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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2017/2020

ATAS/603/2023 du 14.08.2023 ( LAA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2017/2020 ATAS/603/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

 

Arrêt du 14 août 2023

Chambre 6

 

En la cause

 

Monsieur A______

Représenté par APAS Association pour la permanence de défense des patients et des assurés, mandataire

 

recourant

 

contre

 

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

Représentée par Maître Didier ELSIG, avocat

 

 

intimée


 

EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est un ressortissant kosovar, né le ______ 1986 et résidant en Suisse depuis 2006. Il a suivi l’école au Kosovo jusqu’à 18 ans (niveau maturité).

b. Depuis le 25 avril 2016, l’assuré a travaillé au service de l’entreprise B______ (ci-après : l’employeur), société aujourd’hui radiée, en tant que monteur d’échafaudage. Il était à ce titre assuré contre les accidents par la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (ci-après : la SUVA).

c. Le 6 novembre 2017 vers 9h30, alors qu’il était occupé à enlever l’ancrage d’un échafaudage sur un chantier à Genève, celui-ci est sorti brusquement, ce qui a provoqué la chute de l’assuré sur une hauteur d’environ deux mètres avec réception sur les deux pieds.

B. a. Peu après sa chute, l’assuré a été transporté par son employeur à la permanence médicale d’Onex où de la morphine lui a été injectée. Vers 17 heures, l’assuré a été transféré par ambulance aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).

b. L’employeur de l’assuré a annoncé le cas à la SUVA le 8 novembre 2017.

c. Les examens réalisés aux HUG ont permis de diagnostiquer une fracture du tiers moyen du péroné (fibula) gauche et une fracture du calcanéum du pied droit de type tongue. Une opération d’ostéosynthèse par plaque du pied droit a été entreprise en date du 13 novembre 2017 par les docteurs C______, chirurgien orthopédique, et D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur. L’intervention s’est déroulée sans complications. L’assuré est retourné à son domicile le 17 novembre 2017 avec instruction de marcher au moyen de deux béquilles (cannes anglaises) pendant trois mois.

d. Le 8 janvier 2018, l’assuré a appelé la SUVA pour avoir des nouvelles de son dossier. Il a indiqué qu’il avait des douleurs dorsales et qu’il allait en conséquence consulter un spécialiste aux HUG.

e. En date du 9 janvier 2018, la SUVA a rendu une décision par laquelle elle octroyait à l’assuré des indemnités journalières perte de gain d’un montant de CHF 123.85 par jour calendaire.

f. En date du 10 janvier 2018, l’assuré a débuté un traitement de physiothérapie en lien avec ses douleurs au dos.

g. Le 13 février 2018, un entretien entre l’assuré et la SUVA a été organisé au sein des locaux de cette dernière. L’assuré a indiqué que l’évolution de la fracture de son péroné gauche était bonne, le pied droit étant en revanche toujours inutilisable et devenant violet lorsqu’il se tenait debout pendant une certaine durée. L’assuré a également fait mention de douleurs dorsales ressenties tant pendant la journée que pendant la nuit.

h. Le 22 mai 2018, un examen médical réalisé par le docteur E______, spécialiste FMH en médecine physique et réadaptation, a établi que l’assuré souffrait désormais d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC) ou maladie de Südeck ou algodystrophie, au pied droit. L’examen a également révélé divers problèmes avec la rectitude de la colonne vertébrale de l’assuré, mais sans relation causale avec les douleurs mentionnées par celui-ci.

i. Le 28 juin 2018, l’assuré a eu un nouvel entretien dans les locaux de la SUVA. Il a exprimé que dès lors qu’il apparaissait que ses problèmes médicaux ne lui permettraient plus de travailler à nouveau en qualité de monteur d’échafaudage, son souhait était de se reconvertir en conducteur de travaux sur les chantiers. S’agissant de sa situation médicale, il pouvait désormais remarcher, mais uniquement avec des béquilles.

j. En date du 28 juin 2018, le Dr E______ a écrit à la SUVA en confirmant le diagnostic de SDRC et a précisé qu’estimer l’évolution de cette pathologie était difficile mais qu’une stabilisation se réalisait le plus souvent en 12 à 24 mois. Il a également fait mention d’un pincement intersomatique entre les quatrième et cinquième vertèbres lombaires, détecté sur une radiographie du corps entier, qui lui faisait suspecter une discarthrose lombaire (destruction des disques intervertébraux) débutante.

k. Le 27 novembre 2018, le Dr C______ a confirmé que l’assuré souffrait toujours de son SDRC au pied droit avec une évolution très lentement positive. En date du 29 novembre 2018, le docteur K______, de l’Unité de médecine physique et réadaptation orthopédique des HUG, a attesté que l’état de l’assuré n’était toujours pas stabilisé s’agissant du SDRC.

l. En date du 12 avril 2019, le Dr K______ a attesté que le SDRC évoluait toujours favorablement mais très lentement. L’assuré présentait également des problèmes d’humeur (troubles thymiques).

m. Le 11 juin 2019, la plaque synthétique introduite le 13 novembre 2017 dans le pied droit de l’assuré a été retirée par voie chirurgicale, sans complications.

n. Du 21 août au 10 septembre 2019, l’assuré a effectué un séjour à la Clinique romande de réadaptation à Sion (ci-après : la CRR), établissement géré par la SUVA. Dans ce cadre, tant le trouble locomoteur de l’assuré lié au SDRC que ses troubles psychiatriques ont fait l’objet d’un examen sous la direction du docteur G______, spécialiste FMH en médecine physique et réadaptation et chirurgien orthopédiste, et de la docteure H______, avec l’assistance notamment de la docteure I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

Il a été constaté que la situation était pratiquement stabilisée sur le plan médical et qu'elle le serait à un mois si un traitement de physiothérapie était préconisé.

S’agissant du SDRC, au pied droit, l’état médical de l’assuré était pratiquement stabilisé, respectivement guéri. L’assuré était très focalisé sur la douleur et sous-estimait ses capacités fonctionnelles. Les callosités plantaires de l’assuré étaient peu diminuées, ce qui interrogeait sur l’utilisation de ses pieds hors du contexte médical ou thérapeutique. Le pronostic de réinsertion de l’assuré dans l’activité de monteur d’échafaudage était défavorable, mais favorable dans une activité adaptée : une activité adaptée comportant comme limitations fonctionnelles l’absence de port de charges supérieures à 10-15 kg, la marche prolongée, les activités en position debout prolongée, l’utilisation répétée d’escaliers, l’utilisation d’échelles ou encore le recours à des positions contraignantes pour la cheville.

Le recourant a également communiqué des rapports d'imagerie, un rapport du docteur Olivier J______ du 2 février 2021, un rapport d'ergothérapie du 14 janvier 2021, un rapport de la consultation ambulatoire de la douleur du 11 novembre 2020 et un rapport de consultation du service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil moteur des HUG du 16 décembre 2020.

o. Le 17 octobre 2019, le docteur K______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur, et médecin d’arrondissement de la SUVA, a validé les conclusions de la CRR. Il a estimé que l'assuré pouvait exercer à 100% une activité réalisée essentiellement en position assise, en permettant quelques déplacements ponctuels, en pouvant utiliser les béquilles, avec un port de charges ponctuel limité à 10 kg, par exemple un sac à dos, sans limitation au niveau des deux membres supérieurs ; dans ces conditions, on s'attendait à une activité professionnelle réalisée à la journée entière sans baisse de rendement.

p. Par courrier du 4 novembre 2019, la SUVA a informé l’assuré qu’elle mettrait fin à sa prise en charge des frais médicaux et au paiement de l’indemnité journalière au 1er décembre 2019 ; elle allait en outre examiner l’existence d’un droit à une rente d’invalidité et à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (ci-après : IPAI). Le 5 novembre 2019, le Dr K______ a fixé l'IPAI à 15%.

q. Par décision du 7 janvier 2020, la SUVA a considéré que l’assuré n’avait pas le droit à une rente d’invalidité, faute d’existence d’une incapacité de gain due à l’accident. Un montant de CHF 22'230.- était alloué à l’assuré au titre d’IPAI.

r. Par courrier du 5 février 2020, l’assuré a fait opposition à la décision du 7 janvier 2020.

s. En date du 12 février 2020, le Dr K______ a établi un rapport pour attester que le pronostic d’amélioration du SDRC dont souffrait l’assuré était toujours aléatoire.

t. Par courrier du 6 mars 2020, l’assuré a motivé son opposition et requis une contre-expertise.

u. Par décision sur opposition du 4 juin 2020, la SUVA a rejeté l’opposition et intégralement maintenu sa décision initiale sur le fond.

C. a. Le 3 juillet 2020, l'assuré, représenté par une avocate, a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) à l'encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation, principalement au versement des indemnités journalières jusqu'à la date de la stabilisation de son état de santé et, subsidiairement à l'octroi d'une rente d'invalidité dès le 1er décembre 2019 et à une IPAI d’un taux de 30%.

Des traitements étaient en cours et laissaient entrevoir des perspectives d'amélioration ; la rémission du SDRC n'était pas confirmée, le pronostic était favorable mais réservé. Il sollicitait une expertise judiciaire orthopédique et psychiatrique. Ses douleurs, la boiterie et le déplacement avec des cannes l'empêchaient de travailler à 100% dans une activité adaptée.

Un traitement psychothérapeutique avait débuté en avril 2019, ce qui n'avait pas été retenu par l'experte psychiatre de la CRR et l'absence de projection dans une reprise professionnelle qui était soulignée relevait d'une aggravation de sa symptomatologie dépressive. Par ailleurs, le lien de causalité adéquate entre ses troubles et l'accident devait être admis ; il avait eu peur de mourir lors de sa chute, ses lésions aux membres inférieurs étaient de nature à entrainer des troubles psychiques, le traitement avait été anormalement long, la CRR admettait les douleurs physiques persistantes et le SDRC était une complication importante ; enfin, il était en incapacité de travail depuis plus de trois ans. L’abattement de 10% sur le revenu d’invalide était insuffisant et le revenu sans invalidité retenu par la SUVA était inférieur à celui réalisé dans sa précédente activité. Enfin, une IPAI de 30% était justifiée.

Il a produit un rapport du 25 septembre 2020 du docteur J______ et de Madame L______, psychologue-psychanalyste, attestant d’un suivi depuis le 27 juillet 2018 (avec d’abord le Dr M______), de diagnostics en lien avec l’accident d’état de stress post-traumatique (PTSD) et de premier épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques ; la capacité de travail était nulle depuis l’accident.

b. Le 10 décembre 2020, la SUVA a conclu au rejet du recours.

Le SDRC était guéri lors du séjour à la CRR en août-septembre 2019 et l’état de santé pratiquement stabilisé, aucune lésion traumatique n’avait été décelée en lien avec le rachis dorsal.

Le taux d’abattement de 10% était justifié car les critères de l’âge, des connaissances linguistiques, du manque d’expérience professionnelle et de la nationalité n’étaient pas pertinents ; même si un revenu mensuel de CHF 4'770.- était retenu, correspondant à la classe B1 de la CCT du secteur échafaudage, le degré d’invalidité était nul.

L’IPAI de 15% n’était pas contestable ; le lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques du recourant et l’accident ne pouvait être admis ; l’accident n’était pas particulièrement impressionnant ; les blessures n’étaient pas graves. L’incapacité de travail due aux seules lésions physiques n’était pas suffisamment importante ; le traitement n’était pas anormalement long ; en revanche la survenance de complications par la maladie de Südeck pouvait être admise mais ne permettait pas, à elle seule, d’admettre le lien de causalité adéquate.

c. Le 4 mars 2021, le recourant a répliqué. Il a relevé que selon le docteur N______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur et médecin-traitant de l’assuré depuis le 17 septembre 2020, lequel se référait à la littérature médicale, les lésions du calcanéum étaient des lésions graves en raison de leurs séquelles fonctionnelles. Si le SDRC était en rémission, le Dr K______ n’avait pas confirmé la rémission postérieurement au rapport de la CRR, de sorte que l’interruption des indemnités journalières au 30 novembre 2019 devait être reportée après une période de carence raisonnable de trois mois.

Les douleurs chronicisées et son état psychologique empêchaient une pleine capacité de travail. S’agissant du lien de causalité adéquate entre les troubles psychologiques et l’accident, la fracture du calcanéum était une lésion grave ; une expertise orthopédique et psychiatrique était nécessaire. Une IPAI de 30% était justifiée. Il a joint un rapport du 16 février 2021 du Dr N______, prenant position, à la demande du recourant, sur l’appréciation médicale de la SUVA. Il s’est basé pour ce faire notamment sur les rapports du docteur O______, spécialiste FMH en radiologie, de Madame P______, ergothérapeute, et du docteur Q______, médecin spécialiste en anesthésiologie.

Selon l’appréciation du Dr N______, le SDRC était guéri ; l’assuré souffrait cependant vraisemblablement d’une atrophie du coussinet au pied droit, complication irréversible d’une fracture du calcanéum, qui engendrait des douleurs importantes, d’une ostéonécrose sur la face du calcanéum droit et d’une diminution de l’arche du pied droit. La SUVA n'analysait pas la gravité d'une fracture du calcanéum. Le Dr N______ renvoyait à un article publié dans la revue médicale suisse 2008, p. 2108 intitulé : « fractures du calcanéum : du traumatisme aux séquelles », lequel relève notamment que l'atrophie du coussinet adipeux est une complication redoutable et irréversible et le siège de douleurs mécaniques importantes. Le Dr N______ concluait à une capacité de travail d’au maximum 50% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré ainsi qu’à une IPAI pouvant aller jusqu’à 30%.

d. Le 11 mai 2021, la SUVA a dupliqué et communiqué les avis suivants :

-       un avis du 21 avril 2021 du docteur R______, spécialiste FMH en neurologie et médecin-conseil de la SUVA, confirmant que le SDRC de l’assuré était guéri depuis, au plus tard, le 17 octobre 2019 ;

-       un avis du 10 mai 2021 de la doctoresse S______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur et médecin-conseil de la SUVA, se déterminant sur le rapport médical du Dr N______. De son opinion, l’assuré ne souffrait pas d’une atrophie du coussinet adipeux. L’arche du pied droit de l’assuré était diminuée mais cette diminution était principalement d’origine congénitale. En revanche, elle ne pouvait ni confirmer ni infirmer la présence d’une ostéonécrose de la face antérieure du calcanéum. En ce qui concernait les lombosciatalgies de l’assuré, celles-ci étaient sans plus aucun lien de causalité avec l’accident. La fracture du calcanéum subie par le recourant devait être catégorisée comme moyennement grave. La capacité de travail de l’assuré dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles était complète ;

-       un avis psychiatrique de la Dre T______ confirmant l’évaluation psychiatrique de la CRR.

La SUVA a relevé que les lombosciatalgies n’étaient pas en relation de causalité avec l’accident. Il n’était pas justifié de prolonger de trois mois l’indemnité journalière car le recourant savait à la suite de son séjour à la CRR qu’il avait une capacité de travail. Le SDRC était en rémission au 17 octobre 2019. Un diagnostic d’état de stress post-traumatique ne pouvait être retenu et seuls les symptômes dépressifs étaient présents sans impact sur sa capacité de travail. La causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident n’était pas réalisée. L’IPAI se fondait sur un cas de gêne fonctionnelle dans les articulations sous-astragaliennes, soit un taux de 5 à 30%. En l’absence d’arthrose, une IPAI de 15% était justifiée.

e. Le 13 octobre 2021, le recourant a transmis les pièces suivantes :

-       un rapport du 20 juin 2021 du Dr N______ prenant position sur le rapport médical de la Dre S______. Il confirmait son diagnostic d’ostéonécrose probablement liée à l’évènement accidentel du 6 novembre 2017 ainsi que d’atrophie du coussinet au niveau du talon droit, laquelle n’était pas atrophique mais neuro-vasculaire et donc non-visible à l’imagerie par résonance magnétique. En ce qui concernait les lombalgies chroniques de l’assuré, elles pouvaient avoir été causées par l’accident. En ce qui concernait la fracture du calcanéum, elle devait être qualifiée de grave. La capacité de travail était de 50% ;

-       un rapport du Dr J______ et de Madame L______ du 30 septembre 2021 confirmant un PTSD.

Le recourant a confirmé sa demande d’une expertise orthopédique et psychiatrique, ainsi que l’audition des Drs N______ et J______. La rémission du SDRC était postérieure au 30 décembre 2019 ; une capacité de travail dans une activité adaptée était au maximum de 50% ; le lien de causalité adéquate entre ses troubles psychiques et l’accident était réalisé ; l’IPAI devait être augmentée à 30%.

f. Une audience de comparution personnelle des parties a eu lieu en date du 13 décembre 2021.

g. Par ordonnance du 9 mars 2022, la chambre de céans a confié une expertise judiciaire au Professeur U______, FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, et au Docteur V______, FMH chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur.

h. Le 6 octobre 2022, les experts ont rendu leur rapport, après avoir examiné l’assuré et procédé à un Spect-CT du pied droit. Ils ont posé les diagnostics suivants :

-       arthroses post-traumatiques sous-talienne, talo-naviculaire et calcanéo-cuboïdienne du pied droit ;

-       status post fracture de type Broken-Tong du calcanéum droit ostéosynthésée en date du 23 novembre 2017 avec ablation du matériel d’ostéosynthèse le 11 juin 2019 ;

-       fracture du tiers moyen de la fibula sans autre atteinte ligamentaire autour de la cheville ni du genou ;

-       syndrome post-contusionnel de la coque talonnière droite ;

-       status post hyper-esthésie globale puis hyper-esthésie péri-cicatricielle post-opératoire sur voie d’abord du sinus tarse du côté latéral du pied droit ;

-       status post SDRC (donc SDRC guéri) de la cheville et du pied droits ;

-       rigidité de l’arrière-pied des articulations sous-talienne, talo-naviculaire et calcanéo-cuboïdienne avec raccourcissement des chaînes postérieures ;

-       lombosciatalgie gauche non déficitaire.

L’assuré se plaignait de douleurs à la coque talonnière postérieure, à la cheville, à l’articulation sous-talienne ainsi que d’une hyper-esthésie en regard de la cicatrice chirurgicale, au niveau lombaire bas avec irradiation dans le membre inférieur gauche.

Il marchait avec une boiterie antalgique du membre inférieur droit.

L’assuré ne présentait pas d’ostéonécrose mais un œdème osseux et une arthrose de l’arrière-pied et du médio-pied, en particulier péri-calcanéenne post-traumatique. Il n’y avait pas de dystrophie du coussinet du talon droit, mais un syndrome post-contusionnel de la coque talonnière. En effet, une fracture du calcanéum entrainait un écrasement du coussinet ; il présentait des lombosciatalgies dont la cause n’était pas clairement déterminée (les experts estimant ne pas être spécialistes de ce domaine) ; toutefois les douleurs avaient pu être masquées par celle de la fracture du calcanéum et donc déjà être présentes à la date du traumatisme.

Les autres diagnostics existaient depuis le traumatisme ou l’intervention clinique du 23 novembre 2017 et étaient en relation certaine avec l’accident.

Les limitations fonctionnelles concernaient la position statique prolongée, debout ou assise et un travail physique avec port de charges. L’activité habituelle n’était plus exigible et une activité adaptée l’était à 100% dès à présent (comme chef de chantier – conducteur de travaux). Les experts ne se prononçaient que sur la problématique orthopédique. Un traitement conservateur était préconisé.

Une IPAI de 25% était justifiée ; en effet des signes arthrosiques étaient présents au niveau de toutes les articulations, avec un impact sur la symptomatologie. En cas d’aggravation de l’atteinte par majoration de l'arthrose, l’IPAI augmenterait de 5%. La Dre S______ n'avait pas suffisamment pris en compte l'impact de la fracture du calcanéum sur les tissus mous et les articulations adjacentes : des signes arthrosiques étaient mis en évidence au scanner au niveau de plusieurs articulations, ce que la Dre S______ n'avait pas retenu et ce qui justifiait une augmentation du taux de l'IPAI.

i. Le 30 novembre 2022, l’assuré a observé que les experts estimaient que l’état de santé était stabilisé au jour de l’expertise de sorte que les indemnités journalières devaient être versées jusque-là : l’exigibilité à un taux de 100% dans une activité adaptée n’était pas réaliste. La profession de chef de chantier/conducteur de travaux requérait une formation ; une baisse de rendement de 20-30%, voire un abattement, devaient être retenus ; ses troubles psychiques impactaient également sa capacité de travail et nécessitaient d’être investigués par le biais d’une expertise psychiatrique ; le lien de causalité adéquate entre le trouble psychique et l’accident devait être admis ; il a conclu à l’octroi d’une IPAI de 30% et d’une rente d’invalidité dès le 1er novembre 2022.

j. Le 16 décembre 2022, la SUVA s’est référée à un avis de la Dre S______ du même jour concluant que les lombosciatalgies n’étaient pas en lien avec l’accident, que la stabilisation de l’état de santé était survenue le 30 novembre 2019, les experts n’ayant pas véritablement examiné ce point, que la capacité de travail, en accord avec les experts était de 100% dans une activité adaptée et qu’une IPAI d’au maximum 15% était justifiée.

k. À la demande de la chambre de céans, le Dr U______ a rendu un complément d’expertise le 9 février 2023.

L’état de santé n’était pas encore stabilisé au 30 novembre 2019, comme estimé par le Dr K______, mais seulement en juin 2020 dès lors qu’au moment de la consultation l’assuré se déplaçait encore avec deux cannes, alors qu’il avait ensuite pu se déplacer sans cannes et en charge complète. L’IPAI était bien de 25% et pas de 15%, comme évalué par la Dre S______, car le pied de l’assuré était dysfonctionnel en raison de l’arthrose sous-talienne et du syndrome post-contusionnel de la coque talonnière.

L’aggravation de l’arthrose chiffrée à un taux de 5% était certaine et aboutissait à un taux de 30% correspondant à une arthrose terminale de l’articulation sous-talienne.

l. Le 3 avril 2023, la SUVA a estimé que le Dr U______ peinait à déterminer la date de stabilisation de l’état de santé et ne donnait pas de raison objective de mettre en cause l’avis de la Dre S______. L’IPAI de 25% était contestée car le Dr U______ avait mentionné que le recourant avait pu abandonner les cannes et marcher en charge complète.

m. Le 5 avril 2023, le recourant a observé que l’IPAI était finalement de 30% et a transmis :

-       un rapport du 6 décembre 2022 du Dr W______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et de Monsieur X______, psychologue, attestant d’une capacité de travail de 50 à 70% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, telle que chef d’équipe, laquelle était cependant nulle à ce jour ; il présentait un état dépressif sévère ;

-       un rapport du Dr Y______ du 1er février 2023 selon lequel le recourant avait consulté la clinique des Grangettes en urgence le 22 décembre 2022 en raison de lombosciatalgies aigües avec parésies M4-L3-L4 gauches ainsi qu’un rapport d’IRM de la colonne lombaire du 29 décembre 2022 concluant à une discopathie et une protrusion discale entrant en contact avec la racine L5.

n. Le 8 juin 2023, le recourant a encore fourni les pièces médicales suivantes :

-       un rapport du service des urgences des HUG du 11 janvier 2023, attestant d’une prise en charge du recourant pour une péjoration de la douleur au dos, avec un blocage ;

-       un rapport du service médical interne et de réadaptation, SMIR-Beau-Séjour, du 11 janvier 2023, attestant d’un séjour du 28 décembre 2022 au 5 janvier 2023 pour lombalgie aigüe dans le contexte de discopathie chronique.

-       un rapport de la clinique de Carouge du 10 janvier 2023 attestant d’un séjour du 5 au 11 janvier 2023 pour une gestion de l’antalgie du recourant dans le contexte de l’exacerbation de lombalgie.

Il relève que ces pièces attestaient de nouveaux problèmes fin 2022 sur le plan des lombalgies, dans la suite de l’accident de 2017.

o. Sur quoi la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce ainsi que la recevabilité du recours ont été admises dans l’ordonnance du 9 mars 2022.

2.             Le litige porte sur la date de stabilisation de l’état de santé du recourant et le droit de celui-ci à une rente d’invalidité ainsi que sur le montant de l’IPAI.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l’ancien droit (cf. art. 82a LPGA).

4.              

4.1 Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA ; ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 et les références).

4.2 La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les références ; ATF 129 V 402 consid. 4.3.1 et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et la référence ; ATF 129 V 402 consid. 2.2 et les références).

4.3 Une fois que le lien de causalité naturelle a été établi au degré de la vraisemblance prépondérante, l’obligation de prester de l’assureur cesse lorsque l'accident ne constitue pas (plus) la cause naturelle et adéquate du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui serait survenu tôt ou tard même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (statu quo sine) (arrêt du Tribunal fédéral 8C_481/2019 du 7 mai 2020 consid. 3.1 et les références). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) selon le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les références), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (arrêt du Tribunal fédéral 8C_650/2019 du 7 septembre 2020 consid. 3 et les références). La simple possibilité que l'accident n'ait plus d'effet causal ne suffit pas (ATF 126 V 360 consid. 5b ; ATF 125 V 195 consid. 2).

5.             L'assuré a droit au traitement médical approprié des lésions résultant de l'accident (art. 10 al. 1 LAA). S'il est totalement ou partiellement incapable de travailler (art. 6 LPGA) à la suite d’un accident, il a droit à une indemnité journalière (art. 16 al. 1 LAA). Le droit à l'indemnité journalière naît le troisième jour qui suit celui de l'accident. Il s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou dès que l’assuré décède (art. 16 al. 2 LAA).

 

6.              

6.1 Si l'assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite d’un accident, il a droit à une rente d'invalidité (art. 18 al. 1 LAA). Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA ; méthode ordinaire de la comparaison des revenus).

Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1) ; seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain ; de plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable (al. 2).  

6.2 Selon l'art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu'il n'y a plus lieu d'attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l'état de l'assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l'assurance-invalidité ont été menées à terme. Le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente.

6.2.1 Ce qu’il faut comprendre par sensible amélioration de l’état de santé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA se détermine en fonction de l’augmentation ou du rétablissement de la capacité de travail à attendre pour autant qu’elle ait été diminuée par l’accident, auquel cas l’amélioration escomptée par un autre traitement doit être importante. Des améliorations insignifiantes ne suffisent pas (ATF 134 V 109 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_402/2007 du 23 avril 2008 consid. 5.1.2.1). L'amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Ni la possibilité lointaine d'un résultat positif de la poursuite d'un traitement médical ni un progrès thérapeutique mineur à attendre de nouvelles mesures - comme une cure thermale - ne donnent droit à sa mise en œuvre. Il ne suffit pas non plus qu'un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l'état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt du Tribunal fédéral 8C_95/2021 du 27 mai 2021 consid. 3.2 et les références).

6.2.2 Dès qu'il n'y a plus lieu d'attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l'assuré et qu'aucune mesure de réadaptation de l'assurance-invalidité n'entre en considération, il appartient à l'assureur-accidents de clore le cas en mettant fin aux frais de traitement ainsi qu'aux indemnités journalières et en examinant le droit à une rente d'invalidité et à une indemnité pour atteinte à l'intégrité (ATF 134 V 109 consid. 4.1 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2020 du 19 juin 2020 consid. 3.2 et les références).

6.2.3 Selon la jurisprudence, la question de la suspension des indemnités journalières et du traitement médical d’une part, et de l’examen des conditions du droit à la rente et de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité d’autre part, forment un seul objet du litige (ATF 144 V 354 consid. 4.2 et les références), de sorte que l’assureur n’est pas tenu de rendre deux décisions distinctes. Lorsque l’assureur rend une décision formelle de refus de droit à la rente, il y a lieu d’admettre qu’il refuse également formellement la poursuite du versement de l’indemnité journalière et de la prise en charge du traitement médical (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_619/2018 du 7 mars 2019 consid. 3.3).

6.2.4 Chez les assurés actifs, le degré d'invalidité doit être évalué sur la base d'une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 8 al. 1 et art. 16 LPGA). En règle ordinaire, il s'agit de chiffrer aussi exactement que possible ces deux revenus et de les confronter l'un avec l'autre, la différence permettant de calculer le taux d'invalidité. Dans la mesure où ils ne peuvent être chiffrés exactement, ils doivent être estimés d'après les éléments connus dans le cas particulier, après quoi l'on compare entre elles les valeurs approximatives ainsi obtenues (méthode générale de comparaison des revenus ; ATF 137 V 334 consid. 3.3.1).

6.2.4.1 Pour déterminer le revenu sans invalidité, il convient d'établir ce que l'assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s'il n'était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. Partant de la présomption que l'assuré aurait continué d'exercer son activité sans la survenance de son invalidité, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l'assuré avant l'atteinte à la santé, en prenant en compte également l'évolution des salaires jusqu'au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 et les références ; ATF 135 V 297 consid. 5.1 et les références ; ATF 134 V 322 consid. 4.1 et les références).

6.2.4.2 En l'absence d'un revenu effectivement réalisé soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l'atteinte à la santé, n'a pas repris d'activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible –, le revenu d'invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l'ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les références ; ATF 143 V 295 consid. 2.2 et les références).

La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits, dépend de l'ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d'autorisation de séjour et taux d'occupation) et résulte d'une évaluation dans les limites du pouvoir d'appréciation. Une déduction globale maximum de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d'une activité lucrative (ATF 148 V 174 consid. 6.3 et les références ; ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; ATF 134 V 322 consid. 5.2 et les références). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu'il existe des indices qu'en raison d'un ou de plusieurs facteurs, l'intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu'avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 148 V 174 consid. 6.3 et les références ; ATF 146 V 16 consid. 4.1 et les références ; ATF 126 V 75 consid. 5b/aa). Il n'y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération ; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d'appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d'invalide, compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3 et les références ; ATF 126 V 75 consid. 5b/bb et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 3.3 et les références).

7.              

7.1 Dans le cas de troubles psychiques additionnels à une atteinte à la santé physique, le caractère adéquat du lien de causalité suppose que l'accident ait eu une importance déterminante dans leur déclenchement. La jurisprudence a tout d'abord classé les accidents en trois catégories, en fonction de leur déroulement : les accidents insignifiants ou de peu de gravité (par ex. une chute banale) ; les accidents de gravité moyenne et les accidents graves. Pour procéder à cette classification, il convient non pas de s'attacher à la manière dont l'assuré a ressenti et assumé le choc traumatique, mais bien plutôt de se fonder, d'un point de vue objectif, sur l'événement accidentel lui-même (ATF 140 V 356 consid. 5.3 ; ATF 115 V 133 consid. 6 ; ATF 115 V 403 consid. 5). Sont déterminantes les forces générées par l'accident et non pas les conséquences qui en résultent ou d'autres circonstances concomitantes qui n'ont pas directement trait au déroulement de l'accident, comme les lésions subies par l'assuré ou le fait que l'événement accidentel a eu lieu dans l'obscurité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_595/2015 du 23 août 2016 consid. 3 et les références). La gravité des lésions subies - qui constitue l'un des critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité - ne doit être prise en considération à ce stade de l'examen que dans la mesure où elle donne une indication sur les forces en jeu lors de l'accident (arrêts du Tribunal fédéral 8C_398/2012 du 6 novembre 2012 consid. 5.2 in SVR 2013 UV n° 3 p. 8 et 8C_435/2011 du 13 février 2012 consid. 4.2 in SVR 2012 UV n° 23 p. 84 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2015 du 25 août 2016 consid.3.3).

7.1.1 Selon la jurisprudence (ATF 115 V 403 consid. 5), lorsque l'accident est insignifiant (l'assuré s'est par exemple cogné la tête ou s'est fait marcher sur le pied) ou de peu de gravité (il a été victime d'une chute banale), l'existence d'un lien de causalité adéquate entre cet événement et d'éventuels troubles psychiques peut, en règle générale, être d'emblée niée.

7.1.2 Lorsque l'assuré est victime d'un accident grave, il y a lieu, en règle générale, de considérer comme établie l'existence d'une relation de causalité entre cet événement et l'incapacité de travail (ou de gain) d'origine psychique. D'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, un accident grave est propre, en effet, à entraîner une telle incapacité. Dans ces cas, la mise en œuvre d'une expertise psychiatrique se révélera la plupart du temps superflue.

7.1.3 Sont réputés accidents de gravité moyenne les accidents qui ne peuvent être classés dans l'une ou l'autre des catégories décrites ci-dessus. Pour juger du caractère adéquat du lien de causalité entre de tels accidents et l'incapacité de travail (ou de gain) d'origine psychique, il ne faut pas se référer uniquement à l'accident lui-même. Il sied bien plutôt de prendre en considération, du point de vue objectif, l'ensemble des circonstances qui sont en connexité étroite avec l'accident ou qui apparaissent comme des effets directs ou indirects de l'événement assuré. Ces circonstances constituent des critères déterminants dans la mesure où, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, elles sont de nature, en liaison avec l'accident, à entraîner ou aggraver une incapacité de travail (ou de gain) d'origine psychique.

Pour admettre l’existence du lien de causalité en présence d’un accident de gravité moyenne, il faut donc prendre en considération un certain nombre de critères, dont les plus importants sont les suivants (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa ;
ATF 115 V 403 consid. 5c/aa) :

- les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident ;

- la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu notamment du fait qu'elles sont propres, selon l'expérience, à entraîner des troubles psychiques ;

- la durée anormalement longue du traitement médical ;

- les douleurs physiques persistantes ;

- les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable des séquelles de l’accident ;

- les difficultés apparues au cours de la guérison et des complications importantes ;

- le degré et la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques.

Tous ces critères ne doivent pas être réunis pour que la causalité adéquate soit admise. De manière générale, lorsqu'il s'agit d'un accident de gravité moyenne, il faut un cumul de trois critères sur les sept, ou au moins que l'un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.3 et la référence). Un seul d’entre eux peut être suffisant, notamment si l’on se trouve à la limite de la catégorie des accidents graves. Inversement, en présence d’un accident se situant à la limite des accidents de peu de gravité, les circonstances à prendre en considération doivent se cumuler ou revêtir une intensité particulière pour que le caractère adéquat du lien de causalité soit admis (ATF 129 V 402 consid. 4.4.1 et les références ; ATF 115 V 133 consid. 6c/bb ; ATF 115 V 403 consid. 5c/bb).

Quant au critère du degré et de la durée de l'incapacité de travail due aux lésions physiques, il doit se rapporter aux seules lésions physiques et ne se mesure pas uniquement au regard de la profession antérieurement exercée par l'assuré. Ainsi, il n'est pas rempli lorsque l'assuré est apte, même après un certain laps de temps, à exercer à plein temps une activité adaptée aux séquelles accidentelles qu'il présente (p. ex. arrêt du Tribunal fédéral 8C_209/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.2.2). Ce critère est en principe admis en cas d’incapacité totale de travail de près de trois ans (arrêts du Tribunal fédéral 8C_547/2020 du 1er mars 2021, consid. 5.1 et 8C_600/2020 du 3 mai 2021). Ce critère n’est en revanche pas rempli dans le cas d’un assuré qui s’est trouvé en incapacité de travail totale pendant un peu plus d’une année (arrêt du Tribunal fédéral 8C_209/2020 précité), pendant un an et demi (arrêt du Tribunal fédéral 8C_627/2019 du 10 mars 2020, consid. 5.4.5), pendant vingt mois (arrêt du Tribunal fédéral 8C_93/2022, consid. 5.3), pendant 21 mois (arrêt du Tribunal fédéral 8C_600/2020 du 3 mai 2021) ou encore pendant deux ans et quatre mois (arrêt du Tribunal fédéral 8C_547/2020 du 1er mars 2021).

Dans l’arrêt 8C_657/2013 du 3 juillet 2014 (consid. 5.4), le Tribunal fédéral a développé sa casuistique en cas de chute.  

Le Tribunal fédéral a rappelé que le caractère particulièrement impressionnant ou dramatique avait été nié dans le cas d'un travailleur victime d'un accident dans les circonstances suivantes : une lourde pierre s'était détachée d'un mur haut de 2,7 m d'un immeuble en démolition et lui a percuté le dos, puis la cheville gauche, alors qu'il s'apprêtait à franchir une fenêtre ; le choc l'a projeté en avant et il s'est trouvé face contre terre, à cheval sur la base de l'encadrement de la fenêtre. Il l'a encore nié dans le cas d'un travailleur qui était tombé d'un échafaudage d'une hauteur d'environ 3 à 4 m ou d'un travailleur qui avait chuté d'une échelle d'une hauteur d'environ
4,5 m dans une fouille. Il l'avait en revanche admis dans le cas d'un assuré qui, lors de travaux de démolition de boxes de garages, s'était trouvé pressé contre une benne de déchets par un pan de mur en plâtre s'écroulant sur lui tandis que le toit menaçait également de s'effondrer, et qui avait subi plusieurs fractures à la suite de cet événement nécessitant une hospitalisation de plusieurs jours (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 603/2006 du 7 mars 2007 et les références).

 

7.2 Aux termes de l'art. 24 LAA, si par suite d'un accident, l'assuré souffre d'une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique, il a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l'intégrité (al. 1). L'indemnité est fixée en même temps que la rente d'invalidité ou, si l'assuré ne peut prétendre une rente, lorsque le traitement médical est terminé (al. 2). D'après l'art. 25 LAA, l'indemnité pour atteinte à l'intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, 1ère phrase) ; elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l'époque de l'accident et elle est échelonnée selon la gravité de l'atteinte à l'intégrité (al. 1, 2ème phrase). Elle est également versée en cas de maladie professionnelle (cf. art. 9 al. 3 LAA). Le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l'indemnité (al. 2).

La Division médicale de la SUVA a établi plusieurs tables d'indemnisation des atteintes à l'intégrité selon la LAA (disponibles sur www.suva.ch). Ces tables n'ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s'agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l'égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l'annexe 3 à l'OLAA (ATF 132 II 117 consid. 2.2.3 ; ATF 124 V 209 consid. 4.cc ; ATF 116 V 156 consid. 3).

Lors de la fixation de l'indemnité, il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité (art. 36 al. 4 1ère phrase OLAA). De jurisprudence constante, cette règle ne vise toutefois que les aggravations dont la survenance est vraisemblable et l'importance quantifiable (arrêt du Tribunal fédéral 8C_494/2014 du 11 décembre 2014 consid. 6.2 ; RAMA 1998 n° U 320 p. 602 consid. 3b).

À titre d'exemples, le Tribunal fédéral a nié le caractère prévisible d'une aggravation en fonction de l'indication du médecin selon laquelle « il n'était pas impossible » que l'affection (périarthrite scapulo-humérale) entraînât « d'ici quelques années » une arthrose moyenne (RAMA 1998 p. 602 consid. 3b) ; à l'inverse, il a admis l'aggravation prévisible d'une arthrose du genou dans le cas où le médecin a fait état d'une telle aggravation « en raison de l'évolution toujours défavorable de l'arthrose » (arrêt du Tribunal fédéral 8C_459/2008 du 4 février 2009 consid. 2.3, in SVR 2009 UV n° 27 p. 98).

8.              

8.1 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 132 V 93 consid. 4 et les références ; ATF 125 V 256 consid. 4 et les références). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

8.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2). L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

8.3 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

9.              

9.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références; ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6. 1 et la référence).

9.2 Si l’administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d’office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d’administrer d’autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références ; ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu selon l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101 - Cst; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b, ATF 122 V 157 consid. 1d).

10.         En l’occurrence, la chambre de céans a estimé que, du point de vue somatique, une expertise judicaire orthopédique était nécessaire, vu les avis médicaux au dossier qui divergeaient.

Fondé sur toutes les pièces du dossier, y compris un examen Spect-CT récent du pied droit, comprenant une anamnèse, la description des plaintes du recourant, des diagnostics et limitations fonctionnelles clairs, ainsi qu’une appréciation motivée de la capacité de travail, le rapport d’expertise judiciaire orthopédique répond aux critères jurisprudentiels précités pour qu’il lui soit reconnu une pleine valeur probante. Il en est de même du complément d’expertise du 9 février 2023, sous réserve de la date de stabilisation de l’état de santé (cf. consid. infra 10.2.2).

Les experts judiciaires ont conclu à la stabilisation de l’état de santé à juin 2020, à l’exigibilité d’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles du recourant à un taux de 100%, ainsi qu’à une IPAI d’un taux de 30%.

10.1 Le recourant a déclaré se rallier dans son ensemble aux réponses et conclusions des experts, sous réserve de la capacité de travail totale reconnue dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, celle de chef de chantier/conducteur de travaux ne lui étant pas accessible sans formation ; une baisse de rendement de 20-30% devait, en toute hypothèse, lui être accordée.

10.2 Quant à l’intimée, elle a contesté les conclusions des experts déclarant probable le lien de causalité entre l’accident et les lombosciatalgies du recourant, tout comme la date de la stabilisation de l’état de santé fixée à juin 2020, ainsi que le taux de l’IPAI.

10.2.1 S’agissant des lombosciatalgies, les experts ont relevé qu’elles étaient apparues quelques mois après l’accident, un premier bilan radiologique ayant été effectué en janvier 2018, puis une IRM en février 2018 montrant une hernie discale avec compression radiculaire et un complément radiologique en juin 2018 montrant un pincement inter-somatique en L4-L5.

Les experts mentionnent que, selon le recourant, la douleur lombaire est nettement moins handicapante que celle au pied droit et qu’il est possible que les lombosciatalgies étaient déjà présentes après l’accident, masquées par la gravité des autres atteintes. Le lien de causalité avec l’accident est, selon eux, probable. Les experts estiment cependant qu’ils ne sont pas spécialistes dans ce domaine.

A priori, au vu des explications des experts, il n’existe pas suffisamment d’éléments permettant de reconnaitre un tel lien, au degré de la vraisemblance prépondérante. Cette question peut cependant rester ouverte dès lors que, selon les avis médicaux au dossier, les lombosciatalgies n’entrainent pas de limitations fonctionnelles supérieures à celles déjà retenues.

À cet égard, la CRR avait déjà constaté des troubles statiques du rachis avec une discarthrose débutante et réduction de la lordose lombaire, des douleurs à la palpation du rachis dorsal sur toute la longueur, et avait noté un épisode de lumbago aigu en 2019. Les troubles du rachis du recourant semblent ainsi avoir été pris en compte lors de la fixation des limitations fonctionnelles du recourant par la CRR, soit un port de charge limité à 10-15 kg, la marche prolongée, les activités en position debout prolongée, l’utilisation répétée d’escaliers, les échelles et les positions contraignantes pour les chevilles. Ces limitations correspondent à celles retenues par le Dr K______ et l’intimée. Quoi qu’il en soit, le recourant ne prétend pas que les lombosciatalgies entraineraient des limitations fonctionnelles plus importantes que celles retenues.

En outre, l’aggravation des lombosciatalgies invoquée par le recourant fin 2022 ne saurait modifier cette appréciation dès lors qu’il s’agit d’aggravation aigüe passagère telle que celle déjà relevée par la CRR (épisode de lumbago aigu) et qu’elle s’est produite postérieurement à la date de la décision litigieuse. Il sera à cet égard rappelé que de jurisprudence constante, le juge apprécie en règle générale la légalité des décisions entreprises d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1). Les faits survenus postérieurement, et qui ont modifié cette situation, doivent en principe faire l'objet d'une nouvelle décision administrative (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 130 V 130 consid. 2.1).

Au demeurant, la question du lien de causalité entre les lombosciatalgies et l’accident n’est pas déterminante.

10.2.2 S’agissant de la stabilisation de l’état de santé, l’intimée l’a fixée au 1er décembre 2019 ; le recourant s’en rapporte à justice sur cette question.

Les experts judicaires ont précisé, dans leur complément d’expertise du 9 février 2023, que dès lors que le recourant se déplaçait encore avec deux cannes, sans poser le pied au sol, en octobre 2019 et que tel n’était plus le cas lors de leur consultation, il fallait admettre que le cas s’était stabilisé quelques mois plus tard, soit en juin 2020.

Cependant, l’anamnèse faite par les experts mentionne que le port de cannes a été arrêté en janvier 2020 (expertise judiciaire p. 1). Dans ces conditions, la date de juin 2020 ne peut être suivie et il convient de retenir que l’état de santé du recourant s’est encore amélioré de façon significative au sens de la jurisprudence précitée - puisque le recourant a pu marcher sans l’aide de cannes à partir de janvier 2020 en poursuivant son traitement de physiothérapie - de sorte que l’état de santé n’était stabilisé qu’à cette dernière date, soit au jour où le recourant a pu abandonner l’utilisation des cannes et marcher en charge complète, date qu’il convient d’arrêter au 31 janvier 2020 (à cet égard arrêt du Tribunal fédéral 8C_329/2022 du 19 décembre 2022).

10.2.3 S’agissant de la capacité de travail exigible, les experts ont retenu qu’elle était totale dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles du recourant.

Celui-ci estime qu’au vu de son incapacité à maintenir de façon prolongée une position stable assise ou debout, avec l’obligation d’alterner les positions, de surcroît sans pouvoir porter de charge, une baisse de rendement de 20 à 30% devrait lui être accordée.

Or, aucun motif ne permet en l’espèce de s’écarter des conclusions claires des experts, ce d’autant que la jurisprudence du Tribunal fédéral retient que le marché du travail offre un éventail suffisamment large d’activités légères dont en l’occurrence un nombre significatif est adapté aux limitations du recourant, donc exigible à un taux de 100%, et accessible sans aucune formation particulière (arrêts du Tribunal fédéral 9C 303/2022 du 31 mai 2023 concernant un assuré qui présentait des limitations d’absence de marche et de position fixe prolongées ; 8C 553/2011 du 21 octobre 2011). Par ailleurs, même si, comme le soutient le recourant, une activité de chef de chantier ne peut être exigible en l’état, une autre activité légère l’est, ce nonobstant l’absence de désignation par l’intimée d’activités précises.

Les experts ont estimé que la capacité de travail totale du recourant était exigible « dès à présent ». Ils ne se sont toutefois pas prononcés sur la période antérieure, soit depuis la stabilisation de l’état de santé (que les experts ont fixée à juin 2020 et qui a été déterminée - comme relevé ci-dessus - à janvier 2020) jusqu’à leur examen clinique du 31 mai 2022. Or, en l’absence d’éléments permettant d’expliquer que l’état de santé du recourant entre le 1er février 2020 (voire le 30 juin 2020) et le 31 mai 2022 justifiait une incapacité de travail totale dans toute activité, par rapport à celui existant dès le 31 mai 2022, il y a lieu d’admettre que la capacité de travail de 100% est présente depuis janvier 2020, date de la stabilisation de l’état de santé du recourant.

À cet égard, la mention que le recourant a ressenti depuis une année (soit depuis mai 2021) une nette baisse de la douleur et de l’hypersensibilité liée à la cicatrice chirurgicale (rapport d’expertise judiciaire p. 2) ne permet pas de motiver de façon cohérente une exigibilité professionnelle seulement depuis le jour de l’examen clinique des experts du 31 mai 2022.

Par appréciation anticipée des preuves, il sera ainsi renoncé à l’audition des Drs N______ et J______.

10.2.4 S’agissant des troubles psychiques, le recourant requiert une expertise judicaire psychiatrique, après avoir constaté que les critères pour admettre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre son atteinte et l’accident étaient réalisés.

10.2.4.1.                        L’intimée a qualifié l’accident de gravité moyenne, ce qui n’est pas contesté par le recourant et ce qui peut être confirmé pour une chute d’environ 2 mètres dans le vide, en particulier au vu de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral qui considère qu’une chute d’une hauteur entre 2 et 4 mètres dans le vide est qualifiée de gravité moyenne au sens strict (arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2022 du 28 février 2023).

Or, en présence d’un tel accident, la jurisprudence exige que trois critères au moins doivent être réunis ou qu’un critère se soit manifesté de manière particulièrement marquante, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

10.2.4.2.                        En effet, la chute d’un échafaudage d’une hauteur de 2 mètres ne saurait être considérée comme étant un accident particulièrement impressionnant ou dramatique ; quant aux lésions physiques, soit la fracture du calcanéum, même si les experts les ont estimées comme étant graves, il ne s’agit pas de lésions dont la gravité ou la nature est reconnue comme étant propre à développer des troubles psychiques ; par ailleurs il n’y a pas eu d’erreur dans le traitement médical ni la présence d’une longue incapacité de travail due aux atteintes somatiques dès lors qu’elle a duré 27 mois (soit du 9 novembre 2017 au 31 janvier 2020), correspondant à une durée inférieure à trois ans, laquelle est exigée par la jurisprudence. En revanche, il y lieu d’admettre que des complications importantes sont survenues par l’apparition d’un SDRC. Quant à la présence de douleurs physiques persistantes, cette question peut rester ouverte, dès lors que même si ce critère était admis, il ne permettrait pas de conclure à un lien de causalité adéquate entre les atteintes du recourant et l’accident. En effet, faute de trois critères réalisés et en l’absence également d’une intensité particulière des deux critères précités (le SDRC ayant disparu et les douleurs physiques persistantes n’empêchant pas une activité à un taux reconnu de 100%), le lien de causalité adéquate entre les éventuels troubles psychiques du recourant et l’accident ne saurait être admis.

10.2.4.3.                        En conséquence, il n’est pas nécessaire d’ordonner une expertise judiciaire psychiatrique, les éventuels troubles psychiques du recourant ne pouvant être mis à la charge de l’intimée.

10.3 Au demeurant, il convient de constater que l’état de santé du recourant était stabilisé au 31 janvier 2020 et que dès le 1er février 2020, il était capable d’exercer une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles à un taux de 100%.

Partant, il a droit aux indemnités journalières jusqu’au 31 janvier 2020.

10.4 Il convient encore d’examiner si son degré d’invalidité au 1er février 2020 lui donne le droit à une rente d’invalidité.

10.4.1 L’intimée conclut à un degré d’invalidité nul ; son calcul se fonde, en prenant en compte l’année 2019, sur un revenu sans invalidité de CHF 55'809.- et un revenu d’invalide de CHF 60'969.- (basé sur l’ESS 2017, tableau TA1, homme, niveau 1, pour 41,7 h de travail par semaine, indexé à l’année 2019, avec un abattement de 10%).

Le recourant prétend à un salaire sans invalidité, en 2017, de CHF 62'010.- (CHF 4'770.- x 13 mois) et à l’application d’un abattement sur le revenu d’invalide supérieur à un taux de 10%.

10.4.1.1.                        S’agissant de l’abattement, aucun motif ne permet de l’augmenter. Le recourant fait valoir des limitations fonctionnelles physiques et psychiques. Or, les premières sont déjà prises en compte dans le taux d’abattement de 10% et les secondes n’entrent pas en considération, vu l’absence de lien de causalité adéquate entre les éventuels troubles psychiques et l’accident. Il fait aussi valoir son absence de formation et de permis de séjour. Or, un abattement en raison de l’absence d’expérience ou d’ancienneté dans une activité exigible de niveau 1 n’entre pas en ligne de compte (arrêt du Tribunal fédéral 8C 699/207 du 28 avril 2018 consid. 3.2) et, selon le fichier Calvin de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), le recourant est titulaire d’un livret B – attestation de séjour pour cas de rigueur. Un abattement supérieur au taux de 10% n’est ainsi pas justifié.

10.4.1.2.                        Quant au revenu sans invalidité, même si celui requis par le recourant était pris en compte, le degré d’invalidité n’atteindrait pas le seuil de 10% donnant droit à une rente d’invalidité.

En effet, le revenu sans invalidité, en 2017, serait de CHF 62'010.- (soit CHF 4'770.- x 13 mois). Indexé à l’année 2020, il est de CHF 63'384.- (+0,5 % en 2012, + 0,9% en 2019 et + 0,8% en 2020).

Le revenu d’invalide, selon l’ESS 2020, tableau TA1, homme, niveau 1, est de CHF 63'132.- (CHF 5'261.- x 12 mois). Ramené à un horaire de travail hebdomadaire de 41,7 h (en 2020), il est de CHF 65'815.-. Compte tenu d’un abattement de 10%, il est de CHF 59'234.-.

Le degré d’invalidité est ainsi de 7% :

63'384 - 59’234

= 6,54%, arrondi à 7%

63’384

Ce degré n’ouvre pas le droit à une rente d’invalidité.

10.5 S’agissant du taux de l’IPAI, l’intimée l’a fixé à un taux de 15% alors que les experts l’évaluent à un taux de 30%.

Il convient de suivre cette dernière évaluation motivée et convaincante.

En effet, les experts ont relevé que la gêne fonctionnelle dans les articulations sous-astragaliennes et péri-calcanéennes associée à des troubles fonctionnels douloureux après fracture justifie un taux de 25%, augmenté de 5% compte tenu de l’arthrose à venir de l’arrière et du médio-pied. Des signes arthrosiques étaient mis en évidence au niveau de toutes les articulations en cause et avaient un impact sur la symptomatologie du recourant.

Dans leur complément d’expertise, les experts ont précisé le taux global de 30%, soit 15% pour l’arthrose sous-talienne, 10% pour le syndrome post-contusionnel et 5% pour l’aggravation certaine de l’arthrose, étant relevé que l’intimée admettait un taux de 30% pour une arthrose terminale de l’articulation sous-talienne. Ils ont relevé que la Dre S______ ne tenait pas compte du syndrome post-contusionnel de la coque talonnière qui participait à la plus grave symptomatologie du recourant et rendait son pied dysfonctionnel.

Ils relèvent ainsi que ce taux de 30% est cohérent avec le taux maximal pour une arthrose grave sous-astragalienne (Tableau 5 de l’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA, de l’intimée), ce qui peut être confirmé. Par ailleurs, ils estiment que la gêne fonctionnelle (taux de 10%) rend le pied dysfonctionnel, ce qui justifie une augmentation du taux de 15% retenu par l’intimée pour l’arthrose. Contrairement à l’avis de la Dre S______, les experts retiennent que ce syndrome post-contusionnel de la coque talonnière n’est pas dû à l’arthrose.

Le taux de 30% de l’IPAI sera ainsi retenu.

11.          

11.1 Les frais qui découlent de la mise en œuvre d'une expertise judiciaire pluridisciplinaire confiée à un Centre d'observation médicale de l'assurance-invalidité (COMAI) peuvent le cas échéant être mis à la charge de l'assurance-invalidité (cf. ATF 139 V 496 consid. 4.3). En effet, lorsque l'autorité judiciaire de première instance décide de confier la réalisation d'une expertise judiciaire pluridisciplinaire à un COMAI parce qu'elle estime que l'instruction menée par l'autorité administrative est insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l'ATF 137 V 210), elle intervient dans les faits en lieu et place de l'autorité administrative qui aurait dû, en principe, mettre en œuvre cette mesure d'instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l'expertise ne constituent pas des frais de justice au sens de l'art. 69 al. 1 bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l'art. 45 LPGA qui doivent être pris en charge par l'assurance-invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_312/2016 du 13 mars 2017 consid. 6.2).

Dans la mesure où, en principe, les mêmes règles de procédure, à savoir les art. 43 à 49 LPGA, sont applicables à l'instruction de la demande aussi bien en matière d'assurance-invalidité que dans le domaine de l'assurance-accidents, les principes jurisprudentiels régissant la prise en charge des frais d'expertise du COMAI par les offices de l'assurance-invalidité valent également par analogie lorsque le tribunal cantonal juge un complément d'instruction nécessaire et ordonne la mise en œuvre d'une expertise au lieu de renvoyer la cause à l'assureur-accidents. Les frais d'expertise peuvent ainsi être mis à la charge de l'assureur-accidents lorsque les résultats de l'instruction mise en œuvre dans la procédure administrative n'ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels et qu'en soi un renvoi est envisageable en vue d'administrer les preuves considérées comme indispensables, mais qu'un tel renvoi apparaît peu opportun au regard du principe de l'égalité des armes (ATF 139 V 225 consid. 4.3). 

Cette règle ne saurait entraîner la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres termes, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.4). Tel est notamment le cas lorsque l'autorité administrative a laissé subsister, sans la lever par des explications objectivement fondées, une contradiction manifeste entre les différents points de vue médicaux rapportés au dossier, lorsqu'elle a laissé ouverte une ou plusieurs questions nécessaires à l'appréciation de la situation médicale ou lorsqu'elle a pris en considération une expertise qui ne remplissait manifestement pas les exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de ce genre de documents (arrêt du Tribunal fédéral 8C_333/2019 du 18 septembre 2019 consid. 3). En revanche, lorsque l'autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d'une expertise qui répondait aux exigences jurisprudentielles, la mise à sa charge des frais d'une expertise judiciaire ordonnée par l'autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d'une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 139 V 496 consid. 4.4 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2019 du 6 avril 2020 consid. 5.1). 

11.2 En l’occurrence, les frais de l’expertise judiciaire à hauteur de CHF 5'000.- seront mis à la charge de l’intimée, l’instruction médicale du cas ayant nécessité l’ordonnance d’une expertise judiciaire, selon les motifs exposés dans l’ordonnance d’expertise, en particulier l’absence d’une expertise administrative.

12.         Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la décision litigieuse sera partiellement annulée. L’intimée sera condamnée à verser au recourant des indemnités journalières jusqu’au 31 janvier 2020 et une IPAI à un taux de 30%, sous déduction des prestations déjà versées.

Le recourant obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

A la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule partiellement la décision de l’intimée du 4 juin 2020.

4.        Condamne l’intimée à verser au recourant l’indemnité journalière jusqu’au 31 janvier 2020 et une IPAI à un taux de 30%, sous déduction des prestations déjà versées.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à charge de l’intimée.

6.        Met les frais de l’expertise judiciaire de CHF 5'000.- à charge de l’intimée.

7.        Dit que la procédure est gratuite.

8.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Adriana MALANGA

 

 

La présidente

 

 

 

Valérie MONTANI

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le