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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1001/2020

ATAS/1025/2023 du 15.12.2023 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1001/2020 ATAS/1025/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 décembre 2023

9ème Chambre

 

En la cause

A______
représenté par Me Maëlle KOLLY

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en 1975, a effectué un apprentissage d’employé de commerce et obtenu un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC) en 1995. Il a travaillé dans le domaine de l'informatique, en dernier lieu au service de B______ entre 2005 et 2014. Depuis le 1er octobre 2016, il est aidé par l’Hospice général. Il est célibataire, père d’une fille née en 2006 qui vit avec sa mère.

b. Le 1er novembre 2017, l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI) a enregistré une demande de prestations de l’assuré.

c. Dans le cadre de l’instruction du dossier, l’OAI a recueilli de nombreuses pièces médicales mentionnant un état dépressif, un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (ci-après : TDA-H), une poly-pharmacodépendance et une maladie alcoolique.

d. Par rapport du 20 mars 2019, la doctoresse C______, spécialiste FMH en psychiatrie et responsable du Centre G______ (ci-après : le Centre), a diagnostiqué un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F33.11), un TDA-H, un syndrome de dépendance à l'alcool, consommation continue (F10.20), et une suspicion d'un trouble schizo-affectif type dépressif (F25.1). La capacité de travail du patient était nulle dans toute activité en raison de l'instabilité de l'état clinique et de la difficulté à traiter la pathologie de base, soit le TDA-H sévère.

e. Mandaté par l’OAI, le docteur D______, spécialiste FMH en psychiatrie, a rendu un rapport d’expertise le 15 juillet 2019. Il a posé, à titre de diagnostics ayant des répercussions sur la capacité de travail, des troubles dépressifs récurrents moyens avec un syndrome somatique depuis 2014 (F33.11) et un trouble panique depuis septembre 2014, avec des attaques de panique hebdomadaires selon les périodes (F41.0). Il a également mentionné, à titre de diagnostics sans effets sur la capacité de travail, des troubles mixtes de la personnalité émotionnellement labile de type impulsif et dépendante actuellement non décompensés (F61), divers troubles de dépendances primaires (F10.26, F12.25, F14.26, F15.26) et un trouble de l'attention avec une hyperactivité légère depuis l'enfance (F90), qui n’avait pas empêché l’intéressé de finir l’école, de se former et de travailler à 100% de façon stable durant plusieurs années, malgré l’absence de traitement spécifique. L’expert a conclu à une capacité de travail de 50% sans baisse de rendement depuis le mois de septembre 2014 dans toute activité, ajoutant que cette capacité pourrait s'élever à 100% en cas d'évolution positive, après la mise en place d'un sevrage qui était exigible et un traitement antidépresseur, avec une probabilité de 50% dans une année.

f. Par avis du 16 juillet 2019, le service médical régional (ci-après : SMR) de l’OAI a indiqué suivre les conclusions de l’expertise, dont le rapport remplissait les exigences de valeur probante.

B. a. Le 26 août 2019, l’OAI a informé l’assuré qu’il envisageait de lui accorder une demi-rente sur la base d'un degré d'invalidité de 50% dès le 1er mai 2018.

b. Par rapport du 7 octobre 2019, la Dre C______ a contesté la position de l’OAI et critiqué une partie des conclusions de l'expert.

Elle a joint un rapport de bilan de l'Unité des troubles de l'humeur du Service des spécialités psychiatriques des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) pour une suspicion de trouble bipolaire en janvier et février 2019.

c. Dans un avis du 15 octobre 2019, le SMR a écarté l’appréciation de la Dre C______, aux motifs que cette dernière n’avait pas rapporté de status psychiatrique et de limitations fonctionnelles pouvant étayer la sévérité décrite, que les consommations étaient actuellement annoncées comme épisodiques, et que l’assuré souhaitait lui-même réintégrer une activité à temps partiel.

d. Par décision du 5 mars 2020, l’OAI a reconnu à l’assuré le droit à une demi‑rente, basée sur un degré d’invalidité de 50% dès le 1er mai 2018.

C. a. Par acte du 23 mars 2020, l’assuré a interjeté recours contre cette décision devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, faisant valoir des incohérences entre les rapports du médecin-conseil de l’intimé et de sa psychiatre.

b. Dans sa réponse du 30 avril 2020, l’intimé a conclu au rejet du recours, soutenant que le rapport d’expertise était probant. Il a notamment souligné que les absences de suivi psychiatrique plus fréquent que mensuel, d’hospitalisation récente, et de traitement psychotrope à des taux sanguins efficaces, plaidaient en défaveur d’une atteinte psychiatrique plus sévère que celle retenue par l’expert.

c. Le 11 septembre 2020, le recourant, représenté par une mandataire, a complété son recours et conclu, sous suite de frais et dépens, préalablement, à ce qu’une expertise judiciaire auprès d’un psychiatre spécialiste en addictologie soit ordonnée et à ce que ses médecins et lui-même soient auditionnés. Principalement, il a conclu à l’annulation de la décision attaquée en ce qu'elle limitait la rente à 50%, et à l’octroi d’une rente d’invalidité entière dès le 1er mai 2018. En substance, le recourant a contesté l'évaluation de sa capacité de travail par l'expert et soutenu que celle-ci était nulle dans toute activité.

Il a produit un rapport de la Dre C______ du 22 août 2020.

d. Par écriture du 7 octobre 2020, l’intimé a persisté dans ses conclusions, motif pris que l’argumentation du recourant consistait essentiellement à souligner une divergence d’opinion entre l’expert psychiatre et sa psychiatre traitante quant aux limitations fonctionnelles retenues et au degré de la capacité de travail exigible, ce qui n’était pas suffisant pour remettre en cause le rapport d’expertise.

Il a transmis une appréciation du SMR du 1er octobre 2020, aux termes de laquelle le dernier rapport de la psychiatre n’amenait pas d’éléments nouveaux lui permettant de modifier ses précédentes conclusions.

e. Le 26 novembre 2020, le recourant a maintenu sa position, exposant qu’il ne disposait d'aucune capacité de travail dans une activité répondant aux exigences du marché ordinaire du travail, et que seule une activité bénévole, occupationnelle et sans objectif de rendement, pouvait être assumée.

Il a joint un nouveau rapport de la Dre C______, daté du 20 novembre 2020.

f. En date du 2 décembre 2020, la chambre de céans a transmis au Dr D______ les rapports de la Dre C______ des 7 octobre 2019 et 22 août 2020, lui demandant si ces documents étaient susceptibles de modifier ses conclusions.

g. Le 4 décembre 2020, le Dr D______ a répondu que les arguments apportés dans les deux rapports communiqués n’étaient pas de nature à changer l'évaluation de la capacité de travail au moment de l'expertise car la psychiatre traitante maintenait la plupart des diagnostics qu’il avait retenus et n'apportait pas d'éléments objectivables suffisants pour modifier la discussion faite au moment de l'expertise concernant les indices jurisprudentiels de gravité. Il a également indiqué qu’il lui semblait important qu'une évaluation extérieure du quotidien puisse être faite par une infirmière à domicile, mandatée par l’intimé, afin d’apprécier l'impotence fonctionnelle dans le quotidien et clarifier si une tutelle ou curatelle était en cours de mise en place, avec une demande d'un logement thérapeutique, vu la description de la psychiatre traitante.

h. Par écriture du 20 janvier 2021, l’intimé a persisté dans ses conclusions, se référant pour l’essentiel à un nouvel avis du SMR du 18 janvier 2021, aux termes duquel sa dernière appréciation demeurait valable.

i. Le 22 février 2021, le recourant a souligné que sa psychiatre remettait à nouveau en cause l’appréciation de l’expert quant à l’impact des troubles du TDA-H et des troubles addictifs sur sa capacité de travail, ainsi que la complexité de l’interaction de ces troubles entre eux. Il n’était pas question d’une aggravation symptomatique après l’entretien d’expertise, mais sa situation de santé avait été sous-évaluée par l’expert qui n’avait manifestement pas correctement cerné l’ampleur de ses troubles et leurs interactions. Cela étant, il résultait du rapport du Dr D______ que des investigations complémentaires étaient nécessaires pour déterminer son état actuel, ce qui plaidait en faveur de ses conclusions quant à la mise en œuvre d’une expertise judiciaire.

Il s’est référé à un rapport établi le 15 février 2021 par la Dre C______, prenant position sur celui du Dr D______.

j. En date du 8 septembre 2021, l’intimé a maintenu ses conclusions, relevant notamment que les conditions jurisprudentielles pour remettre en cause les conclusions de l’expert n’étaient pas remplies, de sorte que la mise en œuvre de mesures d’investigation complémentaires était inutile.

Il a joint un rapport du SMR du 2 septembre 2021, concluant que la
Dre C______ n’avait pas amené de nouvel élément médical objectif lui permettant de modifier sa précédente appréciation du cas.

k. Par écriture du 27 septembre 2021, le recourant a persisté à solliciter une expertise judiciaire auprès d’un psychiatre spécialiste en addictologie, subsidiairement l’audition de sa psychiatre et celle contradictoire du Dr D______.

l. Par ordonnance du 4 août 2022 (ATAS/683/2022), la chambre de céans a confié une expertise psychiatrique aux docteurs E______, médecin adjoint agrégé aux HUG, unité des troubles de la régulation émotionnelle, et F______, chef de clinique aux HUG, unité de psychopharmacologie clinique.

m. Le Dr F______ a rendu son rapport d’expertise psychiatrique le 8 septembre 2023. Il a retenu les diagnostics, avec répercussion sur la capacité de travail, de trouble hyperkinétique, avec perturbation de l’activité et de l’attention (F90.0), trouble bipolaire de type II, épisode actuel de dépression moyenne sans symptômes psychotiques, avec caractéristiques anxieuses (F31.8), troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool, syndrome de dépendance, utilisation continue (F10.25) et trouble mixte de la personnalité (F61). Il a considéré que la capacité de travail de l’assuré était nulle tant dans son activité habituelle que dans une activité adaptée depuis septembre 2014.

n. Par courrier du 24 octobre 2023, l’assuré a considéré que l’expertise avait une pleine valeur probante et a persisté dans ses conclusions.

o. Le 21 novembre 2023, l’OAI, se fondant sur l’avis du SMR du même jour selon lequel l’expertise judiciaire était convaincante, a modifié sa décision dans le sens où l’assuré devait se voir reconnaitre le droit à une rente entière d’invalidité dès le mois de mai 2018, conformément à l’art. 29 LAI.

p. Le 1er décembre 2023, l’assuré a conclu à l’admission complète du recours et à l’allocation de dépens.

q. Cette écriture a été transmise à l’OAI.


 

EN DROIT

1.             La recevabilité du recours a déjà été traité dans l’ordonnance d’expertise du 4 août 2022.

2.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du
19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ;
ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au
1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

3.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité entière, singulièrement sur son degré d’invalidité.

3.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et 28 al. 2 LAI).

3.2 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1
et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

3.3 Selon la jurisprudence, en cas de troubles psychiques, la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée, en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs incapacitants et, d'autre part, des potentiels de compensation (ressources)
(ATF 141 V 281 consid. 3.6 et 4). L'accent doit ainsi être mis sur les ressources qui peuvent compenser le poids de la douleur et favoriser la capacité d'exécuter une tâche ou une action (arrêt du Tribunal fédéral 9C_111/2016 du 19 juillet 2016 consid. 7 et la référence).

Il y a lieu de se fonder sur une grille d’analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (ATF 141 V 281 consid. 4).

Ces indicateurs sont classés comme suit :

I. Catégorie « degré de gravité fonctionnelle »

Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l’instrument de base de l’analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).

A. Axe « atteinte à la santé »

1. Caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour le diagnostic

Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1).

L'influence d'une atteinte à la santé sur la capacité de travail est davantage déterminante que sa qualification en matière d'assurance-invalidité
(ATF 142 V 106 consid. 4.4). Diagnostiquer une atteinte à la santé, soit identifier une maladie d'après ses symptômes, équivaut à l'appréciation d'une situation médicale déterminée qui, selon les médecins consultés, peut aboutir à des résultats différents en raison précisément de la marge d'appréciation inhérente à la science médicale (ATF 145 V 361 consid. 4.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_212/2020 du 4 septembre 2020 consid. 4.2 et 9C_762/2019 du 16 juin 2020 consid. 5.2).

2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers

Le déroulement et l'issue d'un traitement médical sont en règle générale aussi d'importants indicateurs concernant le degré de gravité du trouble psychique évalué. Il en va de même du déroulement et de l'issue d'une mesure de réadaptation professionnelle. Ainsi, l'échec définitif d'une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l'art de même que l'échec d'une mesure de réadaptation - malgré une coopération optimale de l'assuré - sont en principe considérés comme des indices sérieux d'une atteinte invalidante à la santé. À l'inverse, le défaut de coopération optimale conduit plutôt à nier le caractère invalidant du trouble en question. Le résultat de l'appréciation dépend toutefois de l'ensemble des circonstances individuelles du cas d'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2.1.3 et la référence).

3. Comorbidités

La présence de comorbidités ou troubles concomitants est un indicateur à prendre en considération en relation avec le degré de gravité fonctionnel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_650/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.3 et la référence). On ne saurait toutefois inférer la réalisation concrète de l'indicateur « comorbidité » et, partant, un indice suggérant la gravité et le caractère invalidant de l'atteinte à la santé, de la seule existence de maladies psychiatriques et somatiques concomitantes. Encore faut-il examiner si l'interaction de ces troubles ayant valeur de maladie prive l'assuré de certaines ressources (arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du
17 avril 2019 consid. 5.2.3 et le référence). Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Une atteinte qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidante en tant que telle (cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2, in : RSAS 2011 IV n° 17,
p. 44) n’est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du
6 juin 2011 consid. 3.4.2.1, in : RSAS 2012 IV n° 1, p. 1) mais doit à la rigueur être prise en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité
(ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d’affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l’approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)

Le « complexe personnalité » englobe, à côté des formes classiques du diagnostic de la personnalité qui vise à saisir la structure et les troubles de la personnalité, le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du moi » qui désignent des capacités inhérentes à la personnalité, permettant des déductions sur la gravité de l’atteinte à la santé et de la capacité de travail (par exemple : auto-perception et perception d’autrui, contrôle de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation ; cf. ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Étant donné que l’évaluation de la personnalité est davantage dépendante de la perception du médecin examinateur que l’analyse d’autres indicateurs, les exigences de motivation sont plus élevées (ATF 141 V 281
consid. 4.3.2).

Le Tribunal fédéral a estimé qu’un assuré présentait des ressources personnelles et adaptatives suffisantes, au vu notamment de la description positive qu’il avait donnée de sa personnalité, sans diminution de l'estime ou de la confiance en soi et sans peur de l'avenir (arrêt du Tribunal fédéral 8C_584/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2).

C. Axe « contexte social »

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.3).

Lors de l'examen des ressources que peut procurer le contexte social et familial pour surmonter l'atteinte à la santé ou ses effets, il y a lieu de tenir compte notamment de l'existence d'une structure quotidienne et d'un cercle de proches […]. Le contexte familial est susceptible de fournir des ressources à la personne assurée pour surmonter son atteinte à la santé ou les effets de cette dernière sur sa capacité de travail, nonobstant le fait que son attitude peut rendre plus difficile les relations interfamiliales (arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2019 du 30 septembre 2020 consid. 6.2.5.3). Toutefois, des ressources préservées ne sauraient être inférées de relations maintenues avec certains membres de la famille dont la personne assurée est dépendante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2020 du
22 octobre 2020 consid. 5.2).

II. Catégorie « cohérence »

Il convient ensuite d’examiner si les conséquences qui sont tirées de l’analyse des indicateurs de la catégorie « degré de gravité fonctionnel » résistent à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence ». Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l’assuré (ATF 141 V 281 consid. 4.4). À ce titre, il convient notamment d’examiner si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans la vie professionnelle et dans la vie privée, de comparer les niveaux d’activité sociale avant et après l’atteinte à la santé ou d’analyser la mesure dans laquelle les traitements et les mesures de réadaptation sont mis à profit ou négligés. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d’autres raisons qu’une atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020
consid. 8.3).

A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie

Il s’agit ici de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu’ici doit désormais être interprété de telle sorte qu’il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé (ATF 141 V 281 consid. 4.4.1).

B. Poids de la souffrance révélé par l’anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation

L'interruption de toute thérapie médicalement indiquée sur le plan psychique et le refus de participer à des mesures de réadaptation d'ordre professionnel sont des indices importants que l’assuré ne présente pas une évolution consolidée de la douleur et que les limitations invoquées sont dues à d'autres motifs qu'à son atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_569/2017 du 18 juillet 2018 consid. 5.5.2).

La prise en compte d’options thérapeutiques, autrement dit la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, permet d’évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons qu’à l'atteinte à la santé assurée (ATF 141 V 281 consid. 4.4.2).

3.4 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du
6 août 2020 consid. 4 et la référence).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3).

4.             En l’espèce, par ordonnance du 4 août 2022, la chambre de céans a confié une expertise psychiatrique au Dr F______. Cette mesure d’instruction était motivée par le fait que l’expertise du Dr D______ ne pouvait se voir attribuer une pleine valeur probante. Quant aux rapports de la Dre C______, il y avait lieu de tenir compte de la relation de confiance qui l’unissait à son patient. Il n’était dès lors pas possible de retenir des diagnostics clairs, au degré de la vraisemblance prépondérante requis, ni de se déterminer sur la capacité de travail du recourant à l'aune des indicateurs développés par la jurisprudence en matière de troubles psychiques.

Dans son rapport du 8 septembre 2023, l’expert judiciaire a retenu les diagnostics, avec répercussion sur la capacité de travail, de trouble hyperkinétique, avec perturbation de l’activité et de l’attention (F90.0), trouble bipolaire de type II, épisode actuel de dépression moyenne sans symptômes psychotiques, avec caractéristiques anxieuses (F31.8), troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool, syndrome de dépendance, utilisation continue (F10.25) et trouble mixte de la personnalité (F61). Il a considéré que la capacité de travail du recourant était nulle tant dans son activité habituelle que dans une activité adaptée depuis septembre 2014.

Les parties reconnaissent une pleine valeur probante à l’expertise judiciaire. Celle-ci a été rendue sur la base du dossier médical complet et des plaintes de l’assuré. L’expert a rencontré l’assuré à deux reprises, pris contact avec les différents intervenants et effectué une anamnèse détaillée. Il a procédé à plusieurs examens cliniques et sollicité un examen neuropsychologique. Il a analysé les indicateurs de gravité, décrit les limitations fonctionnelles de l’assuré et apporté des conclusions précises et bien motivées. S’agissant de la capacité de travail du recourant, l’expert a expliqué qu’elle était une conséquence au moins pour partie de l’interaction des différents diagnostics. Si l’épisode de dépression bipolaire qui avait débuté fin 2014 s’était traduit par une incapacité de travail résultant de la symptomatologie dépressive et de l’intolérance au stress, il avait révélé aussi des limitations fonctionnelles en lien avec d’autres troubles, qui étaient déjà présents auparavant. Il retenait ainsi globalement une incapacité de travail entière même si aucun trouble, individuellement, n’engendrait une incapacité de travail totale. L’expert a également expliqué les raisons pour lesquelles il s’écartait, en partie, de l’appréciation du Dr D_______, relevant en particulier que la surévaluation de ce médecin de la capacité de travail de l’assuré résultait d’une description exagérément optimiste de sa journée type. Il a également décrit les points de convergence et de divergence avec l’appréciation de la Dre C______. Il convient ainsi de suivre les conclusions de l’expertise et de retenir que le recourant présente une incapacité de travail totale tant dans son activité habituelle que dans une activité adaptée, ce qui ouvre le droit à une rente entière d’invalidité.

En ce qui concerne le début de l’incapacité de travail, l’expert judiciaire a fait état d’une incapacité totale de travail dans toute activité depuis septembre 2014. Compte tenu de la demande de prestations du 1er novembre 2017 (art. 29 al. 1 LAI) et de l’art. 28 al. 1 let. b LAI, le droit à la rente naît le 1er mai 2018 (art. 29 al. 3 LAI).

5.             Le recours doit ainsi être admis, la décision entreprise annulée et il sera dit que le recourant a droit, dès le 1er mai 2018, à une rente entière d’invalidité.

Le recourant ayant obtenu gain de cause par l’intermédiaire d’une représentante, une indemnité de CHF 4'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

Les frais de l’expertise judiciaire seront laissés à la charge de l’État, l’intimé n’ayant pas procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 5 mars 2020.

4.        Dit que le recourant a droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er mai 2018.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 4’000.- à titre de dépens, à la charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le