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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1373/2022

ATAS/727/2023 du 28.09.2023 ( AI ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1373/2022 ATAS/727/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 28 septembre 2023

Chambre 3

 

En la cause

Hoirie de feu Madame A______, soit pour elle :
Madame B______ et Monsieur C______
représentés par l’Association suisse des assurés (ASSUAS)

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), est née le ______ 2000 à Genève, de l’union de Monsieur C______ et de Madame B______. Elle a eu deux frères, D______, né en 1986, E______, né en 2003, et une sœur, F______, née en 1992.

b. À sa naissance, l’assurée souffrait de plusieurs atteintes qui lui ont ouvert le droit à plusieurs prestations de l’assurance-invalidité, sous la forme, notamment, de mesures médicales, d’une formation scolaire spéciale et d’une allocation pour impotent assortie d’un supplément pour soins intenses, servies par l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI).

c. Par courrier reçu le 31 août 2015, l’assurée, par la voix de sa mère, a annoncé à l’OAI son déménagement au 49, rue G______, à Carouge, dès le 1er janvier 2014.

b. Selon un courriel adressé à l’OAI le 27 octobre 2015 par l’école fréquentée par l’assurée, celle-ci a quitté cet établissement le 22 août 2014.

À la même date, l’OAI a établi une note dans laquelle il a relevé que le numéro de téléphone portable de la mère de l’assurée n’était plus valable. L’ancienne école avait fait mention d’un départ à l’étranger, probablement à Dubaï.

Invitée par courrier du même jour à communiquer son adresse à l’OAI, l’assurée, par la voix de sa mère, a confirmé, en date du 15 décembre 2015, être toujours domiciliée à la rue G______.

c. L’OAI a alors convoqué la mère de l’assurée à un entretien devant se dérouler à son domicile en date du 8 mars 2016. Ce jour-là, le représentant de l’OAI qui s’est rendu à l’appartement sis rue G______, l’a trouvé occupé par deux autres personnes, qui lui ont indiqué que l’assurée et sa mère étaient absentes. Cette dernière a ensuite contacté l’OAI depuis les Emirats Arabes Unis pour signaler qu’elle y séjournerait un mois. Suite à ces faits, l’OAI a suspendu l’allocation pour impotent (cf. communication du 22 mars 2016).

d. Selon un rapport de l’OAI du 11 avril 2016, établi à la suite d’un entretien ayant eu lieu le même jour avec la mère de l’assurée, cette dernière, questionnée sur son domicile et celui de sa fille, a expliqué que son mari avait décidé d’aller vivre officiellement à Dubaï avec leurs deux fils en décembre 2013. La famille y louait une petite villa de trois chambres. La mère de l’assurée était restée en Suisse avec ses deux filles. Elle avait expliqué de manière confuse (sic) voyager « un petit peu » en compagnie de celles-ci. Elles effectuaient des allers-retours entre Dubaï et la Suisse tous les deux à trois mois. Elles séjournaient à Dubaï à chaque fois durant deux à trois semaines. Elles vivaient « un peu partout » et, de temps en temps, à Carouge, soit chez son beau-frère (rue H______), soit à la rue G______, soit chez sa belle-sœur, à Annemasse. Elle n’avait pas assez d'argent pour vivre tout le temps à Genève. Elle disait séjourner avec ses deux filles chez ses parents au Petit-Saconnex. Ses filles se trouvaient cependant à Dubaï depuis fin février 2016.

Questionnée sur le fait que l’assurée ait quitté son école en août 2014, sa mère a exposé qu’elle avait préféré l’en sortir pour éviter d’être entravée lors de leurs nombreux voyages. Elle s’était occupée seule de l’assurée du 1er octobre 2014 au 1er octobre 2015, quand sa fille aînée avait débuté son activité professionnelle, mais cette fille prenait désormais soin de l’assurée la moitié du temps. L’assurée consultait deux fois par an son pédiatre, le docteur I______, et son ophtalmologue, la doctoresse J______, et une fois par an la Professeure, des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

Interrogée sur les raisons de la présence de deux jeunes hommes dans l’appartement de la rue G______ lors de la visite de l’OAI – qui avait pu constater à cette occasion que l’ameublement en était très sommaire et spartiate –, la mère de l’assurée avait indiqué qu'il s'agissait de deux amis de son mari.

e. Le 25 mai 2016, l’OAI a transmis le dossier de l’assurée à l’office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après l’OAIE) comme objet de sa compétence.

f. Selon une note de l’OAIE du 26 août 2016, la mère de l’assurée a indiqué que son mari était enregistré au contrôle des habitants à Genève, quand bien même il vivait à Dubaï. La sœur de l’assurée était également à Dubaï.

g. L’OAIE a adressé à l’assurée un projet de décision de suppression de l’allocation pour impotent. Il y a été fait opposition. Il était argué que la scolarité de l’assurée n’avait jamais eu pour objectif une formation. Le climat chaud et sec de Dubaï lui était plus favorable en période hivernale, en raison de ses handicaps, raison pour laquelle sa mère et elle avaient peu à peu réduit leurs séjours à Genève et passaient désormais environ cinq à six mois par an à Dubaï, durant la période froide en Suisse. Ce choix était dicté par des raisons médicales. Les parents de l’assurée avaient conservé une grande partie de leur famille à Genève (frères, sœurs, oncles, tantes et cousins), ils y payaient leurs impôts, leurs primes d’assurance-maladie et leurs cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS).

h. Par décision du 24 janvier 2017, l’OAIE a supprimé l’allocation pour impotent avec effet rétroactif au 22 août 2014, date à laquelle l’assurée avait quitté son école et à compter de laquelle il a considéré qu’avait pris fin sa résidence habituelle en Suisse.

i. Par décision du 9 février 2017, l’OAIE a exigé la restitution des allocations pour impotent avec supplément pour soins intenses versées à tort : CHF 4'258.80 pour la période du 23 août au 30 septembre 2014, CHF 10'046.40 pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2014, et CHF 19'855.70 pour la période du 1er janvier au 30 juin 2015.

Ces décisions ont fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF).

j. Selon une note de l’OAIE du 4 octobre 2018, toute la famille de l’assurée était désormais revenue en Suisse.

k. L’assurée est décédée le 31 janvier 2019.

l. Par arrêt du 11 mars 2020 (C-1196/2017), le TAF a annulé la décision de l’OAIE et lui a renvoyé la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision, en l’invitant notamment à se procurer les copies des passeports de la famille et du dossier de l’assurance-maladie de feu l’assurée.

Le TAF a retenu que, depuis août 2014, l’assurée et sa mère avaient partagé leur temps entre la Suisse et Dubaï. On ignorait les conditions de vie de feu l'assurée en Suisse. On pouvait certes voir une certaine ambiguïté dans le fait que celle-ci ait eu deux adresses (rue G______ et rue H______) et que ces logements aient été occupés par des tiers lors de la visite de l’OAI. On pouvait douter que l’appartement de la rue G______ puisse accueillir une mère et sa fille atteinte de handicaps. Cela ne suffisait toutefois pas à conclure que feu l’assurée et sa mère avaient abandonné leur résidence suisse. On ignorait tout de leurs relations sociales, contractuelles et familiales en Suisse et à Dubaï. Or, il était décisif de déterminer, au moins sommairement, les conditions de vie de feu l'assurée à Dubaï. Par ailleurs, la consultation des passeports révèlerait comment elle et sa mère partageaient leur temps entre les deux pays. On ne connaissait pas non plus le suivi médical de feu l’assurée dans ces deux pays.

m. Après une demande et un rappel de l’OAIE formulés respectivement le 31 juillet 2020 et le 20 octobre 2020, tendant notamment à l’obtention des copies des passeports de feu l’assurée et sa mère, cette dernière a produit en décembre 2020 les décomptes de la caisse-maladie de feu l’assurée, révélant depuis mai 2014 les remboursements d’une facture du pédiatre en 2014, un décompte des HUG en juillet 2017, une facture du pédiatre en 2017, deux factures du pédiatre en 2018 (août et novembre), une facture de pharmacie en novembre 2018 et un montant versé à une fondation médicale en 2018. Elle a également produit le bail concernant l’appartement d’une pièce avec kitchenette sis à la rue G______, conclu le 15 juillet 2000 par elle et son mari, le bail de celui de la rue H______ composé de six pièces, courant dès le 1er décembre 2013, conclu par son mari et Monsieur L______ et Madame M______, frère et belle-sœur de son mari. Elle a également produit une copie de son passeport, en précisant l’avoir renouvelé le 20 novembre 2020, suite à la perte de l’ancien. Quant à celui de feu l’assurée, elle alléguait l’avoir jeté après son décès. Celui de sa fille aînée avait été renouvelé suite à son mariage et l’ancien avait été jeté.

n. Par courrier du 3 mars 2021 faisant suite à une demande de documents complémentaires de l’OAIE du 6 janvier précédent, la mère de l’assurée a produit la copie de la déclaration de perte de son passeport, datée du 16 novembre 2020. Elle a refusé de communiquer les décomptes bancaires requis par l’OAIE, arguant que le TAF ne les avait pas mentionnés. Elle a produit une attestation du Dr I______ du 3 mars 2021, dans laquelle il confirmait avoir régulièrement vu feu l’assurée à sa consultation entre 2015 et 2019.

o. Le 13 juillet 2021, l’assurance-maladie de feu l’assurée a indiqué à l’OAIE n’avoir pris en charge aucune prestation à Dubaï.

p. En septembre 2021, l’OAIE a obtenu du Ministère des affaires étrangères des Emirats Arabes Unis les listes des entrées et sorties de feu l’assurée et de sa mère à l’aéroport de Dubaï.

Il en ressort que feu l’assurée a séjourné à Dubaï aux dates suivantes :

-          du 18 janvier 2014 au 15 février 2014

-          du 15 février au 14 mars 2014

-          du 14 mars au 26 septembre 2014

-          du 4 octobre 2014 au 15 juillet 2015

-          du 30 août 2015 au 2 avril 2016

-          du 23 avril au 6 juillet 2016

-          du 3 septembre au 22 décembre 2016

-          du 31 décembre 2016 au 4 juillet 2017

-          du 21 août 2017 au 20 juin 2018

-          du 2 au 30 septembre 2018.

 

La mère de feu l’assurée a séjourné à Dubaï aux dates suivantes :

-          du 18 janvier au 15 février 2014

-          du 15 février au 22 avril 2014

-          du 8 mai au 19 juin 2014

-          du 26 juin au 26 septembre 2014

-          du 4 octobre 2014, avec une nouvelle entrée enregistrée le 30 août 2015, jusqu’au 2 avril 2016

-          du 23 avril au 6 juillet 2016

-          du 3 septembre au 22 décembre 2016

-          du 31 décembre 2016 au 4 juillet 2017

-          du 21 août au 20 octobre 2017

-          du 28 octobre 2017 au 2 mars 2018

-          du 13 mars au 20 juin 2018

-          du 3 au 30 septembre 2018.

q. Après avoir repris le traitement du dossier de feu l’assurée comme objet de sa compétence en novembre 2021, l’OAI a adressé le 23 novembre 2021 à l’hoirie deux projets de décisions, le premier supprimant l’allocation pour impotent dès le 8 mai 2014 en raison du domicile et de la résidence habituelle de feu l’assurée à Dubaï de cette date en tout cas jusqu’au 30 septembre 2018, et le second exigeant la restitution des allocations pour impotent versées à tort du 8 mai 2014 au 30 juin 2015, correspondant à un montant de CHF 45'845.30.

r. L’hoirie a manifesté son désaccord par courrier du 10 janvier 2022, affirmant en substance que feu l’assurée et sa mère n’avaient jamais changé de domicile. Elles avaient été affiliées auprès d’une caisse-maladie en Suisse et y avaient payé leurs impôts.

s. Le 15 mars 2022, l’OAI a rendu deux décisions reprenant les termes des projets du 23 novembre 2021.

t. Par prononcé du 5 avril 2022, l’OAI a reconnu le droit à une allocation pour impotent pour feu l’assurée dès le 1er octobre 2018.

B. a. L’hoirie a interjeté recours auprès de la Cour de céans contre les décisions de suppression de l’allocation pour impotent et de restitution par écriture unique du 2 mai 2022. Elle a conclu à ce qu’il soit constaté que feu l’assurée avait été domiciliée à Genève entre 2014 et 2019, subsidiairement à l’annulation de la demande en restitution de CHF 45'845.30 pour la période du 8 mai 2014 au 30 juin 2015, à la reprise du calcul du montant hypothétique à restituer, cas échéant, à la remise de l’obligation de restituer.

Ces recours ont été enregistrés sous les numéros de cause A/1375/2022 et A/1373/2022.

b. Dans sa réponse du 2 juin 2022, l’intimé a conclu préalablement à la jonction des causes et, quant au fond, au rejet des recours, dès lors que feu l’assurée n’avait pas séjourné en Suisse du 8 mai 2014 au 30 septembre 2018, période durant laquelle son centre d'intérêts avait été à Dubaï, où se trouvait sa famille.

c. Par ordonnance du 7 juin 2022, la Cour de céans a ordonné la jonction des causes A/1375/2022 et A/1373/2022 sous ce dernier numéro de cause.

d. Par son écriture du 30 juin 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions. Elle relève que l’intimé admet le domicile à la rue G______ dès le 1er octobre 2018, alors même qu’il avait précédemment estimé cet appartement trop petit et inadéquat pour feu l'assurée.

e. Une audience s’est tenue le 27 septembre 2022.

La mère de feu l’assurée a expliqué avoir demandé le statut de résidentes pour elles deux à Dubaï, car seuls les résidents ont droit à une carte « handicapé », nécessaire aux déplacements.

S’il n'y a pas eu de remboursement par la caisse-maladie pour feu l’assurée pendant deux ans, c’est que tous les coûts étaient pris en charge par l'assurance-invalidité. Seuls les frais induits par d’autres maladies relevaient de l'assurance-maladie. Or, l’assurée n'était pas souvent malade.

Selon l’attestation de l’école, l’assurée a été déscolarisée le 22 août 2014. Dès lors, la recourante fait valoir que c’est à tort que l'intimé a conclu à l'absence de domicile en Suisse dès le 8 mai 2014. À ce propos, la mère de feu l’assurée a exposé qu’elle avait craint que sa fille ne soit maltraitée à l’école lorsqu’elle a intégré le groupe des grands. Elle dit lui avoir trouvé des hématomes à plusieurs reprises. Elle a également été effrayée lorsque l’école a suggéré le port d’un patch contraceptif. Enfin, sa fille ne voulait plus s’y rendre. Selon le père de feu l’assurée, l’école n’apportait plus rien à celle-ci : elle ne mangeait pas, ne voyait pas, ne marchait pas et était tout aussi bien à la maison.

L’intimé a expliqué que s’il avait pour sa part retenu la date du 8 mai 2014 – à la différence de l'OAIE qui avait considéré dans sa décision initiale que les conditions d'assurance n’avaient plus été remplies à compter du moment où l’assurée avait quitté l’école –, c’était compte tenu de certains éléments du dossier et du fait qu’en 2014, l’école n’avait plus facturé de thérapies, pourtant prises en charge par l’assurance-invalidité.

Outre les membres de l’hoirie, la Cour de céans a également entendu plusieurs témoins.

Madame N______, domiciliée à Carouge, a déclaré connaître la famille de feu l’assurée depuis plus de 30 ans. Elle a entretenu des rapports fréquents avec celle-ci et sa mère, qui ont emménagé à côté de chez elle lorsque le père est parti à Dubaï. Elles se croisaient très fréquemment dans les commerces du quartier. Le témoin les voyait en tout cas tous les 15 jours. Elles faisaient certes des allers-retours à Dubaï, mais pas très souvent, car la maladie de feu l’assurée ne lui permettait pas de beaucoup se déplacer. Elle ignorait pourquoi le père était parti seul avec les trois autres enfants à Dubaï. Elle ne savait pas exactement à quelle fréquence feu l’assurée et sa mère se rendaient à Dubaï, mais c'était très rarement car le père de famille venait également leur rendre visite.

Monsieur L______, oncle de feu l’assurée, a été entendu à titre de renseignements. Lors du départ de son frère à Dubaï, en 2014 ou 2015, feu l’assurée et sa mère sont allées habiter l'appartement de la rue G______. Cela ne posait pas de problème d’y vivre à deux. Lui-même y a habité jusqu'en 2007-2008. Ce studio n’a jamais été occupé par quelqu'un d'autre. Au vu de son handicap, feu l’assurée ne pouvait vivre à Dubaï. Elle et sa mère s’y rendaient une à deux fois par année, chaque fois avec l’intention de revenir à Genève un mois ou un mois et demi plus tard. Feu l’assurée avait de bons contacts avec les quatre filles de M. L______, et celui-ci les voyait une fois par semaine en tout cas. La mère de feu l’assurée avait toute sa famille à Genève.

Madame O______, concierge de l’immeuble sis rue G______ 49, a aussi été entendue. Elle a été concierge de cet immeuble durant 30 ans. Elle croisait très souvent feu l’assurée et sa mère, mais aussi son père, qui possédait un bureau de tabac dans le quartier. Elle ne s’était pas rendu compte qu’il était parti à Dubaï plusieurs années, car elle ne surveillait pas les habitants de l’immeuble. Dans son esprit, les parents de feu l’assurée étaient toujours restés domiciliés à Genève. A sa connaissance, l'appartement n'avait pas été occupé par quelqu'un d'autre.

Monsieur P______ a également été entendu. Il connaît les membres de la famille depuis le début des années 2000 environ. Le père de feu l’assurée est parti à Dubaï en 2013 pour éloigner son fils de Genève. Feu l’assurée et sa mère sont restées à la rue G______, d'après ce que le témoin a pu voir. Il y est passé deux ou trois fois en six mois, car il s’occupait de la comptabilité de la société du père de feu l’assurée, sise à cette adresse. Le témoin s’entretenait souvent par téléphone avec celui-ci et avait compris que lui et son épouse vivaient séparés.

Madame Q______, pharmacienne, a indiqué n’avoir jamais vu feu l’assurée. En revanche, elle voyait assez régulièrement les membres de sa famille ou recevait des commandes pour elle. De temps en temps, ces commandes étaient livrées au bureau de tabac tenu par son père. Elle ne pouvait dire s’il y avait eu un ralentissement entre 2014 et 2018, mais elle n’avait pas ce sentiment. Les commandes passées révélaient que feu l’assurée souffrait de handicaps assez importants, nécessitant initialement l’élaboration de collyres très particuliers, ainsi que de préparations alimentaires, remplacés par la suite par des traitements déjà prêts. Le témoin ne pouvait savoir si feu l’assurée se trouvait à Genève ou non.

Les parents de feu l’assurée ont produit la liste des produits acquis à la pharmacie.

f. Le 28 novembre 2022, l’intimé a persisté dans ses conclusions. Selon lui, les auditions confirment les fréquents voyages à Dubaï et la présence en Suisse pour les soins. La liste des médicaments délivrés de 2016 à 2018 montre que ceux-ci étaient retirés par les membres de la famille, voire livrés dans le commerce du père de feu l’assurée. La majorité de ces médicaments ont été vendus durant la période estivale, pendant laquelle les consultations médicales avaient lieu.

g. Le 6 janvier 2023, la recourante a également persisté dans ses conclusions. Elle allègue que des médicaments ont été achetés en janvier, février, mars, avril, juillet, août, novembre et décembre 2015, février, avril, juillet et août 2016, janvier, février, juillet et août 2016, et chaque mois dès juillet 2018. Elle retient des auditions que la mère de feu l’assurée a souvent été vue à son domicile, qu’elle retirait les médicaments et rendait visite à sa famille à Genève, où elle avait sa vie sociale. Elle et sa fille ne rendaient que des visites ponctuelles à Dubaï. La famille n’avait aucun lien avec les Emirats Arabes Unis, et feu l’assurée conservait sa volonté de résider à Genève. La recourante reproche à l’intimé de se fonder sur des indices que l’OAIE a considérés insuffisants pour conclure à sa domiciliation à Dubaï. L’intérêt supérieur de feu l’assurée recommande une domiciliation en Suisse.

 

 

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La modification du 21 juin 2019 de la LPGA entrée en vigueur le 1er janvier 2021 est applicable au litige, dès lors que le recours n’était pas encore pendant à cette date (art. 82a LPGA a contrario).

La LAI a connu une novelle le 19 juin 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, laquelle n’est pas applicable. En effet, conformément aux principes de droit intertemporel, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable est en principe celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1).

3.             Déposés dans les forme et délai prévus par la loi (art. 56ss LPGA), les recours sont recevables.

4.             Le litige porte sur le droit de feu l’assurée à des allocations pour impotent du 8 mai 2014 au 30 septembre 2018, plus précisément sur son domicile et sa résidence effective dans le canton de Genève durant cette période, et sur le bien-fondé de la restitution de CHF 45'845.30 correspondant aux prestations versées à ce titre du 8 mai 2014 au 30 juin 2015.

5.             Aux termes de l'art. 9 LPGA, est réputée impotente toute personne qui, en raison d'une atteinte à sa santé, a besoin de façon permanente de l'aide d'autrui ou d'une surveillance personnelle pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne.

Selon l'art. 42 LAI, les assurés impotents (art. 9 LPGA) qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à une allocation pour impotent. L'art. 42bis est réservé (al. 1). L’art. 42bis al. 1 LAI dispose que les ressortissants suisses mineurs qui n’ont pas leur domicile (art. 13 al. 1 LPGA) en Suisse sont assimilés aux assurés en ce qui concerne l’allocation pour impotent, à la condition qu’ils aient leur résidence habituelle (art. 13 al. 2 LPGA) en Suisse.

Le domicile ne suffit ainsi pas toujours à fonder le droit aux prestations, dès lors que la loi exige parfois en plus la résidence habituelle (Ulrich MEYER / Marco REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum IVG, 4ème éd. 2022, n. 3 ad art. 1b LAI).

Le caractère non exportable de l’allocation pour impotent n’est pas contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 139 I 155 consid. 4.3).

6.             Selon l’art. 13 LPGA, le domicile d’une personne est déterminé selon les art. 23 à 26 du Code civil suisse (CC – RS 210) (al. 1). Une personne est réputée avoir sa résidence habituelle au lieu où elle séjourne un certain temps même si la durée de ce séjour est d’emblée limitée (al. 2).

6.1 Aux termes de l’art. 23 CC, le domicile de toute personne est au lieu où elle réside avec l'intention de s'y établir ; le séjour dans une institution de formation ou le placement dans un établissement d'éducation, un home, un hôpital ou une maison de détention ne constitue en soi pas le domicile (al. 1). Nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (al. 2). En vertu de l’art. 25 al. 1 CC, l’enfant sous autorité parentale partage le domicile de ses père et mère ou, en l’absence de domicile commun des père et mère, le domicile de celui de ses parents qui détient la garde ; subsidiairement, son domicile est déterminé par le lieu de sa résidence (al. 1). Conformément à l’art. 24 CC, toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu'elle ne s'en est pas créé un nouveau (al. 1). Le lieu où elle réside est considéré comme son domicile, lorsque l'existence d'un domicile antérieur ne peut être établie ou lorsqu'elle a quitté son domicile à l'étranger et n'en a pas acquis un nouveau en Suisse (al. 2). Cette disposition concrétise le principe de la nécessité du domicile en droit suisse. Ainsi, chaque personne physique doit disposer d’un domicile, et un justiciable ne peut se soustraire à une obligation juridique du fait qu’il serait sans domicile (ATF 138 II 300 consid. 3.6.1). L’intention de quitter un lieu plus tard n’empêche pas d’y constituer un domicile (ATF 127 V 237 consid. 2c).

6.2 La constitution d’un domicile suppose que la personne fasse du lieu en question le centre de ses intérêts personnels et professionnels (ATF 134 V 236 consid. 2.1). Deux éléments doivent être réalisés pour la constitution du domicile volontaire : le premier, la résidence, soit un séjour effectif d'une certaine durée en un endroit déterminé, est objectif et externe, tandis que le second, soit la volonté de rester dans un endroit de façon durable, est subjectif et interne. Pour cet élément, ce n'est cependant pas la volonté interne de la personne concernée qui importe, mais les circonstances reconnaissables pour des tiers, qui permettent de déduire qu'elle a cette volonté (arrêt du Tribunal fédéral 9C_946/2008 du 11 février 2009 consid. 4.1). Le dépôt des papiers constitue un indice de domiciliation, mais il ne saurait l'emporter sur le lieu où se focalise un maximum d'éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 136 II 405 consid. 4.3). Cet indice peut en outre être renversé par des preuves contraires (ATF 125 III 100 consid. 3). Les autres documents administratifs tels que permis de circulation, permis de conduire, papiers d'identité, attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales, ou encore les indications figurant dans des décisions judiciaires ou des publications officielles ne sont pas non plus déterminants à eux seuls. Ils constituent également des indices créant une présomption qui peut être renversée par des preuves contraires (arrêt du Tribunal fédéral 4A_443/2014 du 2 février 2015 consid. 3.4 et les références). Lorsqu'une personne séjourne en deux endroits différents et qu'elle a des relations avec ces deux endroits, il faut tenir compte de l'ensemble de ses conditions de vie, le centre  de son existence se trouvant à l'endroit, lieu ou pays, où se focalise un maximum d'éléments concernant sa vie personnelle, sociale et professionnelle, de sorte que l'intensité des liens avec ce centre l'emporte sur les liens existant avec d'autres endroits (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 5/05 du 6 janvier 2006 consid. 2). En matière d’assurance-maladie, le Tribunal fédéral a retenu qu’il n’est pas admissible de se constituer un domicile ou d’obtenir un titre de séjour uniquement afin de se faire soigner à la charge de l’assurance obligatoire des soins (arrêt du Tribunal fédéral 9C_546/2017 du 30 avril 2018 consid. 4.2). Tant que la raison exclusive de la domiciliation est le traitement médical ou la cure, respectivement tant qu'il n'existe pas un autre but qui justifierait à lui seul la constitution d'un domicile en Suisse, l'intéressé est exclu de l'assurance des soins obligatoire. Savoir si une personne venue en Suisse dans le seul but de s'y faire soigner est définitivement exclue de l'affiliation à l'assurance-maladie sociale dépend donc essentiellement du but poursuivi par la création du domicile en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 9C_217/2007 du 8 avril 2008 consid. 5.2.2).

6.3 La notion autonome de résidence habituelle prévue à l’art. 13 al. 2 LPGA diffère d’une certaine manière de celles de domicile et de résidence déterminante au sens civil. Le législateur s’est laissé guider par les définitions ancrées dans les traités internationaux, ainsi qu’à l’art. 20 de la loi sur le droit international privé (LDIP - RS 291) (Rapport de la Commission du Conseil des Etats du 27 septembre 1990 relatif à l’initiative parlementaire Partie générale du droit des assurances sociales, FF 1991 II 245).

La résidence habituelle a été définie dans la jurisprudence comme la résidence effective dans un pays et la volonté de l’y maintenir (ATF 119 V 111 consid. 7b, ATF 112 V 164 consid. 1a). La doctrine n’a pas remis en cause cette définition (Elena SCHNEIDER, Zum Wohnsitzbegriff im Sozialversicherungsrecht, RSAS 2016, p. 638). En sus de la résidence effective en Suisse et de la volonté d’y conserver cette résidence, le centre de toutes les relations de l'intéressé doit s’y trouver (ATF 141 V 530 consid. 5.3). La notion de résidence doit être comprise dans un sens objectif, de sorte que la condition de la résidence effective en Suisse n'est en principe plus remplie à la suite d'un départ à l'étranger. En cas de séjour temporaire à l'étranger sans volonté de quitter définitivement la Suisse, le principe de la résidence tolère deux exceptions. La première concerne les séjours de courte durée à l'étranger, lorsqu’ils ne dépassent pas le cadre de ce qui est généralement admis et qu'ils reposent sur des raisons valables (visite, vacances, affaires, cure, formation). Leur durée ne saurait dépasser une année, étant précisé qu'une telle durée ne peut se justifier que dans des circonstances très particulières. La seconde concerne les séjours de longue durée à l'étranger, lorsque le séjour, prévu initialement pour une courte durée, doit être prolongé au-delà d'une année en raison de circonstances imprévues telles que la maladie ou un accident, ou lorsque des motifs contraignants (tâches d'assistance, formation, traitement d'une maladie) imposent d'emblée un séjour d'une durée prévisible supérieure à une année (arrêts du Tribunal fédéral 8C_373/2018 du 26 septembre 2018 consid. 6 et 9C_940/2015 du 6 juillet 2016 consid. 2.2).

Pour pouvoir localiser le centre des intérêts personnels, il convient notamment de chercher à savoir où se trouvent la famille, les amis, les activités professionnelles et sociales, le logement, le mobilier et les affaires personnelles. Une visite des lieux est parfois indispensable. Par ailleurs, le lieu où les enfants sont scolarisés joue un rôle. Il convient de donner davantage de poids aux critères objectifs tels que le lieu du logement et celui des activités professionnelles. Les critères subjectifs tels que l’intention de s’établir et de créer un centre de vie passent au second plan, car ils sont difficiles à vérifier. Un séjour éphémère ou de pur hasard en Suisse, de même que l’occupation, dans ce pays, d’un pied-à-terre une à deux fois par semaine, ne suffisent pas à démontrer que la résidence est en Suisse (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l'assurance-chômage, 2014, nn. 10 et 11 ad art. 8). Le centre des intérêts personnels se situe là où les intérêts familiaux et les liens se manifestent de la manière la plus forte (arrêt du Tribunal fédéral 8C_713/2014 du 4 mai 2015 consid. 3.2).

7.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b, ATF 125 V 193 consid. 2). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait dans le doute statuer en faveur de l'assuré (ATF 136 V 39 consid. 6.1), et le défaut de preuve va au détriment de la partie qui entendait tirer un droit du fait non prouvé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_555/2020 du 16 décembre 2020 consid. 2.2.2).

8.             L’extrait du registre de l’office cantonal de la population et des migrations (OCPM) concernant la famille MOHMAND révèle les séjours suivants :

-          feu l’assurée a été domiciliée rue Pestalozzi 7 à Genève jusqu’au 1er juillet 2001, puis chemin des Pontets 31bis à Lancy jusqu’au 16 décembre 2013, et dès cette date à la rue G______ 49 à Carouge. La mère de feu l’assurée a été domiciliée à ces adresses aux mêmes dates ;

-          le père de feu l’assurée a vécu chemin des Pontets 31bis à Lancy jusqu’au 23 août 2009, domicile qu’il a alors quitté pour Dubaï, avant d’y revenir du 1er juillet 2010 au 18 décembre 2013. A cette date, il est reparti pour Dubaï, avant d’élire à nouveau domicile rue G______ 49 dès le 1er août 2015 ;

-          Monsieur D______, frère de feu l’assurée, a définitivement quitté la Suisse pour Dubaï le 7 août 2013 ;

-          Madame F______, sœur de feu l’assurée, a été domiciliée chemin R______ 31bis du 1er juillet 2010 au 16 décembre 2013, puis à la rue G______ 49. Elle a quitté la Suisse pour Dubaï le 28 octobre 2015. Elle a à nouveau été domiciliée à la rue G______ 49 dès le 30 septembre 2018 ;

-          Monsieur E_____, frère de feu l’assurée, a quitté le domicile de Lancy pour Dubaï le 18 décembre 2013. Il s’est à nouveau établi rue G______ 49 le 30 septembre 2018.

9.             La décision de suppression de l’allocation pour impotent est motivée par l’absence de domicile et de résidence habituelle en Suisse de feu l’assurée dès le 8 mai 2014.

9.1 L’intimé est parvenu à cette conclusion en retenant notamment les éléments suivants.

Le domicile annoncé à la rue G______ 49 était un studio meublé de manière très sommaire, occupé par deux jeunes hommes. L'assureur-maladie n'a pas remboursé de prestations en 2015 et 2016. Après sa sortie de l'école spécialisée, la présence de feu l'assurée à Genève pour des motifs médicaux s’est concentrée sur une ou deux périodes par année. Les consultations ont eu lieu en juillet et août 2014, en mai, septembre et début octobre 2015, en juillet et en août 2016, en avril et en août 2017, et fin juillet et août 2018, avant un traitement régulier dès le 12 novembre 2018. L’école a pour la dernière fois facturé les prestations prises en charge par l’assurance-invalidité en 2013. La mère de feu l’assurée était à chaque fois en Suisse pour une courte durée aux dates des examens médicaux, ce que corroborent les dates des retraits ou paiements par carte de débit dans la région genevoise. Les informations des autorités des Emirats Arabes Unis montrent que feu l’assurée et sa mère y étaient résidentes du 22 avril 2014 au 30 septembre 2018. Madame F______ y avait un statut de résidente en 2009 et du 8 décembre 2015 au 14 novembre 2018. Les mouvements d'entrée et de sortie à l'aéroport de Dubaï montrent qu’entre le 8 mai 2014 et le 30 septembre 2018, feu l’assurée n'a quitté Dubaï que pour de courtes périodes, principalement durant l’été.

9.2 La famille de feu l’assurée fait valoir quant à elle les arguments suivants.

La mère de feu l’assurée n’a jamais changé de domicile et a été affiliée à l’assurance-maladie en Suisse. Elle a déclaré ses revenus et sa fortune auprès des autorités suisses. Par ailleurs, elle avait des liens très étroits avec ses sœurs, qui habitaient Genève. Elle a toujours habité l’appartement de la rue G______ à Carouge. Les séjours à Dubaï s'inscrivaient dans un contexte familial complexe. Les parents s’étaient séparés fin 2013 et M. C______ s’était installé à Dubaï avec son fils, qui rencontrait des problèmes en Suisse. La mère de feu l’assurée ne voulait pas partir de Suisse, mais elle a fait de nombreux et brefs voyages à Dubaï avec feu l’assurée pour maintenir les liens parentaux. Elle n’a cependant jamais eu la volonté de se constituer un nouveau domicile dans un pays étranger et n’y a pas tissé de liens sociaux ; elle a conservé des liens étroits avec la Suisse. Feu l’assurée étant lourdement handicapée, elle avait besoin des soins prodigués en Suisse. La famille a vécu à deux endroits différents, feu l’assurée et sa mère en Suisse, son père et ses frères aux Emirats Arabes Unis.

9.3 En l’espèce, conformément aux dispositions légales précitées, tant la résidence habituelle que le domicile de feu l’assurée doivent être pour l’essentiel calqués sur ceux de sa mère, qui en avait la garde pendant la période litigieuse.

9.3.1 En premier lieu, s’agissant du domicile et des critères permettant de fixer le centre des intérêts de feu l’assurée et de sa mère, on relève que la première n’a plus été scolarisée dès 2014 et que la seconde, au bénéfice d’une rente de l’assurance-invalidité selon le dossier de l’intimé, n’allègue pas qu’elle aurait exercé une activité professionnelle en Suisse, de sorte qu’il n’y a aucun attachement particulier au canton de Genève sur ces plans. En outre, en règle générale, pour les personnes mariées, le centre des intérêts s’agissant des relations (Lebensbeziehungen) se trouve au domicile de la famille (Daniel STAEHELIN in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 7ème éd. 2022, n. 1 ad art. 23 CC). Or, la famille nucléaire de Mme Hadia MOHMAND – soit son mari et ses deux fils – vivait à Dubaï pendant la période litigieuse. L’allégation selon laquelle elle aurait entretenu d’autres liens étroits à Genève n’est guère étayée. On relève qu’elle n’a pas requis l’audition de membres de sa propre famille ou d’amis proches qui permettrait de corroborer ses dires et que les témoins entendus – lorsqu’il ne s’agit pas simplement de personnes avec qui la famille de feu l’assurée entretient des relations commerciales – paraissent avoir eu avec elle des relations plutôt superficielles. Qui plus est, alors que la mère de l’assurée soutient avoir vécu notamment chez ses parents au Grand-Saconnex, on ne trouve pas trace de ceux-ci à Genève dans le registre de l’OCPM. Quant au traitement médical suivi par feu l’assurée à Genève, il est limité, selon les explications données par sa mère en 2016 à l’OAIE, à deux consultations par année chez son pédiatre et son ophtalmologue et à un examen annuel aux HUG, ce qui ne suffit pas à retenir un lien étroit avec le canton.

Au vu de ces éléments, on ne saurait considérer que feu l’assurée et sa mère ont conservé le centre de leurs intérêts à Genève durant la période litigieuse. Le fait qu’elles y soient restées domiciliées officiellement n’y suffit pas, dès lors qu’il s’agit là d’un simple indice, qu’infirment les éléments précités. Elles avaient du reste simultanément le statut de résidentes à Dubaï. On relève d’ailleurs que le père de feu l’assurée a annoncé à l’OCPM sa domiciliation à Carouge en août 2015, alors même qu’il admet avoir vécu à Dubaï durant la période litigieuse, ce qui confirme que les données telles qu’elles ressortent du registre de l’OCPM ne sont pas déterminantes. Le fait que la mère de feu l’assurée ait été imposée en 2015 à Genève et qu’elle y ait conservé une couverture d’assurance-maladie n’est pas non plus décisif, dès lors qu’il s’agit là des conséquences juridiques de sa domiciliation officielle dans ce canton.

9.3.2 En ce qui concerne les témoignages censés établir la résidence effective de feu l’assurée et sa mère à Genève, la Cour de céans retient ce qui suit.

Mme N______ affirme avoir fréquemment croisé feu l’assurée avec sa mère. Cela étant, son témoignage s’avère contradictoire, puisqu’elle affirme à la fois qu’elles faisaient des allers-retours à Dubaï, tout en indiquant plus tard que ces déplacements étaient très rares. De plus, selon ce témoin, le père de feu l’assurée est parti avec ses trois autres enfants – dont F______, ce qui est en contradiction avec les déclarations des intéressés. En effet, Mme B______ a exposé à l’OAIE en avril 2016 que F______ a continué à vivre avec elle et feu l’assurée, ce qui figure également dans un protocole d’entretien de l’OAIE du 12 août 2016.

Quant à la concierge de l’immeuble de la rue G______, Mme O______, son témoignage n’amène aucun élément probant, le témoin ayant admis ne pas s’être rendu compte des mouvements des locataires : elle n’a ainsi pas remarqué le départ du père, ni le fait que l’appartement a été occupé par d’autres personnes, alors même que l’oncle de feu l’assurée indique y avoir vécu plusieurs années.

Les deux ou trois visites du comptable du père de feu l’assurée à la rue G______ ne suffisent à l’évidence pas non plus à établir que celle-ci y résidait de manière durable.

En ce qui concerne M. L______, qui n’a du reste pas été entendu à titre de témoin en raison de ses liens familiaux avec la recourante, conformément à l’art. 31 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA ‑ E 5 10), ses déclarations appellent les commentaires suivants. En premier lieu, il soutient que feu l’assurée ne pouvait vivre à Dubaï en raison de son état de santé, alors même que les parents de celle-ci ont fait valoir que c’était précisément en raison du climat favorable à sa santé qu’elle y séjournait régulièrement. Il rapporte un à deux voyages par année à Dubaï d’une durée limitée, ce qui ne concorde pas avec les déclarations de la mère de feu l’assurée, qui disait en avril 2016 s’y rendre tous les deux à trois mois, et indiquait dans ses observations de décembre 2016 y passer six mois par an. Quant au fait que l’appartement de la rue G______ n’aurait pas été habité par d’autres personnes, on note que la mère de feu l’assurée a admis que deux amis de son mari y logeaient lors de la visite de l’OAI. On ne peut ainsi pas accorder de crédit particulier aux renseignements donnés par l’oncle de feu l’assurée, qu’infirment tant les déclarations de Mme B______ que les pièces du dossier.

La pharmacienne a quant à elle indiqué avoir régulièrement vu les membres de la famille de feu l’assurée. Elle ne précise toutefois pas la fréquence de ces interactions et n’affirme pas qu’elle n’aurait délivré les médicaments qu’à la mère de feu l’assurée. L’acquisition régulière de produits dans cette pharmacie ne suffit pas à démontrer la résidence effective de feu l’assurée et sa mère dans le canton de Genève, dès lors qu’on ne sait pas à qui ils ont été remis et qu’ils ont pu être consommés dans un autre lieu.

Par ailleurs, le dossier révèle des incertitudes quant à l’endroit où feu l’assurée et sa mère auraient séjourné à Genève. Le logement de la rue G______ était occupé par des tiers lors de la visite de l’OAIE, en 2016. M. L______ a certes déclaré que cet appartement n’aurait jamais été occupé par des tiers après son départ, qu’il fait remonter à 2008. Cependant, il paraît pour le moins surprenant que la famille de feu l’assurée ait conservé un appartement vide, sans le sous-louer à des tiers, pendant près de six ans, jusqu’à l’emménagement d’une partie de la famille en 2014. On peut ainsi légitimement se demander si ce studio était vraiment habité par feu l’assurée ou sa fille ou s’il était occupé par des sous-locataires. D’ailleurs, Mme B______ a indiqué à l’OAIE en avril 2016 qu’elle et sa fille vivaient « un peu partout », notamment rue de la H______ chez M. L______, chez sa belle-sœur à Annemasse ou chez ses parents. On note du reste la présence au dossier d’une ordonnance médicale établie le 18 août 2016 pour feu l’assurée, indiquant pour adresse la rue H______. De plus, on s’interroge sur le fait que trois personnes (soit feu l’assurée, sa mère et pendant un certain temps en tout cas sa sœur) aient habité un studio que l’OAI a décrit comme étant sommairement meublé, d’autant plus que feu l’assurée avait besoin de moyens auxiliaires, comprenant notamment un déambulateur et un pousse-pousse Buggy impliquant un certain encombrement dans un espace déjà exigu. Ces éléments tendent à suggérer que feu l’assurée et sa mère n’avaient pas de lieu d’habitation permanent à Genève, alors qu’elles disposaient d’une villa à Dubaï, ce qui plaide contre une résidence effective durable en Suisse.

Enfin, et surtout, les documents officiels remis par les autorités émiraties, notamment les registres d’entrées et de sorties à l’aéroport de Dubaï, révèlent que feu l’assurée et sa mère y ont séjourné durablement – presque exclusivement –, à l’exception de brèves sorties du pays. A partir du 8 mai 2014, date retenue par l’intimé pour la suppression de l’allocation pour impotent, feu l’assurée n’a quitté Dubaï que huit jours en 2014, un mois et demi en été 2015, 20 jours au printemps 2016, deux mois en été 2016, et sept jours à la fin de l’année 2016. Elle a à nouveau passé un mois et demi hors des Emirats Arabes Unis en été 2017 et deux mois en été 2018. Ces documents – dont l’exactitude n’a pas été remise en cause par la recourante – établissent ainsi au degré de la vraisemblance prépondérante que feu l’assurée n’avait pas sa résidence effective à Genève dès le 8 mai 2014 en tout cas.

9.4 S’agissant des moyens soulevés par la recourante, on relèvera d’une part que l’intimé ne s’est pas fondé uniquement sur la taille de l’appartement de la rue G______ pour nier la résidence de feu l’assurée en Suisse, de sorte qu’il n’y a rien de contradictoire à admettre la résidence de la famille à cette adresse dès octobre 2018, notamment au vu du départ enregistré à l’aéroport de Dubaï et du traitement régulier dès cette date à Genève. De plus, l’intimé n’a pas uniquement tenu compte des éléments du dossier constitué par l’OAIE, mais il a complété son instruction par l’obtention de plusieurs documents probants.

9.5 Au vu des éléments qui précèdent, la décision de l’intimé supprimant l’allocation pour impotent dès le 8 mai 2014 doit être confirmée.

10.         Il convient encore de trancher la décision exigeant la restitution des allocations versées du 8 mai 2014 au 30 juin 2015, qui s’élèvent à CHF 45'845.30 selon le décompte de l’intimé.

10.1 En vertu de l'art. 25 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l'intéressé était de bonne foi et qu'elle le mettrait dans une situation difficile (al. 1). Le droit de demander la restitution s'éteint un an après le moment où l'institution d'assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d'un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant (al. 2). Selon la teneur de l’art. 25 al. 2 1ère phrase de cette disposition depuis le 1er janvier 2021, le droit de demander la restitution s'éteint trois ans après le moment où l'institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation.

Les délais de l'art. 25 al. 2 LPGA sont des délais relatif et absolu de péremption, qui doivent être examinés d'office (arrêt du Tribunal fédéral 8C_535/2020 du 3 mai 2021 consid. 3.2). Le délai de péremption absolu de cinq ans commence à courir à la date du versement effectif de la prestation. Il met un point final à un rapport d'obligation entre l'assurance et le débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 8C_616/2009 du 14 décembre 2009 consid. 3.2).

Selon la jurisprudence, l'obligation de restituer prévue par l'art. 25 al. 1 LPGA implique que soient réunies les conditions d'une reconsidération (cf. art. 53 al. 2 LPGA) ou d'une révision procédurale (cf. art. 53 al. 1 LPGA) de la décision par laquelle les prestations ont été accordées (arrêt du Tribunal fédéral 9C_341/2017 du 27 septembre 2017 consid. 4.1). Les délais de l'art. 25 al. 2 LPGA sont des délais (relatif et absolu) de péremption, qui doivent être examinés d'office (arrêt du Tribunal fédéral 8C_535/2020 du 3 mai 2021 consid. 3.2).

S'agissant de l'interruption de la péremption de la créance en restitution de prestations indues, le Tribunal fédéral a considéré qu'une première décision de restitution de prestations rendue avant l'échéance du délai de péremption sauvegarde valablement ce délai, quand bien même elle est par la suite annulée et remplacée par une nouvelle décision de restitution portant sur un montant corrigé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_366/2022 du 19 octobre 2022 consid. 5.3.2 et les références).

10.2 En l’espèce, la découverte de la résidence effective à Dubaï constitue un fait nouveau justifiant la révision du droit aux prestations. Par ailleurs, les décisions de l’OAIE ont été rendues dans le respect des délais relatif et absolu prévus par l’art. 25 LPGA, si bien que les créances qu’elles visaient – soit les allocations pour impotent versées du 22 août 2014 au 30 juin 2015 – ne sont pas périmées, conformément à la jurisprudence. Certes, l’intimé a exigé une restitution plus étendue dans le temps, puisqu’il demande en sus le remboursement des allocations pour impotent correspondant à la période du 8 mai 2014 au 30 juin 2015. Cela étant, le droit d’exiger leur restitution n’est pas non plus périmé, puisque ces prestations n’ont été versées que le 23 octobre 2014. Or, le délai de restitution des prestations versées à partir du 22 août 2014 a été valablement sauvegardé par les décisions initiales de l’OAIE, comme on l’a vu.

Les montants versés par l’assurance-invalidité au titre des allocations pour impotent n’étant pas contestés, la restitution des prestations doit être confirmée tant dans son principe que dans sa quotité.

La remise à laquelle a conclu la recourante fait l'objet d'une procédure distincte de la restitution (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 64/06 du 30 octobre 2007 consid. 4), de sorte qu’il appartiendra à l’intimé de statuer sur ce point.

11.         Les recours sont rejetés.

La procédure en matière d’octroi de prestations de l’assurance-invalidité n’étant pas gratuite (art. 69 al. 1bis LAI), la recourante supporte l’émolument de CHF 200.-

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare les recours recevables.

Au fond :

2.        Les rejette.

3.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de la recourante.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le