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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/860/2023

ATAS/868/2023 du 10.11.2023 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/860/2023 ATAS/868/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 10 novembre 2023

Chambre 9

 

En la cause

A______
représentée par PROCAP Suisse, service juridique

 

 

 

recourante

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée), née le ______ 1978 et d'origine italienne, est arrivée en Suisse à l'âge de 14 ans. Elle est mariée et mère de quatre enfants, nés, respectivement, le ______ 1999, le ______ 2002, le ______ 2007 et le ______ 2017. Son mari est bénéficiaire d'une rente d'invalidité.

b. L'assurée a terminé sa formation obligatoire en Suisse dans le système de l'éducation spécialisée.

c. Le 26 mars 2020, elle s'est inscrite au chômage pour un taux d'activité de 100%.

B. a. En septembre 2020, l'assurée a présenté une hypoesthésie du membre inférieur droit.

b. À la fin de l'année 2020, après plusieurs examens neurologiques, le diagnostic de sclérose en plaques a été posé et en janvier 2021, elle a débuté un traitement pour cette atteinte.

c. Dès le mois de mars 2021, elle a également commencé un suivi psychiatrique auprès du Centre B______, en raison initialement d'un épisode dépressif survenu à l'annonce du diagnostic de sclérose en plaques.

d. Les 23 et 30 juin 2022, elle a passé un examen neuropsychologique avec Madame C______, psychologue spécialiste en neuropsychologie FSP, auprès du cabinet médical et neuropsychologique du docteur D______, spécialiste FMH en neurologie.

e. Dès le 15 septembre 2022, le docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a établi des arrêts de travail à 100% en faveur de l'assurée.

C. a. Le 6 décembre 2022, l'assurée a déposé une demande de prestations auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI), en raison de troubles psychiques. Dans son formulaire de demande, elle a notamment indiqué que sa dernière activité lucrative était celle de manutentionnaire à 100% en atelier protégé, entre 1997 et 1998, et que depuis 1998, elle avait été femme au foyer.

b. Le 8 décembre 2022, l'OAI a établi une note au dossier de l'assurée relative au choix de la méthode d'évaluation de l'invalidité, retenant que le statut était celui de ménager.

c. Dans le cadre de l'instruction du dossier, il a recueilli les documents suivants :

-       Un extrait du compte individuel de l'assurée, dont il ressort que :

o   entre septembre 1997 et août 1998, elle a travaillé une année en atelier protégé ;

o   en septembre 1998, elle s'est inscrite au chômage et a perçu des prestations, sur lesquelles elle a cotisé, jusqu'en janvier 2004 ;

o   dès 2004, elle a systématiquement payé ses cotisations sociales en tant que personne sans activité lucrative.

-       Un questionnaire rempli le 19 décembre 2022 par le Dr E______, lequel retenait les diagnostics, avec effet sur la capacité de travail, de retard mental léger (F70) et, sans effet, de trouble dépressif récurrent (F33) et dépendance à l'alcool (F10.2) ; l'assurée présentait une incapacité de travail totale dans toute activité dans le marché ordinaire de l'emploi depuis avant l'âge de 18 ans ; les limitations fonctionnelles étaient des difficultés de compréhension des consignes orales et écrites, d'expression orale et écrite, d'élaboration, de l'hypersensibilité au stress et de la fatigabilité psychique ;

-       Le rapport d'examen neuropsychologique établi par Mme C______, dont les résultats concluaient à un déficit mental léger ;

-       Un questionnaire rempli le 22 décembre 2022 par la docteure F______, spécialiste FMH en neurologie, laquelle retenait les diagnostics, avec effet sur la capacité de travail, de sclérose en plaques et, sans effet, de syndrome de canal carpien ; l'assurée n'avait pas d'activité professionnelle et pouvait poursuivre son activité de femme au foyer.

d. Par projet de décision du 17 janvier 2023, l'OAI a informé l'assurée qu'il entendait rejeter sa demande de prestations, au motif qu'elle ne présentait actuellement pas d'atteinte à la santé ayant des répercussions durables sur sa capacité de gain. Dans ces circonstances, du point de vue strictement médical, elle pouvait vraisemblablement continuer d'exercer son activité de femme au foyer, de sorte qu'une enquête ménagère pour évaluer son empêchement n'était pas nécessaire.

e. Par pli du 13 février 2023, l'assurée a contesté ce projet de décision, en particulier le statut ménager retenu par l'OAI, expliquant qu'elle était atteinte de troubles neuro-développementaux présents déjà avant ses 18 ans et donc avant ses tentatives d'insertion professionnelle. En sortant de l'éducation spécialisée, elle avait obtenu un contrat d'insertion en milieu adapté à durée déterminée d'une année non renouvelable auprès de l'atelier protégé Atelier service (désormais, Réalise), une entreprise à caractère social. À la fin de son contrat, sans nouvelle perspective d'emploi, elle s'était inscrite au chômage dans l'espoir d'obtenir une aide à l'insertion sur le marché du travail et en septembre 2000, ayant passé le délai-cadre de deux ans d'indemnisation, elle avait été placée par le chômage dans un emploi temporaire d'une année, ce qui avait prolongé son délai-cadre de deux ans. Malgré la naissance de son second enfant, elle avait continué à faire des recherches d'emploi et n'avait pas cessé à chercher de s'insérer professionnellement pour devenir femme au foyer. Par ailleurs, ses troubles neuro-développementaux avaient été diagnostiqués tardivement, en 2022, en raison d'une absence de suivi spécialisé antérieur et d'un soutien socio-familial limité. Or, elle avait été mise à l'écart de la vie active en raison de ces troubles, lesquels n'avaient pas été pris en compte dans l'examen de son dossier.

f. Par décision du 27 février 2023, l'OAI a confirmé son projet de décision, à défaut d'élément lui permettant de modifier son appréciation.

D. a. Le 9 mars 2023, l'assurée, représentée par un mandataire professionnel, a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre des assurances sociales) d'un recours contre cette décision, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à l'octroi d'une rente d'invalidité, subsidiairement, au renvoi de la cause à l'intimé pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

À l'appui de son recours, elle a réitéré les griefs déjà invoqués dans son courrier du 13 février 2023 à l'intimé et a souligné que son trouble de déficit intellectuel, compte tenu des nombreuses limitations énoncées par ses médecins, avec une aggravation liée à la problématique de la sclérose en plaques, était clairement invalidant. Par ailleurs, elle a produit la confirmation d'inscription à l'office régional de placement du 26 mars 2020 pour un placement à plein temps dès cette date.

b. Invité à se déterminer, l'OAI a conclu, par réponse du 11 avril 2023, au rejet du recours. La recourante n'avait jamais exercé d'activité lucrative, indiquait être femme au foyer depuis le 1er août 1998 et cotisait en tant que personne sans activité lucrative depuis 2004. Il estimait que son inscription au chômage le 26 mars 2020 ne suffisait pas à justifier une modification du statut, car elle n'avait produit aucune recherche d'emploi. En outre, sa situation financière n'avait pas changé non plus, puisque son mari bénéficiait d'une rente d’invalidité depuis 1998. Par ailleurs, le dossier avait été soumis au service médical régional de l'assurance-invalidité (ci-après : SMR), lequel avait émis un avis, qu'il produisait avec sa réponse.

Selon l'avis du 6 avril 2023 du SMR, malgré la présence depuis l'enfance d'un retard de développement mental léger, une capacité de travail entière était exigible dans une activité adaptée au déficit cognitif, de type tâches simples et répétitives. Quant à l'atteinte de sclérose en plaques, il ressortait du rapport de la neurologue traitante qu'elle était stabilisée et n'entrainait à l'heure actuelle aucun déficit neurologique.

c. Le 17 mai 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions. Elle estimait que le SMR avait interprété de manière erronée les différents documents médicaux au dossier et en tirait des conclusions fausses et peu compréhensibles. Elle présentait un risque accru de fluctuations thymiques qui étaient liées à son retard mental et non au trouble de dépendance à l'alcool, contrairement à ce qu'indiquait le SMR, et ses certificats médicaux avaient clairement été établis en raison de ce trouble de retard mental. En outre, elle rappelait qu'elle était fortement limitée dans les activités quotidiennes, telles que les courses et la gestion de l'administration, ce qui, avec une enfant en bas âge et deux autres enfants à charge, devait être considéré comme un travail conséquent qu'elle ne pouvait pas exécuter en raison de ses atteintes. Par ailleurs, son atteinte de sclérose en plaques n'avait pas été instruite par l'intimé. Enfin, au vu de ses limitations fonctionnelles en lien avec son retard mental, le seul emploi envisageable serait un emploi dans un cadre protégé, car la complaisance dont un employeur devrait faire preuve pour l'accueillir au sein de son équipe était irréaliste.

Elle a produit avec sa réplique plusieurs formulaires de preuves de recherches d'emploi à plein temps, effectuées entre janvier 2020 et août 2022, ainsi que divers justificatifs desdites recherches.

d. Par pli du 20 juin 2023, l'intimé a maintenu sa position, estimant que les derniers éléments apportés par la recourante ne lui permettaient pas de modifier son appréciation.

e. La chambre de céans a transmis cette écriture à la recourante.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les formes prévues par la loi (art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]) et dans le délai de recours de trente jours (art. 60 LPGA), le recours est recevable.

2.              

2.1 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201 ; RO 2021 706).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

2.2 En l’occurrence, la décision querellée concerne un premier octroi de rente dont le droit est potentiellement né après le 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur nouvelle teneur.

3.             Le litige porte sur le droit de la recourante a une rente de l'assurance-invalidité et, en particulier, sur le choix de la méthode d'évaluation de l'invalidité.

3.1 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

La notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale ; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

A droit à une rente d’invalidité, l’assuré dont la capacité de gain ou la capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, qui a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qui, au terme de cette année, est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (art. 28 al. 1 LAI).

Une rente n'est pas octroyée tant que toutes les possibilités de réadaptation au sens de l'art. 8 al. 1bis et 1ter n'ont pas été épuisées (art. 28 al. 1bis LAI).

3.2 Selon la jurisprudence, si l'assuré peut prétendre à des prestations de l'assurance-invalidité, l'allocation d'une rente d'invalidité à l'issue du délai d'attente (cf. art. 28 al. 1 LAI) n'entre en considération que si l'intéressé n'est pas, ou pas encore, susceptible d'être réadapté professionnellement en raison de son état de santé (principe dit de la priorité de la réadaptation sur la rente ; ATF 121 V 190 consid. 4c). La preuve de l'absence de capacité de réadaptation comme condition à l'octroi d'une rente d'invalidité doit présenter un degré de vraisemblance prépondérante. Dans les autres cas, une rente de l'assurance-invalidité ne peut être allouée avec effet rétroactif que si les mesures d'instruction destinées à démontrer que l'assuré est susceptible d'être réadapté ont révélé que celui-ci ne l'était pas (ATF 121 V 190 consid. 4d ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_559/2021 du 14 juillet 2022 consid. 2.2 et les références). 

3.3 Pour évaluer le degré d'invalidité, il existe principalement trois méthodes : la méthode générale de comparaison des revenus (art. 16 LPGA en lien avec l’art. 28a al. 1 LAI), la méthode spécifique (art. 28a al. 2 LAI) et la méthode mixte (art. 28a al. 3 LAI).

Selon l’art. 24septies RAI, le statut d’un assuré est déterminé en fonction de la situation professionnelle dans laquelle il se trouverait s’il n’était pas atteint dans sa santé (al. 1). À teneur de l'al. 2 de cette disposition, l’assuré est réputé exercer une activité lucrative au sens de l’art. 28a al. 1 LAI dès lors qu’en bonne santé, il exercerait une activité lucrative à un taux d’occupation de 100% ou plus (let. a) ; il est réputé ne pas exercer d’activité lucrative au sens de l’art. 28a al. 2 LAI dès lors qu’en bonne santé, il n’exercerait pas d’activité lucrative (let. b) ; enfin, il est réputé exercer une activité lucrative à temps partiel au sens de l’art. 28a al. 3 LAI dès lors qu’en bonne santé, il exercerait une activité lucrative à un taux d’occupation de moins de 100% (let. c).

Le choix de la méthode applicable dépend ainsi du statut du bénéficiaire potentiel de la rente : assuré exerçant une activité lucrative à temps complet, assuré sans activité lucrative, ou assuré exerçant une activité lucrative à temps partiel (ATF 141 V 15 consid. 3.2 ; ATF 137 V 334 consid. 3.1).

Selon la jurisprudence, pour déterminer la méthode d'évaluation de l'invalidité applicable au cas particulier, il faut se demander ce que l'assuré aurait fait si l'atteinte à la santé n'était pas survenue. Lorsqu'il accomplit ses travaux habituels, il convient d'examiner, à la lumière de sa situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle, si, étant valide, il aurait consacré l'essentiel de son activité à son ménage ou s'il aurait exercé une activité lucrative. Pour déterminer le champ d'activité probable de l'assuré, il faut notamment prendre en considération la situation financière du ménage, l'éducation des enfants, l'âge de l'assuré, ses qualifications professionnelles, sa formation ainsi que ses affinités et talents personnels. En pratique, on tiendra compte de l'évolution de la situation jusqu'au prononcé de la décision administrative litigieuse, en admettant la reprise hypothétique d'une activité lucrative partielle ou complète, si cette éventualité présente un degré de vraisemblance prépondérante (ATF 144 I 28 consid. 2.3 ; 137 V 334 consid. 3.2 et les références).

3.4 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 135 V 39 consid. 6.1; ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

4.             En l'espèce, l'intimé a retenu un statut ménager et estimé qu'une enquête ménagère n'était pas nécessaire, dès lors que la recourante pouvait, selon lui, vraisemblablement continuer d'exercer son activité de femme au foyer. La recourante conteste ce statut ménager, faisant valoir que si elle n'avait pas été atteinte dans sa santé, elle aurait exercé une activité lucrative à plein temps.

Il convient donc d'examiner la question du statut de la recourante afin de déterminer quelle méthode d'évaluation de l'invalidité doit être appliquée au cas d'espèce.

En l'occurrence, il ressort du dossier et des documents produits en cours de procédure, en particulier des formulaires de preuves de recherches d'emploi et des justificatifs joints, ainsi que des attestations d'inscription à l'OCE, que la recourante a effectué plusieurs recherches d'emploi pour un poste à plein temps dès janvier 2020 et s'est inscrite au chômage le 26 mars 2020 pour un taux de 100% dès cette date. À la fin de l'année 2020, elle a appris qu'elle était atteinte de sclérose en plaques et a débuté un suivi psychiatrique en mars 2021. Malgré cela, elle a néanmoins régulièrement poursuivi ses recherches d'emploi. Le diagnostic de déficit mental léger a été posé en juin 2022 et c'est dans ce contexte qu'elle a été mise à l'arrêt et a déposé une demande de prestations auprès de l'intimé.

Il ressort également du dossier que l’intéressée a connu une première période de chômage entre 1998 et 2004. Selon les déclarations constantes de la recourante, elle a toujours eu des difficultés scolaires, raison pour laquelle elle a fini sa scolarité obligatoire dans le système d'éducation spécialisée et intégré un poste dans un atelier protégé, puis s'est retrouvée au chômage durant quatre ans, ce qui est corroboré par son extrait de compte individuel, ainsi que par les rapports de son psychiatre et de la neuropsychologue. Durant cette première période de chômage, l’intéressée a eu ses deux premiers enfants et est néanmoins demeurée inscrite au chômage, de sorte qu'on ne peut pas retenir qu'en devenant parent, elle aurait décidé de se consacrer exclusivement à sa famille.

Aussi, plusieurs éléments au dossier, en particulier le fait que la recourante ait effectué des démarches au chômage et des recherches d'emploi à plein temps, et ce avant qu'elle ne découvre ses atteintes à la santé et dépose une demande de prestations, tendent en faveur d'une volonté de la recourante d'exercer une activité lucrative. C’est le lieu de rappeler que le fait d’avoir un enfant en bas âge pendant la période de chômage ne l’a pas empêchée par le passé de poursuivre ses recherches d'emploi.

L'intimé s’est toutefois limité à retenir que la recourante a indiqué être femme au foyer pour en conclure qu'elle présentait un statut ménager. Or, le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de relever qu'en accordant une importance décisive au fait que l'assurée avait indiqué dans sa demande de prestations qu'elle était femme au foyer, l'OAI perdait de vue que l'assurée n'avait pas, par cette mention, exposé quelle avait été son activité type sans atteinte à la santé, mais bien décrit quelle était sa situation effective (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_435/2013 du 27 septembre 2013, consid. 5.2). Certes, la recourante n'a jamais travaillé dans le marché ordinaire de l'emploi. Il n’en reste pas moins que plusieurs éléments plaident en faveur d'un statut d'actif. Or, dans la mesure où l’intimé - qui n’a même pas interrogé l’intéressée sur sa volonté de travailler - n’a procédé à aucune investigation sur ce point, il conviendra de lui renvoyer la cause pour instruction et nouvelle décision sur la question du statut.

5.             S'agissant ensuite de l'évaluation de la capacité de travail, il sied de relever ce qui suit.

5.1 Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2 et les références; ATF 125 V 256 consid. 4 et les références). En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

5.2 Selon l’art. 54a LAI, les services médicaux régionaux (ci-après : SMR) établissent les capacités fonctionnelles de l’assuré qui sont déterminantes pour l’assurance-invalidité en vertu de l’art. 6 LPGA, pour l’exercice d’une activité lucrative raisonnablement exigible ou pour l’accomplissement des travaux habituels (al. 3).

Lors de la détermination des capacités fonctionnelles, la capacité de travail attestée médicalement pour l’activité exercée jusque-là et pour les activités adaptées est évaluée et justifiée en tenant compte, qualitativement et quantitativement, de toutes les ressources et limitations physiques, mentales et psychiques (art. 49 al. 1bis RAI).

Les limitations dues à l’atteinte à la santé au sens étroit, à savoir les restrictions à l’exercice d’une activité lucrative au sens de l’art. 8 LPGA de nature quantitative et qualitative, dues à l’invalidité et médicalement établies, doivent systématiquement être prises en compte pour l’appréciation de la capacité fonctionnelle. Il s’agit là de l’estimation du temps de présence médicalement justifié d’une part (capacités fonctionnelles quantitatives, par ex. en nombre d’heures par jour) et des capacités fonctionnelles qualitatives durant ce temps de présence d’autre part (limitation de la charge de travail, limitations qualitatives, travail plus lent par rapport à une personne en bonne santé, etc.). En règle générale, ces deux composantes sont ensuite combinées pour obtenir une appréciation globale en pourcentage de la capacité de travail, autrement dit des capacités fonctionnelles. Ainsi, par exemple, une productivité réduite pendant le temps de présence exigible ou un besoin de pauses plus fréquentes doivent être systématiquement déduits lors de l’indication de la capacité fonctionnelle résiduelle. Cela permet également de tenir compte de la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle la capacité de travail attestée par un médecin donne des indications sur l’effort pouvant être effectivement exigé, mais pas sur la présence éventuelle sur le lieu de travail. Dans certaines circonstances, il peut être nécessaire de demander des renseignements auprès du médecin traitant afin que le SMR puisse établir une évaluation globale et compréhensible de la capacité fonctionnelle résiduelle, qui tienne compte de tous les facteurs médicaux influents [OFAS, Dispositions d’exécution relatives à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (Développement continu de l’AI), rapport explicatif (après la procédure de consultation) du 3 novembre 2021 (ci-après : rapport explicatif), ad art. 49 al. 1bis, p. 60].

5.3 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références; ATF 142 V 58 consid. 5.1 et les références; ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).

Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4). 

Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI; ATF 142 V 58 consid. 5.1; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1). 

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

5.4 En l'espèce, dans le cadre de son instruction, l'intimé s’est limité à interroger le psychiatre et la neurologue de la recourante. L’avis du SMR n’a été requis qu’au stade de la procédure devant la chambre de céans.

Selon son psychiatre traitant, la recourante présente une capacité de travail nulle dans toute activité depuis au moins l’âge de 18 ans, en raison d’un retard mental léger (F70) et d’un trouble dépressif récurrent (F33). Le médecin relève qu’elle arrive à gérer seule le ménage, les repas et les enfants, mais pas les courses ni la gestion administrative et financière du ménage. Elle reste au domicile une fois les activités de la vie quotidienne du ménage familial réalisées et n'a pas d'autres activités socialisantes que les relations intrafamiliales, ni d'activités (récréatives ou de loisirs) personnelles régulières. Ses limitations fonctionnelles sont des difficultés de compréhension des consignes orales et écrites, d'expression orale et écrite, d'élaboration, de l'hypersensibilité au stress et de la fatigabilité psychique. La recourante est enfin toujours sous traitements (entretiens psychiatriques toutes les deux à quatre semaines et prescription d'antidépresseurs et anxiolytiques) avec une observance complète.

Sur le plan neurologique, la Dre F______ retient que la recourante présente, avec répercussion sur la capacité de travail, une sclérose en plaques et, sans répercussion, un syndrome du canal carpien. S'agissant de la capacité de travail, elle se limite à relever que la recourante n'a pas d'activité professionnelle, précisant qu'elle peut poursuivre son activité de mère au foyer. Elle expose que, grâce au traitement, la sclérose en plaques est stabilisée, mais que comme il s'agit d'une atteinte chronique, il y a un risque d'aggravation des troubles cognitifs et physiques. Elle mentionne également des difficultés cognitives et de concentration.

Quant à la neuropsychologue, elle retient une déficience intellectuelle légère, avec des troubles du développement cognitif sévères.

Sur la base de ces appréciations, le SMR retient une capacité de travail entière exigible dans une activité adaptée au déficit cognitif, de type tâches simples et répétitives, et ce malgré la présence depuis l'enfance d'un retard de développement mental léger. Il relève que l'atteinte de sclérose en plaques est stabilisée et n'entraine à l'heure actuelle aucun déficit neurologique. Le SMR écarte ainsi, sans motivation, l’appréciation motivée du psychiatre, se fondant sur celle - plus succincte et peu précise - de la neurologue. Force est donc de constater que l'instruction médicale est également lacunaire et qu'il existe des discordances entre les avis des différents médecins. Il convient donc de clarifier davantage la situation médicale, sur le plan psychiatrique et neurologique, si nécessaire, au moyen d'une expertise médicale bi-disciplinaire.

La cause doit dès lors être renvoyée à l'intimé afin qu'il complète également l'instruction médicale.

C'est le lieu de préciser que dans l'hypothèse où l'intimé devait néanmoins être amené à retenir un statut ménager, voire mixte, la question de la mise en œuvre d'une enquête ménagère pourrait se poser, en raison du double volet psychique et somatique que présente la recourante.

5.5 Dans la mesure de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision du 27 février 2023 annulée et la cause renvoyée à l'intimé pour instruction complémentaire dans le sens des considérants.

La recourante ayant partiellement gain de cause par l’intermédiaire d’un mandataire professionnel, une indemnité de CHF 1'800.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 

 

 


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision de l'intimé du 27 février 2023.

4.        Renvoie la cause pour instruction complémentaire dans le sens des considérants et nouvelle décision.

5.        Alloue à la recourante une indemnité de CHF 1'800.- à charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le