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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2674/2022

ATAS/628/2023 du 23.08.2023 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2674/2022 ATAS/628/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 23 août 2023

Chambre 4

 

En la cause

CSS ASSURANCE-MALADIE SA

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 

A______, enfant mineur agissant par sa mère,
B______ intimé


EN FAIT

 

A. a. L’enfant A______ (ci-après : l’assuré), est né le ______ 2018. Il est affilié pour l’assurance obligatoire des soins auprès de la CSS ASSURANCE-MALADIE SA (ci-après : la CSS ou la recourante).

b. En date du 16 février 2018, l’assuré, par ses parents, a requis de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé) l’octroi de mesures médicales en lien avec plusieurs infirmités congénitales.

c. Après avoir recueilli plusieurs rapports médicaux, la docteure C______, médecin au service médical régional de l’assurance-invalidité (SMR), a considéré dans son avis du 10 septembre 2018 que des mesures médicales pouvaient être allouées en lien avec les infirmités congénitales suivantes : sévères troubles respiratoires d’adaptation (code 497) ; agénésie partielle et hypoplasie des poumons (code 243) ; tumeurs congénitales et kystes congénitaux des reins (code 343) ; anémies, leucopénies et thrombocytopénies du nouveau-né (code 321) ; et troubles métaboliques néonataux sévères (hypoglycémie, hypocalcémie, hypomagnésiémie) (code 498). Les légers troubles moteurs cérébraux correspondant au code 395 devraient être admis en cas de demande d'investigations neuropédiatriques ou de physiothérapie post-natale jusqu'à deux ans. Des troubles congénitaux de la fonction du foie (code 458) étaient annoncés, sans que l’on retrouve les critères d'un ictère héréditaire. Il s'agissait sans doute d'un ictère physiologique du nouveau-né.

Le SMR a précisé le 17 janvier 2019 qu’une infirmité congénitale liée aux troubles moteurs cérébraux devait être admise au vu du bilan de développement, et le suivi hépatologique devait être pris en compte dans le cadre du traitement de l’infirmité congénitale 343.

Se fondant sur ces avis, l’OAI a pris en charge les coûts de traitement des diverses infirmités congénitales.

d. Par décision du 3 décembre 2018, l’OAI a octroyé à l’assuré une allocation pour impotent de degré faible dès le 1er août 2018, ainsi qu’un supplément pour soins intenses de quatre heures par jour. Par décision du 2 juin 2020, il a augmenté le supplément pour soins intenses à plus de six heures par jour dès le 1er novembre 2019.

e. L’OAI a pris en charge des soins pédiatriques à domicile du 21 août 2019 au 30 novembre 2020 par communication du 11 novembre 2019.

f. Le 9 juin 2021, la Professeure D______, médecin aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), a établi la prescription pour soins à domicile portant sur les soins suivants : préparation et / ou administration de médicaments, préparation d'un semainier, administration journalière de médicaments etc., hydratation par gastrostomie percutanée endoscopique (PEG) de 150-200 ml d'eau. La fréquence de l'intervention était fixée à un après-midi par semaine, avec passage à la crèche, dès le 21 septembre 2021.

g. La docteure E______, médecin à l’unité de gastroentérologie pédiatrique des HUG, a établi une prescription de soins à domicile le 5 octobre 2021 pour la période du 18 septembre 2021 au 17 mars 2022. Les soins consistaient notamment en alimentation par sonde en temps réel.

h. L’organisation de soins pédiatriques à domicile (ci-après : IMAD) a adressé à l’OAI un formulaire de demande de prise en charge portant sur les soins à l’assuré le 29 octobre 2021.

i. A la demande de l’OAI, un médecin des HUG a précisé le 21 avril 2022 que les soins à domicile prescrits consistaient en assistance nutritionnelle par gastrotomie. Ils ne pouvaient être réalisés par les parents dans un premier temps. Ces soins étaient en lien avec l’atteinte aux reins, les troubles de l’oralité et le retard du développement.

j. Selon une note de l’OAI du 12 mai 2022, les soins devaient être réalisés à la crèche. Un refus de prestations était proposé pour ce motif.

k. Par projet de décision du 12 mai 2022, intitulé « Pas de prise en charge des soins pédiatriques à domicile », l’OAI a annoncé avoir examiné le droit à la prise en charge de séjour hospitalier (sic), dont les conditions d’octroi n’étaient pas remplies. Les soins infirmiers pédiatriques devaient être prodigués à domicile pour être pris en charge selon la directive régissant leur octroi. Les soins requis par l’IMAD n’étaient ainsi pas à charge de l’assurance-invalidité, car ils avaient lieu à la crèche.

l. Dans une note du 16 mai 2022, l’OAI a noté que selon la mère de l’assuré, il n’y avait finalement pas eu de soins infirmiers à la crèche. Ce mode de garde ne convenait pas, et l’assuré n’y était en définitive pas allé. Il était gardé par sa grand-mère pendant les quelques heures de travail de sa mère.

m. Par courrier du 23 mai 2022, l’assurance-maladie a contesté le projet de décision, qu’elle a qualifié de discriminatoire.

n. L’OAI a confirmé les termes de son projet par décision du 23 juin 2022.

B. a. La CSS a interjeté recours contre cette décision par écriture du 24 août 2022 auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans). Elle a conclu, sous suite de frais et dépens, à l’admission de son recours et à ce qu’il soit dit que les mesures médicales en lien avec les soins pédiatriques dispensés à la crèche étaient à charge de l’intimé. Elle a soutenu que la circulaire dont l’intimé se prévalait n’avait pas la portée qu’il lui prêtait, puisqu’elle ne disait rien sur le lieu où les soins à rembourser devaient être dispensés. Le fait de prodiguer les soins litigieux à la crèche ne modifiait pas leur coût. De plus, la définition même du terme « ambulatoire », relatif aux traitements remboursés selon la loi, se référait à la faculté de poursuivre ses activités habituelles – dont faisait partie la fréquentation d’une crèche à l’âge de l’assuré – pendant ceux-ci. Par ailleurs, refuser la prise en charge des soins en raison de la fréquentation d’une crèche consacrait une discrimination contraire au principe d’égalité de traitement entre les parents devant placer leur enfant dans une telle structure de garde et les autres. La décision de l’intimé violait également le droit international, qui exigeait notamment des aménagements raisonnables en matière d’éducation pour les personnes handicapées. Cette décision contribuait à l’isolement social de l’assuré. La recourante a affirmé que les conditions légales de prise en charge des soins, qui ne pouvaient être prodigués que par des professionnels, étaient réalisées.

b. Dans sa réponse du 11 octobre 2022, l’intimé a conclu au rejet du recours. Il a répété que selon la pratique administrative, les soins infirmiers pédiatriques devaient être dispensés à domicile pour être pris en charge. Sa décision ne violait pas le droit international, car elle niait le droit aux mesures uniquement faute de réalisation des conditions prévues par cette pratique.

c. Dans sa réplique du 27 octobre 2022, la recourante a persisté dans ses conclusions, en reprenant ses arguments.

d. Par courrier du 8 février 2023, la chambre de céans a informé l’assuré, soit pour lui sa mère, du recours interjeté par la CSS à l’encontre de la décision de l’intimé, et lui a transmis les écritures déposées dans la présente procédure en lui impartissant un délai pour déterminations.

e. A l’expiration de ce délai, la cause a été gardée à juger.


 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La modification du 21 juin 2019 de la LPGA entrée en vigueur le 1er janvier 2021 est applicable au litige, dès lors que le recours n’était pas encore pendant à cette date (art. 82a LPGA a contrario).

La LAI a connu une novelle le 19 juin 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Conformément aux principes de droit intertemporel, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable est en principe celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1). Partant, le droit applicable ratione temporis est en principe celui en vigueur durant la période pour laquelle le droit aux prestations doit être analysé.

3.             En ce qui concerne la recevabilité du recours, la chambre de céans relève ce qui suit.

3.1 L’art. 59 LPGA dispose que quiconque est touché par la décision ou la décision sur opposition et a un intérêt digne d’être protégé à ce qu’elle soit annulée ou modifiée a qualité pour recourir.

3.1.1 S’agissant de la qualité pour recourir en tant que condition de recevabilité du recours (Jean METRAL in Commentaire romand LPGA, 2018, nn. 1 et 11 ad art. 59), elle est reconnue à l’assureur-maladie qui entend contester une décision de l’assurance-invalidité refusant des mesures médicales (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_419/2016 du 2 novembre 2016 consid. 1.3).

3.1.2 En ce qui concerne l’intérêt à recourir, il convient en préambule de rappeler qu’une décision peut être définie comme un acte de souveraineté individuel s’adressant à un particulier et qui règle de façon impérative et contraignante une situation concrète (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 784 et les références). En l’espèce, la note établie par l’intimé le 16 mai 2022 pourrait laisser croire que les soins ayant fait l’objet de la prescription de la Dre E______ n’ont finalement pas eu lieu du tout à la crèche, si bien qu’on peut se demander s’il était nécessaire de rendre une décision, dès lors qu’elle pourrait ne pas avoir d’objet concret. Cela étant, dans la mesure où la décision aboutit concrètement dans son résultat à la négation du droit à la prise en charge de soins, il est nécessaire de statuer formellement sur ce droit, conformément à l’art. 49 LPGA. Il existe en outre incontestablement un intérêt digne de protection à faire examiner ce droit dans le cadre d’un recours. On rappellera ici que si cet intérêt doit en principe être direct et concret (ATF 130 V 196 consid. 3), on peut exceptionnellement renoncer à cette exigence lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde de son actualité et qu'il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_867/2019 du 14 avril 2020 consid. 3.3). Ainsi, même si les soins à la crèche pourraient ne plus être d’actualité dans la présente procédure, la question du droit à des soins pédiatriques qui n’ont lieu ni en milieu hospitalier ni au domicile de l’assuré est susceptible de se poser à nouveau dans le futur en fonction de sa socialisation et de sa scolarisation, de sorte qu’un intérêt digne de protection doit être admis.

3.2 Pour le surplus, le recours a été déposé dans les formes et délais prévus par les art. 56ss LPGA.

Partant, il est recevable.  

4.             Le litige tel que circonscrit par la décision porte sur le droit aux soins pédiatriques requis par l’IMAD, en particulier sur le point de savoir si ces soins doivent être remboursés lorsqu’ils ne sont pas dispensés au domicile de l’assuré.

5.             L’assuré étant le destinataire principal de la décision querellée, il a d’office la qualité de partie à la présente procédure.

6.             Le droit aux mesures médicales en cas d’infirmités congénitales est réglé comme suit.

6.1 Jusqu’au 31 décembre 2021, l’art. 13 LAI disposait que les assurés ont droit aux mesures médicales nécessaires au traitement des infirmités congénitales (art. 3 al. 2 LPGA) jusqu’à l’âge de 20 ans révolus (al. 1). Selon l’art. 14 LAI dans sa teneur jusqu’à la même date, les mesures médicales comprennent le traitement entrepris dans un établissement hospitalier ou à domicile par le médecin ou, sur ses prescriptions, par le personnel paramédical, à l’exception de la logopédie et de la thérapie psychomotrice (let. a) ; les médicaments ordonnés par le médecin (let. b) (al. 1). Pour décider si le traitement aura lieu à domicile ou dans un établissement, l’assurance tiendra équitablement compte des propositions du médecin traitant et des conditions personnelles de l’assuré (al. 3).

Dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2022, l’art. 14 LAI dispose à la lettre a de son premier alinéa que les mesures médicales comprennent les traitements et examens liés à ces traitements qui sont dispensés sous forme ambulatoire ou en milieu hospitalier ainsi que les soins dispensés dans un hôpital par des médecins (ch. 1), des chiropraticiens (ch. 2), des personnes fournissant des prestations sur prescription ou sur mandat d’un médecin ou d’un chiropraticien (ch. 3). Aux termes de l’alinéa quatrième de cette disposition, pour décider si le traitement sera dispensé sous forme ambulatoire ou en milieu hospitalier, l’assurance tient équitablement compte des propositions du médecin traitant et des conditions personnelles de l’assuré.

6.2 La lettre circulaire AI n° 394 du 12 décembre 2019 portant sur les soins pédiatriques à domicile d’après l’art. 13 LAI en relation avec l’art. 14 LAI énumère les prestations pouvant être fournies par une organisation d’aide et de soins à domicile aux frais de l’assurance-invalidité et détaille la procédure à suivre pour la détermination et la prise en charge de ces soins.

7.             La recourante invoque en premier lieu une violation du droit international, en particulier de l’interdiction de la discrimination des personnes handicapées.

7.1 La convention du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées (CDPH ; RS 0.109), entrée en vigueur pour la Suisse le 15 mai 2014, prévoit à son art. 5 que les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l'égale protection et à l'égal bénéfice de la loi (par. 1) ; les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées - soit aux personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l'interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l'égalité avec les autres (art. 1 CDPH) - une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu'en soit le fondement (par. 2) ; afin de promouvoir l'égalité et d'éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés (par. 3).  

L'art. 2 CDPH dispose qu'on entend par « discrimination fondée sur le handicap » toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, sur la base de l'égalité avec les autres, de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres ; la discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d'aménagement raisonnable. Selon l'art. 2 CDPH, on entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n'imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l'exercice, sur la base de l'égalité avec les autres, de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales. 

L'interdiction de la discrimination consacrée à l'art. 5 par. 1 CDPH est directement justiciable (arrêt du Tribunal fédéral 8C_633/2021 du 14 avril 2022 consid. 4.2). 

7.2 Selon l'art. 8 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), nul ne doit subir de discrimination du fait notamment d'une déficience corporelle, mentale ou psychique. Cette règle interdit toute mesure étatique défavorable à une personne et fondée sur le handicap de cette personne, si cette mesure ne répond pas à une justification qualifiée. D'après l'art. 8 al. 4 Cst., la loi prévoit des mesures en vue d'éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées. L'élimination des inégalités factuelles qui frappent ces personnes fait ainsi l'objet d'un mandat constitutionnel spécifique, dont la mise en œuvre incombe au législateur. Celui-ci a adopté la loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand ; RS 151.3). Selon cette loi, il y a inégalité lorsque les personnes handicapées font l'objet, par rapport aux personnes non handicapées, d'une différence de traitement en droit ou en fait qui les désavantage sans justification objective, ou lorsqu'une différence de traitement nécessaire au rétablissement d'une égalité de fait entre les personnes handicapées et les personnes non handicapées fait défaut (art. 2 al. 2 LHand) (ATF 145 I 142 consid. 5.2).

7.3 On peut se demander si le fait de refuser le remboursement de soins sur la base des art. 13 et 14 LAI au motif qu’ils ne sont pas dispensés au domicile de l’enfant tombe sous le coup des discriminations prohibées par la CDPH, la Cst. et la LHand, dès lors qu’une telle décision ne crée pas de discrimination par rapport aux personnes non handicapées, mais entre personnes handicapées, en fonction du lieu où elles reçoivent les soins dont elles ont besoin.

7.4 En revanche, une telle distinction pourrait porter atteinte à l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH - RS 0.101).

Cette disposition prévoit que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (al. 1). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (al. 2).

La notion de vie privée visée à l’art. 8 CEDH est large. Elle peut parfois englober des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu. Elle recouvre également le droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur. Examinant le caractère discriminatoire de la méthode mixte de calcul d’invalidité, la Cour européenne des droits de l’homme a admis que cette disposition était applicable dans ce cadre, dès lors que cette méthode défavorisait les personnes souhaitant travailler à temps partiel par rapport aux personnes exerçant une activité lucrative à plein temps ou ne travaillant pas du tout, et qu’on ne pouvait ainsi exclure qu’elle restreigne les justiciables dans leur choix pour répartir leur vie privée entre le travail, les tâches ménagères et la prise en charge des enfants (arrêt de la CourEDH du 2 février 2016 Di Trizio contre Suisse, n° 7186/09 § 63-64). Par analogie, le refus de rembourser des soins médicaux – dont la nécessité n’est en soi pas contestée – sous prétexte qu’ils n’auraient pas lieu au domicile pourrait concrètement entraver les parents d’un enfant ayant besoin de tels soins dans l’organisation de leur vie privée de manière incompatible avec l’art. 8 CEDH. En effet, il n’est pas exclu que certains parents doivent renoncer à une activité professionnelle si celle-ci implique que l’enfant soit gardé à l’extérieur du domicile, et que ses soins ne seraient dans une telle hypothèse pas pris en charge par l’assurance-invalidité.

7.5 Le juge ne peut pas appliquer une loi fédérale qui violerait un droit fondamental consacré par une convention internationale (ATF 131 V 66 consid. 3.2 ; ATF 125 II 417 consid. 4d). Depuis quelques années, le Tribunal fédéral n'hésite plus à contrôler la conformité à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH - RS 0.101) des lois fédérales et de refuser, le cas échéant, d'appliquer celles qui y contreviennent (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 3ème éd., Berne 2013, p. 44 note de bas de page 60).

7.6 Les questions que soulève la décision querellée sur sa conformité avec le droit supérieur peuvent ici rester ouvertes, dès lors que celle-ci doit en toute hypothèse être annulée pour les motifs suivants.

8.             Certaines indemnisations ne sont versées que lorsque l’assuré vit chez lui – par opposition à un home au sens de l’art. 35ter du règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201). Cela vaut pour l’allocation pour impotent en cas de besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (art. 42 al. 3 1ère phrase LAI), l’allocation pour impotent pour les mineurs (art. 42bis al. 4 1 ère phrase LAI), et le supplément pour soins intenses (art. 42ter al. 3 1 ère phrase et art. 36 al. 2 1 ère phrase RAI) – sous réserve du cas prévu à l’art. 36 al. 2 2ème phrase RAI dans lequel les coûts du séjour en home sont supportés par l’assuré lui-même. Sont réputés séjourner dans un home les assurés qui y passent plus de 15 nuits par mois (ATF 132 V 321 consid. 6 et 7).

Il y a ainsi lieu d’examiner si l’art. 14 LAI prévoit une restriction analogue du droit aux prestations en fonction du lieu où elles sont fournies.

8.1 En premier lieu, on relève que dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2022 – applicable au droit aux prestations après cette date –, l’art. 14 LAI al. 1 let. a et al. 4 ne se réfère désormais plus, s’agissant des mesures médicales, aux notions de « à domicile » ou « dans un établissement », qu’il a remplacées par les termes « sous forme ambulatoire ou stationnaire ». Le législateur a précisé qu’il s’agissait là d’une adaptation d’ordre purement rédactionnel, l’expression « à domicile ou dans un établissement » étant obsolète (Message concernant la modification de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité [Développement continu de l'assurance-invalidité], FF 2017 2363). Il apparaît ainsi que cette modification de la loi n’entraîne aucun changement des conditions de prise en charge de mesures médicales tombant sous le coup de l’art. 14 LAI. Il faut en outre souligner que les notions de traitement stationnaire ou ambulatoire selon l’assurance obligatoire des soins s’appliquent par analogie aux mesures médicales au sens de l’art. 14 LAI (Ulrich MEYER/ Marco REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum IVG, 4ème éd. 2022, n. 8 ad art. 14 LAI). Or, dans l’assurance-maladie, les soins prodigués dans des structures de soins de jour ou de nuit - soit en d’autres termes en dehors du domicile de l’assuré - relèvent d’un traitement ambulatoire donnant droit à une contribution à ces soins (cf. art. 25a al. 1 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [LAMal – RS 832.10]).

Partant, on doit considérer que les mesures médicales « à domicile » au sens de l’art. 14 LAI dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2021 recouvrent toutes celles qui n’ont pas lieu « en établissement » au sens d’hôpital ou clinique, et ne désignent pas exclusivement celles qui se déroulent là où vit l’assuré.

8.2 L’intitulé de la lettre-circulaire AI n° 394 « Soins pédiatriques à domicile » du 12 décembre 2019, dont se prévaut l’intimé, ne suffit pas à parvenir à une conclusion différente. D’une part, les directives administratives n'ont d'effet qu'à l'égard de l'administration. Elles donnent le point de vue de l'administration sur l'application d'une règle de droit, et non pas une interprétation contraignante de celles-ci (ATF 129 V 200 consid. 3.2). Elles ne constituent pas des normes de droit et n'ont pas à être suivies par le juge. Elles servent tout au plus à créer une pratique administrative uniforme et présentent à ce titre une certaine utilité. Elles ne peuvent en revanche sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu'elles sont censées concrétiser. En d'autres termes, à défaut de lacune, les directives ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 141 V 175 consid. 4.1). Ainsi, en toute hypothèse, cette circulaire ne pourrait prévoir de conditions supplémentaires de prise en charge par rapport à la loi. De plus, comme le souligne à juste titre la recourante, cette directive n’aborde absolument pas la définition des soins « à domicile » et ne contient aucune condition de prise en charge en fonction du lieu où ces soins sont prodigués. Au plan purement littéral, il n’est par ailleurs pas inutile de relever que la jurisprudence germanophone la désigne comme la lettre-circulaire relative aux prestations Spitex pour enfants (Kinderspitex-Leistungen) (ATF 147 V 73 consid. 4.4.1). Or, le terme spitex, contraction de spitalextern (extérieur à l’hôpital), désigne les soins à la maison, en ambulatoire ou dans un établissement médico-social (Gebhard EUGSTER, Krankenversicherung in Soziale Sicherheit, SBVR, Band XIV, 3ème éd. 2016, n. 367). Ainsi, le terme « à domicile » contenu dans le titre de cette directive doit à l’instar de cette notion dans la loi être compris par opposition à « en établissement », et non comme une restriction du droit aux seules mesures médicales dont l’assuré bénéficie dans son propre logement, qui serait en toute hypothèse contraire à la loi.

8.3 Par surabondance, on peut ajouter ce qui suit.

Jusqu’au 31 décembre 2003, l’art. 14 al. 3 1ère phr. LAI prévoyait que l’assurance pouvait prendre en charge, en tout ou en partie, les frais supplémentaires occasionnés par le traitement à domicile. Lors de la 4ème révision de l’assurance-invalidité, les contributions pour les soins de base et les frais d’assistance à domicile ont été supprimées et remplacées par une allocation uniforme englobant l’allocation pour impotent, la contribution aux frais de soins spéciaux pour les mineurs impotents et la contribution aux frais de soins à domicile (Message concernant la 4ème révision de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité, FF 2001 3084). Le Tribunal fédéral a souligné que la notion de soins à domicile était complexe, et qu’elle recouvrait aussi des soins non médicaux, qu'il s'agisse de l'aide apportée à la personne concernée dans les actes ordinaires de la vie ou de l’assistance par la tenue du ménage ou de la gestion des affaires courantes (ATF 116 V 41 consid. 5a). Si la loi ne contenait pas de définition plus précise des soins à domicile, il ressortait selon notre Haute Cour que les soins étaient prodigués « dans le propre logement » (in den eigenen vier Wänden) ou « à la maison ». Ils comprenaient ainsi les soins qui n’étaient donnés ni dans un hôpital, ni de manière ambulatoire (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 274/2001 du 16 avril 2003 consid. 4.1). Les soins supplémentaires pouvant être remboursés au sens de l’art. 14 al. 3 aLAI n’étaient pas limités à l’aide fournie par les parents, mais permettaient également l’indemnisation de tiers assumant de telles tâches, la jurisprudence précisant que le fait que les prestations aient lieu chez l’assuré ou à l’extérieur n’était pas déterminant, pour autant qu’il vive chez lui sept jours par semaine et y passe les nuits (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 177/01 du 14 juin 2004 consid. 3.3.2). Dans le cas d’une fillette souffrant de lourds handicaps, fréquentant un groupe de jeu à l’extérieur de son domicile une demi-journée par semaine, notamment afin de décharger ses parents, ce qui générait des coûts dont le remboursement au titre de l’aide supplémentaire découlant de l’invalidité avait été décliné par l’autorité au motif qu’il ne s’agissait pas là de soins à domicile, le Tribunal fédéral des assurances a rappelé qu’il y avait soins à domicile même lorsque l’enfant fréquentait une demi-journée par semaine une institution où il était pris en charge par des tiers. Il a cependant formellement laissé ouverte la question de savoir si la prise en charge à l’extérieur tombait sous le coup des soins à domicile, le droit à la prise en charge des coûts du groupe de jeu devant être admis en vertu du droit à la substitution de la prestation (art. 21bis LAI). Dès lors que les parents auraient eu droit au remboursement des coûts d’engagement d’une aide à domicile une demi-journée par semaine, ils avaient droit à la prise en charge d’une mesure s’y substituant, soit la fréquentation d’un groupe de jeu (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 378/01 du 30 avril 2004 consid. 2.3.2 et 3).

Ce raisonnement peut également être appliqué dans le présent cas, étant souligné que la théorie du droit à la substitution de la prestation, développée par la jurisprudence tout d'abord dans le domaine des moyens auxiliaires, a été étendue aux mesures médicales (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 287/99 du 2 mai 2000 consid. 4).

Partant, l’assuré a droit pour ce motif également au remboursement des soins liés à ses infirmités congénitales, même s’ils sont fournis en d’autres lieux que son domicile, sous réserve de la réalisation des autres conditions légales.

8.4 Compte tenu de ce qui précède, la décision de l’intimé n’est pas conforme au droit.

Elle sera ainsi annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour déterminer le droit aux prestations pour les mesures prescrites par la Pre D______ et la Dre E______ et requises par l’IMAD, en examinant les autres conditions de la prise en charge, notamment la nature et la durée des soins requis et leur qualification de mesures médicales au sens de la loi.

La recourante n’étant pas représentée, elle n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA).

La procédure en matière d’octroi de prestations d’assurance-invalidité n’étant pas gratuite (art. 69 al. 1bis LAI), l’OAI supporte l’émolument de procédure de CHF 200.-.

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES
 :

 

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’OAI du 23 juin 2022.

4.        Renvoie la cause à l’OAI pour nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’OAI.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le