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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3176/2021

ATAS/928/2023 du 28.11.2023 ( LPP ) , PARTAGE LPP

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3176/2021 ATAS/928/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 28 novembre 2023

Chambre 2

 

En la cause

A______

B______

 

demandeurs

 

contre

CAISSE DE PENSIONS FIRMENICH SA

CIEPP – CAISSE INTER-ENTREPRISES DE PRÉVOYANCE PROFESSIONNELLE

défenderesses


EN FAIT

1.        Madame B______, (ci-après : la demanderesse), née C______ le ______ 1966, et Monsieur A______ (ci-après : le demandeur), né le ______ 1953, se sont mariés en date du 8 juillet 1994 à Genève.

2.        Une demande de divorce a été déposée le 23 septembre 2019, auprès du Tribunal de première instance (ci-après : TPI).

3.        Par jugement du 24 juin 2021, la 3ème chambre du TPI a prononcé le divorce des époux A______ et B______.

À teneur des parties en fait et en droit de ce jugement, l’époux était « rentier LPP » de par sa retraite commencée à l’âge de 65 ans, et recevait une rente AVS de CHF 1'916.- par mois et une rente selon la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité, du 25 juin 1982 (LPP - RS 831.40) de CHF 998.- mensuellement, soit des revenus totaux de quelque CHF 2'915.- par mois, complétés par des prestations complémentaires cantonales et/ou fédérales variables. L’épouse était également « rentière LPP », pour CHF 2'790.- par mois actuellement, à la suite d’une invalidité de 100% reconnue par l’assurance-invalidité (AI) qui lui versait une rente d’invalidité depuis le 1er juin 2016, actuellement de CHF 1'615.- mensuellement, soit des revenus mensuels d’au total CHF 4'405.-.

D’après le TPI, compte tenu de ces rentes ainsi que d’un déficit de CHF 200.- concernant le demandeur et d’un « disponible » de CHF 815.- concernant la demanderesse « dans leurs budgets mensuels respectifs incompressibles », il n’existait aucun juste motif – l’épouse n’en invoquait d’ailleurs aucun –, en particulier tiré de la liquidation du régime matrimonial, de la situation économique des époux après le divorce ou des besoins de prévoyance de chaque époux compte tenu de leur différence d’âge (cf. art. 124b al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 [CC - RS 210]), qui ferait apparaître inéquitable le partage par moitié de leur prévoyance et justifierait d’y déroger (art. 124a al. 1 et 124b al. 2 CC). La demanderesse avait disposé au 31 mars 2017 d’une prestation de sortie LPP de CHF 147'862.20 avant sa conversion ultérieure, à une date ignorée, en une rente d’invalidité LPP de CHF 2'790.- par mois, mais le montant à la date du dépôt de la demande de divorce de sa prestation de sortie hypothétique, visée par l’art. 2 al. 1ter de la loi fédérale sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 17 décembre 1993 (loi sur le libre passage, LFLP - RS 831.42), était ignoré ; la cause serait donc transmise à ce sujet à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans), à charge pour elle d’élucider la prestation de sortie hypothétique de l’épouse à la date du 23 septembre 2019 et d’ordonner à l’institution de prévoyance concernée d’en verser la moitié du montant au demandeur, lequel pouvait le percevoir en espèces dès lors qu’il était déjà retraité. Devant pareillement être partagée par moitié, la part de rente LPP accumulée par le mari durant le mariage devait être convertie en rente viagère au bénéfice de l’épouse ; sur la base de cette conversion déterminée au moyen du calculateur en ligne de l’Office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS), il serait ordonné à l’institution de prévoyance du demandeur, moyennant prélèvement mensuel de CHF 382.- sur sa rente actuelle, de verser chaque mois CHF 246.- à l’institution de prévoyance de la demanderesse, du vivant de celle-ci.

Ainsi, selon le chiffre 3 du dispositif du jugement précité, le TPI a ordonné le partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle acquis par chacun des époux durant le mariage jusqu’au 23 septembre 2019 – date du dépôt de la demande en divorce –, et, à cette fin, il a, d’une part, ordonné à la CIEPP - Caisse inter-entreprises de prévoyance professionnelle (ci-après : CIEPP) de transférer chaque mois, depuis le compte de prévoyance du demandeur, CHF 246.- sur le compte de prévoyance de la demanderesse, auprès de la Caisse de pensions Firmenich SA (ci-après : la défenderesse), du vivant de l'assurée bénéficiaire. Il a, d’autre part, transféré la cause à la chambre des assurances sociales, à charge pour elle d’établir le montant au 23 septembre 2019 de la prestation de sortie LPP hypothétique de la demanderesse, au sens des art. 124 al. 1 CC et 2 al. 1ter LFLP, auprès de la défenderesse, et d’ordonner à celle-ci d’en verser la moitié en mains du demandeur.

4.        La chambre de céans a sollicité des parties le nom de leurs institutions de prévoyance, puis a reçu des courriers et documents de diverses caisses de pensions et a en particulier, le 24 novembre 2022, interpellé l'institution défenderesse en la priant de lui communiquer le montant des avoirs accumulés au moment du mariage (le 8 juillet 1994), augmenté des intérêts jusqu’à la date à laquelle la demande en divorce avait été introduite (23 septembre 2019), de même que le montant de la prestation de sortie LPP hypothétique de la demanderesse au sens des art. 124 al. 1 CC et 2 al. 1ter LFLP.

5.        Selon le courrier de la défenderesse du 6 décembre 2022 (signé par son gérant), qui contenait un bref historique, la demanderesse s’y était affiliée le 1er juillet 2003 et tant le montant accumulé pendant la période de mariage que la prestation de sortie LPP hypothétique de l’ex-épouse s'élevaient à CHF 183'703.40, au 23 septembre 2019.

6.        Le 10 avril 2023, le demandeur a fait part à la chambre de céans d’une lettre que la CIEPP lui avait adressée le 30 mars 2023. Dans ce courrier, celle-ci, d’une part, l’avait informé qu’en l’absence à ce jour d’une révision concernant le partage de sa prévoyance, sa rente mensuelle de vieillesse de la prévoyance professionnelle avait été réduite de CHF 324.-, de sorte qu’elle lui verserait désormais une rente mensuelle de vieillesse de CHF 674.-, et, d’autre part, lui avait demandé de l’informer de l’évolution de la présente procédure afin qu’elle puisse procéder à la régularisation rétroactive des prestations de l’intéressé. Le 4 avril 2023, le demandeur avait demandé à la CIEPP de surseoir à sa décision de réduire sa rente en attendant l’issue de la présente procédure.

7.        Les documents précités ont été transmis pour information aux demandeurs le 11 mai 2023, étant précisé que tous les autres courriers, notamment ceux mentionnés ci-après, ont également été communiqués en copie aux demandeurs.

En outre, la chambre des assurances sociales a répondu au courrier du 10 avril 2023 précité du demandeur qu’elle n’était pas compétente pour répondre à sa demande tendant à une aide et des conseils éventuels quant à l’attitude à adopter vis-à-vis de la CIEPP, ce au vu du dispositif du jugement du 24 juin 2021 du TPI qui seul pourrait être compétent pour répondre à ses questions.

8.        Par pli du 24 mai 2023, la défenderesse a donné des indications en réponse à des questions que la chambre de céans lui avait posées le 11 mai précédent.

9.        Par écrit du 27 juin 2023 en réponse à de nouvelles questions posées le 1er juin précédent par la chambre de céans, la défenderesse a indiqué ce qui suit. La prestation de sortie hypothétique avait été calculée sur la base de son règlement ; il s’agissait de la prestation de libre passage au 23 septembre 2019 « qui aurait été effective en cas de sortie sans droit à des prestations d’invalidité », « soit les cotisations épargnes employée et employeur additionnées aux éventuels intérêts annuels décidés par le Conseil de Fondation, soit un total de CHF 183'703.40 ». « De la même manière, en considérant un intérêt annuel de 0% dès 2023, le Capital retraite au [28 février 2031], soit aux 65 ans de [la demanderesse], s’élèverait à CHF 363'342.70. En y appliquant le taux de conversion de 6.03%, la rente de retraite annuelle de [la demanderesse] s’élèverait à CHF 21'909.55 ». Ces données découlaient des informations actuellement en possession de la défenderesse et avec l’hypothèse que toutes les prestations de libre passage étaient regroupées au sein de celle-ci. En cas de partage de la prestation de libre passage, la défenderesse continuerait à verser à la demanderesse une rente d’invalidité identique à celle qu’elle recevait actuellement (« rente calculée sur la base du salaire assuré risques ») et jusqu’à l’âge de la retraite ; à cette date-ci, sa prestation de retraite serait calculée sur la base de l’état de son compte de prévoyance, lequel aurait été diminué du montant de l’éventuel transfert suite au partage de sa prestation de libre passage, partage qui était en outre réalisable.

10.    Le 17 juillet 2023, la défenderesse a produit son règlement en vigueur dès le 1er janvier 2023, de même qu’un « relevé du compte d’épargne au 31.12.2022 » montrant un « état de compte » au 1er janvier 2022 de CHF 232'128.90 et au 31 décembre 2022 de CHF 248'511.20 vu l’addition des « bonifications » par CHF 14'061.- et des « intérêts (1.00%) » par CHF 2'321.30 (en réponse à la demande de la chambre des assurances sociales de remettre un extrait de compte d’avoir de prévoyance concernant la demanderesse s’il en existait un).

11.    Le 10 octobre 2023, la défenderesse a transmis à la chambre de céans son règlement en vigueur dès le 1er janvier 2018 et également à la date du 23 septembre 2019.

12.    Le 19 octobre 2023, la chambre de céans a fait part aux demandeurs de ce qu’au vu des pièces au dossier, la prestation de sortie LPP hypothétique de la demanderesse paraissait s’élever à CHF 183'703.40 (au jour du dépôt de la demande en divorce, le 23 septembre 2019), et que sans éventuelle objection de leur part d’ici au 13 novembre 2023, un arrêt serait rendu sur cette base et la moitié de ce montant serait transférée à la CIEPP en faveur du demandeur.

13.    Par courrier du 31 octobre 2023, le demandeur a rappelé qu’à la suite du jugement du TPI précité, sa rente mensuelle de vieillesse LPP avait été réduite de CHF 324.-, depuis avril 2023, et il a produit la lettre de la CIEPP du 27 avril 2023 qui répondait à la sienne du 4 avril précédent et confirmait que, pour aboutir à une rente viagère mensuelle de CHF 246.- en faveur de son ex-épouse, elle convertissait la propre part de rente du demandeur en application des dispositions légales applicables et, au moyen de l’outil de conversion fourni par l’OFAS, aboutissait à une part de rente mensuelle de CHF 324.- à déduire de sa rente de vieillesse. Sur cette base, le demandeur, « partant du principe que le partage [serait] effectué par les soins de la chambre des assurances sociales », a demandé à celle-ci de mettre fin avec effet rétroactif aux versements de CHF 264.- à son ex-épouse.

14.    Par pli reçu le 1er novembre 2023, la demanderesse s’est « [opposée] à ce que la moitié de [sa] LPP en CHF 183'703.40 soit transférée à [son] ex-mari », considérant qu’un partage par moitié n’était pas possible, et a « [conclu] au non-partage de [ses] avoirs LPP et/ou au versement d’une quelconque indemnité équitable en faveur de [son] ex-mari (art. 124 CC) ».

15.    Le 2 novembre 2022, la chambre de céans a transmis, pour information, ces deux écritures et annexes à chacun des demandeurs.

 

 

EN DROIT

1.        Au 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification des art. 122 ss CC concernant le partage des prestations de sortie des ex-époux, ainsi que des art. 280 ss du Code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) et 22 ss LFLP.

Le jugement de divorce ayant été rendu après l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, des nouvelles dispositions relatives au partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce, la chambre de céans applique les dispositions légales dans leur nouvelle teneur (art. 7d Tit. fin. CC).

2.        L'art. 25a LFLP règle la procédure en cas de divorce. Si une décision concernant le partage de la prévoyance professionnelle en application de l’art. 280 ou 281 CPC s’avère impossible à prendre durant la procédure de divorce, le juge du lieu du divorce compétent au sens de l'art. 73 al. 1 LPP, soit à Genève la chambre des assurances sociales, exécute d’office, après que l’affaire lui a été transmise (art. 281 al. 3 CPC), le partage sur la base de la clé de répartition déterminée par le juge du divorce.

En vertu de l'art. 22 LFLP (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017), en cas de divorce, les prestations de sortie et les parts de rente sont partagées conformément aux art. 122 à 124e du CC et 280 et 281 du CPC; les art. 3 à 5 LFLP s'appliquent par analogie au montant à transférer. À teneur de l’art. 22a al. 1 LFLP, pour chaque conjoint, la prestation de sortie à partager correspond à la différence entre la prestation de sortie, augmentée des avoirs de libre passage existant éventuellement au jour de l'introduction de la procédure de divorce, et la prestation de sortie augmentée des avoirs de libre passage existant éventuellement au moment de la conclusion du mariage. Pour ce calcul, on ajoute à la prestation de sortie et à l'avoir de libre passage existant au moment de la conclusion du mariage les intérêts dus au jour de l'introduction de la procédure de divorce. Les paiements en espèces et les versements en capital effectués durant le mariage ne sont pas pris en compte.

Dans le cadre du renvoi de l’affaire en matière de partage de la prévoyance professionnelle qui lui a été adressé par le juge du divorce, la chambre des assurances sociales est liée par la clé de répartition définie par celui-ci, conformément aux art. 281 al. 3 CPC et 25a LFLP (cf. ATF 133 V 147 consid. 5.3.4 ; ATF 132 V 337 ; Denis TAPPY, in Commentaire romand, CPC, 2019, n. 9 ad art. 281 CPC ; Thomas GEISER/Christoph SENTI, in Commentaire LPP et LFLP, 2020, n. 9 ad art. 25a LFLP).

3.        Par ailleurs, selon les art. 8a de l'ordonnance fédérale sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 3 octobre 1994 (ordonnance sur le libre passage, OLP - RS 831.425) et 12 de l'ordonnance fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité, du 18 avril 1984 (OPP 2 - RS 831.441.1), le taux d'intérêt applicable aux prestations de sortie et de libre passage acquises au moment de la conclusion du mariage et aux versements uniques effectués jusqu’au moment du divorce est de 4% jusqu'au 31 décembre 2002, 3.25% en 2003, 2.25% en 2004, 2.5% de 2005 à 2007, 2.75% en 2008, 2% de 2009 à 2011, 1.5% de 2012 à 2013, 1.75% de 2014 à 2015, 1.25% en 2016 et 1% dès le 1er janvier 2017.

Si le règlement de l'institution de prévoyance prévoit un taux d'intérêt supérieur pour l'avoir de vieillesse, ce taux est alors applicable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_149/2017 du 10 octobre 2017 consid. 5.1).

4.        Conformément à l’art. 124 CC – dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2017 (RO 2016 2313 ; FF 2013 4341) –, si, au moment de l’introduction de la procédure de divorce, l’un des époux perçoit une rente d’invalidité et qu’il n’a pas encore atteint l’âge réglementaire de la retraite, le montant auquel il aurait droit en vertu de l’art. 2 al. 1ter LFLP en cas de suppression de sa rente est considéré comme prestation de sortie (al. 1). Les dispositions relatives au partage des prestations de sortie s’appliquent par analogie (al. 2). Le Conseil fédéral détermine quels sont les cas dans lesquels le montant visé à l’al. 1 ne peut pas être utilisé pour le partage parce que la rente d’invalidité est réduite pour cause de surindemnisation (al. 3).

Aux termes de l’art. 2 LFLP, de même, l’assuré dont la rente de l’assurance-invalidité est réduite ou supprimée en raison de l’abaissement de son taux d’invalidité a droit à une prestation de sortie au terme du maintien provisoire de l’assurance et du droit aux prestations prévu à l’art. 26a al. 1 et 2 LPP (al. 1ter). L’institution de prévoyance fixe le montant de la prestation de sortie dans son règlement ; cette prestation de sortie doit être au moins égale à la prestation de sortie calculée selon les dispositions de la section 4 (al. 2).

À teneur des travaux préparatoires, concernant l’art. 124 CC – tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2017 –, jusqu’au moment où l’assuré atteint l’âge de la retraite, il est possible que son droit à la rente d’invalidité s’éteigne en cas de disparition de l’invalidité (cf. art. 26 al. 3 LPP) et soit converti en un droit à une prestation de sortie. S’il perçoit une rente d’invalidité avant l’âge de la retraite, le partage peut donc s’effectuer dans une large mesure de façon analogue à la règle applicable avant la survenance d’un cas de prévoyance : il y a lieu de se baser, en vertu de l’al. 1 – de l’art. 124 CC –, sur la prestation de sortie hypothétique à laquelle l’assuré pourrait prétendre en cas d’extinction de son droit à la rente d’invalidité qui courait au moment où la procédure de divorce a été introduite. Parmi les dispositions légales en vigueur, seul l’art. 2 al. 1ter LFLP mentionne expressément une telle prestation de sortie, qui prend naissance après la disparition du droit à une rente d’invalidité et englobe la part surobligatoire de la prévoyance. C’est la raison pour laquelle l’al. 1 de l’art. 124 CC renvoie à cet article de la loi sur le libre passage. Si, au moment de son mariage, l’assuré avait déjà droit à une rente d’invalidité avant l’âge réglementaire de la retraite, il y aura aussi lieu de se baser sur la prestation de sortie hypothétique au moment du mariage (Message du Conseil fédéral du 29 mai 2013 concernant la révision du code civil suisse [Partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce], FF 2013 4341 ss, spéc. 4360 s.).

En d’autres termes, concernant toujours la situation visée par l’art. 124 al. 1 CC, jusqu’au moment où l’époux (au bénéfice d’une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle) atteint l’âge réglementaire de la retraite, l’invalidité peut disparaître et, à sa suite, le droit à la rente d’invalidité s’éteindre. Le droit à une prestation de sortie renaît alors. La personne invalide a ainsi une prestation de sortie (dans l’ombre) qui se calcule et se divise comme pour une personne active. Pour le partage de la prévoyance, l’on se fonde sur la prestation de sortie hypothétique à laquelle l’époux pourrait prétendre, au moment de l’introduction de la procédure de divorce, en cas d’extinction du droit à la rente d’invalidité (Thomas GEISER/Christoph SENTI, op. cit., n. 36 des remarques préliminaires aux art. 22 ss LFLP ; cf. aussi ATAS/120/2021 du 17 février 2021 consid. 5 ; Pascal PICHONNAZ, in Commentaire romand, CC I, 2023, n. 23 à 27 ad art. 124 CC).

Selon l’al. 2 de l’art. 124 CC, une fois déterminée la prestation de sortie hypothétique, le partage de la prévoyance s’effectuera de manière analogue à ce qui est prévu à l’art. 123 CC, étant en outre précisé que le juge pourra, pour de justes motifs, ordonner l’attribution de moins de la moitié de la prestation de sortie hypothétique en application de l’art. 124b al. 2 CC (Message du Conseil fédéral précité, FF 2013 4341 ss, spéc. 4361).

Les conséquences du partage de la prévoyance sur les rentes d’invalidité en cours dépendent de la manière dont la prévoyance est concrètement aménagée dans le règlement de l’institution de prévoyance. Le partage de la prévoyance peut conduire à une réduction de la rente en cours. Il est également possible que la rente reste inchangée, mais soit remplacée par une rente de vieillesse nettement inférieure au moment où l’assuré atteint l’âge de la retraite (Thomas GEISER/Christoph SENTI, op. cit., n. 37 des remarques préliminaires aux art. 22 ss LFLP).

5.        En l’espèce, dans le cadre du chiffre 3 du dispositif du jugement du TPI précité, tant l’ordre donné à la CIEPP de transférer chaque mois, depuis le compte de prévoyance du demandeur, une rente viagère de CHF 246.- sur le compte de prévoyance de la demanderesse (du vivant de cette dernière), auprès de la défenderesse, que le transfert de la cause à la chambre des assurances sociales, à charge pour elle d’établir le montant au 23 septembre 2019 de la prestation de sortie LPP hypothétique de la demanderesse, au sens des art. 124 al. 1 CC et 2 al. 1ter LFLP, auprès de la défenderesse, et d’ordonner à celle-ci d’en verser la moitié en mains du demandeur, sont les composantes et conséquences du partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle acquis par chacun des époux durant le mariage jusqu’au 23 septembre 2019, date du dépôt de la demande en divorce.

6.        Dans sa dernière écriture, le demandeur demande à la chambre de céans de mettre fin avec effet rétroactif aux versements de la rente viagère de CHF 264.- effectués par la CIEPP en faveur de la demanderesse.

Ce faisant, il perd de vue que le TPI n’a pas transféré la cause à la chambre des assurances sociales concernant la détermination de cette rente viagère. La chambre de céans n’a donc aucune compétence pour se prononcer au sujet de ladite rente viagère. Il est à cet égard relevé que le TPI a octroyé et calculé cette prestation en application des art. 124a CC et 19h de l’OLP, dans le cadre de ses propres compétences (cf. notamment, à ce sujet, Pascal PICHONNAZ, op. cit., n. 1 ss ad art. 124a CC).

Cette demande – ou conclusion – de mettre fin au versement de la rente viagère à l’ex-épouse est, partant, irrecevable.

Il est au demeurant relevé que la déduction mensuelle de CHF 324.- effectuée par la CIEPP sur la rente de vieillesse LPP du demandeur, pour ladite rente viagère, est inférieure au montant de CHF 382.- prévu au titre de prélèvement mensuel par le TPI, et ne prétérite ainsi en aucun cas l’intéressé par rapport à ce qui a été envisagé par le jugement de divorce.

7.        Dans son dernier écrit, la demanderesse « [s’oppose] à ce que la moitié de [sa] LPP en CHF 183'703.40 soit transférée à [son] ex-mari », considérant qu’un partage par moitié ne serait pas possible, et « [conclut] au non-partage de [ses] avoirs LPP et/ou au versement d’une quelconque indemnité équitable en faveur de [son] ex-mari (art. 124 CC) ». Selon elle, un partage par moitié ne serait pas possible, aux motifs qu’un cas de prévoyance existait au moment du dépôt de la demande de divorce (puisque le demandeur était alors déjà à la retraite et au bénéfice d’une rente de vieillesse LPP depuis 2018), qu’elle était elle-même au bénéfice de l’AI depuis 2016 et que les montants accumulés lui semblaient similaires étant donné qu’elle avait acquis CHF 183'703.40 et son ex-mari avait accumulé CHF 176'107.50.

Ces conclusions de la demanderesse sont irrecevables, dans la mesure où elles remettent en cause la clé de répartition définie par le juge du divorce (le TPI) – partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle acquis par chacun des époux durant le mariage jusqu’au 23 septembre 2019 –, alors que la chambre de céans n’est pas compétente pour la contrôler.

Du reste, les motifs invoqués par l’intéressée portent en tout état de cause sur des circonstances existant au moment de l’introduction de la procédure de divorce (art. 124 al. 1 CC concernant elle-même et art. 124a al. 1 CC concernant le demandeur à la retraite depuis l’âge de 65 ans, donc à partir de 2018) et connues par le TPI, ce qui paraît exclure une révision du jugement de divorce sur ce point (cf. art. 328 al. 1 let. a CPC a contrario ; Pascal PICHONNAZ, op. cit., n. 8 ad art. 124a CC).

8.        Dans le cadre du partage par moitié de la prestation de sortie LPP hypothétique telle qu’acquise durant le mariage par la demanderesse, les dates pertinentes sont, d’une part, celle du mariage, le 8 juillet 1994, d’autre part le 23 septembre 2019, date à laquelle la demande en divorce a été déposée.

Selon les documents produits, la prestation de sortie hypothétique telle qu’acquise pendant le mariage par la demanderesse est de CHF 183'703.40, y compris les intérêts calculés par l'institution de prévoyance défenderesse.

Par son gérant, la défenderesse a, notamment le 27 juin 2023, confirmé que cette prestation de sortie hypothétique correspond à la prestation de sortie à laquelle l'ex-épouse concernée (la demanderesse) aurait droit en cas de suppression de sa rente d’invalidité LPP (cf. art. 124 al. 1 CC et 2 al. 1ter LFLP ; ATAS/120/2021 précité consid. 5 ; Thomas GEISER/Christoph SENTI, op. cit., n. 36 des remarques préliminaires aux art. 22 ss LFLP), calculée sur la base de son règlement (cf. art. 2 al. 2 LFLP). Il n’y a au surplus ici pas d’éventuelle réduction de la rente d’invalidité de la demanderesse pour cause de surindemnisation au sens de l’art. 124 al. 3 CC (à ce sujet, cf. notamment Pascal PICHONNAZ, op. cit., n. 43 s. ad art. 124 CC).

Ainsi, la demanderesse doit au demandeur le montant de CHF 91'851.70 (CHF  183'703.40 : 2).

Ce partage et le transfert de ladite somme de CHF 91'851.70 au demandeur sont réalisables, comme confirmé par la défenderesse, et sans qu’apparaissent d’éventuels obstacles au plan légal.

9.        Conformément à la jurisprudence, depuis le jour déterminant pour le partage jusqu'au moment du transfert de la prestation de sortie ou de la demeure, le conjoint divorcé bénéficiaire de cette prestation a droit à des intérêts compensatoires sur le montant de celle-ci. Ces intérêts sont calculés au taux minimum légal selon l'art. 12 OPP 2 ou selon le taux réglementaire, si celui-ci est supérieur (ATF 129 V 255 consid. 3).

10.    Aucun émolument ne sera perçu, la procédure étant gratuite (art. 73 al. 2 LPP et 89H al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10).

 

***

 


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

1.             Déclare irrecevables la conclusion de Monsieur A______ tendant à la suppression de la rente viagère transférée de son compte de prévoyance sur celui de la demanderesse, de même que les conclusions de Madame B______ s’opposant au principe du partage par moitié de sa prestation de sortie LPP hypothétique.

2.             Invite la Caisse de pensions Firmenich SA à transférer, du compte de Madame B______, AVS n° 1______, la somme de CHF 91'851.70 à la CIEPP – Caisse inter-entreprises de prévoyance professionnelle en faveur de Monsieur A______, AVS n° 2______, ainsi que des intérêts compensatoires au sens des considérants, dès le 23 septembre 2019 jusqu'au moment du transfert.

3.             L’y condamne en tant que de besoin.

4.             Dit que la procédure est gratuite.

5.             Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Diana ZIERI

 

Le président

 

 

 

Blaise PAGAN

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le