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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1352/2022

ATAS/574/2023 du 27.07.2023 ( CHOMAG ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1352/2022 ATAS/574/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 27 juillet 2023

Chambre 6

 

En la cause

A______ SA

recourante

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI

 

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. La société anonyme A______ SA (ci-après: la société) a été inscrite au registre du commerce de Genève (ci-après : RC) le 21 janvier 2013, avec comme but social la gestion administrative et commerciale de marques, franchises et brevets dans le secteur de la haute horlogerie et de la joaillerie, notamment conseils et assistance juridique, administrative et commerciale.

Monsieur B______ (ci-après: l'administrateur) en est l’administrateur unique avec signature individuelle.

b. La société a sollicité et obtenu de l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) des indemnités pour réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) pour les périodes suivantes :

-          du 8 décembre 2019 au 7 mars 2020 (décision du 20 décembre 2019) ;

-          du 25 mars 2020 au 24 septembre 2020 (décision du 31 mars 2020) ;

-          du 1er septembre 2020 au 30 novembre 2020 (décision du 16 mars 2021) ;

-          du 1er décembre 2020 au 28 février 2021 (décision du 16 mars 2021) ;

-          du 1er mars 2021 au 31 août 2021 (décision du 20 avril 2021) ;

-          du 1er septembre 2021 au 30 novembre 2021 (décision du 9 novembre 2021) ;

-          du 1er décembre 2021 au 28 février 2022 (décision du 1er décembre 2021).

B. a. Le 24 février 2022, la société a remis à l’OCE un huitième préavis de RHT pour la période du 1er mars 2022 au 31 août 2022 pour deux collaborateurs pour une perte de travail de 75%. Elle employait, à la date de la demande, quatre collaborateurs, dont deux sous contrat de travail de durée indéterminée et deux apprentis. Un an auparavant, elle employait deux employés sous contrat de travail de durée indéterminée. Ces deux dernières années, les commandes de la société avaient diminué de plus de 90%, notamment en raison de la situation sanitaire liée à la pandémie de Coronavirus (ci-après : COVID-19). Sa clientèle était majoritairement étrangère et du fait de la circulation difficile entre les pays, celle en provenance du Moyen-Orient et de la Russie principalement, ne se déplaçait plus à Genève. Hormis la vente au détail de commandes spéciales, son activité dépendait également des articles directement prêts à être vendus en boutique. Son chiffre d'affaires s'élevait à CHF 1'341'187.- en 2018, à CHF 3'762'283.- en 2019, à CHF 176'638.- en 2020 et à CHF 561'013.- en 2021. Elle espérait qu'avec la suppression des restrictions de voyages, les clients potentiels du Moyen-Orient, de la Russie, et de tous les autres pays, reviennent à Genève. Dans l'objectif d'éviter la RHT, elle était constamment en contact avec ses clients existants afin d'essayer de générer des affaires. Elle produisait des nouveaux modèles plus abordables et lançait également un site de vente par INSTAGRAM et par plate-forme en ligne. La plate-forme en ligne ne serait en revanche pas opérationnelle avant fin 2022. En 2019, elle avait conclu deux commandes importantes. Les clients avaient effectué des paiements partiels, mais elle n'avait pu honorer à temps ces commandes car à la suite de la situation sanitaire, les livraisons avaient été retardées. Elle était ainsi en pourparlers avec lesdits clients afin d'éviter l'annulation de toutes les commandes.

Elle a notamment joint à sa demande un tableau mentionnant le chiffre d'affaires pour chaque mois pour la période de janvier 2018 à décembre 2021.

b. Par décision du 25 février 2022, l’OCE a refusé la demande de RHT de la société, au motif que les restrictions sanitaires avaient été levées en Suisse, que l'employeur n'avait pas tout entrepris pour diminuer le dommage, ayant notamment doublé son effectif depuis son dernier préavis de novembre 2021.

c. Le 10 mars 2022, la société a formé opposition à la décision précitée. La levée des restrictions ne signifiait pas que les aéroports étaient bondés et que les touristes affluaient vers la Suisse. Sa clientèle était principalement basée sur le tourisme étranger : Moyen-Orient, Russie, Asie et Amérique. En outre, la guerre en Ukraine rendait la situation sur les marchés du luxe plus difficile encore que lors de la crise sanitaire. Concernant le nombre d'employés, deux employés travaillaient au bureau, les membres de la famille travaillaient dans la boutique et deux stagiaires avaient été engagés pour un mois afin de pallier les absences des membres de la famille en voyage ou malades.

d. Par décision du 11 avril 2022, l'OCE a rejeté l'opposition précitée et confirmé la décision du 25 février 2022, considérant que la société n’avait pas été contrainte d’arrêter son activité à la suite d’une décision administrative. En effet, la Suisse avait levé la plupart des restrictions sanitaires depuis le 17 février 2022 de sorte que l'argument se fondant sur les difficultés des clients à se rendre à Genève ne pouvait être retenu. Par ailleurs, la société n'avait transmis aucun justificatif attestant d'une baisse de sa clientèle en raison de la situation sanitaire. Il en allait de même pour l'impact direct des interventions militaires en Ukraine, aucun élément de preuve n’ayant été apporté.

C. a. Le 2 mai 2022, la société a recouru contre la décision sur opposition précitée, concluant à des indemnités pour RHT à 100% pour mars et avril et jusqu'au 15 mai 2022 et à 75% à partir du 15 mai 2022. La majorité des clients de la société venaient de l'étranger, à savoir du Moyen-Orient, de la Russie, de la Chine, de l'Extrême-Orient et des Etats-Unis. Les vols internationaux à destination de la Suisse avaient été réduits de 50% depuis l'apparition du COVID-19. La clientèle chinoise était d'ailleurs soumise à une quarantaine de 20 jours à son retour en Chine. Par ailleurs, en raison de la guerre en Ukraine et des sanctions édictées, les clients russes ne pouvaient plus utiliser leurs cartes de crédit en dehors de la Russie. Ils avaient disparu du marché. La clientèle ukrainienne était dans une situation difficile, ne voyageait pas et ne dépensait pas d'argent. En outre, à cause de travaux de rénovation, la société avait été obligée de déménager son arcade. Le nouvel emplacement dans le hall d'un hôtel n'était pas aussi fréquenté que celui de la rue du Rhône, dans laquelle se situait leur ancienne arcade. Si la société n'obtenait pas les RHT demandées, elle devrait alors licencier.

Elle a notamment joint des attestations de salaires de 2018 à 2021 et un courrier de l'agence immobilière confirmant les travaux de transformation et de rénovation de l'immeuble dans lequel se situait l'arcade qu'elle louait.

b. Le 20 mai 2022, l'OCE, considérant que la recourante n'avait apporté aucun élément nouveau, a persisté dans les termes de sa décision.

c. Par réplique du 9 juin 2022, la recourante a souligné qu'elle avait toujours essayé de réduire son personnel même avant le COVID-19 en obtenant de l'aide gracieusement des membres de la famille. La décision du 25 février 2022 avait été prise le lendemain du début de la guerre en Ukraine et n'avait donc pas tenu compte des répercussions économiques que la guerre aurait sur l'Europe.

d. Le 27 juin 2022, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle. Dans le cadre de celle-ci, l'administrateur de la société a expliqué que celle-ci employait deux personnes et que sa famille et lui-même travaillaient dans l'entreprise gracieusement. Elle avait subi depuis deux ans une perte de plus de 90% en raison du COVID-19. Elle travaillait principalement avec une clientèle venant de l'étranger et bien que les frontières soient ouvertes, la clientèle étrangère ne venait plus. La clientèle russe, la plus importante, qui correspondait à 30-40% de son chiffre d'affaires ne venait plus, à cause de la guerre, car elle n'avait plus d'argent à dépenser. Sa clientèle en provenance du Moyen-Orient et de l'Ukraine, fortunée, ne se déplaçait plus non plus. La société avait bénéficié d'une RHT à 50% pour une durée de 3 mois en décembre 2019. La boutique avait été fermée de mi-mars à fin avril 2022. Le déménagement de la boutique avait impacté le chiffre d'affaires de l'entreprise.

e. Le 4 juillet 2022, sollicitée par la chambre de céans, la recourante a transmis le détail des ventes pour la période de janvier 2018 à janvier 2022. Elle a confirmé que les ventes totales avaient été réduites de 85% après le COVID-19 et que les ventes à sa clientèle provenant de la Russie et des pays de la Communauté d'États indépendants (ci-après : CEI) avaient été réduites de 92%. Sa clientèle russe et de la CEI représentait 59% des ventes avant le COVID-19 et 30% après le COVID-19. La RHT était demandée jusqu'à fin 2022, la plateforme en ligne de la société devenant opérationnelle à ce moment-là et les ventes devant progressivement augmenter après cela.

Elle a joint la décision de l'intimé du 20 décembre 2019 lui accordant une indemnité pour RHT pour la période du 8 décembre 2019 au 7 mars 2020 ainsi qu'un tableau récapitulant, de janvier 2018 à juin 2022, le montant des ventes et plus particulièrement les ventes aux clients russes et en provenance de la CEI.

f. Le 19 juillet 2022, l'intimé a remarqué que la société sollicitait la RHT non seulement en raison du COVID-19 mais également du fait de la baisse de ses ventes de manière générale. La société avait d'ailleurs admis lors de l'audience du 27 juin 2022 que le changement d'arcade diminuait nettement le passage à sa boutique. Il s'agissait d'un risque normal d'exploitation non pris en charge par la RHT. En outre, selon les chiffres d'affaires mensuels produits par la recourante, 100% de celui du mois de juin 2022 avait été réalisé par des ventes aux clients russes et en provenance de la CEI. La clientèle internationale continuait ainsi d'être présente. Au vu de son but social, la recourante devait essayer d'élargir son activité, en tentant, par exemple, de démarcher des clients plus locaux, ce qu'elle n'avait pas démontré avoir effectué. Enfin, contrairement aux dires de la recourante, l'aéroport de Genève avait retrouvé une affluence de passagers similaire à 2019.

L'intimé a joint quatre articles de presse à propos de la fréquentation de l'aéroport de Genève.

g. Le 28 juillet 2022, la recourante a indiqué que la boutique avait seulement fermé entre mi-mars et fin avril 2022. Son chiffre d'affaires avait toutefois été réduit de novembre 2021 à février 2022. Par ailleurs, la fermeture n'était pas un risque commercial choisi mais un cas de force majeure. Le développement de la plateforme avait dû être mis en suspens en raison du manque de financement. Elle était à la recherche d'investisseurs afin de poursuivre son projet. Quant à l'aéroport de Genève, les avions étaient moins nombreux mais mieux remplis. Les articles auxquels renvoyaient l'intimé faisaient en réalité référence au week-end de l'Ascension et non aux touristes qui se déplaçaient à Genève pour dépenser dans le luxe.

h. Sur demande de la Chambre de céans, la recourante a transmis, en dates des 10 novembre 2022 et 14 décembre 2022, une attestation des salaires 2019, un tableau du taux d'activité travaillé en 2022, un tableau indiquant les ventes aux clients de Russie et d'Ukraine de janvier 2018 à août 2022 ainsi que divers bilans et tableaux de pertes et profits pour la période d'août 2019 à août 2022.

i. Invité à se déterminer, l'intimé a considéré que la recourante n'apportait aucun élément nouveau permettent de revoir la décision sur opposition litigieuse. S’agissant plus particulièrement de la fermeture de la boutique dès mars 2022, il s’agissait d’un risque normal d'exploitation, non pris en charge par la RHT. La recourante n'avait d’ailleurs pas allégué avoir pris une quelconque mesure pour garder une boutique ouverte ou à tout le moins essayé de le faire.


 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

3.             Le litige porte sur le droit de la recourante à une indemnité en cas de RHT pour la période allant du 1er mars 2022 au 31 août 2022.

4.             Afin de surmonter des difficultés économiques passagères, un employeur peut introduire, avec l’accord de ses employés, une RHT, voire une suspension temporaire de l’activité de son entreprise (RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, ch. 1 relatif aux remarques préliminaires concernant les art. 31ss).

Le but de l'indemnité en cas de RHT consiste, d'une part, à garantir aux personnes assurées une compensation appropriée pour les pertes de salaire dues à des réductions de temps partiel et à éviter le chômage complet, à savoir des licenciements et résiliations de contrats de travail. D'autre part, l'indemnité en cas de RHT vise au maintien de places de travail dans l'intérêt tant des travailleurs que des employeurs, en offrant la possibilité de conserver un appareil de production intact au-delà de la période de RHT (ATF 121 V 371 consid. 3a).

5.              

5.1 Selon l’art. 31 al. 1 LACI,

Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (ci-après : l’indemnité) lorsque :

a.       ils sont tenus de cotiser à l’assurance ou qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge minimum de l’assujettissement aux cotisations AVS ;

b.     la perte de travail doit être prise en considération (art. 32) ;

c.     le congé n’a pas été donné ;

d.     la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question.

L’art. 32 LACI, auquel l’art. 31 al. 1 let. b LACI renvoie, prévoit que :

1 La perte de travail est prise en considération lorsque :

a.       elle est due à des facteurs d’ordre économique et est inévitable et que

b.       elle est d’au moins 10% de l’ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l’entreprise.

2 ( )

3 Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d’autres circonstances non imputables à l’employeur. ( )

4 ( )

5 ( )

L'art. 51 de l’ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 31 août 1983 (ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI - RS 837.02) concrétise l'art. 32 al. 3 LACI en énumérant, à son al. 2, de façon non exhaustive (cf. ATF 128 V 305 consid. 4), différentes situations (notamment des mesures d'autorités) permettant de prendre en considération une perte de travail, telles qu’interdiction d'importer ou d'exporter des matières premières ou des marchandises (let. a) ; contingentement des matières premières ou des produits d'exploitation, y compris les combustibles (let. b) ; restrictions de transport ou fermeture des voies d'accès (let. c) ; interruptions de longue durée ou restrictions notables de l'approvisionnement en énergie (let. d) ; dégâts causés par les forces de la nature (let. e). L'art. 51 al. 4 OACI précise encore que la perte de travail causée par un dommage n'est pas prise en considération tant qu'elle est couverte par une assurance privée.

Enfin, l’art. 33 al. 1 let. a LACI prévoit notamment qu’une perte de travail n’est pas prise en considération lorsqu’elle est due à des mesures touchant l’organisation de l’entreprise, tels que travaux de nettoyage, de réparation ou d’entretien, ou à d’autres interruptions habituelles et réitérées de l’exploitation, ou encore à des circonstances inhérentes aux risques normaux d’exploitation que l’employeur doit assumer.

5.2 La LACI ne définit pas ce que recouvre la notion fondamentale de « facteurs d'ordre économique » mentionnée à l’art. 32 al. 1 LACI.

Ces facteurs d'ordre économique comprennent en réalité essentiellement ceux liés à la conjoncture. Ils peuvent toutefois également englober des facteurs structurels (DTA 2004 p. 127 consid. 1.3 p. 128; 2000 p. 53 consid. 4a p. 56 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_291/2010 du 19 juillet 2010 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral des assurances C 279/05 du 2 novembre 2006 consid. 2.2 ; C 24/99 du 11 juin 2001 consid. 4a ; C 203/95 du 8 janvier 1997 (RUBIN, op. cit. n° 6 ad art. 31 et les références citées). Les motifs conjoncturels et structurels sont d'ailleurs souvent juxtaposés, voire imbriqués l'un dans l'autre. La conjoncture défavorable se manifeste par une baisse plus ou moins généralisée de la demande de biens et de services. Les problèmes structurels dont il est question ici, c'est-à-dire ceux qui sont à l'origine d'une perte de travail, se caractérisent le plus souvent par une inadaptation de l'entreprise par rapport à la demande. Cette inadaptation peut concerner notamment la dimension de l'entreprise, ses techniques de production, les produits et les services offerts, ainsi que leurs prix. (RUBIN, op. cit., n° 6 ad Art. 32).

Une inadaptation structurelle peut déboucher sur des problèmes de compétitivité à long terme. La pérennité des entreprises structurellement faibles est compromise. Il n’appartient pas à l’assurance-chômage de contribuer, par son intervention, à retarder des adaptations structurelles des entreprises. Si de telles adaptations n’ont pas lieu, il se peut que la condition de la réduction de l’horaire de travail vraisemblablement temporaire au sens de l’art. 31 al. 1 let. d LACI ne soit pas ou plus remplie (Rubin, op. cit., n° 7 ad art. 32 LACI). Par ailleurs, l’assurance-chômage ne doit pas intervenir dans les rapports de concurrence en soutenant les entreprises structurellement faibles au détriment des entreprises plus fortes (Rubin, op. cit., n° 13 ad art. 33 LACI). En outre, une modification fondamentale et durable de la demande constitue un indice qui permet de réfuter la nature provisoire de la perte de travail (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 218/94 du 29 décembre 1994 in : DTA 1995 n° 19 p. 112).

5.3 L'art. 32 al. 3 phr. 1 permet d’accorder l’indemnité en cas de RHT pour des motifs autres qu’économiques, dans certains cas appelés « cas de rigueur ». Cet alinéa s'écarte en conséquence de la logique du système d'indemnisation en cas de RHT, qui veut que seules les pertes de travail causées par des motifs économiques puissent être prises en considération (art. 32 al. 1 let. a LACI). Ces « cas de rigueur » consistent en des situations qui compliquent ou empêchent l’activité économique et impliquent des risques d'exploitation suffisamment inhabituels pour qu'ils ne puissent être assumés par les seuls employeurs (ATF 138 V 333 consid. 3.2; voir également, parmi d’autres, RUBIN, op. cit., n° 15 ad art. 32).

En d’autres termes, dans les cas de rigueur prévus par les art. 32 l. 3 phr. 1 et 51 OACI, l’employeur est empêché d’exercer une activité économique et, est par conséquent, en raison d’une telle entrave, soumis à des risques d’exploitation inhabituels qu’il ne peut assumer seul (voir par exemple le jugement du Tribunal administratif du canton de Berne 200.2020.6011.AC du 16 novembre 2020, conid. 4.3 a contrario).

5.4 La seule présence d'un motif de prise en considération de la perte de travail au sens des art. 31 et 32 LACI n'est pas suffisante pour conduire à une indemnisation.

Lorsque la perte de travail est due à l'un des motifs de l'art. 33 LACI, l'indemnisation est exclue. Ainsi, même lorsque les critères des art. 31 et 32 LACI (voire de l’art. 51 OACI) sont réalisés, l'indemnisation est exclue lorsque l'une des conditions de l'art. 33 LACI est remplie, par exemple en présence d'un risque normal d'exploitation (RUBIN, op. cit., n° 18 ad art. 32 LACI et n° 1 et 4 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment ATF 138 V 333 consid. 3.2 et ATF 128 V 305 consid. 4a).

Selon la jurisprudence, doivent être considérées comme des risques normaux d’exploitation au sens de l’art. 33 al. 1 let. a LACI les pertes de travail habituelles, c’est-à-dire celles qui, d’après l’expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l’objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d’exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n’est que lorsqu’elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu’elles ouvrent droit à une indemnité en cas de RHT. La question du risque d’exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d’entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l’activité spécifique de l’exploitation en cause (ATF 119 V 498 consid. 1 ; cf. aussi RUBIN, op. cit., n° 10 ad art. 33 LACI et les références citées).

Les pertes de travail liées aux risques économiques ordinaires, tels que le risque commercial, le risque de baisse de compétitivité par rapport à la concurrence ou le risque de ne pas se voir attribuer un marché public, ne sont pas indemnisables. Dans le domaine de la construction, des délais d’exécution reportés à la demande du maître de l’ouvrage et des annulations de travaux en raison de l’insolvabilité de ce dernier ou à cause d’une procédure d’opposition ne représentent pas des circonstances exceptionnelles. De telles circonstances constituent dès lors des risques normaux d’exploitation. Pour une entreprise qui traite essentiellement avec un seul client important, la perte de ce client ou la perspective certaine d’une réduction des mandats constitue également une circonstance inhérente aux risques normaux d’exploitation (cf. RUBIN, op. cit., n° 13 et 16 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment DTA 1998 consid. 1, p. 292).

C’est le lieu de préciser, dans ce contexte, que le secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO) considère que l’apparition inattendue d’un nouveau type de coronavirus et ses conséquences ne font pas partie du risque normal d’exploitation (DUNAND / WYLER, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, in Newsletter DroitduTravail.ch du 9 avril 2020 de l'Université de Neuchâtel, p. 14 ; Directive 2020/08 du SECO du 1er juin 2020, actualisant les règles spéciales dues à la pandémie.

5.5 La perte de travail doit être limitée dans le temps pour être indemnisable, l’idée étant d’aider temporairement des entreprises viables à surmonter des difficultés passagères imprévisibles. L’examen du caractère temporaire de la réduction de l’horaire de travail doit être fait de manière prospective, c’est-à-dire en se plaçant au moment où l’indemnité est demandée. Selon la jurisprudence, tant qu’il n’existe pas de faits ou d’éléments concrets qui indiquent le contraire, on doit présumer que la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire et que des emplois pourront être maintenus (ATF 121 V 373 consid. 2a ; 111 V 379 consid. 2b). Le point de savoir s’il existe des éléments concrets suffisants pour renverser cette présomption doit être tranché au regard de l’ensemble des circonstances, à savoir la rentabilité et les liquidités de l’entreprise, le carnet et les perspectives de commandes et surtout la situation concurrentielle. Bien qu’il ne permette pas à lui seul de nier le caractère temporaire de la perte de travail et la perspective d’un maintien des emplois grâce à la réduction de l’horaire de travail, le fait que l’entreprise concernée a déjà perçu par le passé l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail doit être pris en considération (arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 292/03 du 2 novembre 2004 consid. 3.1 et les références).

5.6 Comme indiqué précédemment, les pertes de travail au sens de l’art. 51 OACI ne peuvent toutefois être prises en considération que si l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s’il ne peut faire répondre un tiers du dommage (cf. art. 51 al. 1 OACI ; Rubin, op. cit., n° 15 et 18 ad art. 32 LACI et les références citées). Cette condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage voulant que l’employeur prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail. La caisse niera le droit à l’indemnité uniquement si des raisons concrètes et suffisantes démontrent que la perte de travail aurait pu être évitée et s’il existe des mesures que l’employeur a omis de prendre (ATF 111 V 379 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 218/02 du 22 novembre 2002 consid. 2 ; Bulletin LACI RHT du Secrétariat d'État à l’économie [ci-après : SECO], état au 1er janvier 2021, C3 et C4).

6.             L'indemnité pour cause de RHT s'élève à 80 % de la perte de gain prise en considération (art. 34 al. 1 LACI). Elle doit être avancée par l'employeur (art. 37 let. a LACI) et sera, par la suite, remboursée par la caisse de chômage à l'issue d'une procédure spécifique (art. 36 et 39 LACI), moyennant un délai d'attente de trois jours au maximum (art. 32 al. 2 LACI et 50 al. 2 OACI), étant toutefois précisé que l’art. 50 al. 2 OACI a été supprimé temporairement en raison de la pandémie de coronavirus).

7.             Pour lutter contre l'épidémie de coronavirus (ci-après : Covid-19) qui a atteint la Suisse début 2020, le Conseil fédéral a pris une série de mesures urgentes.

Ainsi, le 28 février 2020, le gouvernement suisse a adopté, en se fondant sur la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme du 28 septembre 2012 (Loi sur les épidémies, LEp - RS 818.101), l'ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (Ordonnance COVID-19 - RS 818.101.24), dont le but est de prévoir des mesures devant permettre de diminuer le risque de transmission du COVID-19 (art. 1), laquelle a été abrogée et remplacée par l'ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (ordonnance 2 COVID-19 ; RS 818.101.24), qui a notamment interdit l'entrée de toute personne en provenance d'un pays à risque (art. 3 al. 1). Selon l'art. 4a de l'ordonnance, l'octroi de visas Schengen, ainsi que des visas nationaux et d'autorisations d'établissement de visas à des personnes provenant de pays ou de régions à risque était suspendu. Faisaient exception les demandes présentées par des personnes se trouvant en situation d’absolue nécessité ou qui étaient d’une grande importance en tant que spécialistes dans le domaine de la santé (art. 4a, en vigueur depuis le 19 mars 2020 ; RO 2020 841). La liste des pays à risque figurait à l'annexe I de l'ordonnance et comprenait notamment tous les États hors de l'UE/AELE (à partir du 19 mars à 00h00).

À la suite des mesures prises par le Conseil fédéral sur la base de ces ordonnances, il y a eu de nombreuses annulations de vols et des restrictions de voyager, de sorte que les clients internationaux ne se sont plus déplacés à Genève et les expositions internationales, congrès et autres événements de masse prévus au printemps 2020 ont été annulés (cf. ATAS/920/2021 du 10 septembre 2021 consid. 4.4).

Le 15 juin 2020, compte tenu de l'évolution favorable de la situation épidémiologique dans l’espace européen, les restrictions ont été levées pour tous les États Schengen (Rapport explicatif concernant l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19) dans le domaine du transport international de voyageurs du 25 janvier 2022, du Département fédéral de l'intérieur, p. 1 [ci-après : Rapport explicatif du Département fédéral de l'intérieur]).

Toutefois, fin novembre 2021, après la découverte du variant Omicron, la Suisse a à nouveau renforcé les règles d’entrée. Les pays dans lesquels ce variant avait été observé ont été inscrits sur la liste des États et zones avec un variant préoccupant du virus résistant aux anticorps ou dont on ne sait pas encore s’il résiste aux anticorps. De plus, un régime plus strict pour les tests au départ en direction de la Suisse et à l’entrée en Suisse a été mis en place (Rapport explicatif du Département fédéral de l'intérieur, p. 2).

La situation épidémiologique évoluant par la suite de manière positive, dès le 17 février 2022, les mesures sanitaires appliquées aux frontières à l'entrée en Suisse ont été levées. Il n'était plus requis de présentation de certificat de vaccination, de certificat de guérison, de dépistage négatif, ou de formulaire d'entrée (Communiqué du 16 février 2022 du Conseil fédéral).

8.              

8.1 S’agissant du domaine particulier de l’indemnité en cas de RHT, le Conseil fédéral a adopté, le 20 mars 2020, l’ordonnance sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus (ordonnance COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033), avec une entrée en vigueur rétroactive au 1er mars 2020 (art. 9 al. 1 ordonnance COVID-19 assurance-chômage), qui prévoyait, à son art. 8b al. 1 que l’employeur n’était pas tenu de respecter un délai de préavis, lorsqu’il avait l’intention de requérir l’indemnité en cas de RHT en faveur de ses travailleurs. Cette disposition a été abrogée avec effet au 1er juin 2020 (RO 2020 3569). Quant à l’art. 8c de l’ordonnance COVID-19 assurance-chômage, il prévoyait qu’en dérogation à l’art. 36 al. 1 LACI, le préavis devait être renouvelé lorsque la RHT durait plus de six mois. Cette disposition a été abrogée par modification du 12 août 2020, avec effet au 1er septembre 2020 (RO 2020 3569).

Le 19 mars 2021, l’Assemblée fédérale a adopté l’art. 17b de la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19 (loi COVID-19 - RS 818.102). D’après son al. 1er, en dérogation à l’art. 36 al. 1 LACI, aucun délai de préavis ne doit être observé pour la réduction de l’horaire de travail. Le préavis doit être renouvelé lorsque la RHT dure plus de six mois. À partir du 1er juillet 2021, une réduction de l’horaire de travail pour une durée de plus de trois mois ne peut être autorisée que jusqu’au 31 décembre 2021 au plus tard. Toute modification rétroactive d’un préavis existant doit faire l’objet d’une demande auprès de l’autorité cantonale jusqu’au 30 avril 2021 au plus tard.

8.2 À partir d'avril 2022, les dispositions particulières RHT en lien avec le COVID-19 ont été modifiées (Modification de l'ordonnance COVID-19 assurance-chômage du 26 janvier 2022, RO 2022 39).

Depuis le 1er avril 2022, une perte de travail n'est plus prise en considération lorsqu’elle touche les apprentis, les travailleurs sur appel avec un contrat de travail à durée indéterminée soumis à de fortes fluctuations, ainsi que les personnes engagées selon un rapport de travail à durée déterminée (art. 9 al. 10 ordonnance COVID-19 assurance-chômage). En outre, le délai d’attente au sens de l'art. 32 al. 2 LACI s’applique à nouveau (art. 9 al. 10 ordonnance COVID-19 assurance-chômage). L’employeur doit, depuis le 1er avril 2022, remettre à la caisse de chômage le décompte des indemnités versées à ses travailleurs et l’attestation certifiant qu’il continue à payer les cotisations des assurances sociales conformément à l'art. 38 al. 3 let. b et let. c LACI (art. 9 al. 10 ordonnance COVID-19 assurance-chômage). De plus, la dérogation prévue par l'ordonnance COVID-19 assurance-chômage aux art. 34 al. 2 et 38 al. 3 let. b LACI a été abrogée (art. 9 al. 10 ordonnance COVID-19 assurance-chômage). Par ailleurs, les périodes entre le 1er janvier 2022 et le 31 mars 2022 de décompte pour la perte de travail supérieure à 85 % de l’horaire normal de l’entreprise, ne sont pas prises en considération pour le calcul du droit de quatre périodes de décompte au sens de l’art. 35 al. 1bis LACI (art. 8g al. 2 Ordonnance COVID-19 assurance-chômage). Finalement, la durée maximale de perception de l'indemnité en cas de RHT de 24 mois pendant le délai-cadre de deux ans a été prolongée jusqu'au 30 juin 2022 (art. 9 al. 9 Ordonnance COVID-19 assurance-chômage).

Aucune modification n’a toutefois été apportée aux critères relatifs à la perte de travail à prendre en considération (art. 31 al. 1 let. b et 32 al. 1 et 3 LACI).

9.              

9.1 S’agissant du domaine particulier de l’indemnité en cas de RHT en lien avec la guerre en Ukraine, en raison des sanctions prises à l’encontre d’entreprises et personnes privées russes ou à cause des interventions militaires en Ukraine, les dispositions prévues par la LACI sont applicables. Les employeurs doivent remplir les conditions usuelles du droit aux prestations.

9.2 Les conséquences économiques de l'intervention militaire en Ukraine sont exceptionnelles et ne font pas partie des risques normaux d'exploitation. Les sanctions reprises par la Suisse ainsi que les mesures prises par les autorités étrangères sont considérées comme des mesures prises par les autorités au sens de l'art. 51 al. 1 OACI. En sus de toutes les autres conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT, les entreprises concernées doivent expliquer de manière crédible pourquoi les pertes de travail attendues sont dues à ce conflit. Il ne suffit pas d'alléguer de manière générale le conflit en Ukraine pour justifier un droit à l’indemnité en cas de RHT. Il doit exister un rapport de causalité adéquat entre la perte de travail et les interventions militaires de la Russie en Ukraine (Directive 2022/03 du 9 mars 2022 du SECO).

9.3 Les dispositions spéciales relatives à l’indemnité en cas de RHT dans la loi COVID-19 et dans l’ordonnance COVID-19 assurance-chômage ne peuvent pas être appliquées aux pertes de travail à prendre en considération qui ne sont pas liées à la pandémie. Ces dispositions ne peuvent ainsi pas s’appliquer aux pertes de travail imputables exclusivement aux interventions militaires en Ukraine et à leurs conséquences économiques. C’est pourquoi, si les pertes de travail imputables ne sont pas liées à la pandémie de COVID-19, le décompte doit être traités selon la procédure ordinaire (Directive 20224/03 du 28 mars 2022 du SECO). Dès lors, les autorisations ne sont octroyées que pour une durée de trois mois au maximum et le délai de préavis doit être respecté. En outre, la disposition spécifique pour les bas salaires ne s’applique pas dans un tel cas. (Réduction de l'horaire de travail - informations actuelles pour les entreprises du 1er avril 2022 du SECO). En revanche, il sied de relever que la prise en compte des heures de travail en plus (art. 46 al. 4 et 5 OACI), le délai d’attente (art. 50 al. 2 OACI) et la règle des quatre périodes de décompte pour la perte de travail qui excède 85 % de l’horaire normal de travail (art. 57a al. 1 OACI) avaient été supprimés jusqu'au 31 mars 2022 et ne devaient ainsi pas être observés dans la procédure ordinaire pour la période de décompte de mars 2022. La modification de la prise en compte d’une occupation provisoire (art. 63 OACI en vigueur au 1er janvier 2022) était restée déterminante pour la période de décompte de mars 2022 (Directive 2022/03 du 9 mars 2022 du SECO).

10.         Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible ; la vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les références). Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b; 125 V 195 consid. 2 et les références; cf. ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

11.          

11.1 En l’espèce. depuis le mois de novembre 2019, la recourante a sollicité des indemnités pour RHT pour les périodes suivantes :

-          du 8 décembre 2019 au 7 mars 2020 (diminution des commandes ; décision du 20 décembre 2019) ;

-          du 25 mars 2020 au 24 septembre 2020 (Covid-19 ; décision du 31 mars 2020) ;

-          du 1er septembre 2020 au 30 novembre 2020 (Covid-19 ; décision du 16 mars 2021) ;

-          du 1er décembre 2020 au 28 février 2021 (Covid-19 ; décision du 16 mars 2021) ;

-          du 1er mars 2021 au 31 août 2021 (Covid-19 ; décision du 20 avril 2021) ;

-          du 1er septembre 2021 au 30 novembre 2021 (Covid-19 ; décision du 9 novembre 2021) ;

-          du 1er décembre 2021 au 28 février 2022 (Covid-19 ; décision du 1er décembre 2021).

Le 24 février 2022, la recourante a remis à l’OCE un huitième préavis de RHT pour la période du 1er mars 2022 au 31 août 2022, invoquant une diminution des commandes en raison de la situation sanitaire et des restrictions liées au Covid-19). Le 10 mars 2022, elle a encore ajouté que la guerre en Ukraine rendait la situation sur les marchés de luxe encore plus difficile que lors de la crise sanitaire.

L’OCE a refusé la demande de RHT, au motif que les restrictions sanitaires avaient été levées en Suisse, que l'employeur n'avait pas tout entrepris pour diminuer le dommage, ayant notamment doublé son effectif depuis son dernier préavis de novembre 2021 (décision du 25 février 2022). L’office intimé a également considéré que la recourante n’avait remis aucun justificatif attestant d’une baisse de sa clientèle en raison de la situation sanitaire ou de la guerre en Ukraine (décision sur opposition du 11 avril 2022).

La question qui se pose est par conséquent celle de savoir si la recourante peut justifier d’une perte de travail indemnisable.

11.2 Comme l’autorité intimée l’a relevé à juste titre, les mesures sanitaires prises par le Conseil fédéral en vue de lutter contre le Covid-19 ont été levées à partir du 17 février 2022. Il n’existe par conséquent, à compter de cette date, plus de circonstances justifiant l’octroi d’indemnités RHT pour « cas de rigueur » en application de l’art. 32 al. 3 LACI, en raison de mesures prises par les autorités en lien avec la crise sanitaire, ayant un impact sur les risques d’exploitation de la recourante.

En revanche, les sanctions reprises par la Suisse et les mesures prises par les autorités étrangères sont considérées comme des mesures prises par les autorités au sens de l’art. 51 al. 1 OACI et peuvent, si les autres conditions sont remplies, justifier l’octroi d’indemnités RHT pour « cas de rigueur » en application de l’art. 32 al. 3 LACI.

Cependant, comme indiqué précédemment, il ne suffit pas d'alléguer de manière générale le conflit en Ukraine pour justifier un droit à l’indemnité en cas de RHT mais il faut expliquer de manière crédible pourquoi les pertes sont dues au conflit.

Or, force est de constater que la recourante n’a pas donné d’explication crédible. En effet, son but social ne vise pas spécifiquement un marché russe ou ukrainien, ce qui permettrait d'établir que de facto son activité était effectivement impactée par les interventions militaires en Ukraine. La recourante n’a fourni aucun document attestant de ventes à des clients russes, les tableaux qu’elle a produits étant des documents de toute évidence établis par elle-même, pour les besoins de la cause, de sorte qu’ils doivent être considérés comme de simples allégations de parties, non étayées.

Partant, la recourante supporte les conséquences de l’absence de preuve et il doit être considéré que l’existence d’un rapport de causalité adéquat entre la perte de travail de la société et la guerre en Ukraine n’a pas été établie au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 125 V 195 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 I 183 consid. 3.2).

Il ressort donc de ce qui précède qu’aucun cas de rigueur ne peut être retenu et qu’il s’agit dès lors d’examiner si la poursuite du versement des indemnités RHT à partir du 1er mars 2022 se justifie en raison de l’existence d’une perte de travail inévitable due à des facteurs économiques, en application de l’art. 32 al. 1 LACI.

11.3  

11.3.1 La recourante a tout d'abord fait valoir que les pertes de travail étaient attribuables au changement d'arcade.

La fermeture de l'arcade en raison de travaux de rénovation est de toute évidence une mesure touchant l’organisation de l’entreprise et n’est ainsi pas prise en considération pour une perte de travail en application de l’art. 33 al. 1 let. a LACI.

Par ailleurs, l'ouverture de la boutique, en mai 2022, dans un hall de l'hôtel n'entraîne pas nécessairement une réduction de son activité, la recourante n'apportant au demeurant aucun élément dans ce sens. Cette question peut toutefois rester ouverte puisque, comme c’est le cas pour la fermeture d'arcade, il s'agit quoi qu’il en soit d'une mesure touchant l’organisation de l’entreprise qui n’est pas prise en considération pour une perte de travail en application de l’art. 33 al. 1 let. a LACI.

11.3.2 En tout état et indépendamment de ce qui précède, il faut constater que la perte de travail alléguée n’était pas imprévisible ni exceptionnelle.

En effet, il ressort du dossier produit par l'intimée que la recourante a bénéficié de l’indemnité en cas de RHT du 8 décembre 2019 au 7 mars 2020 puis, sans interruption, du 25 mars 2020 au 28 février 2021, soit pendant plus de 23 mois au total, étant constaté que des indemnités lui ont été versées avant même le début de la crise sanitaire.

A noter qu’à l’appui de sa première demande d’indemnisation, la recourante avait expliqué que les commandes avaient chuté de plus de 80% les deux à trois précédentes années. L’ambiance dans le haut de gamme était catastrophique. Les conflits au Moyen-Orient et les modifications en matière de secret bancaire avaient considérablement diminué les visites de clients étrangers. Le carnet de commande était vide (cf. préavis de RHT du 22 novembre 2019, pièce 1, int.).

Au moment de se prononcer sur le renouvellement du droit à l’indemnité, la baisse des commandes n’était ainsi pas nouvelle ni imprévisible, ce d’autant moins que la recourante évoquait toujours la problématique des clients du Moyen-Orient, étant rappelé que des conflits persistent dans cette région.

La perte de travail de la recourante résulte en réalité plutôt d’un changement dans les habitudes de la clientèle, initié en 2016-2017 déjà, et s’inscrit dans le contexte d’un phénomène structurel qui impacte défavorablement son activité depuis 2016-2017.

Dès lors que l’évolution de l’environnement économique fait partie des circonstances inhérentes aux risques d’exploitation, qui doivent généralement être assumés par une entreprise au sens de l’art. 33 al. 1 let. a LACI, la perte de travail en résultant ne saurait être indemnisée par le biais d’indemnités RHT.

11.3.3 Pour les mêmes raisons, au moment de se prononcer sur le renouvellement du droit à l’indemnité, il existait des indices permettant de renverser la présomption selon laquelle la perte de travail serait vraisemblablement temporaire. Ainsi que l’a souligné l’intimée, les mesures prises par le Conseil fédéral pour lutter contre le coronavirus concernant notamment les admissions en Suisse de touristes étrangers ont été levées avec effet au 17 février 2022, si bien qu’il n’y avait plus à compter de cette date aucune mesure de lutte susceptible d’impacter l’activité de la recourante de manière temporaire. Par ailleurs comme relevé ci-dessus, la recourante n’a pas rendu vraisemblable un lien entre la baisse de son cahier de commandes et la guerre en Ukraine.

En réalité, le secteur du luxe semble être confronté à des difficultés qui existent depuis 2016-2017, donc préexistantes à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine. En effet, la perte de travail de la recourante résulte en grande partie, comme vu ci-dessus, de la réduction des déplacements de touristes étrangers fortunés, en réalité consécutive à une modification des habitudes de la clientèle initiée en 2016-2017 déjà. Compte tenu de la situation, cette diminution des déplacements ne pouvait, au moment où l’OCE a statué, être qualifiée de vraisemblablement temporaire selon l'art. 31 al. 1 let. d LACI.

11.4 Par ailleurs, la recourante n’a pas rendu vraisemblable avoir pris les mesures appropriées et économiquement supportables pour éviter les pertes de travail.

En effet, la recourante n’allègue pas avoir procédé à des adaptations de ses activités et de son personnel, afin de réduire son dommage. Bien plus, les effectifs semblent avoir augmenté, avec l’engagement de deux apprentis (cf. préavis de réduction de l’horaire de travail du 24 février 2022). Les charges salariales ont également augmenté entre 2019 et 2022, s’élevant à CHF 12'496.32 entre le 1er août et le 31 décembre 2019 (soit CHF 2'499.25 en moyenne par mois) et à CHF 132'734.- entre le 1er janvier et le 31 août 2022 (soit CHF 16'591.75 en moyenne par mois). Si elle a certes évoqué la mise en place d’un site internet, elle prétend avoir mis en suspens ce projet faute de financement. Enfin, elle n’allègue pas avoir entrepris des démarches pour viser la clientèle plus locale et n’apporte pas la preuve du lancement de la commercialisation de montres plus abordables et plus faciles à vendre.

12.         Il ressort donc de ce qui précède que c’est à juste titre que l’intimé a refusé la demande de préavis.

13.         Le recours sera par conséquent rejeté.

La recourante agissant en personne, n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au secrétariat d’État à l’économie par le greffe le