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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3809/2021

ATAS/258/2023 du 30.03.2023 ( PC ) , ADMIS

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : DÉDUCTION DES INTÉRÊTS PASSIFS;FRAIS(EN GÉNÉRAL);USUFRUIT;LOGEMENT;FRAIS DE LOGEMENT;CRÉDIT HYPOTHÉCAIRE;LOI FÉDÉRALE SUR LES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES À L'AVS ET À L'AI
Normes : LPC.10.al3.letb; CC.765.al1; CC.824.al1; LPCC.6
Résumé : Après avoir constaté que les cas d’application de l'art. 10 al. 3 let. b LPC – soit les hypothèses dans lesquelles les intérêts hypothécaires peuvent être déduits à titre de dépense – ne sont pas clairs, la chambre de céans a retenu, par analogie avec la situation de l’usufruitier et eu égard à la systématique et au but de la loi, que les intérêts dont la recourante s’acquitte envers son fils, afférents au prêt consenti par ce dernier au moyen de son propre emprunt hypothécaire et destiné à l’acquisition du logement dont elle est propriétaire, relèvent d’une dépense reconnue au sens de l’article précité, ce quand bien même l’intéressée n’est pas la débitrice directe des intérêts hypothécaires envers la banque.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3809/2021 ATAS/258/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 mars 2023

 

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à PLAN-LES-OUATES, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Corinne CORMINBOEUF HARARI

 

 

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Dès le 1er juillet 2005, l’office cantonal des personnes âgées, devenu depuis le service des prestations complémentaires (ci-après le SPC ou l’intimé) a servi des prestations complémentaires à Madame A______ (ci-après l’assurée ou la recourante), née le ______ 1940, et à son époux Monsieur B______.

b. Par contrat du 17 avril 2006, l’assurée et son époux ont conclu avec leur fils, Monsieur C______, un contrat stipulant que ce dernier leur verserait une rente viagère de CHF 435.45 par mois jusqu’au décès du dernier survivant, moyennant le transfert d’une prime d’assurance-vie de CHF 110'000.-. Cette rente viagère était irrévocable.

c. L’époux de l’assurée est décédé le 25 octobre 2015.

d. Lors d’un entretien du 3 mai 2021 avec le SPC, l’assurée et son fils ont exposé que celle-ci acquerrait le 1er juillet suivant un bien immobilier d’une valeur d’environ CHF 600'000.-, financé par un prêt de son fils. L’assurée prendrait en charge les intérêts de la dette et les charges de la copropriété. Le SPC l’a informée du fait que la valeur locative du bien serait prise en compte dans le calcul des prestations complémentaires.

e. Le 24 juin 2021, l’assurée a indiqué au SPC qu’elle avait renoncé à la rente viagère servie par son fils au 31 mai 2020, en contrepartie de l’effort consenti par celui-ci pour le financement du bien immobilier dont elle prendrait possession prochainement.

Les pièces suivantes étaient jointes à cet envoi :

a.         contrat de prêt entre l’assurée et son fils du 3 juin 2021, portant sur un montant de CHF 646'100.- correspondant au prix d’acquisition de l’appartement, portant intérêt à 0.5 % par an, conclu pour une année ;

b.        acte de vente notarié du 14 juin 2021 entre une société immobilière et l’assurée, portant sur l’acquisition d’un appartement pour CHF 646'100.- ;

c.         courrier de l’assurée du 24 juin 2021 à son fils, consentant à la révocation du contrat de rente viagère eu égard au financement accordé par celui-ci pour l’acquisition de son appartement, lequel compensait largement « le bénéfice de la rente ».

f. Par décisions du 26 juillet 2021, le SPC a nié le droit de l’assurée aux prestations complémentaires dès le 1er juillet 2021 et a requis la restitution des prestations complémentaires fédérales de CHF 199.- et cantonales de CHF 535.-, ainsi que du subside d’assurance-maladie de CHF 306.- versés pour juillet 2021. Dans les calculs joints, le SPC a tenu compte, dans les dépenses reconnues, des montants de CHF 15'900.- à titre de loyer et de CHF 6'137.95 pour l’entretien des bâtiments, ce chiffre correspondant aux frais d’entretien de CHF 2'907.45 et aux intérêts hypothécaires de CHF 3'230.45. Les revenus déterminants comprenaient dans les produits de la fortune une valeur locative de CHF 29'074.50 ainsi qu’une rente viagère de CHF 5'225.40. Les revenus excédant les dépenses, le droit aux prestations complémentaires n’était pas ouvert.

g. Le 12 août 2021, l’assurée s’est opposée à la décision du SPC. La valeur locative retenue lui semblait erronée, puisqu’elle était arrêtée à CHF 20'115.- par le simulateur de l'Etat de Genève. Elle ne comprenait pas comment les frais d’entretien et les frais accessoires étaient établis, et ceux-ci lui semblaient sous-estimés. Selon les projections de la régie, les charges s’élevaient à environ CHF 8'424.- par an. Enfin, l’assurée ne percevait plus de rente viagère depuis le 31 mai 2021.

Elle a produit un questionnaire sur la détermination de la valeur locative de l’administration fiscale genevoise, qui établissait celle de son logement à CHF 20'114.-.

h. Le 16 août 2021, l’assurée a notamment transmis au SPC la lettre du 6 août 2021 de la régie administrant son immeuble, qui fixait les charges à CHF 576.- pour juillet 2021.

i. Lors d’un entretien avec le SPC en date du 31 août 2021, l’assurée et son fils ont déclaré que le second avait financé l'acquisition du bien immobilier de la première grâce à sa propre hypothèque, dont le taux d'intérêt était de 1.83 %, ce qui représentait pour lui une charge annuelle de CHF 11'823.-. Il avait prêté CHF 646'000.- à l’assurée à un taux de 0.5 %, soit CHF 3'230.50 d’intérêts par an. La rente viagère avait été révoquée, mais cela entraînait un gain pour l’assurée.

j. Par décision du 21 octobre 2021, le SPC a partiellement admis l’opposition, en ce sens qu’il a ramené la valeur locative à CHF 20'115.-. Il a confirmé la prise en compte dans les revenus déterminants de la rente viagère, cas échéant à titre de revenu hypothétique, car la convention l’établissant avait été conclue pour une durée indéterminée. Le taux d'intérêt préférentiel consenti par le fils de l’assurée ne permettait pas une autre appréciation du cas. La demande de remboursement des prestations complémentaires versées en juillet était confirmée, mais la demande de restitution du subside d’assurance-maladie était annulée.

Dans le calcul joint, le SPC a retenu dans les dépenses reconnues CHF 15'900.- à titre de loyer, et CHF 5'242.- pour l’entretien des bâtiments, correspondant aux frais d’entretien de CHF 2'011.50 et aux intérêts hypothécaires de CHF 3'230.45. Les revenus déterminants comprenaient une valeur locative de CHF 20'115.- ainsi qu’une rente viagère de CHF 5'225.40.

B. a. Par écriture du 4 novembre 2021, l’assurée a interjeté recours contre la décision du SPC auprès de la chambre de céans. Elle a conclu à « sa reconsidération, alternativement à sa modification » en tenant compte du taux d’intérêt de 1.832 % effectivement payé par son fils. En effet, la résiliation du contrat de rente viagère était liée à l’effort consenti par ce dernier sur le taux d’intérêt exigé. Si l’intimé considérait la révocation de la rente viagère nulle, il y avait lieu de modifier le contrat de prêt.

b. Dans sa réponse du 6 décembre 2021, l’intimé a conclu au rejet du recours. La rente viagère était prévue pour une durée indéterminée, si bien que son montant devait être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires. Le taux d’intérêt favorable consenti par le fils de la recourante était sans pertinence, et le contrat hypothécaire entre ce dernier et la banque ne liait pas la recourante. L’intimé avait par ailleurs accepté de tenir compte d’un montant à titre d’intérêts hypothécaires, alors que la recourante n’était pas débitrice de tels intérêts. Il avait ainsi interprété la loi de façon large.

c. Dans ses observations du 5 janvier 2022, la recourante a conclu à la prise en considération d’un taux de 1.832 % dans les calculs de l’intimé. Elle a indiqué qu’elle avait par erreur pensé que la convention viagère était révocable, mais elle comprenait désormais que celle-ci était maintenue. Elle a exposé que le contrat de prêt du 3 juin 2021 avec son fils avait été amendé en ce sens que le taux d’intérêt avait été augmenté à 1.832 %. Il y avait ainsi lieu de reprendre le calcul des prestations complémentaires en tenant compte de ce taux.

Elle a produit les pièces suivantes :

a.         avenant au contrat de prêt du 3 juin 2021, non daté, indiquant en préambule que le taux d’intérêt avait été initialement fixé en tenant compte du renoncement de la recourante à sa rente viagère. L’obligation viagère étant toutefois maintenue, l’avenant stipulait à son art. 4 que le prêt portait intérêt à 1.832 % par an dès le 3 juin 2021 ;

b.        copie du courrier de la recourante du 24 juin 2021 renonçant à sa rente viagère, portant la mention manuscrite « Nul et non avenu » et les signatures datées du 22 décembre 2021 de la recourante et son fils ;

c.         courrier d’une banque confirmant le prêt hypothécaire accordé au fils de la recourante et à Madame D______, portant intérêt à 1.832 %, courant du 31 janvier 2018 au 30 janvier 2033.

d. Par déterminations du 3 février 2022, l’intimé a pris acte de ce que la recourante ne contestait plus la prise en compte de la rente viagère dans le calcul des prestations complémentaires. Il a relevé que les intérêts pris en considération dans les dépenses étaient chirographaires, alors que selon la loi, seuls les intérêts hypothécaires pouvaient être retenus dans les dépenses. C’était ainsi à tort qu’il avait admis une déduction à ce titre. Partant, il concluait à ce que la décision soit réformée au détriment de la recourante, en ce sens qu'il n’y avait pas lieu de tenir compte des intérêts chirographaires dans les calculs des prestations.

e. Invitée par la chambre de céans à se déterminer, la recourante n’a pas réagi dans le délai imparti, puis prolongé à sa demande au 15 mars 2022.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC -RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La novelle du 21 juin 2019 de la LPGA est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Dans la mesure où le présent recours n’était pas pendant à cette date, il est soumis au nouveau droit (art. 82a LPGA).

La législation sur les prestations complémentaires a connu d’importantes modifications, entrées en vigueur le 1er janvier 2021. Celles-ci sont applicables en l’espèce, dès lors que c’est le droit aux prestations complémentaires dès juillet 2021 – et la restitution qui découle de leur calcul – qui fait l’objet de la décision querellée.

3.             Déposé dans les forme et délai prévus par la loi (art. 56ss LPGA), le recours est recevable.

4.             Le litige porte sur le droit aux prestations complémentaires dès juillet 2021 et l’obligation de restituer qui en découle.

4.1 Eu égard à la décision sur opposition et aux conclusions des parties, la prise en compte d’une rente viagère n’est plus contestée, pas plus que le montant de la valeur locative retenue. Le droit au subside d’assurance-maladie est par ailleurs admis par l’intimé.

En revanche, la déduction des intérêts à titre de dépenses reste litigieuse. On précisera au sujet de la réformation au détriment de la recourante proposée par l’intimé que selon l’art. 61 let. d LPGA, le tribunal n’est pas lié par les conclusions des parties ; il peut réformer, au détriment du recourant, la décision attaquée ou accorder plus que le recourant n’avait demandé ; il doit cependant donner aux parties l’occasion de se prononcer ou de retirer le recours.

4.2 Le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions attaquées d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue et les faits survenus postérieurement et ayant modifié cette situation doivent en principe faire l'objet d'une nouvelle décision administrative (arrêt du Tribunal fédéral 8C_217/2019 du 5 août 2019 consid. 3). En l’espèce, la décision querellée se fondait sur le taux d’intérêt convenu par la recourante et son fils selon le contrat de prêt dans sa teneur initiale. Ce contrat a toutefois été modifié avec effet rétroactif dès le 3 juin 2021, soit à une date antérieure à la période litigieuse. L’amendement à ce contrat devra donc être pris en considération en cas d’admission du recours. On ajoutera à ce sujet que le caractère rétroactif de l’avenant au contrat de prêt s’inscrit dans le cadre de la liberté contractuelle consacrée à l’art. 19 al. 1 du Code des obligations (CO - RS 220). Sa validité n’est du reste pas contestée par l’intimé. L’augmentation du taux d’intérêt ne peut non plus être qualifiée d’abus de droit dans le contexte du droit aux prestations complémentaires, dès lors qu’elle a été convenue en compensation du rétablissement de la rente viagère due à la recourante par son fils.

4.3 Dans l’hypothèse où le calcul de l’intimé et l’obligation de restituer devraient être confirmés, on rappellera que la remise et son étendue font l'objet d'une procédure distincte de la restitution (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 64/06 du 30 octobre 2007 consid. 4), de sorte que ce point ne fait pas partie du litige.

5.             Selon l’art. 4 al. 1 let. a LPC, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors qu’elles perçoivent une rente de vieillesse de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS).

5.1 Les prestations complémentaires fédérales se composent de la prestation complémentaire annuelle et du remboursement des frais de maladie et d'invalidité (art. 3 al. 1 LPC). L'art. 9 al. 1 LPC dispose que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants, mais au moins au plus élevé des montants suivants: la réduction des primes la plus élevée prévue par le canton pour les personnes ne bénéficiant ni de prestations complémentaires ni de prestations d’aide sociale (let. a) ; 60 % du montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins au sens de l’art. 10 al. 3 let. d.

5.2 Au plan cantonal, l'art. 4 LPCC dispose qu'ont droit aux prestations complémentaires cantonales les personnes dont le revenu annuel déterminant n'atteint pas le revenu minimum cantonal d'aide sociale applicable.

L'art. 5 LPCC renvoie à la réglementation fédérale pour le calcul du revenu déterminant, sous réserve notamment de l'ajout des prestations complémentaires fédérales au revenu déterminant et de la prise en compte de la part de la fortune nette prise en compte dans le calcul du revenu déterminant d’un cinquième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse.

6.             En ce qui concerne les dépenses liées au logement, on peut rappeler ce qui suit.

6.1 L’art. 10 LPC dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2022 dispose que pour les personnes qui ne vivent pas en permanence ni pour une période de plus de trois mois dans un home ou dans un hôpital (personnes vivant à domicile), les dépenses reconnues comprennent les montants destinés à la couverture des besoins vitaux, soit, par année CHF 19'610.- pour les personnes seules (al. 1 let. a ch. 1) ; le loyer d’un appartement et les frais accessoires y relatifs ; le montant annuel maximal reconnu est pour une personne seule de CHF 15'900.- par an dans la région 2 (al. 1 let. b ch. 2) ; la valeur locative, en lieu et place du loyer, pour les personnes qui habitent dans un immeuble sur lequel elles ou une autre personne comprise dans le calcul de la prestation complémentaire ont un droit de propriété, un usufruit ou un droit d’habitation ; la let. b est applicable par analogie (al. 1 let. c). Le Conseil fédéral règle la répartition des communes entre les trois régions. Il se base à cet effet sur les niveaux géographiques définis par l’Office fédéral de la statistique (al. 1quater LPC).

La déduction d’un loyer est aussi applicable au propriétaire qui habite son propre logement. À défaut, il en résulterait des inégalités de traitement, selon que l'assuré occupe lui-même l'appartement dont il est propriétaire ou qu'il le loue à un tiers tout en logeant ailleurs. La dépense de loyer est également admise pour l’usufruitier d’un bien immobilier qui l’habite (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, ch. 10 ad art. 10 LPC). La valeur locative est prise en compte à titre de dépense, et le forfait pour les frais accessoires s’y ajoute. Le loyer ainsi obtenu ne peut toutefois être pris en compte qu’à concurrence du montant maximal reconnu à titre de loyer (Erwin CARIGIET / Uwe KOCH, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, 3ème éd. 2021, n. 612).

L’art. 12 de l’ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI - RS 831.301) précise que la valeur locative du logement occupé par le propriétaire ou l’usufruitier ainsi que le revenu provenant de la sous-location sont estimés selon les critères de la législation sur l’impôt cantonal direct du canton de domicile (al. 1). En l’absence de tels critères, ceux de l’impôt fédéral direct sont déterminants (al. 2).

6.2 Aux termes de l'art. 10 al. 3 let. b LPC, sont en outre reconnus comme dépenses notamment les frais d'entretien des bâtiments et les intérêts hypothécaires, jusqu'à concurrence du rendement brut de l'immeuble. Les amortissements d'hypothèques ne peuvent être pris en compte comme dépenses reconnues (ch. 3260.03 des Directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI [DPC] dans leur version au 1er janvier 2021). La limite du rendement brut de l'immeuble au sens de l'art. 10 al. 3 let. b LPC s'applique à la somme des frais d'entretien des bâtiments et des intérêts hypothécaires, et non au montant des seuls intérêts (ATF 138 V 17 consid. 4.2.1).

Le Tribunal fédéral a souligné que la liste des dépenses reconnues énumérées à l'art. 3b aLPC - reprise par la suite à l'art. 10 LPC - est exhaustive (arrêt du Tribunal fédéral 8C 140/2008 du 25 février 2009 consid. 7.2, confirmant que les impôts ne sauraient être pris en compte à titre de dépenses faute d'être mentionnés dans cette liste).

6.3 C'est dans le cadre de la deuxième révision de la LPC qu'a été introduit le plafonnement des frais d'entretien des bâtiments, auxquels se sont ensuite ajoutés les intérêts hypothécaires. Cette mesure avait pour but d'empêcher le retour de certains abus (Message concernant la deuxième révision de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI du 21 novembre 1984 [FF 1985 I 1131]).

Les intérêts hypothécaires ne peuvent être déduits que dans le calcul de la personne à qui revient le produit de l'immeuble. Ainsi, le nu-propriétaire qui contracte une hypothèque afin de financer des travaux importants sur un immeuble grevé d'usufruit ne peut faire déduire les intérêts correspondants, même s'ils n'excèdent pas le rendement de l'immeuble. Une solution contraire reviendrait à octroyer des prestations complémentaires qui viseraient à la conservation du patrimoine, ce qui est contraire à leur but (Ralph JÖHL / Patricia USINGER-EGGER, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], vol. XIV, Soziale Sicherheit, 3ème éd. 2016, n. 102).

L’art. 16 OPC-AVS/AI dispose que la déduction forfaitaire prévue pour l'impôt cantonal direct dans le canton de domicile s'applique aux frais d'entretien des bâtiments (al. 1). Lorsque la législation fiscale cantonale ne prévoit pas de déduction forfaitaire, celle de l'impôt fédéral direct est déterminante (al. 2). L'art. 20 du règlement d'application de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 13 janvier 2010 (RIPP – D 3 08.1) dispose qu'au lieu du montant effectif des frais et primes ainsi que des investissements destinés à économiser l'énergie et à ménager l'environnement, qui sont assimilés aux frais d'entretien ; le contribuable peut, pour son propre logement, faire valoir une déduction forfaitaire (al. 1). Cette déduction forfaitaire, calculée sur la valeur locative selon l'art. 24 al. 2 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) est la suivante : 10 %, si l'âge du bâtiment au début de la période fiscale est inférieur ou égal à 10 ans (al. 2 let. a).

6.4 Aux termes de l'art. 11 al. 1 let. b LPC, les revenus déterminants comprennent notamment le produit de la fortune mobilière et immobilière, y compris la valeur annuelle d'un usufruit ou d'un droit d'habitation ou la valeur locative annuelle d'un immeuble dont le bénéficiaire de prestations complémentaires ou une autre personne comprise dans le calcul de ces prestations est propriétaire, et qui sert d'habitation à l'une de ces personnes au moins.

6.5 Au plan cantonal, l'art. 6 LPCC précise que les dépenses reconnues sont celles énumérées par la loi fédérale et ses dispositions d'exécution, à l'exclusion du montant destiné à la couverture des besoins vitaux, remplacé par le montant destiné à garantir le revenu minimum cantonal d'aide sociale défini à l'article.

7.             En vertu de l'art. 25 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l'intéressé était de bonne foi et qu'elle le mettrait dans une situation difficile (al. 1). Le droit de demander la restitution s'éteint trois ans après le moment où l'institution d'assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d'un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant (al. 2).

8.             En ce qui concerne les intérêts afférents au prêt destiné à l'acquisition de l’appartement de la recourante, la chambre de céans relève ce qui suit.

8.1 La loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre. Selon la jurisprudence, il n'y a lieu de déroger au sens littéral d'un texte clair par voie d'interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Si le texte n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d'autres dispositions légales (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Au besoin, une norme dont le texte est à première vue clair se verra étendre par analogie à une situation qu'elle ne vise pas ou au contraire ne sera pas appliquée à une situation visée par une interprétation téléologique restrictive. Une interprétation de ce type constitue, selon les conceptions actuelles, un acte de création du droit par le juge et non une ingérence inadmissible dans la compétence du législateur (ATF 127 V 484 consid. 3b/bb).

8.2 On doit préciser que jusqu'au 31 décembre 1997, la loi permettait de soustraire les intérêts de dettes du revenu, ce qui entraînait une augmentation des prestations complémentaires. Dans le cadre de la troisième révision de la LPC, cette déduction a été abrogée. Le législateur a souligné à cet égard que les organes d'exécution des prestations complémentaires ignoraient les raisons de l'endettement et si le montant emprunté était effectivement parvenu aux bénéficiaires des prestations complémentaires. Cette réglementation renfermait ainsi inévitablement un certain potentiel d'abus, raison pour laquelle elle devait être abolie (Message concernant la troisième révision de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI du 20 novembre 1996, entrée en vigueur le 1er janvier 1998, FF 1997 1 1146).

8.3 La prise en compte des intérêts hypothécaires dans les dépenses reconnues par la loi a été introduite lors de la deuxième révision des prestations complémentaires du 4 octobre 1985, entrée en vigueur le 1er janvier 1987, sans commentaire particulier dans le Message du 21 novembre 1984 relatif à ladite révision (FF 1985 1 104).

Si la notion d'intérêts hypothécaires n'est pas concrétisée dans la loi - pas plus du reste que celle de prêt hypothécaire, on peut les définir comme les intérêts dus sur une créance garantie par une hypothèque, soit un gage immobilier (cf. art. 824 al. 1 du Code civil [CC — RS 210]).

Cela étant, si la notion d’intérêts hypothécaires semble claire, les cas d’application de l'art. 10 al. 3 let. b LPC – soit les hypothèses dans lesquelles de tels intérêts peuvent être déduits – le sont moins.

On ne saurait toutefois se rallier à la position de l’intimé, qui entend les exclure dans le cas d’espèce, au motif que la recourante n’en est pas directement la débitrice, pour les motifs suivants.

9.             En l’espèce, la chambre de céans retient ce qui suit.

9.1 On peut considérer comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante applicable en assurances sociales (ATF 137 V 334 consid. 3) que le contrat de prêt conclu par la recourante avec son fils était destiné à l'acquisition de son logement. Celle-ci a exposé que sa situation ne lui permettait pas d'obtenir un financement par un établissement bancaire, ce qui apparaît plausible au vu de son âge et de ses ressources, et l'intimé ne le conteste pas. En revanche, il se prévaut désormais du fait que les intérêts dus en vertu dudit contrat ne sont pas des intérêts hypothécaires et qu'ils ne tombent ainsi pas sous le coup de l'art. 10 al. 3 let. b LPC – sans du reste donner d’explications sur les raisons de son revirement de position au cours de la présente procédure.

9.1.1 En premier lieu, aux termes de l'art. 765 al. 1 CC, l'usufruitier supporte les frais ordinaires d'entretien et les dépenses d'exploitation de la chose, ainsi que les intérêts des dettes dont elle est grevée, et il est tenu d'acquitter les impôts et autres redevances ; le tout en proportion de la durée de son droit. Ainsi, l'usufruitier supporte en principe également les intérêts d'une éventuelle dette hypothécaire (Alexandra FARINE FABBRO in Commentaire romand, CC II, 2016, n. 5 ad art. 765 CC).

La législation en matière de prestations complémentaires tient compte de cette obligation et admet à titre de dépenses les intérêts hypothécaires dus par un usufruitier qui perçoit des prestations complémentaires. Or, si l'usufruitier assume les intérêts des dettes grevant l'usufruit sauf convention contraire, cela relève de ses obligations à l’égard du propriétaire, et les tiers n'ont en principe pas de prétention directe à son endroit (Martin BICHSEL / Kaspar MAUERHOFER, Kommentar ZGB, 4ème éd. 2021, n. 2 ad art. 765 CC, cf. également arrêt du Tribunal fédéral 5A_743/2009 du 4 mars 2010 consid. 3.2 en matière de propriété par étages). L'usufruitier doit ainsi s'acquitter d'intérêts hypothécaires même s'il n'est pas partie au prêt qui les stipule. La jurisprudence cantonale a ainsi admis qu'en matière de prestations complémentaires, il n'est pas déterminant de savoir qui verse les intérêts, dès lors que ceux-ci incombent à l'usufruitier selon l'art. 765 CC (arrêt du Tribunal administratif du canton de Lucerne du 20 mai 2003 dans la cause S 02 425 [LGVE 2003 II 34 consid. 4c]).

9.1.2 On peut ajouter que le fait qu’un prêt destiné à l’acquisition d’un logement soit garanti par un gage immobilier n'a aucune portée du point de vue des prestations complémentaires et de leur but, soit la couverture des besoins vitaux (art. 112a al. 1 de la Constitution fédérale suisse [Cst. - RS 101]). L'hypothèque est en effet une sûreté destinée à protéger le créancier, mais sa constitution n'est pas une condition de la validité d'un prêt - et partant de l'exigibilité des intérêts dus par le débiteur. L’existence d’une hypothèque liée à un prêt immobilier n’a pas d’incidence sur les dépenses qu’un propriétaire encoure pour se loger, pas plus que sur ses revenus déterminants.

9.1.3 Par ailleurs, au vu de la systématique de la loi, qui intègre les intérêts
hypothécaires dans la rubrique relative aux frais de bâtiments, il apparaît que le législateur visait spécifiquement les intérêts d'un prêt en lien avec le financement d'un immeuble, a fortiori dès lors qu’il avait supprimé la possibilité offerte par la loi de déduire les intérêts de toute dette des revenus déterminants quelques années auparavant. Une telle interprétation paraît s’imposer également eu égard au but de la loi, le logement faisant partie des besoins vitaux. Il faut rappeler que le législateur, tout en soulignant que le but des prestations complémentaires n’est pas de préserver la propriété à tout prix, a précisément prévu une franchise dans la fortune constituée par un logement dont l'assuré serait propriétaire, notamment afin de garantir aux bénéficiaires qu’ils puissent continuer à vivre dans un environnement familier (Message du 20 novembre 1996, FF 1997 I 1148). Le législateur entendait ainsi dans une certaine mesure favoriser le capital investi par un assuré dans son propre logement (arrêt du Tribunal fédéral 9C_501/2011 du 19 décembre 2001 consid. 4.4).

Par ailleurs, il n’est certes pas ici question de subordonner la prise en compte d'intérêts hypothécaires à un contrôle de l'affectation de la somme empruntée. Le Tribunal fédéral a en effet admis que les intérêts hypothécaires dus et garantis par un gage sur un immeuble que l’assuré a cédé (Drittpfandverhältnis) doivent être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires, même si cela peut paraître choquant du point de vue économique (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 80/01 du 7 février 2003 consid. 3.2.2 et 3.3). Il a récemment confirmé que ces intérêts étaient déductibles dans une telle situation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_519/2019 du 14 janvier 2020 consid. 4.3.1). Cependant, il faut rappeler que l'hypothèque peut être constituée pour sûreté d'une créance quelconque (cf. art. 824 al. 1 CC). Elle peut ainsi par exemple être constituée pour garantir un prêt de consommation (Antoine EIGENMANN in Commentaire romand, CC II, 2016, n. 3 ad art. 824 CC). Ainsi, si l’on s’en tenait uniquement à la nature hypothécaire d’intérêts dus pour un prêt, cela pourrait avoir pour conséquence qu’un propriétaire dont le bien immobilier est payé et qui contracte un prêt hypothécaire pour couvrir des dépenses somptuaires, sans lien avec les besoins vitaux que les prestations complémentaires visent à couvrir, verrait ses intérêts admis dans ses dépenses, alors que les intérêts ne seraient pas reconnus à ce titre pour un assuré qui a emprunté de l’argent pour acquérir son habitation, sans qu’une hypothèque ne soit requise par le prêteur, soit un résultat qui pourrait heurter le sentiment de justice.

9.2 Ainsi, par analogie avec la situation de l’usufruitier et eu égard à la systématique et au but de la loi, il y a lieu d’admettre que les intérêts hypothécaires dont la recourante s’acquitte indirectement, puisqu’elle les rembourse à son fils, tombent sous le coup de l’art. 10 al. 3 let. b LPC et relèvent ainsi d’une dépense reconnue.

La cause sera ainsi renvoyée à l'intimé pour calcul des prestations complémentaires en tenant compte des intérêts de 1.832 % dus selon l'avenant au contrat de prêt conclu.

10.         Le recours est partiellement admis.

La recourante, non représentée, n'a pas droit à des dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 21 octobre 2021.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Stefanie FELLER

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le