Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/153/2023 du 09.03.2023 ( ARBIT )
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/2449/2018 ATAS/153/2023 COUR DE JUSTICE Tribunal arbitral des assurances | ||
Arrêt incident du 9 mars 2023 7ème Chambre |
En la cause
CSS KRANKEN-VERSICHERUNG AG CONCORDIA SCHWEIZ, KRANKEN- UND UNFALLVERSICHERUNG AG ATUPRI GESUNDHEITSVERSICHERUNG AVENIR ASSURANCE MALADIE SA KPT KRANKENKASSE AG VIVAO SYMPANY AG SWICA GESUNDHEITSORGANISATION MUTUEL ASSURANCE MALADIE SA SANITAS KRANKENVERSICHERUNG INTRAS ASSURANCE-MALADIE SA PHILOS ASSURANCE MALADIE SA ASSURA-BASIS SA HELSANA VERSICHERUNGEN AG ARCOSANA AG Toutes représentées par SANTÉSUISSE, sise rue des Terreaux 23, LAUSANNE, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Olivier BURNET
| demanderesses |
contre
Madame A______, domiciliée ______, GENEVE, comparant avec élection de domicile en l’étude de Me Yvan JEANNERET
| défenderesse |
ATTENDU EN FAIT :
Que le 11 juillet 2018, quatorze caisses-maladies, toutes représentées par SANTÉSUISSE, ont déposé auprès du Tribunal arbitral des assurances (ci-après : le tribunal de céans) une demande visant au paiement par la doctoresse A______ (ci-après : la défenderesse), pour l’année statistique 2016, de la somme de CHF 230'549.-, calculée selon la méthode ANOVA, principalement, et de la somme de CHF 217'075 selon la méthode RSS, subsidiairement, ce, au titre de la violation du principe du caractère économique des prestations ;
Que par arrêt du 18 janvier 2021 (ATAS 85/2021), le tribunal de céans a partiellement admis la demande, en ce sens qu'il a condamné la défenderesse à payer à SANTÉSUISSE, à charge pour elle de la répartir en faveur des demanderesses, la somme de CHF 173'959.- ;
Que le Tribunal fédéral a été saisi de deux recours de droit public interjetés contre l'arrêt du 18 janvier 2021, l'un par la défenderesse le 17 mars 2021, le second par les demanderesses le 26 mars 2021 ;
Qu'il a admis le 21 juin 2021 la requête d'effet suspensif présentée par la défenderesse ;
Que par arrêt du 24 juin 2022 portant sur les deux causes, il a, dans le cadre de la première (9C_180/2021), jugé que le grief de violation du droit d'être entendu était fondé, annulé l'arrêt du 18 janvier 2021 et renvoyé celle-ci à la juridiction cantonale pour nouvelle décision et rayé la seconde du rôle (9C_194/2021), celle-ci étant devenue sans objet ;
Qu'il a ainsi considéré qu’en « l'occurrence, à l'inverse de ce qu'a retenu la juridiction cantonale et de ce que soutiennent les caisses-maladie intimées, l'existence et l'étendue de garanties de prise en charge (au sens de l'art. 3b OPAS) sont des éléments pertinents dans le cadre d'un litige portant sur le caractère économique de la pratique médicale d'une spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. On ne saurait en effet retenir que les éléments constitutifs d'une polypragmasie sont réunis si les caisses-maladie intimées ont effectivement accepté de prendre en charge les coûts supplémentaires des traitements en question, conformément à la jurisprudence rappelée ci-avant (consid. 3.2). L'argumentation des intimées, qui n'avance au demeurant aucun motif en faveur d'un changement de jurisprudence (à ce sujet, voir ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 et la référence), ne saurait être suivie. Compte tenu des affirmations de la recourante, selon lesquelles plusieurs de ses patients s'étaient vu délivrer par les caisses-maladie intimées des garanties de prise en charge durant l'année 2016, le tribunal arbitral était tenu d'instruire plus avant ce point. Il ne pouvait se borner à invoquer les règles sur le fardeau de la preuve, celles-ci ne s'appliquant que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire, d'établir un état de fait qui correspond à la réalité, au degré de la vraisemblance prépondérante. Or les caisses-maladie intimées n'ont jamais prétendu ne pas avoir délivré de garanties de prise en charge ou ne pas être pas en mesure de les produire » (9C_180/2021, consid. 6.2) ;
Que le tribunal de céans a, par courrier du 6 juillet 2022, informé les parties qu'il reprenait l'instance ; qu'il a requis la production des garanties de prise en charge relatives aux traitements dispensés par la défenderesse durant l'année statistique 2016 ;
Que le 19 août 2022, SANTÉSUISSE a déclaré qu'elle n'était pas en mesure de transmettre les documents demandés ; que les recherches seraient longues, coûteuses et disproportionnées ;
Que le 28 octobre 2022, la défenderesse a produit les garanties de couverture accordées par les assureurs qu'elle a pu retrouver dans ses archives ;
Qu'elle a fait valoir, le 8 novembre 2022, que les demanderesses refusant de se conformer à leur obligation de collaborer, aucun jugement ne pouvait être rendu, de sorte que la demande du 11 juillet 2018 devait être déclarée irrecevable ;
Que par écritures du 15 décembre 2022, SANTÉSUISSE a persisté à s'opposer aux diverses mesures d'instruction requises, dont elle estime qu'elles n'ont pour seul objectif que de gagner du temps ; qu'elle considère au surplus que certaines des garanties produites par la défenderesse doivent être écartées, en tant qu'elles concernent des périodes postérieures ou antérieures à l'année visée par le présent litige ou ne constituent pas une autorisation de poursuivre un traitement ; qu'elle a, quoi qu'il en soit, interrogé les assureurs sur ces documents et versé au dossier les échanges de courriels qui ont suivi ;
Que le 10 janvier 2023, la défenderesse a constaté que SANTÉSUISSE s'obstinait à ne point collaborer et rappelé à cet égard le considérant 6.2 de l'arrêt du Tribunal fédéral (9C_180/2021) ; qu'elle considère dans ces conditions que l'art. 24 al. 2 LPA devrait être strictement appliqué ;
CONSIDERANT EN DROIT :
Que le litige porte au fond sur la question de savoir si la pratique de la défenderesse pendant l’année statistique 2016 en sa qualité de médecin indépendant est ou non contraire au principe de l’économicité ;
Qu'aux termes de l'art. 1er de l'Ordonnance sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins - OPAS -, figurent à l’annexe 1 les prestations visées par l’art. 33, let. a et c, OAMal, qui ont été examinées par la Commission fédérale des prestations générales et des principes de l’assurance-maladie et dont l’assurance-maladie obligatoire des soins (assurance) :
a. prend en charge les coûts ;![endif]>![if>
b. prend en charge les coûts à certaines conditions ;![endif]>![if>
c. ne prend pas en charge les coûts ;![endif]>![if>
Que dans les cas où les coûts des prestations ne sont pris en charge qu'à certaines conditions (let. b), le médecin peut demander une « confirmation de prise en charge » ;
Qu'une pratique non économique constitutive de polypragmasie doit être niée dans le cas où les traitements ont été pour la plupart approuvés de manière spécifique par les assureurs (respectivement par les médecins-conseil de ceux-ci) ; que les approbations ne représentent pas seulement des garanties de remboursement des coûts, mais comprennent également la confirmation du caractère économique du traitement correspondant (arrêts 9C_180/2021 et 9C_570/2015 ; arrêt K 172/97 du 23 avril 1999 consid. 5e, in RAMA 1999 n° K 994 p. 320) ; qu'il ne peut ainsi être retenu que les éléments constitutifs d'une polypragmasie sont réunis si les assureurs ont effectivement accepté de prendre en charge les coûts supplémentaires des traitements en question ; que dès lors, l'existence et l'étendue de garanties de prise en charge constituent des éléments déterminants à la résolution du litige (9C_180/2021 consid. 6.2) ;
Que selon la maxime inquisitoire qui régit la procédure devant le tribunal arbitral des assurances, il appartient à celui-ci d'établir les faits déterminants pour la solution du litige et d'administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires (art. 89 al. 5 LAMal) ; que cette maxime doit être relativisée par son corollaire, soit le devoir de collaborer des parties, lequel comprend l'obligation d'apporter, dans la mesure où cela est raisonnablement exigible, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, autrement dit d'étayer leurs propres thèses en renseignant le juge sur les faits de la cause et en lui indiquant les moyens de preuve disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître ; que si le principe inquisitoire dispense les parties de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve, dans la mesure où, en cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences, sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse ; que cette règle ne s'applique toutefois que s'il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d'établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 9C_180/2021 ; ATF 139 V 176 consid. 5.2) ; que l'obligation de collaborer des parties (art. 13 PA ; ATF 119 V 211 consid. 3b avec renvois) s'étend à tous les faits essentiels pour la décision et comprend également l'obligation de la partie de produire des documents qui se trouvent en ses mains ; qu'elle s'applique en particulier aux faits que l'autorité ne pourrait pas établir sans la collaboration de la partie ou ne pourrait pas le faire avec un effort raisonnable (ATF 124 II 365 consid. 2b avec référence) ; que dans la procédure devant le tribunal arbitral cantonal selon l'art. 89 LAMal, conçue comme une action en justice, l'obligation de collaborer revêt une importance étendue, car les parties sont les mieux à même de contribuer à l'établissement des faits déterminants (K 150/03 consid. 5.1) ;
Qu'en l'espèce, le Tribunal fédéral a admis le recours interjeté par la défenderesse et renvoyé la cause au tribunal de céans pour que celui-ci mette en œuvre les mesures d'instruction nécessaires, afin que les garanties de prise en charge qui ont été accordées à la défenderesse durant l'année 2016, soient réunies et versées au dossier ;
Que le tribunal de céans a ainsi requis des parties la production de ces documents le 6 juillet 2022.
Que la défenderesse a transmis ceux qu'elle a retrouvés dans ses archives ;
Que SANTÉSUISSE s'y est en revanche opposée, faisant valoir que les recherches pour les retrouver seraient longues, coûteuses et disproportionnées ; qu'elle persiste ainsi dans la position qu'elle avait adoptée dans le cadre de la procédure cantonale, selon laquelle il appartient à la défenderesse et à elle seule d'apporter la preuve de l'existence des autorisations, d'une part, et qu'aucune base de données avec ces informations n'existant, elle aurait le cas échéant à procéder à des recherches disproportionnées, d'autre part ;
Qu'il y a toutefois lieu de rappeler que, dans son arrêt du 24 juin 2022 (9C_180/2021), le Tribunal fédéral a reproché au tribunal de céans de n'avoir pas instruit plus avant, compte tenu des affirmations de la défenderesse selon lesquelles plusieurs de ses patients s'étaient vu délivrer par les demanderesses des garanties de prise en charge durant l'année en question ; qu'il a considéré que le tribunal de céans ne pouvait se borner à invoquer les règles sur le fardeau de la preuve, celles-ci ne s'appliquant que s'il s'avère impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire, d'établir un état de fait qui correspond à la réalité, au degré de la vraisemblance prépondérante ; qu'il a, à cet égard, considéré comme établi le fait que les demanderesses n'avaient jamais prétendu ne pas avoir délivré de garanties de prise en charge ou ne pas être en mesure de les produire et retenu que la défenderesse n'était quant à elle pas, ou plus, en possession des garanties ;
Que force est de constater que, malgré l'arrêt du Tribunal fédéral, dont le considérant est clair et ne souffre d'aucune autre interprétation, et malgré le courrier du tribunal de céans adressé aux parties le 6 juillet 2022, SANTÉSUISSE a maintenu son refus ;
Qu'il reste dès lors à ordonner à SANTÉSUISSE de produire l'ensemble des garanties de prise en charge accordées par les demanderesses à la défenderesse pour les traitements dispensés durant l'année 2016, étant rappelé qu'il est essentiel pour le Tribunal de céans d'en prendre connaissance ;
Qu'il est indéniable qu'il s'agit là d'une tâche importante ; qu'il est vrai que le devoir de collaborer n'existe que dans la mesure où cela est raisonnablement exigible (ATF 9C_180/2021 consid. 4 ; ATF K 150/03 consid. 5.1) ; qu'il convient toutefois de relever que les demanderesses disposent très vraisemblablement des outils informatiques et statistiques nécessaires ; que les recherches à effectuer n'apparaissent ainsi nullement insurmontables ; que dans son arrêt du 24 juin 2022 (9C_180/2021), le Tribunal fédéral a implicitement admis que de telles recherches étaient possibles ;
Que la défenderesse a conclu à l'irrecevabilité de la demande en restitution du 11 juillet 2018, au motif que SANTÉSUISSE refuse de collaborer aux mesures d'instruction requises ;
Qu'aux termes de l'art. 22 LPA en effet, « les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits dans les procédures qu'elles introduisent elles-mêmes. » ;
Que l'art. 24 LPA précise que :
1 L’autorité peut inviter les parties à la renseigner, notamment en produisant les pièces en leur possession ou à se prononcer sur les faits constatés ou allégués et leur fixer un délai à cet effet.
2 L’autorité apprécie librement l’attitude d’une partie qui refuse de produire une pièce ou d’indiquer où celle-ci se trouve. Elle peut ainsi le cas échéant déclarer irrecevables les conclusions des parties qui refusent de produire les pièces et autres renseignements indispensables pour que l’autorité puisse prendre sa décision.
Qu’à ce stade toutefois, SANTÉSUISSE ne saurait être que rendue attentive aux conséquences de son absence de collaboration prévues par les articles 22 et 24 al. 2 LPA (ATAS 373/2017 ; ATAS 624/2005) ;
LE TRIBUNAL ARBITRAL DES ASSURANCES:
Statuant sur incident
1. Ordonne à SANTÉSUISSE la production de l'ensemble des autorisations accordées par les demanderesses à la défenderesse pour les traitements dispensés pour l'année statistique 2018 2016. * rectification d'une erreur matérielle le 14.03.2023 WAD/wmh![endif]>![if>
2. Lui impartit un délai au 28 avril 2023 pour ce faire. ![endif]>![if>
3. Réserve la suite de la procédure. ![endif]>![if>
La greffière
Stefanie FELLER |
| La présidente suppléante
Doris GALEAZZI |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Office fédéral de la santé publique par le greffe le