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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3718/2021

ATAS/658/2023 du 01.09.2023 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3718/2021 ATAS/658/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 1er septembre 2023

Chambre 9

 

En la cause

A______
représenté par Maître Pierre-Bernard PETITAT, avocat

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1982, est célibataire et sans enfant. Il est de nationalité suisse et portugaise.

b. L’assuré a obtenu un certificat fédéral de capacité en 2002 en tant que peintre en bâtiment. Après avoir travaillé pendant environ sept ans au service de B______ et avoir ensuite alterné missions temporaires et indemnités de chômage, il a été engagé le 16 juillet 2018 par la société C______, société sise dans le canton de Genève, en tant que peintre en bâtiment à temps plein pour un salaire annuel de CHF 67'839.-, sur la base d’un salaire horaire de CHF 29.65 et avec un treizième salaire contractuel.

c. Il a été en incapacité de travail à compter du 31 janvier 2019.

d. Par courrier daté du 6 mars 2019, C______ a résilié le contrat de travail de l’assuré pour le 31 mars de la même année.

B. a. Par formulaire, reçu le 4 juillet 2019 par l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI), l’assuré a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité.

b. Dans un rapport d’expertise psychiatrique daté du 24 juillet 2019 et rédigé pour le compte de l’assurance privée perte de gain maladie d’C______, le docteur D______, médecin spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a retenu que l’assuré souffrait d’un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2 de la classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes de l’Organisation mondiale de la santé, 10e édition [2008 pour la dernière version française ; ci-après : CIM-10]) engendrant des limitations fonctionnelles. L’assuré souffrait également d’une dépendance liée à l’utilisation de dérivés du cannabis (F12.2 CIM-10), sans que celle-ci soit source de limitations fonctionnelles. Selon le Dr D______, la capacité de travail de l’assuré était nulle jusqu’au 30 septembre 2019, puis de 50% jusqu’à la mi-octobre et entière par la suite, vu le pronostic favorable de l’évolution du trouble dépressif.

c. Dans un rapport daté du 30 septembre 2019, le docteur E______, médecin praticien (généraliste) et médecin traitant de l’assuré, a diagnostiqué chez l’assuré un épisode dépressif sévère (F32.2 CIM-10) ayant débuté au cours du mois de janvier 2019, ainsi qu’une dépendance liée à l’utilisation de dérivés du cannabis (F12.2 CIM-10) remontant au début des années 2000. Il a considéré que l’assuré était totalement incapable de travail dans toute activité depuis le 30 janvier 2019.

d. Dans un rapport daté du 7 juillet 2020, le docteur F______, médecin spécialiste FMH en allergologie et immunologie clinique, a relevé que l’assuré présentait une hypersensibilité aux solvants et aux isocyanates contenues dans les peintures. Au vu des symptômes engendrés par cette hypersensibilité, notamment de l’asthme, des céphalées et des troubles digestifs fonctionnels, la capacité de travail de l’assuré dans son ancienne activité de peintre en bâtiment était nulle. La capacité de travail de celui-ci était en revanche entière dans une activité adaptée.

e. Dans un rapport adressé à l’OAI et daté du 8 juillet 2020, le docteur G______, médecin spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie et psychiatre traitant de l’assuré, a retenu que l’assuré souffrait d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques (F33.2 CIM-10), d’une dépendance liée à l’utilisation de dérivés du cannabis (F12.2 CIM-10) et d’un trouble mixte de la personnalité (F61 CIM-10) sous la forme d’une personnalité avec des traits immatures et impulsifs et quelques traits narcissiques. La capacité de travail de l’assuré était nulle en l’état et potentiellement de 70% dans un milieu professionnel adapté. Le Dr G______ mentionnait également qu’il suivait l’assuré depuis le 23 octobre 2019 mais que leur relation médicale était « erratique », l’assuré ne se rendant pas systématiquement à ses rendez-vous, tout en requérant parfois une consultation en urgence et ne suivant qu’aléatoirement les traitements prescrits.

f. Dans un rapport d’expertise psychiatrique daté du 10 juin 2021, le docteur H______, médecin spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie mandaté par l’OAI, a considéré que l’assuré souffrait d’une dépendance liée à l’utilisation de dérivés du cannabis (F12.2 CIM-10) et d’une dysthymie (F34.1 CIM-10). Il était en rémission s’agissant de son trouble dépressif (F33.4 CIM-10) et présentait une accentuation de certains traits de sa personnalité (Z73.1 CIM-10). De l’opinion du Dr H______, l’assuré était pleinement capable de travailler dans son ancienne activité de peintre en bâtiment ou dans une activité sans responsabilité depuis le 1er octobre 2019. Le Dr H______ mentionnait encore une tendance de l’assuré à l’exagération caricaturale, une très mauvaise coopération thérapeutique, respectivement une absence de volonté de celui-ci de traiter ses troubles à la santé, et notamment de réduire sa consommation de cannabis, ainsi qu’une discrépance entre ses plaintes et les habitudes de vie de celui-ci.

g. Dans un rapport daté du 2 juillet 2021, se fondant sur l’expertise susmentionnée du Dr H______, la docteure I______, médecin spécialiste FMH en médecine interne générale du Service médical régional romand de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR) a retenu une incapacité de travail totale de l’assuré du 31 janvier au 30 septembre 2019, suivie d’une capacité de travail entière, y compris dans l’ancienne activité de peintre en bâtiment.

h. Par projet de décision daté du 8 juillet 2021, l’OAI a informé l’assuré qu’il comptait rendre une décision établissant qu’il n’avait droit ni à des mesures d’ordre professionnel, ni à une rente d’invalidité. Le degré d’invalidité de l’assuré était de 9%, soit un taux inférieur tant au seuil de 40% nécessaire pour fonder le droit à une rente d’invalidité, qu’au seuil d’environ 20% nécessaire pour ouvrir l’accès à des mesures de reclassement professionnel de l’assurance-invalidité.

i. Par décision du 27 septembre 2021 et reçue le 1er octobre 2021, l’OAI a nié le droit de l’assuré aux mesures d’ordre professionnel et à une rente d’invalidité.

C. a. Par acte du 1er novembre 2021, l’assuré a recouru contre cette décision auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant à l’octroi de prestations de l’assurance-invalidité en sa faveur, subsidiairement au renvoi de la cause à l’OAI pour complément d’instruction, sous suite de frais et dépens.

En substance, le recourant a contesté le taux d’invalidité de 9% retenu par l’assurance-invalidité.

Il a notamment produit un rapport daté du 11 novembre 2021 de la docteure J______, spécialiste de la douleur, migraines et céphalées et médecin praticienne suivant l’assuré depuis le 24 septembre 2020, mentionnant une capacité de travail nulle dans son ancienne activité et de 50% au plus dans une activité adaptée du fait de violentes céphalées d’origine anxiodépressive qui s’aggravaient, ainsi qu’un rapport du Dr E______ daté du 22 novembre 2021, constatant que l’état de santé de l’assuré ne s’améliorait pas et mentionnant une absence sensible de collaboration de l’intéressé dont la personnalité révélait des traits immatures, impulsifs et rigides.

b. Par réponse du 30 novembre 2021, l’intimé a conclu au rejet du recours.

Le taux d’invalidité de 9% correspondait aux informations ressortant du rapport du Dr H______, lequel prévalait sur l’avis contraire des médecins traitants.

c. Par déterminations des 21 décembre 2021 et 5 janvier 2022, le recourant a persisté dans son argumentation et produit un rapport complémentaire du Dr G______ daté du 30 décembre 2021, d’où il ressort que son état psychiatrique s’était aggravé depuis son dernier rapport de juillet 2020. Il a relevé une accentuation du tableau dépressif sévère, une aggravation des migraines une péjoration de sa situation sociale (isolement, aucune perspective professionnelle). L’assuré présentait des idées suicidaires et mettait en avant une phobie sociale. Il bénéficiait d’un suivi hebdomadaire et un traitement pharmacologique renforcés. Le médecin ne souscrivait pas à l’appréciation du Dr H______ du 10 juin 2021 et de la Dre I______ du 2 juillet 2021. Il considérait certes l’assuré comme immature, mais sans qu’il y ait lieu de retenir une dramatisation des plaintes de ce dernier.

d. Dans un avis du 27 janvier 2022, le SMR s’est déterminé sur les rapports de la Dre J______, du Dr E______ et du Dr G______ et a considéré que ceux-ci ne permettaient pas de remettre en cause les conclusions du rapport du Dr H______.

e. Le 2 février 2022, l’intimé s’est déterminé sur les observations complémentaires du recourant et sur le rapport complémentaire du Dr G______ et, après avoir requis une détermination du SMR, a maintenu sa position quant à la force probante de l’expertise du Dr H______.

f. Par ordonnance d’expertise du 30 janvier 2023, la chambre de céans a mandaté la docteure K______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, pour établir une expertise psychiatrique.

À la lecture du rapport du Dr H______, il n’était pas possible de comprendre comment un assuré qui souffrait d’un épisode dépressif sévère à l’été 2019, comme l’admettait le Dr H______, pouvait néanmoins être entièrement capable de travailler au 1er octobre 2019 alors même que la quasi-totalité des facteurs d’évolution favorables mentionnés par le Dr D______ étaient absents. Le rapport du Dr H______ ne procédait pas à une analyse de la capacité de travail du recourant selon la procédure d’évaluation structurée normative, même sous une forme sommaire, alors même qu’il se rangeait à la conclusion du Dr D______ sur l’existence d’un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques jusqu’en septembre 2019 à tout le moins. L’absence de pathologie incapacitante chez le recourant était, au demeurant, sérieusement remise en doute par les rapports des médecins traitants.

g. Le 2 mai 2023, la Dre K______ a rendu son expertise, fondée sur trois entretiens les 7, 16 et 23 mars 2023. Elle a posé les diagnostics, avec incidence sur la capacité de travail, de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques, personnalité borderline, troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, syndrome de dépendance, utilisation continue ; phobie sociale, hypersensibilité aux isocyanates et aux solvants des peintures et migraines. Quant aux diagnostics sans effet sur la capacité de travail l’experte a retenu les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de tabac, syndrome de dépendance, utilisation continue et troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de l’alcool, syndrome de dépendance, utilisation épisodique. La capacité de travail était nulle depuis le 31 janvier 2019 tant dans son activité habituelle que dans une activité adaptée.

h. Le 7 juin 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions. L’expertise judiciaire avait pleine valeur probante.

i. Le même jour, l’OAI a indiqué qu’il ne pouvait pas suivre les conclusions de l’expertise judiciaire. Aucun élément objectif qui aurait été ignoré dans le cadre de l’instruction n’avait été mis en évidence. La décision litigieuse datait du 27 septembre 2021, de sorte que c’était la situation médicale antérieure à cette date qui était déterminante.

Selon l’avis du SMR du 7 juin 2023, auquel l’OAI se référait, l’experte sortait de son champ de compétence en se prononçant sur des atteintes somatiques. Concernant le trouble dépressif récurrent, la récurrence relevée était uniquement anamnestique et n’avait pas nécessité de suivi psychiatrique spécialisé. Concernant la sévérité de l’épisode actuel décrit au status, l’experte indiquait que la situation s’était possiblement aggravée depuis l’expertise du Dr H______, notamment avec une perte pondérale de 10 kilos depuis une année avant l’expertise actuelle et une augmentation de la consommation de cannabis. Elle était donc postérieure à la décision entreprise. Il résulterait tant du rapport du Dr D______ que de celui du Dr H______ que la consommation du recourant avait débuté dans un cadre festif et que les troubles psychiatriques associés étaient postérieurs à sa consommation. L’expertise judiciaire était contradictoire s’agissant de l’effet de la consommation d’alcool sur la capacité de travail du recourant. Enfin, les diagnostics de trouble de la personnalité, de phobie sociale d’anosognosie étaient remis en cause.

j. La chambre de céans a transmis cette écriture à l’assuré.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Selon l’art. 69 al. 1 let. a LAI, les décisions des offices AI cantonaux peuvent directement faire l’objet d’un recours devant le tribunal des assurances du domicile de l’office concerné.

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les formes prévues par la loi (cf. art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]) et dans le délai de recours de trente jours qui courait jusqu’au dimanche 31 octobre 2021 et dont l’échéance était donc reportée au lundi 1er novembre (cf. art. 38 al. 3 et 60 LPGA), le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur le droit du recourant aux prestations de l’assurance-invalidité, et singulièrement sur son degré d’invalidité.

2.1 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l’état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

2.2 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Selon l’art. 17 al. 1 LAI, l’assuré a droit au reclassement dans une nouvelle profession si son invalidité rend cette mesure nécessaire et que sa capacité de gain peut ainsi, selon toute vraisemblance, être maintenue ou améliorée. Selon la jurisprudence, une mesure de reclassement implique que le degré d’invalidité de l’assuré soit d’au moins 20% environ (ATF 139 V 399 consid. 5.3 ; ATF 130 V 488 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_500/2020 du 1er mars 2021 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_320/2020 du 6 août 2020 consid. 2.2).

2.3 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. Le fait qu’une personne souffre d’un trouble à la santé de nature psychique ne signifie cependant pas qu’elle soit totalement incapable de travailler dans tous les domaines ; son incapacité de gain doit donc être examinée concrètement, comme pour les autres troubles à la santé (ATF 143 V 409 consid. 4.2.1 ; ATF 142 V 106 consid. 4.3).

2.4 La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un psychiatre et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel la CIM ou le DSM-IV (ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1; ATF 130 V 396 consid. 6.3).

Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (procédure d’évaluation structurée normative de la capacité de travail) (ATF 141 V 281 consid. 7.1 et 7.2). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 4.3 et 4.4 ; voir également : ATF 145 V 215 consid. 5.3.3). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 141 V 281 consid. 4.3 et 4.4, avec la modification prévue à l’ATF 143 V 418 consid. 8.1).

2.5 Si un expert retient l’existence d’un ou plusieurs troubles médicaux de nature psychiatrique, il doit ainsi procéder à une évaluation de la capacité de travail du recourant en application de la procédure structurée normative.

En principe, seul un trouble psychique grave est susceptible d’entrainer une incapacité de gain ; le cas échéant, il reviendra donc à l’expert de motiver de manière détaillée en quoi il existe des éléments qui permettent de conclure à une incapacité de travail de l’assuré en présence d’un trouble psychique de gravité moyenne ou légère (ATF 148 V49 consid. 6.2.2 ; ATF 143 V 40 consid. 4.5.2).

Les indicateurs de la procédure structurée normative sont classés comme suit :

I. Catégorie « degré de gravité fonctionnelle »

Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l’instrument de base de l’analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence.

A. Axe « atteinte à la santé »

1. Caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour le diagnostic

Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour ce diagnostic (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1).

2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers

Le déroulement et l'issue d'un traitement médical sont en règle générale aussi d'importants indicateurs concernant le degré de gravité du trouble psychique évalué. Il en va de même du déroulement et de l'issue d'une mesure de réadaptation professionnelle. Ainsi, l'échec définitif d'une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l'art de même que l'échec d'une mesure de réadaptation - malgré une coopération optimale de l'assuré - sont en principe considérés comme des indices sérieux d'une atteinte invalidante à la santé. À l'inverse, le défaut de coopération optimale conduit plutôt à nier le caractère invalidant du trouble en question (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2 : arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2.1.3). Dans ce cadre, une coopération de l'assuré en vue de son intégration sur le marché du travail malgré son trouble est un indicateur important du caractère invalidant ou non dudit trouble: un échec de son intégration malgré sa coopération optimale est un indice important du caractère invalidant de l'atteinte à la santé de l'assuré, alors qu'une absence de coopération est un indice fort d'absence d'incapacité de gain (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2).

3. Comorbidités

Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Toute atteinte psychique à la santé différente de celle faisant l’objet de la procédure d’évaluation structurée de la capacité de travail et ayant un impact sur les ressources/capacités de l’assuré doit être prise en compte, y compris lorsqu’elle n’est pas invalidante en tant que telle (ATF 143 V 418 consid. 4.3.1.3 [réformant sur ce point l’ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3] ; voir également : arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.3).

B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)

Le « complexe personnalité » englobe, à côté des formes classiques du diagnostic de la personnalité qui vise à saisir la structure et les troubles de la personnalité, le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du moi » qui désignent des capacités inhérentes à la personnalité, permettant des déductions sur la gravité de l’atteinte à la santé et de la capacité de travail (par exemple : auto-perception et perception d’autrui, contrôle de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2). Étant donné que l’évaluation de la personnalité est davantage dépendante de la perception du médecin examinateur que l’analyse d’autres indicateurs, les exigences de motivation sont plus élevées (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2).

C. Axe « contexte social »

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social ; il faut cependant toujours veiller ne pas indemniser par ce biais une situation sans lien avec l'impact de l'atteinte à la santé (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_717/2019 du 30 septembre 2020 consid. 6.2.5.3). À l’inverse, des ressources préservées ne sauraient être inférées de relations maintenues avec certains membres de la famille dont la personne assurée est dépendante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2020 du 22 octobre 2020 consid. 5.2).

II. Catégorie « cohérence »

Il convient ensuite d’examiner si les conséquences qui sont tirées de l’analyse des indicateurs de la catégorie « degré de gravité fonctionnel » résistent à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence ». Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l’assuré. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d’autres raisons qu’une atteinte à la santé (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 consid. 5.2.4).

A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie

Il s’agit ici de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu’ici doit désormais être interprété de telle sorte qu’il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé (ATF 141 V 281 consid. 4.4.1).

B. Poids de la souffrance révélé par l’anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation

La mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés par l’assuré, permet d’évaluer le poids effectif des souffrances (ATF 141 V 281 consid. 4.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_569/2017 du 18 juillet 2018 consid. 5.5.2). Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours, en ce sens qu’il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie) (ATF 141 V 281 consid. 4.4.2). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation ; un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons qu’à l'atteinte à la santé assurée (ATF 141 V 281 consid. 4.4.2).

2.6 En principe, le juge ne s'écarte pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 précité consid. 3b/aa p. 352 s. et les références).

3.              

3.1 En l’occurrence, la chambre de céans a confié une expertise judiciaire psychiatrique à la Dre K______ après avoir constaté qu’il n’était pas possible de comprendre comment un assuré qui souffrait d’un épisode dépressif sévère à l’été 2019, comme l’admettait Dr H______, pouvait néanmoins être entièrement capable de travailler au 1er octobre 2019 alors même que la quasi-totalité des facteurs d’évolution favorables mentionnés par le Dr D______ étaient absents. Le rapport du Dr H______ ne procédait pas à une analyse de la capacité de travail du recourant selon la procédure d’évaluation structurée normative, même sous une forme sommaire, alors même qu’il se rangeait à la conclusion du Dr D______ sur l’existence d’un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques jusqu’en septembre 2019 à tout le moins. L’absence de pathologie incapacitante chez le recourant était, au demeurant, sérieusement remise en doute par les rapports des médecins traitants.

Fondé sur toutes les pièces du dossier, comprenant une anamnèse, la description d’une journée-type, les plaintes du recourant, un status clinique, un dosage sanguin et des tests psychométriques, posant des diagnostics clairs avec une analyse de leur impact sur la capacité de travail du recourant, le rapport d’expertise de la Dre K______ répond aux critères jurisprudentiels précités pour qu’il lui soit reconnu une pleine valeur probante.

L’experte retient les diagnostics, avec incidence sur la capacité de travail, de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques (F33.2), de personnalité borderline (F60.3), de troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, syndrome de dépendance, utilisation continue (F12.25), de phobie sociale (F40.10) et d’hypersensibilité aux isocyanates et aux solvants des peintures et de migraines (G43).

Les diagnostics psychiques posés par l’experte et les constatations médicales y relatives ont été dûment motivés.

S’agissant d’abord du trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques (F33.2), l’experte a constaté la survenue répétée d’épisodes dépressifs légers, moyens ou sévères depuis l’adolescence, vers l’âge de 13 ans, de 16 ans, de 20 ans, et depuis 2018, chaque épisode persistant pendant trois à douze mois et l’assuré décrivant une nette amélioration entre chaque épisode. L’experte a qualifié ce trouble de sévère en raison d’une perte de l’estime de soi, d’une anhédonie, d’une aboulie, d’une thymie dépressive sévère, d’une perte de l’élan vital, de symptômes cognitifs majeurs (perte de concentration, perturbation de la communication, déficit attentionnel), d’un épuisement et d’une fatigabilité importante, d’une agitation psychomotrice couplée à un ralentissement psychomoteur marqué, de la cessation de l’activité professionnelle et de l’absence de vie sociale.

En ce qui concerne ensuite le diagnostic de trouble de la personnalité borderline, l’experte a évoqué les critères diagnostiques dans plusieurs pages de son rapport d’expertise. Elle a ainsi extrait de l’anamnèse (relations sentimentales) et des plaintes exprimées par le recourant (réaction face à l’injustice, états de colère, violence, comportements explosifs, sentiment de vide interne), de nombreux éléments (réaction aux conflits et aux critiques, menaces répétées de suicide ou de gestes auto-agressifs, contextes d’abandon, fonctionnement paranoïaque) mettant en évidence des traits de caractère (tendance à agir avec impulsivité et sans considération pour les conséquences possibles, instabilité de l’humeur, capacités d’anticipation réduites, perturbation de l’image de soi) justifiant le diagnostic de trouble de la personnalité borderline, qu’elle a qualifié de grave.

Les troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, syndrome de dépendance, utilisation continue, reposent sur le DSM5 et sont admis par l’ensemble des médecins. L’experte a en particulier constaté l’ampleur de la consommation de l’assuré, relevant que le dosage sanguin avait montré un taux très élevé de THC, soit la quantité mesurable maximale, étant précisé que le recourant avouait consommer, quotidiennement, 20 cigarettes de cannabis depuis environ deux ans. Selon l’experte, son addiction devait être considérée comme une toxicomanie à une drogue dure, tant sa présence anéantissait toute volonté, toute lucidité et détruisait sa cognition.

Enfin, la phobie sociale repose également sur le DSM5 et a été posée en référence à l’anamnèse de l’assuré et par la passation de l’Échelle d’anxiété sociale de Liebowitz (EASL).

On ajoutera que, selon l’experte, une exagération des symptômes n’entre pas en ligne de compte, l’assuré ayant plutôt tendance à minimiser ses difficultés, notamment en rapport avec ses addictions. Cette appréciation rejoint celle du médecin traitant de l’assuré (rapport du Dr G______ du 30 décembre 2021).

S’agissant du degré de « gravité fonctionnel », les nombreux éléments constatés par l’experte psychiatre lui ont permis de mettre en évidence les interactions entre les affections diagnostiquées ainsi que les conséquences de ces interactions sur la capacité du recourant à exploiter ses ressources personnelles. L’experte a en particulier retenu que la consommation de cannabis était secondaire et avait commencé à s’installer dans le prolongement de la présentation du premier épisode dépressif réactionnel à la situation familiale de changement de pays, de la maladie que traversait sa sœur jumelle et au manque d’attention de la part de ses parents. L’experte a toutefois précisé que la problématique de l’addiction ne résultait pas de la dépression, mais du trouble de la personnalité. L’addiction était en effet présente bien avant la dépression. Le fonctionnement psychique inhérent au trouble de la personnalité favorisait la survenue de comorbidités psychiques ainsi que des comorbidités somatiques appelées « somatisations ». En présence d’un grave trouble de la personnalité, il y avait pratiquement toujours des troubles psychiques additionnels qui étaient la conséquence de la fragilité provoquée par ce trouble. L’experte a par ailleurs expliqué qu’en raison du trouble de la personnalité, l’assuré ne parvenait pas à s’impliquer dans la relation, avait des difficultés à établir des liens d’attachement profonds et durables. Au niveau professionnel, il n’était pas resté longtemps chez le même employeur en raison de ses difficultés à nourrir la relation de son côté. Le manque de contrôle des impulsions et les difficultés à se soumettre à un quelconque cadre rendaient l’exercice d’une profession complexe. Le trouble de la personnalité était, selon l’experte, la « colonne vertébrale » du fonctionnement psychique pathologique de l’assuré. Les limitations qui en découlaient étaient multiples et favorisaient la survenue de comorbidités telles que la dépression, l’anxiété et les addictions.

À propos du complexe « personnalité », l’experte a expliqué, en plus de ce qui vient d’être exposé, que la configuration de la personnalité du recourant forgeait une tendance à avoir de la difficulté à se remettre en question et à s’investir dans le sevrage de sa toxicomanie. Son trouble de la personnalité lui confère une très mauvaise image de lui-même. Il a un sentiment chronique de vide interne lorsqu’il est seul, avec un ressenti d’abandon. Il est dès lors difficile de lui demander d’être abstinent, car l’utilisation du cannabis ou de l’alcool est un moyen de ne plus sentir ce vide, cet abandon.

S’agissant du complexe « contexte social », l’experte a relevé que ses ressources étaient maigres, car il avait un seul ami, mais qu’il ne le voyait que très peu, n’ayant pas d’endroit où le recevoir. Il n’avait plus de relation sentimentale depuis des mois. Il ne voyait plus son frère aîné et ne rencontrait sa sœur jumelle que très rarement. Son réseau social et familial tenait à sa mère, qu’il ne voyait qu’une à deux fois par mois. Les activités sociales et de la vie quotidienne étaient pratiquement inexistantes. Il ne faisait aucune tâche ménagère ni cuisine.

L’ensemble des éléments confortent ainsi la présence d’un degré de gravité fonctionnel suffisamment important pour évaluer la cohérence.

Sur ce point, l’experte a expliqué que les différents domaines de la vie courante du recourant (pôle professionnel, affectif et social) étaient tous touchés de façon homogène. Il n’y avait manifestement pas de secteur qui restait préservé. Le principal problème du recourant était inhérent aux paradoxes qui émanaient de son trouble de la personnalité. Il avait besoin des autres, mais il les rejetait. C’était sur la base de ces paradoxes que naissaient les failles qui permettaient ensuite le déclenchement et l’installation de comorbidités qui s’ajoutaient une à une.

L’experte a décrit une journée-type du recourant en relevant qu’elle se passait dans sa chambre d’hôtel où il alternait les moments d’écran avec les descentes dans la cour intérieure pour fumer des cigarettes de cannabis. Il prend son petit‑déjeuner le matin à la salle à manger de l’hôtel et grignote un fruit, un peu de pain le soir en guise de souper. Il fait les mêmes choses tout au long de la journée ; il n’y a plus de rythme permettant de différencier les jours et les nuits. Il vit, dort et mange dans sa chambre d’environ 5 m2. Il ne fait jamais le ménage et apporte son linge sale une à deux fois par mois chez sa mère. C’est la seule fois où il sort de l’hôtel. Il ne fait plus aucun sport, ni de course à pied ou vélo.

S’agissant du traitement, l’experte a relevé qu’il était compliqué de pouvoir compter sur une régularité ou une fiabilité de la part de l’assuré. Cela faisait partie de son problème psychique, qui faisait de lui une personne sur laquelle il était impossible de compter. S’ajoutait à cela un trouble de la personnalité qui mettait en évidence une difficulté à pouvoir se plier à un cadre et à des limites, compromettant lourdement son engagement dans tout traitement, notamment si celui-ci exige une régularité, une prise d’initiative et de responsabilité, et des frustrations. Si les options thérapeutiques avaient été adéquates dans le choix des médicaments et dans le cadre psychothérapeutique proposé, les effets n’avaient pas été probants. Cela était très vraisemblablement lié à la problématique et au fonctionnement psychique du recourant qui restait fermé à la reconnaissance de ses difficultés et qui attribuait dans la plupart des cas l’origine de ses problèmes à des sources externes à lui-même. L’experte a précisé que l’assuré ne refusait pas d’être traité, puisqu’il se rendait régulièrement à ses séances et rendez-vous médicaux. Il n’était toutefois pas ancré dans la réalité, ne reconnaissant pas que sa consommation était très grave, la minimisant et la considérant comme un problème momentané et de moindre importance, qui lui apportait du réconfort. Il souffrait d’un déni grave et n’acceptait pas la gravité et l’importance de sa maladie. Son comportement autodestructeur relevait de sa maladie et non de son discernement. Dans ces conditions, force est d’admettre que les traitements entrepris par le recourant ne permettent pas d’exclure le critère de la cohérence.

Ainsi, au vu de l’impact des atteintes psychiques sur la vie quotidienne du recourant, ainsi que des constats de l’experte judiciaire, il convient d’admettre que le critère de la cohérence est rempli.

3.2 L’intimé conteste la valeur probante de l’expertise judiciaire.

3.2.1 Il reproche, en premier lieu, à l’experte d’avoir excédé son champ de compétence en se prononçant sur des atteintes somatiques. Une réelle allergie aux isocyanates et solvants des peintures n’était pas prouvée, puisque le dosage d’IgE spécifiques pour les isocyanates contenus dans les peintures s’était révélé négatif. Concernant les migraines, les répercussions d’une atteinte appartenaient au neurologue et non au psychiatre.

En l’occurrence, l’experte a dûment indiqué qu’elle n’était pas spécialiste concernant ces diagnostics, de sorte qu’elle ne pouvait se prononcer sur les critères diagnostics (rapport d’expertise, p. 65). Les diagnostics retenus reposent ainsi sur les rapports de spécialistes, soit en l’occurrence les Drs F______ et J______. Il ressort en particulier du rapport d’expertise judiciaire, que, s’agissant du diagnostic d’hypersensibilité aux isocyanates et aux solvants des peintures, l’experte a dûment relevé qu’elle n’était pas allergologue, se référant au rapport du Dr F______. S’agissant des migraines, elle a admis qu’elle ne pouvait détecter ou quantifier les douleurs et les symptômes associés, précisant toutefois que le recourant présentait une attitude typiquement algique qu’elle ne pouvait remettre en cause. Elle a également relevé que les migraines devaient être prises en compte aussi bien comme l’expression d’un trouble neurologique que comme des somatisations que l’état psycho émotionnel du recourant provoquait, précisant que les migraines font partie des troubles neurologiques qui sont toujours en interaction avec le psychisme et qui peuvent notamment être responsables du déclenchement d’états dépressifs et de troubles anxieux. La migraine peut aussi avoir un impact sur la façon dont le trouble dépressif va évoluer, de sorte qu’elle doit être mentionnée pour comprendre le tableau clinique dans sa globalité. Quoi qu’il en soit, même à écarter ces diagnostics, les conclusions de l’experte sur la capacité de travail du recourant ne seraient pas différentes. L’experte a en effet clairement indiqué que les limitations fonctionnelles qui étaient au premier plan étaient surtout d’ordre psychique et qu’elles rendaient son travail impossible. Il résulte, par ailleurs, de ses conclusions que la capacité résiduelle de travail de l’assuré était nulle en lien avec les diagnostics psychiatriques de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques (F33.2), personnalité borderline (F60.3), troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, syndrome de dépendance, utilisation continue (F12.25) et phobie sociale (F40.10).

3.2.2 L’intimé fait valoir ensuite que, concernant le trouble dépressif récurrent, la récurrence relevée serait uniquement anamnestique et n’avait nécessité aucun suivi psychiatrique spécialisé auparavant. Un suivi psychologique par une psychologue scolaire n’était pas à même de traiter un épisode dépressif. Aucun des épisodes décrits n’avait du reste entravé la formation ou l’activité professionnelle du recourant, ce qui parlait en défaveur d’une atteinte sévère.

L’experte a toutefois dûment expliqué les raisons pour lesquelles elle retenait un trouble dépressif récurrent. Sur le plan de l’anamnèse, le recourant avait eu une première décompensation dépressive lorsqu’il avait 13 ans, une deuxième lorsqu’il avait 16-17 ans, une troisième entre 2001 et 2002, puis un dernier épisode dépressif ayant commencé en 2018 et s’étant manifesté par une incapacité de travail depuis le 31 janvier 2019. Lors de chacun de ces épisodes, il avait eu de très importantes consommations d’alcool et de cannabis associés à des moments de perte de contrôle et d’impulsivité. S’agissant du premier épisode, l’experte a relevé que le retour du Portugal et l’annonce du diagnostic de sa sœur avaient été vécus comme un « grave traumatisme » ayant entrainé beaucoup de tristesse, d’anxiété et de déception, ce qui était largement assimilable à un épisode dépressif. Pendant la scolarité du recourant au cycle d’orientation, il avait même fait l’objet d’un suivi par une psychologue scolaire en raison de la baisse de ses performances scolaires, de ses absences non justifiées et de sa consommation de cannabis et d’alcool. Le deuxième épisode dépressif avait eu lieu au moment de sa première année d’apprentissage en informatique, où il avait échoué. Le troisième épisode dépressif était survenu alors que le recourant effectuait sa première année de CFC. Il traversait une période particulièrement difficile, multipliait les sorties, les alcoolisations, et se sentait très déprimé. Cet épisode avait du reste également été relaté dans le rapport du Dr H______. Quant au dernier épisode dépressif, il faisait suite à sa rupture sentimentale, à l’annonce qu’il n’était pas le père de l’enfant et, enfin, aux difficultés professionnelles rencontrées en 2018. Le critère de la récurrence a ainsi été dûment étayé par l’experte judiciaire, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’y revenir. On rappellera, au demeurant, que l’experte a qualifié ce trouble de sévère en raison d’une perte de l’estime de soi, d’une anhédonie, d’une aboulie, d’une thymie dépressive sévère, d’une perte de l’élan vital, de symptômes cognitifs majeurs (perte de concentration, perturbation de la communication, déficit attentionnel), d’un épuisement et d’une fatigabilité importante, d’une agitation psychomotrice couplée à un ralentissement psychomoteur marqué, de la cessation de l’activité professionnelle et de l’absence de vie sociale.

Quant à l’argument de l’intimé selon lequel les épisodes décrits n’auraient pas entravé la formation ou l’activité professionnelle du recourant, il est remis en cause par les constatations de l’experte selon laquelle il avait été suivi par une psychologue scolaire lors du cycle d’orientation en raison, notamment, de la baisse de ses performances. Il ressort, par ailleurs de l’anamnèse de l’experte, que le recourant a échoué sa première année d’apprentissage en informatique et a été renvoyé de l’école. S’agissant de son CFC, il avait tout juste obtenu la moyenne, étant précisé que, selon les explications de l’assuré, son patron avait parié qu’il allait échouer, relevant qu’il ne méritait pas son certificat et qu’il n’avait pas les compétences pour devenir peintre en bâtiment.

3.2.3 L’intimé fait valoir ensuite que la situation s’est aggravée depuis l’expertise du Dr H______ avec une perte pondérale de 10 kg depuis une année et une augmentation de la consommation de cannabis de 10 à 20 cigarettes par jour. La sévérité des troubles décrits par l’experte ne serait par ailleurs pas compatible avec les heures passées à jouer aux jeux vidéo.

Il est vrai que le rapport d’expertise évoque, à plusieurs reprises, une aggravation de l’état de santé du recourant depuis l’expertise du Dr H______. Il aurait subi une perte pondérale d’environ 10 kg depuis une année et aurait doublé sa consommation de cannabis. Il n’en reste pas moins que le Dr H______ avait déjà constaté que le recourant fumait en grandes quantités, puisqu’il admettait fumer jusqu’à dix cigarettes par jour, ce que le médecin avait qualifié de « très important ». L’experte judiciaire a du reste estimé que la capacité de travail du recourant était nulle depuis le 31 janvier 2019, soit avant la décision litigieuse. Cette date correspond au dernier épisode de dépression, toujours présent actuellement, survenu suite à sa rupture sentimentale, l’annonce qu’il n’était pas le père de l’enfant et les difficultés professionnelles. On relèvera d’ailleurs que le médecin traitant de l’assuré avait constaté, en décembre 2021, une aggravation depuis son rapport de juillet 2020, estimant que ses atteintes psychiques étaient invalidantes depuis 2019. Il avait relevé que le fonctionnement de la personnalité du recourant restait inchangé et le fragilisait face aux épisodes dépressifs et la capacité de l’assuré de rentrer dans une rémission stable (rapport du Dr G______ du 30 décembre 2021). Les troubles psychiques étaient ainsi déjà entièrement incapacitants au moment de l’expertise du Dr H______. Le fait que la situation se soit encore péjorée depuis n’a dès lors aucune incidence sur l’issue du litige.

3.2.4 S’agissant du diagnostic de trouble de la personnalité et se fondant sur le rapport du Dr D______, l’intimé relève l’absence de comportements délictuels et de problèmes relationnels tout au long de ses études et durant son activité professionnelle, ainsi que l’absence de conflits répétés et de violence physique ou verbale avec ses différents partenaires. L’intimé remet également en cause le diagnostic de phobie sociale, estimant que le recourant a pu mener à bien ses études et son activité professionnelle durant de nombreuses années sans entrave. Cela ne l’avait pas non plus empêché d’avoir des relations sentimentales. Il avait par ailleurs de nombreux amis chez qui il pouvait dormir et n’était pas entravé dans ses activités de la vie quotidienne.

Sur ces points, l’intimé se limite à substituer son appréciation à celle de l’experte, sans démontrer l’existence de contradictions ou d’incohérences. L’experte a expliqué qu’hormis la période durant laquelle il a travaillé dans la même entreprise que son père, le parcours professionnel de l’assuré était essentiellement basé sur des missions temporaires, ce qui reflétait un problème d’instabilité. L’assuré n’était pas resté longtemps chez le même employeur en raison de ses difficultés à nourrir la relation de son côté. Elle a également détaillé les éléments qui l’ont conduite à se distancer de l’appréciation du Dr D______ s’agissant du diagnostic de trouble de la personnalité. L’experte s’est en particulier étonnée du fait que ce médecin n’ait pas jugé utile de faire passer un test de personnalité à l’assuré. Elle a également relevé que le Dr D______ avait fait abstraction du passé du recourant, en particulier des épisodes de dépression antérieurs et la problématique d’addiction pourtant présente depuis l’âge de 13 ans. L’experte judiciaire a également relevé que c’était le trouble de la personnalité qui avait entrainé des ressources amoindries pour comprendre, se remettre en question, s’adapter et guérir. Sans l’identification de ce diagnostic, il n’était pas possible de comprendre la dynamique évolutive de l’assuré, notamment l’absence d’amélioration clinique. Quant au diagnostic de phobie sociale, l’experte a relevé que le recourant évitait de rencontrer des gens, ce qui parait compatible avec sa description de sa journée-type, étant rappelé que l’assuré passe sa journée dans sa chambre d’hôtel, où il mange et boit. S’il descend dans la cour intérieure, c’est uniquement pour fumer, étant précisé que cela est interdit dans les chambres. Quant au plan sentimental, elle a relevé que l’assuré ne parvenait pas à s’impliquer dans la relation et avait des difficultés à établir des liens d’attachement profonds et durables.

3.2.5 L’intimé remet en cause l’appréciation de l’experte s’agissant du caractère secondaire de l’addiction. Il résulterait tant du rapport du Dr D______ que de celui du Dr H______ que la consommation aurait débuté dans un cadre festif et que les troubles psychiatriques associés seraient postérieurs à sa consommation.

À nouveau, l’intimé se limite à substituer son appréciation à celle de l’experte, sans démontrer l’existence de contradictions ou d’incohérences. L’experte a en effet expliqué que la consommation de cannabis avait commencé à s’installer secondairement à la présentation du premier épisode dépressif réactionnel à la situation familiale de changement de pays et de la maladie que traversait sa sœur jumelle et au manque d’attention de la part de ses parents à un moment où il en avait besoin. Elle a également précisé que le fait que la consommation soit primaire ou secondaire n’avait que très peu d’importance, eu égard à la sévérité de l’addiction qui anéantissait toute volonté, lucidité et cognition. C’est le lieu de préciser que, selon la jurisprudence, le caractère primaire ou secondaire d'un trouble de la dépendance n'est plus décisif pour en nier d'emblée toute pertinence sous l'angle du droit de l'assurance-invalidité (cf. ATF 145 V 215).

3.2.6 L’intimé considère ensuite que l’expertise serait contradictoire s’agissant de l’effet de la consommation d’alcool sur la capacité de travail du recourant. D’une part, l’experte indique que la consommation ne serait pas suffisamment sévère pour être incapacitante et, d’autre part, elle retient une capacité de travail de 20% en lien avec cette atteinte.

On peut certes admettre, avec l’intimé, que l’expertise apparait contradictoire sur ce point. L’incapacité de travail retenue en lien avec ce diagnostic apparait toutefois procéder d’une simple erreur (rapport d’expertise, p. 102). L’experte judiciaire a en effet répété, à plusieurs reprises dans son rapport, que le diagnostic de trouble de l’usage de l’alcool n’était pas incapacitant, même si la consommation d’alcool (cinq verres de vin par jour) restait problématique. Il ressort du reste clairement de l’expertise que l’incapacité de travail durable de l’assuré résulte du trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques (F33.2), de la personnalité borderline (F60.3), des troubles mentaux du comportement liés à l’utilisation de dérivés du cannabis, syndrome de dépendance, utilisation continue (F12.25) et de la phobie sociale (F40.10). Ainsi, cette seule contradiction ne suffit-elle pas pour remettre en cause la valeur probante de l’ensemble de l’expertise.

3.2.7 Enfin, en tant que l’intimé relève, s’agissant d’une éventuelle anosognosie des troubles, que l’experte n’avait pas objectivé d’hallucinations ou d’autres symptômes en faveur d’une rupture avec la réalité, il perd de vue que l’experte a dûment relaté un « état chroniquement imprégné de THC », précisant que l’assuré n’était pas dans une réalité temporelle. Elle a relevé que son importante consommation de THC ne faisait qu’aggraver son état psychique et cognitif.

3.2.8 Il suit des considérants qui précèdent que les griefs de l’intimé, qui n’a pas démontré l’existence de contradictions et d’incohérences suffisamment importantes pour remettre en cause l’expertise judiciaire, doivent être rejetés dans leur intégralité. Il convient dès lors de suivre les conclusions de l’expertise judiciaire et retenir que le recourant est atteint de troubles psychiques présentant un degré de gravité certain et entrainant une incapacité totale de travail tant dans la profession exercée jusqu’en 2019 que dans une activité adaptée, ce qui ouvre le droit à une rente entière d’invalidité.

En ce qui concerne le début de l’incapacité de travail, l’experte judiciaire a fait état d’une incapacité totale de travail dans toute activité depuis le 31 janvier 2019. Compte tenu de la demande de prestations du 4 juillet 2019 (art. 29 al. 1 LAI) et de l’art. 28 al. 1 let. b LAI, le droit à la rente naît le 1er janvier 2020 (art. 29 al. 3 LAI).

4.             Le recours doit ainsi être admis, la décision entreprise annulée et il sera dit que le recourant a droit, dès le 1er janvier 2020, à une rente entière d’invalidité.

Le recourant ayant gain de cause par l’intermédiaire d’un représentant, une indemnité de CHF 4'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émolument et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA – E 5 10.03]).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 27 septembre 2021.

4.        Dit que le recourant a droit, dès le 1er janvier 2020, à une rente entière d’invalidité.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 4'000.- à charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le