; RO 2021 357).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle qui était en vigueur lors de réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

Selon la disposition transitoire relative à cette modification, seules les prescriptions en matière de forme (let. a) et le droit de résiliation au sens des
art. 35a et 35b (let. b) s’appliquent aux contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de cette modification. S’agissant des autres dispositions de la LCA, elles s’appliquent uniquement aux nouveaux contrats (Message concernant la révision de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, FF 2017 4812).

En l’occurrence, le contrat entre l’employeur et la défenderesse a été conclu avant le 1er janvier 2022 et l’objet du litige ne porte ni sur des prescriptions en matière de forme, ni sur le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b LCA, de sorte que les dispositions de la LCA applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

3.             Le litige porte sur le point de savoir si la demanderesse peut bénéficier d’indemnités journalières au-delà du 31 mai 2022.

4.             La procédure simplifiée s’applique aux litiges portant sur des assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale au sens de la LAMal (art. 243 al. 2 let. f CPC) et la Cour de céans établit les faits d’office (art. 247 al. 2 let. a CPC).

La jurisprudence applicable avant l’introduction du CPC, prévoyant l’application de la maxime inquisitoire sociale aux litiges relevant de l’assurance-maladie complémentaire, reste pleinement valable (ATF 127 III 421 consid. 2). Selon cette maxime, le juge doit établir d’office les faits, mais les parties sont tenues de lui présenter toutes les pièces nécessaires à l’appréciation du litige, le juge se contentant le cas échéant de poser des questions adéquates ; l’initiative du juge ne va pas au-delà de l’invitation faite aux parties de mentionner leurs moyens de preuve et de les présenter (ATF 141 III 569 consid. 2.3.1). Ce devoir d’interpellation accru du juge est en outre nettement réduit lorsque les parties sont assistées de professionnels du droit, notamment d’un avocat (ATF 141 III 569 consid. 2.3.2 ; Stephan MAZAN, Basler Kommentar, ZPO, 3ème éd. 2017, n. 19, ad art. 247 CPC). Dans un tel cas, il ne revient notamment pas au juge d’élargir de lui-même le complexe de fait ou de rechercher les faits à l’aide de moyens de preuve allant au-delà de ceux proposés par la ou les partie(s) concernée(s) (arrêts du Tribunal fédéral 5A_875/2015 du 22 avril 2016 consid. 3.2.2 ; 5A_298/2015 du 30 septembre 2015 consid. 2.1.2). Il faut en effet partir du point de vue que les choix procéduraux réalisés par une partie assistée d’un avocat sont délibérés (cf. Denis TAPPY, Commentaire romand du CPC, 2e éd. 2019, n. 25 et 27 ad art. 247 CPC).

Lorsque la maxime inquisitoire sociale trouve application, le juge n’est en revanche pas lié par les allégations et les offres de preuve des parties (ATF 142 III 402 consid. 2.1 ; 139 III 457 consid. 4.4.3.2). Des allégués et offres de preuve peuvent être produits par les parties jusqu’aux délibérations en application de l’art. 229 al. 3 CPC (ATF 142 III 402 consid. 2.1).

5.              

5.1 La maxime inquisitoire sociale ne modifie pas la répartition du fardeau de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 4C.185/2003 du 14 octobre 2003 consid. 2.1). Pour toutes les prétentions fondées sur le droit civil fédéral, l’art. 8 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC – RS 210), en l’absence de règles contraires, répartit le fardeau de la preuve et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l’échec de la preuve (ATF 133 III 323
consid. 4.1 non publié ; 130 III 321 consid. 3.1 ; 129 III 18 consid. 2.6 ; 127 III 519 consid. 2a). Cette disposition ne prescrit cependant pas quelles sont les mesures probatoires qui doivent être ordonnées (cf. ATF 122 III 219 consid. 3c ; 119 III 60 consid. 2c). Elle n’empêche pas le juge de refuser une mesure probatoire par une appréciation anticipée des preuves (ATF 121 V 150 consid. 5a). En tant que règle sur le fardeau de la preuve, il ne s’applique que si le juge, à l’issue de l’appréciation des preuves, ne parvient pas à se forger une conviction dans un sens positif ou négatif (ATF 132 III 626 consid. 3.4 ; 128 III 271
consid. 2b/aa). Ainsi, lorsque l’appréciation des preuves le convainc de la réalité ou de l’inexistence d’un fait, la question de la répartition du fardeau de la preuve ne se pose plus (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa).

5.2 En vertu de l’art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu’elle allègue pour en déduire son droit. En conséquence, la partie qui fait valoir un droit doit prouver les faits fondant ce dernier, tandis que
le fardeau de la preuve relatif aux faits supprimant le droit, respectivement l’empêchant, incombe à la partie, qui affirme la perte du droit ou qui conteste son existence ou son étendue. Cette règle de base peut être remplacée par des dispositions légales de fardeau de la preuve divergentes et doit être concrétisée dans des cas particuliers (ATF 128 III 271 consid. 2a/aa avec références). Ces principes sont également applicables dans le domaine du contrat d’assurance (ATF 130 III 321 consid. 3.1).

La partie qui n’a pas la charge de la preuve a le droit d’apporter une contre-preuve. Elle cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l’exactitude des allégations formant l’objet de la preuve principale. Pour que la contre-preuve aboutisse, il suffit que la preuve principale soit ébranlée, de sorte que les allégations principales n’apparaissent plus comme les plus vraisemblables (ATF 130 III 321 consid. 3.4). Le juge doit procéder à une appréciation d’ensemble des éléments qui lui sont apportés et dire s’il retient qu’une vraisemblance prépondérante a été établie (ATF 130 III 321 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_61/2011 du 26 avril 2011 consid. 2.1.1).

5.3 La preuve de la survenance d’un sinistre et de l’étendue de la prétention incombe à son prétendu ayant droit (ATF 130 III 321 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_193/2008 du 8 juillet 2008 consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4D_73/2007 du 12 mars 2008 consid. 2.2 ; ATAS/325/2019 du 15 avril 2019 consid. 9).

En principe, un fait est tenu pour établi lorsque le juge a pu se convaincre de la vérité d’une allégation. La loi, la doctrine et la jurisprudence ont apporté des exceptions à cette règle d’appréciation des preuves. L’allégement de la preuve est alors justifié par un « état de nécessité en matière de preuve » (Beweisnot), qui se rencontre lorsque, par la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, en particulier si les faits allégués par la partie qui supporte le fardeau de la preuve ne peuvent être établis qu’indirectement et par des indices (ATF 132 III 715 consid. 3.1 ; 130 III 321 consid. 3.2). Tel peut être le cas de la survenance d’un sinistre en matière d’assurance-vol (ATF 130 III 321 consid. 3.2) ou de l’existence d’un lien de causalité naturelle, respectivement hypothétique (ATF 132 III 715 consid. 3.2).
Le degré de preuve requis se limite alors à la vraisemblance prépondérante
(die überwiegende Wahrscheinlichkeit), qui est soumise à des exigences plus élevées que la simple vraisemblance (die Glaubhaftmachung). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ou hypothèses envisageables ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 ; ATF 132 III 715 consid. 3.1 ; ATF 130 III 321 consid. 3.3).

En ce qui concerne la survenance d’un sinistre assuré, le degré de preuve nécessaire est en principe abaissé à la vraisemblance prépondérante (en lieu et place de la règle générale de la preuve stricte) (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3). Le défendeur conserve toutefois la possibilité d’apporter des contre-preuves ; il cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l’exactitude des allégations formant l’objet de la preuve principale (ATF 130 III 321 consid. 3.4).

Cependant, dans un arrêt du 31 août 2021, le Tribunal a modifié la jurisprudence précitée, en ce sens que l’existence d’un cas d’assurance constitué par une incapacité de travail est désormais soumise au degré de preuve de la preuve stricte (ATF 148 III 105 consid. 3.3.1 in fine). Cette précision de jurisprudence concerne le droit matériel et est donc directement applicable (ATF 146 I 105 consid. 5.2.1 ; ATF 140 IV 154 consid. 5.2.1), y compris au présent litige.

6.              

6.1 L’art. 8 CC ne régit pas l’appréciation des preuves, de sorte qu’il ne prescrit pas quelles sont les mesures probatoires qui doivent être ordonnées (ATF 127 III 519 consid. 2a), ni ne dicte au juge comment forger sa conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a, consid. 2a) ; cette disposition n’exclut pas non plus que le juge puisse, sur la base d’une appréciation anticipée des preuves déjà disponibles, refuser l’administration d’une preuve supplémentaire au motif qu’il la tient pour impropre à modifier sa conviction (ATF 131 III 222 consid. 4.3;129 III 18 consid. 2.6).

6.2 Le principe de la libre appréciation des preuves est ancré à l’art. 157 CPC, qui dispose que le tribunal établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées. Malgré ce qui précède, l’art. 168 al. 1 CPC énumère les moyens de preuve admissibles : il s’agit du témoignage, des titres, de l’inspection, de l’expertise, des renseignements écrits, de l’interrogatoire et de la déposition de partie. Cette énumération est exhaustive, le droit de la procédure civile institue ainsi un numerus clausus des moyens de preuve. Cela semble à première vue contredire les principes fondamentaux que sont le droit à la preuve et sa libre appréciation, mais la sécurité et l’équité requièrent que la loi détermine clairement quand et par quel moyen la preuve peut être rapportée (Message du Conseil fédéral relatif au code de procédure civile suisse du 28 juin 2006, FF 2006 I
p. 6929).

Le juge apprécie librement la force probante des preuves administrées en fonction des circonstances concrètes, sans être lié par des règles légales et sans être obligé de suivre un schéma précis (arrêt du Tribunal fédéral 5A_113/2015 du 3 juillet 2015 consid. 3.2). L’obligation du tribunal de motiver son appréciation des preuves, c’est-à-dire d’indiquer les raisons pour lesquels il considère un fait ou la conclusion d’une expertise comme établi, découle de l’obligation de motiver liée au droit d’être entendu (arrêt du Tribunal fédéral 5A_663/2015 du 7 mars 2015 consid. 3.1). Il n’a toutefois pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l’examen des questions décisives pour l’issue du litige (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).

6.3 Le principe de la libre appréciation des preuves s’applique lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des prestations en matière d’assurance sociale. Rien ne justifie de ne pas s’y référer également lorsqu’une prétention découlant d’une assurance complémentaire à l’assurance sociale est en jeu (arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2011 du 24 mars 2011 consid. 4.2). Le principe de la libre appréciation des preuves signifie que le juge apprécie librement les preuves, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Dès lors, le juge doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de statuer sur le droit litigieux (arrêt du Tribunal fédéral 4A_253/2007 du 13 novembre 2007 consid. 4.2). En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).

6.3.1 Concernant plus particulièrement l’appréciation du résultat d’une expertise, le juge n’est en principe pas lié par le rapport de l’expert, qu’il doit apprécier
en tenant compte de l’ensemble des autres preuves administrées. S’il entend
s’en écarter, il doit motiver sa décision et ne saurait, sans motifs déterminants, substituer son appréciation à celle de l’expert, sous peine de verser dans l’arbitraire (ATF 129 I 49 consid. 4). De tels motifs déterminants existent notamment lorsque le rapport d’expertise contient des contradictions, lorsqu’une détermination ultérieure de son auteur vient la démentir sur des points importants, lorsqu’il contient des constatations factuelles erronées ou des lacunes, voire lorsqu’il se fonde sur des pièces dont le juge apprécie autrement la valeur probante ou la portée (ATF 110 Ib 52 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 4D_8/2008 du 31 mars 2008 consid. 3.2.1).

6.3.2 L’expertise, en tant que moyen de preuve admis au sens de l’art. 168 al. 1 let. d CPC (cf. ci-dessus : consid. 6.2), ne vise que l’expertise judiciaire au sens de l’art 183 al. 1 CPC.

Une expertise privée n’est en revanche pas un moyen de preuve mais une simple allégation de partie (ATF 141 III 433 consid. 2.5.2 et 2.5.3).

Les allégations précises de l’expertise privée – contestées de manière globale – peuvent apporter la preuve de leur véracité si elles sont appuyées par des indices objectifs (arrêt du Tribunal fédéral 4A_318/2016 du 3 août 2016 consid. 3.1 et 3.2). Si elles ne sont pas corroborées par de tels indices, elles ne peuvent être considérées comme prouvées en tant qu’allégations contestées (arrêt du Tribunal fédéral 4A_626/2015 du 24 mai 2016 consid. 2.5). Les mêmes principes s’appliquent mutatis mutandis aux allégations précises résultant du rapport d’un médecin traitant (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_42/2017 du 29 janvier 2018, consid. 3.3.3 non publié à l’ATF 144 III 136).

7.             La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel la CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

En règle générale, toutes les affections psychiques doivent faire l’objet d’une procédure probatoire structurée au sens de l’arrêt ATF 141 V 281 (ATF 143 V 418). Ainsi, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d’une procédure d’établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d’une part et les ressources de compensation de la personne d’autre part (ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4 ; ATAS/700/2021 du 29 juin 2021 consid. 14 ; voir également : ATF 143 V 409 consid. 4.5.2). Dans ce cadre, il convient d’évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives
de la personne concernée en tenant compte, d’une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d’autre part, les potentiels
de compensation (ressources). Les indicateurs pertinents sont notamment l’expression des constatations et des symptômes, le recours aux thérapies, leur déroulement et leurs effets, les efforts de réadaptation professionnelle, les comorbidités, le développement et la structure de la personnalité, le contexte social de la personne concernée ainsi que la survenance des restrictions alléguées dans les différents domaines de la vie (travail et loisirs ; cf. ATAS/676/2019 du 26 juillet 2019 consid. 10a ; ATAS/856/2019 du 12 septembre 2019 consid. 6).

Le diagnostic émanant d’un expert (psychiatre) doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. et 2.2).

Un expert psychiatre doit se voir reconnaître une certaine marge d’appréciation dans l’appréciation de l’incapacité de travail dès lors qu’une telle appréciation médicale est par essence en partie une question d’appréciation (ATF 145 V 361 consid. 4.1.2 ; ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.3 ; ATF 130 V 352 consid. 2.2.4).

8.              

8.1 En matière d’assurances complémentaires, les parties sont liées par l’accord qu’elles ont conclu dans les limites de la loi, les caisses-maladies pouvant en principe édicter librement les dispositions statutaires ou réglementaires dans les branches d’assurances complémentaires qui relèvent de la liberté contractuelle
des parties hormis quelques dispositions impératives en matière d’indemnités journalières (ATF 124 V 201 consid. 3d). Étant donné que l’art. 100 al. 1 LCA renvoie à la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations – RS 220) pour tout ce qu’elle ne règle pas elle-même,
la jurisprudence en matière de contrats est applicable. D’après celle-ci, les conditions générales font partie intégrante du contrat. Les dispositions contractuelles préformulées sont en principe interprétées selon les mêmes règles que les clauses contractuelles rédigées individuellement (ATF 133 III 675
consid. 3.3). La LCA ne comporte pas de dispositions particulières à l’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie ou d’accident, de sorte qu’en principe, le droit aux prestations se détermine exclusivement d’après la convention des parties (ATF 133 III 185 consid. 2). Le droit aux prestations d’assurance se détermine donc sur la base des dispositions contractuelles liant l’assuré et l’assureur, en particulier des conditions générales ou spéciales d’assurance (arrêt du Tribunal fédéral 5C.263/2000 du 6 mars 2001 consid. 4a).

8.2 En l’occurrence, la police d’assurance perte de gain conclue en 2018 par l’employeur auprès de la défenderesse prévoit le versement d’une indemnité journalière pour le personnel en cas de maladie, à hauteur de 80% du salaire durant 730 jours par cas, le délai d’attente étant de 14 jours.

Selon l’édition de juin 2015 des CGA, à laquelle renvoie la police d’assurance, les prestations sont versées dès l’expiration du délai d’attente, pour toute incapacité de travail médicalement justifiée de 25% au moins, proportionnellement au degré de l’incapacité de travail attestée (art. C1 ch. 1 CGA).

[L’assureur] verse […] l’allocation journalière assurée pendant une période maximale de 730 jours par cas de maladie. Le délai d’attente convenu est imputé sur la durée maximale du droit aux prestations. Pour le calcul de la durée des prestations, les jours d’incapacité de travail partielle d’au moins 25% comptent comme jours entiers (art. C5 ch. 1 al. 1 CGA).

On entend par cas de maladie les causes et suites de l’atteinte à la santé ayant entraîné une incapacité de travail (art. C5 ch. 1 al. 2 CGA).

Est réputée maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident ou à une maladie professionnelle et qui exige un examen ou un traitement médical, ou provoque une incapacité de travail (art. D2 CGA)

Est incapable de travailler la personne qui, en raison d’une maladie, ne peut exercer son activité professionnelle habituelle, ou, si l’incapacité de travail dure un certain temps, reste dans l’impossibilité d’exercer toute autre activité raisonnablement exigible eu égard à son état de santé et à ses aptitudes (art. D1 CGA).

Pour les personnes qui n’ont pas encore atteint l’âge légal de la retraite selon l’AVS et qui sont en incapacité de travail au moment où elles quittent l’entreprise assurée, le droit aux prestations pour la maladie en cours est maintenu dans le cadre des dispositions de la présente assurance collective, au plus tard jusqu’à l’épuisement de la durée maximale des prestations. En outre, les prestations sont limitées au degré d’incapacité de travail existant lorsque la personne assurée quitte le cercle des personnes assurées (art. C5 ch. 6 CGA).

9.              

9.1 En l’espèce, il est constant que la demanderesse présentait une atteinte à la santé incapacitante du 8 février 2021 au 31 mai 2022 et que la défenderesse a accepté, après écoulement du délai d’attente, de verser des indemnités journalières du 22 février 2021 au 31 mai 2022, date correspondant au dernier jour de son incapacité de travail – selon les conclusions du Dr F______ – et coïncidant aussi avec la fin de son contrat de travail.

Les parties s’opposent en revanche sur la persistance d’une incapacité de travail au-delà du 31 mai 2022.

9.2 Il est par conséquent nécessaire d’examiner s’il existe des motifs suffisants pour considérer que la demanderesse avait recouvré, dès le 1er juin 2022, une capacité de travail entière. Pour ce faire, il convient de rappeler ci-après les avis médicaux invoqués par les parties (consid. 9.2.1) et d’en examiner la valeur probante (consid. 9.2.2).

9.2.1 Après avoir envisagé, dans un premier temps, de ne verser des indemnités journalières à la demanderesse que jusqu’au 28 février 2022, la défenderesse en a prolongé le versement jusqu’au 31 mai 2022 sur la base des expertises privées rhumatologique (Dr E______) et psychiatrique (Dr F______), concluant, sur le plan rhumatologique, à la présence d’une fibromyalgie – dont l’évaluation sur le plan de la capacité de travail incombait à un psychiatre – et, sur le plan psychiatrique, à un épisode dépressif d’intensité moyenne avec un syndrome somatique (F32.11), justifiant (à lui seul) une incapacité de travail totale dans toute activité jusqu’au 31 mai 2022. Puisque la fibromyalgie diagnostiquée par le Dr E______ (qualifiée de trouble somatoforme douloureux par le Dr F______) ne remplissait pas les indices de gravité pour être qualifiée d’incapacitante et que le pronostic était favorable pour l’évolution de l’épisode dépressif d’intensité moyenne avec syndrome somatique (F32.11), le Dr F______ a estimé qu’à partir du 1er juin 2022, la capacité de travail était entière « auprès d’un autre employeur ou du chômage », mais qu’elle demeurait nulle auprès de l’employeur actuel, pour une durée indéterminée.

En vue d’une prolongation de la prise en charge des indemnités journalières
au-delà du 31 mai 2022, la demanderesse a produit plusieurs rapports de son psychiatre traitant, le Dr G______ lequel continuait à attester, le 14 novembre 2022 (et même au-delà ; cf. le rapport du 5 avril 2023 de ce médecin, produit sous pièce 27 dem.), que la demanderesse était en incapacité de travail totale dans toute activité.

Dans un avis du 1er décembre 2022, auquel la défenderesse se réfère pour maintenir sa position, le Dr I______ a indiqué en substance que, dans la mesure où le rapport du 14 novembre 2022 du Dr G______ mentionnait un état stationnaire depuis que la demanderesse était suivie par ce psychiatre (décembre 2021), cet état était donc équivalent à celui constaté par le Dr F______ en mars 2022, si bien que le Dr G______ appréciait de manière différente un même état de fait en raison d’un phénomène d’amplification des plaintes douloureuses et psychiatriques déjà relevé par le Dr F______.

À la suite de leur examen rhumato-psychiatrique du 20 février 2023, les Drs J______ et K______ ont estimé, dans leur rapport du 24 mars 2023, que les diagnostics avec répercussion durable sur la capacité de travail étaient la fibromyalgie (M79.0) et des lombalgies chroniques, non déficitaires, dans un contexte de troubles dégénératifs articulaires postérieurs étagés, considérés comme modérés en L4-L5 et L5-S1 à gauche. Étaient en revanche sans répercussion sur la capacité de travail l’obésité de classe 2, les troubles anxieux et dépressifs mixtes, succédant à un trouble de l’adaptation, réaction mixte anxieuse et dépressive (F41.2), l’accentuation de traits de la personnalité, à la fois anxieux et dépendants (Z73.1) ainsi qu’un état de stress post-traumatique en rémission (pas de code CIM).

Le Dr K______ a considéré que même si sur le plan rhumatologique, le tableau prédominant était celui d’une fibromyalgie avec des douleurs ubiquitaires des quatre membres et du rachis, il ne pouvait pas exclure que les troubles dégénératifs articulaires postérieurs participaient en partie aux douleurs lombaires de la demanderesse. Se référant à une IRM lombaire du 19 février 2021, il a estimé que les troubles dégénératifs articulaires postérieurs en L4-L5 et L5-S1 à gauche allaient au-delà de ce qui était attendu pour l’âge de la demanderesse et pouvaient être considérés comme significatifs (pièce 28 dem., p. 22) et à l’origine de limitations fonctionnelles qui impliquaient l’absence de mouvements répétés de flexion-extension du tronc, d’attitude prolongée en porte-à-faux, de position assise ou debout prolongée au-delà d’une heure, de position debout statique au-delà de 20 minutes, de marche sans s’arrêter au-delà du kilomètre, et de port de charges répété au-delà de 5 kg. En conséquence, on ne pouvait pas suivre l’avis du Dr E______ qui – s’étant basé sur le compte-rendu radiologique relatif à cette même IRM, décrivant des troubles dégénératifs articulaires postérieurs débutants – jugeait que les douleurs présentées par la demanderesse étaient uniquement en relation avec la fibromyalgie. Sur la base de ces éléments, le Dr K______ a retenu, d’un point de vue rhumatologique, une incapacité de travail totale dans l’activité habituelle d’employée d’entretien et de concierge, ce depuis le début de l’incapacité de travail durable (8 février 2021). Il a précisé que la capacité de travail exigible était déterminée par la tolérance mécanique du rachis lombaire et que cette dernière permettait l’exigibilité complète d’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles précitées depuis le 8 février 2021 (pièce 28 dem., p. 31). Quant à la fibromyalgie, elle ne justifiait pas de limitations fonctionnelles durables d’ordre ostéo-articulaire. D’un point de vue assurantiel, cette affection était apparentée au trouble somatoforme douloureux, si bien que les critères de gravité éventuels devaient être appréciés par le co-expert psychiatre J______. Ce dernier a estimé qu’il ne pouvait pas retenir le diagnostic de trouble somatoforme douloureux (contrairement aux Drs G______ et F______), dans la mesure où la détresse, qui était essentielle à ce diagnostic, apparaissait seulement à l’occasion d’efforts lourds, mais n’était pas clairement objectivée à l’examen. Par ailleurs, si, effectivement, le trouble somatoforme douloureux retenu par les médecins précités était survenu dans un contexte de conflits émotionnels, cela pouvait aussi être le cas pour la fibromyalgie. En analysant ce dernier diagnostic à l’aune des indicateurs standards, il n’existait pas de troubles psychiatriques empêchant la demanderesse de mobiliser ses ressources et de chercher à maintenir un certain degré d’autonomie malgré ses douleurs (soit en ne comptant sur les ressources de sa famille que dans des situations isolées). En revanche, la fatigue, générée par l’effort et les douleurs, était légèrement incapacitante. Ainsi, il convenait de s’écarter de l’appréciation du Dr F______ qui rattachait la fatigue à un épisode dépressif en rémission progressive et non pas à la capacité à mobiliser ses ressources (que le Dr F______ estimait donnée), dès lors que la fatigue avait précédé d’un an les symptômes dépressifs. Le Dr J______ a précisé que bien que les symptômes dépressifs aggravaient la fatigue et que le sentiment de fatigue était décrit comme permanent par la demanderesse, le sentiment en question n’avait été objectivé ni lors de l’expertise du Dr F______ de mars 2022 – seul un ralentissement psychomoteur modéré étant relevé – ni lors de l’examen du 20 février 2023. Enfin, l’anamnèse montrait une fatigue aggravée à l’effort et liée aux douleurs. De ce fait, le diagnostic de fibromyalgie était partiellement incapacitant et l’était depuis le 8 février 2021 (soit le début de l’incapacité de travail). Pour le reste, le Dr J______ a expliqué qu’il admettait bien la présence d’un épisode dépressif réactionnel après février 2021, mais qu’après quelques mois (l’expertise de mars 2022 pas plus que l’examen du 20 février 2023 ne pouvaient fixer de date plus précise), il n’existait plus les deux critères majeurs minimum pour parler d’épisode dépressif. En revanche, il était possible de retenir un trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2) ayant succédé à un trouble de l’adaptation avec réaction dépressive prolongée. Ce diagnostic (F41.2) reflétait davantage une différence d’interprétation par rapport au diagnostic d’épisode dépressif sévère, sans symptômes psychotiques (F32.2), actuellement en rémission partielle, posé par le Dr F______, pour prendre en compte le caractère réactionnel (amenant d’abord à un trouble de l’adaptation avec réaction dépressive prolongée) et le fait qu’il existait également des troubles anxieux modérés, confirmés d’ailleurs lors de l’examen du 20 février 2023. Le Dr J______ s’écartait de l’expertise du Dr F______, en jugeant qu’il n’y avait jamais eu de limitations fonctionnelles, même quand la tristesse était permanente. De ce fait, le diagnostic de trouble anxieux et dépressif mixte (F41.2) n’était pas incapacitant et ne l’avait jamais été. S’agissant du diagnostic, l’accentuation de traits de la personnalité à la fois anxieux et dépendants (Z73.1) et de son absence d’effet sur la capacité de travail, le Dr J______ se ralliait à l’appréciation du Dr F______ à ceci près qu’il jugeait inexistant le risque d’une éventuelle décompensation. Enfin, quant au diagnostic d’état de stress post-traumatique – que le Dr J______ motivait par le fait que la demanderesse avait découvert, en avril 2021, le corps d’une de ses amies morte à son domicile –, il était en rémission depuis avril 2022 et n’était pas incapacitant. En synthèse, le Dr J______ a estimé que l’incapacité de travail avait commencé le 8 février 2021. Selon l’examen effectué, comprenant l’analyse de la vie quotidienne et de l’anamnèse, cette incapacité n’était liée qu’à des limitations fonctionnelles liées à la fatigue, elle-même liée en partie à l’effort et à la mobilisation des ressources pour combattre les douleurs. Dans la mesure où la vie quotidienne de la demanderesse s’en trouvait peu influencée (hormis pour les tâches lourdes), l’incapacité de travail était de 50% dans l’activité habituelle de gardienne d’immeubles et d’agente d’entretien. À l’inverse, dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles (découlant du diagnostic de fibromyalgie), entraînant moins d’efforts et de fatigue, l’incapacité de travail n’était que de 30%. Cette incapacité de travail n’avait pas évolué avec le temps.

Au final, les Drs K______ et J______ ont estimé de façon consensuelle que depuis le 8 février 2021, la capacité de travail exigible de la demanderesse était de 0% dans les activités d’entretien, nettoyage des bureaux et de conciergerie, et de 70% dans une activité adaptée.

9.2.2 Il ressort des rapports médicaux résumés ci-dessus que la persistance d’une incapacité de travail dans toute activité au-delà du 31 mai 2022, attestée à plusieurs reprises par le Dr G______, a été confirmée par les Drs K______ et J______ pour ce qui concerne l’activité de concierge que la demanderesse exerçait au moment de la survenance de son incapacité de travail le 8 février 2021. Le rapport d’examen bi-disciplinaire de ces médecins prend position de manière détaillée sur les rapports d’expertise privée des Drs E______ et F______ et explique de façon motivée et convaincante les raisons pour lesquelles les experts s’en écartent. Tenant compte, par ailleurs, des plaintes de la demanderesse, comportant une anamnèse détaillée, des conclusions claires et cohérentes, rendues à la lumière des indicateurs jurisprudentiels (pour le volet psychiatrique de l’examen), ce rapport d’examen bi-disciplinaire remplit en principe les réquisits permettant de lui reconnaître valeur probante. On ajoutera que bien qu’il ne s’agisse pas d’une expertise judiciaire au sens de l’art. 183 al. 1 CPC, ce rapport n’en constitue pas moins un indice objectif venant conforter la persistance de l’incapacité de travail de la demanderesse attestée par le Dr G______ (cf. ci-dessus : consid. 6.3.2). Le fait que le médecin-conseil de la défenderesse, dans un avis du 1er décembre 2022 – au demeurant antérieur à l’examen bi-disciplinaire – persiste à se référer aux conclusions du Dr F______ n’y change rien, d’autant que le Dr F______ a indiqué par courriel du 6 février 2023 à la défenderesse qu’il manquait d’éléments pour confirmer ou infirmer une aggravation survenue après l’entretien d’expertise et que pour « clarifier la situation […], une expertise ou un avis rhumatologique [apparaissait] utile, car les limitations semblent plutôt algiques » (cf. pièce 106 déf.). Or, force est de constater que le rapport d’examen rhumato-psychiatrique rendu le 24 mars 2023 par les médecins du SMR répond de façon convaincante aux besoins d’informations complémentaires évoqués par le Dr F______ lui-même dans son courriel du 6 février 2023. Sur la base de ces éléments, la chambre de céans considère qu’il est établi, au degré requis de la preuve stricte (ci-dessus : consid. 5.3 in fine), que l’incapacité de travail complète de la demanderesse s’est maintenue au-delà du 31 mai 2022 et qu’elle était toujours d’actualité le 20 février 2023, soit à la date de l’examen rhumato-psychiatrique des Drs K______ et J______. Partant, la chambre de céans se dispensera, par appréciation anticipée des preuves, d’organiser une audience de débats et de donner suite aux mesures d’instruction sollicitées par la demanderesse.

10.         Il reste à examiner si le fait que les Drs K______ et J______ retiennent une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée, depuis le 8 février 2021, est de nature à influencer l’issue du litige.

10.1 Lorsque le cas d’assurance, constitué par une incapacité de travail, est établi, l’art. 61 aLCA (qui correspond à l’art. 38a LCA depuis le 1er janvier 2022) dispose que l’ayant droit est obligé, lors d’un sinistre, de faire tout ce qui est possible pour restreindre le dommage (al. 1) ; si l’ayant droit contrevient à cette obligation d’une manière inexcusable, l’assureur peut réduire l’indemnité au montant auquel elle serait ramenée si l’obligation avait été remplie (al. 2).

Dans l’assurance des indemnités journalières, l’obligation de réduire le dommage peut impliquer le devoir pour l’assuré de changer d’activité professionnelle, si cela peut être raisonnablement exigé de lui et permet de réduire son incapacité de travail. L’assureur qui entend faire application de la possibilité de réduire l’indemnité doit inviter l’assuré à changer d’activité et lui impartir pour ce faire un délai d’adaptation approprié. En règle générale, un délai de trois à cinq mois doit être considéré comme adéquat (ATF 133 III 527 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_228/2019 du 2 septembre 2019 consid. 2.3.1 et les références).

En général, d’autres activités deviennent pertinentes dès que la nature et l’évolution de l’atteinte à la santé montrent clairement qu’un retour à l’activité antérieure ne sera plus possible (cf. les arrêts du Tribunal fédéral 9C_74/2007 du 19 octobre 2007 consid. 3.2 et K 224/05 du 29 mars 2007 consid. 3.2). La règle selon laquelle, en cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité que l’on peut raisonnablement attendre de l’assuré dans une autre profession est également prise en compte, doit bien sûr être comprise par analogie en cas d’incapacité de travail liée au poste de travail, c’est-à-dire en se référant simplement à un autre poste de travail – et non à une autre profession (arrêt du Tribunal fédéral 9C_177/2022 du 18 août 2022 consid. 6.3).

L’analyse médico-théorique ne constitue toutefois qu’une première étape du raisonnement auquel il y a lieu de procéder. En effet, la loi ne permet pas à l’assureur de réduire ses prestations dans la perspective d’un changement d’activité purement théorique, qui n’est pratiquement pas réalisable. Au contraire, le juge doit procéder à une analyse concrète de la situation. Partant, il doit se demander, en fonction de l’âge de l’assuré et de l’état du marché du travail, quelles sont ses chances réelles de trouver un emploi tenant compte de ses limitations fonctionnelles. Il doit également examiner, au regard de la formation, de l’expérience et de l’âge de l’assuré, si un tel changement d’activité peut être réellement exigé de lui (ATF 133 III 527 consid. 3.2.1). La réduction de l’indemnité est en outre exclue s’il n’est en réalité pas possible de limiter le préjudice par un changement d’activité professionnelle. Il faut donc qu’il soit démontré que cette nouvelle activité permettrait effectivement à l’assuré de réaliser un revenu supérieur à celui qu’il peut encore obtenir en conservant son emploi (arrêt du Tribunal fédéral 4A_529/2012 du 31 janvier 2013 consid. 2.4).

Conformément à l’art. 8 CC, il incombe à l’assureur qui n’entend pas indemniser la totalité du dommage subi par l’assuré de prouver que celui-ci a violé son devoir de réduire le dommage. À cet égard, il lui appartient de démontrer que les mesures tendant à diminuer le dommage qui n’ont pas été prises par l’assuré pouvaient raisonnablement être exigées de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 4A_304/2012 du 14 novembre 2012 consid. 2.3 et les références). L’assureur doit alléguer les faits propres à démontrer cette violation du devoir de réduire le dommage (arrêt du Tribunal fédéral 4A_584/2014 précité, consid. 4.1).

10.2 En l’espèce, il sied de relever en premier lieu que si tant est que l’invitation adressée le 22 mars 2022 à Assista TCS SA – à conseiller à sa mandante de mettre en valeur sa capacité de travail et, le cas échéant, à s’inscrire au chômage dans les meilleurs délais – constitue une invitation suffisamment claire à changer de profession ou d’employeur –, ce courrier ne respecte de toute manière pas le délai de trois à cinq mois évoqué pour une reprise d’activité au 1er juin 2022 (cf. ci-dessus : consid. 10.1). On précisera par ailleurs que le point de départ de ce délai ne se détermine pas en fonction de la date d’exigibilité de l’exercice d’une activité adaptée, mais du courrier de l’assureur invitant l’assuré à changer de profession (arrêt du Tribunal fédéral 4A_384/2019 du 9 décembre 2019 consid. 5.4.2). Il s’ensuit qu’il importe peu que le rapport d’examen bi-disciplinaire du 24 mars 2023 conclue à l’exigibilité de l’exercice d’une activité adaptée à 70% depuis le 8 février 2021. En second lieu, le courrier du 22 mars 2022 a été adressé au mandataire de la demanderesse suite à un simple pronostic du 17 mars 2022 du Dr F______ prévoyant le recouvrement d’une capacité de travail pleine et entière le 1er juin 2022 auprès d’un autre employeur. Compte tenu toutefois du caractère « médico-théorique » de cette appréciation – qualificatif employé (à juste titre) par le Dr F______ lui-même en p. 25 de son rapport – et du fait qu’à cette époque-là, l’instruction médicale du cas suivait toujours son cours, notamment dans le dossier AI, une invitation adressée à la demanderesse à mettre en valeur sa capacité de travail au plus tard le 1er juin 2022, dès réception du courrier du 22 mars 2022, apparaissait de toute manière prématurée, notamment au regard de l’art. D1 CGA précité. En effet, d’autres activités ne deviennent pertinentes qu’à partir du moment où la nature et l’évolution de l’atteinte à la santé montrent clairement qu’un retour à l’activité antérieure ne sera plus possible (cf. ci-dessus : consid. 10.1). En l’espèce, cette absence de retour possible à l’activité antérieure de concierge (y compris auprès d’un autre employeur) n’est devenue claire, d’un point de vue médical, qu’à partir du rapport d’examen bi-disciplinaire du 24 mars 2023. En conséquence, la défenderesse n’était pas fondée à réduire – et encore moins à supprimer – les indemnités journalières à compter du 1er juin 2022. Enfin, la question de savoir s’il était exigible de la part de la demanderesse qu’elle réduise le dommage découlant de son incapacité de travail, une fois connues les conclusions du rapport d’examen bi-disciplinaire du 24 mars 2023, peut rester indécise. Les développements qui suivent montrent en effet que le droit aux indemnités journalières était déjà épuisé à cette date.

11.         Reste à déterminer le solde des indemnités journalières dues à la demanderesse.

En l’occurrence, il est constant que la durée maximale d’indemnisation est de 730 jours et que la demanderesse a reçu des indemnités journalières à 100% du 22 février 2021 au 31 mai 2022, ce qui représente 464 jours. Leur montant (CHF 52.80 par jour) n’est pas contesté. Compte tenu de la déduction du délai d’attente de quatorze jours, la durée d’indemnisation effective s’élève au plus à 716 jours. En déduisant de ce total, les 464 indemnités déjà perçues, il en reste en principe 252 à verser à 100% pour la période du 1er juin 2022 au 7 février 2023. Étant donné que la demanderesse n’en réclame que 247, selon ses conclusions du 16 janvier 2023, amplifiées le 7 juin 2023, et que la chambre de céans ne saurait statuer ultra petita (cf. art. 58 CPC), la défenderesse sera condamnée à payer CHF 13’041.60 à la demanderesse (soit 247 x CHF 52.80).

12.         La demanderesse réclame enfin des intérêts moratoires sur les indemnités journalières qui lui sont dues.

12.1 L’art. 41 al. 1 LCA dispose que la créance qui résulte du contrat est échue quatre semaines après le moment où l’assureur a reçu les renseignements de nature à lui permettre de se convaincre du bien-fondé de la prétention. Ce délai n’a plus de raison d’être dès le moment où l’assureur conteste à tort son obligation. La prestation devient alors immédiatement exigible. L’interpellation de l’assureur est nécessaire à sa mise en demeure, laquelle suppose l’exigibilité de la créance. Aucun intérêt moratoire n’est dû par l’assureur qui n’a pas encore été mis en demeure (Olivier CARRE, Loi fédérale sur le contrat d’assurance, édition annotée, 2000, ad art. 41 LCA, p. 301 et les références citées). L’intérêt moratoire est fixé à 5% conformément aux art. 102 et 104 CO applicables par renvoi de l’art. 100 LCA.

Conformément à l’art. 102 al. 1 CO, le débiteur d’une obligation exigible est mis en demeure par l’interpellation du créancier. L’interpellation doit décrire la prestation à effectuer de manière suffisamment précise pour que le débiteur puisse reconnaître ce que le créancier exige. Si la prestation est pécuniaire, le montant doit en principe être chiffré. Il peut cependant être fait abstraction d’un chiffrage lorsque le montant exact de la créance n’est pas encore déterminé au moment de son exigibilité. Cette dernière opinion repose sur l’idée que toute obligation exigible doit pouvoir faire l’objet d’une mise en demeure afin de permettre au créancier de bénéficier des effets qui sont rattachés à la demeure (cf. ATF 129 III 535 consid. 3.2.2).

L’intérêt moratoire n’est dû que depuis le début de la demeure, c’est-à-dire le jour suivant la réception de l’interpellation du débiteur – cas échéant le lendemain de la notification au débiteur de la demande en justice ou du commandement de payer (Luc THEVENOZ, in Commentaire romand, Code des obligations I ad
art. 104 CO, n. 9 p. 621).

12.2 En l’espèce, en l’absence d’interpellation préalable, la défenderesse ne s’est trouvée en demeure qu’avec la notification de la demande en justice. En partant du principe que cet acte a été reçu le lendemain de sa transmission par la chambre de céans, soit le 19 janvier 2023, l’intérêt moratoire de 5% est dû dès le 20 janvier 2023 sur la somme de CHF 13’041.60.

13.         Les cantons sont compétents pour fixer le tarif des frais comprenant le défraiement d’un représentant professionnel (art. 96 CPC en relation avec l’art. 95 al. 3 let. b CPC ; selon l’art. 20 al. 1 de la loi d’application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 – LaCC – E 1 05). Dans les contestations portant sur des affaires pécuniaires, le défraiement d’un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse. Il est fixé, dans les limites figurant dans un règlement du Conseil d’État, d’après l’importance de la cause, ses difficultés, l’ampleur du travail et le temps employé. À Genève, le règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC – E 1 05.10) détermine notamment le tarif des dépens, applicable aux affaires civiles contentieuses (art. 1 RTFMC).

Conformément à l’art. 85 RTFMC, le défraiement, dans le cas d’une partie qui obtient totalement gain de cause, pour une valeur litigieuse de CHF 13’041.60, s’élève à CHF 2’856.24 (soit CHF 2’400.- + CHF 456.24, ce dernier montant correspondant à 15% de la valeur litigieuse dépassant CHF 10’000.-), qu’il y a lieu, en l’espèce, d’arrondir à CHF 2’857.-. Étant donné que la demanderesse obtient entièrement gain de cause, la défenderesse sera condamnée à lui verser une indemnité de CHF 2’857.- à titre de dépens. S’y ajoutent la TVA pour un montant de CHF 219.99 (7.7%), et les débours à hauteur de CHF 85.71 (3%), portant ainsi le montant total dû à CHF 3’162.70.- (art. 25 et 26 al. 1 LaCC ; art. 84 et 85 RTFMC).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 114 let. e CPC).

*****

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Condamne en conséquence la défenderesse à verser à la demanderesse la somme de CHF 13’041.60 avec intérêts à 5% l’an dès le 20 janvier 2023.

4.        Condamne la défenderesse à verser à la demanderesse une indemnité de CHF 3’162.70 à titre de dépens, TVA et débours inclus.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6. Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (Tribunal fédéral suisse, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14). Lorsque la valeur litigieuse minimale de 30’000 francs n’est pas atteinte, le recours n’est recevable que si la contestation soulève une question juridique de principe (art. 74 al. 2 let. a LTF). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de
l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoqués comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

La valeur litigieuse des conclusions pécuniaires est en l’espèce, au sens de la LTF, inférieure à CHF 30’000.-.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) par le greffe le