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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1450/2022

ATAS/124/2023 du 28.02.2023 ( LCA )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1450/2022 ATAS/124/2023

 

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 28 février 2023

9ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à ONEX

 

 

demanderesse

 

contre

AXA ASSURANCES SA, sise General Guisan-Strasse 40, WINTERTHUR, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Clio HERRMANN

défenderesse

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1976, a travaillé pour le compte de la société B______. À ce titre, elle était assurée dans le cadre d’une assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie selon la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (LCA) auprès d’AXA Assurances SA (ci-après : l’assureur).

b. Le contrat d’assurance soumis à la LCA prévoit notamment le versement d’indemnités journalières maladie correspondant à 90% du salaire assuré durant 730 jours avec un délai d’attente de 30 jours.

c. Son contrat de travail a été résilié le 28 octobre 2021 avec effet au 31 décembre 2021.

B. a. Par déclaration de maladie datée du 6 octobre 2020, l’employeur a annoncé à l’assureur que l’assurée était en incapacité de travail depuis le 22 septembre 2020.

b. L’assureur a indemnisé la perte de revenu de l’assurée du 22 octobre 2020 au 19 mars 2022 pour un montant total de CHF 96'889.-.

c. Le 12 octobre 2020, la doctoresse C______, spécialiste FMH en médecine interne, a posé le diagnostic de trouble anxio-dépressif aigu dans un contexte de surcharge professionnelle. Le 22 septembre 2020, l’assurée s’était plainte d’un épisode de malaise avec sensation d’être dans un tunnel noir, de vertiges avec une nausée et des vomissements, de trouble de sommeil, d’une irritabilité, d’angoisses permanentes et enfin de multiples somatisations sous forme de douleurs de l’épaule droite, de douleurs du pied et de la hanche droite.

d. Le 4 novembre 2020, répondant aux questions de l’assureur, la doctoresse D______, psychiatre et psychothérapeute FMH, a indiqué avoir commencé un traitement médical avec l’assurée le 29 septembre 2020. Elle a posé le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques. L’assurée était en incapacité de travail entière dans toute activité. Le pronostic était difficile à évaluer vu la symptomatologie sévère et « dans le contexte socioprofessionnel actuel ». Le traitement de psychothérapie devait permettre d’augmenter la capacité de travail.

e. Le 2 février 2021, le docteur E______, chef de clinique auprès de la clinique de la douleur de l’Hôpital de La Tour, a diagnostiqué une « possible fibromyalgie ».

f. Du 23 février 2021 au 15 mars 2021, l’assurée a séjourné à la Clinique de Crans-Montana. Selon la lettre de sortie du 28 avril 2021, le diagnostic principal était un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère sans symptômes psychotiques.

g. Le 5 mars 2021, répondant aux questions de l’assureur, la Dresse D______ a relevé que l’évolution de l’assurée était moyennement favorable depuis son dernier rapport. L’assurée se sentait un peu plus calme avec le traitement, mais il y avait la persistance de douleurs chroniques. Les limitations fonctionnelles étaient une anxiété invalidante, une tolérance au stress diminuée, des troubles de la concentration et de l’attention, des douleurs chroniques, des pensées intrusives concernant sa santé, des migraines et des difficultés sévères dans les relations interpersonnelles. La capacité de travail de l’assurée était nulle.

h. Le 4 février 2022, répondant à nouveau aux questions de l’assureur, la Dresse D______ a posé les diagnostics de trouble dépressif récurrent, trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline et trouble du déficit de l’attention. Sa capacité de travail était nulle dans son activité habituelle. Actuellement, son état clinique ne lui permettait pas un travail même à temps partiel. Une reprise de travail à temps partiel pourrait probablement être possible dans environ trois mois. Dans une activité adaptée à ses troubles, sa capacité de travail était d’environ 50%.

i. Le 10 février 2022, le docteur F______, psychiatre et médecin conseil de l’assurance, a procédé à une évaluation médicale. Il a retenu les diagnostics de trouble de la personnalité borderline, trouble dépressif récurrent apparemment en voie d’amélioration et déficit d’attention. L’incapacité de travail était totale du 22 septembre 2020 au 28 février 2022. Au moment de l’évaluation, il existait une capacité de travail dans une activité adaptée de 50% avec un processus de réorientation professionnelle en cours. Le médecin a préconisé la mise en œuvre d’une expertise.

j. Le 15 février 2022, l’assureur a informé l’assurée de la mise en œuvre d’une expertise médicale, laquelle avait été confiée au docteur G______, psychiatre FMH.

k. Par rapport d’expertise du 8 mars 2022, le Dr G______ a diagnostiqué une personnalité borderline sans répercussion sur la capacité de travail. Il s’agissait d’un mode dysfonctionnel durable et présent depuis l’adolescence n’engendrant pas de limitations fonctionnelles. Malgré les traits dysfonctionnels de sa personnalité, l’assurée avait pu travailler pendant un temps prolongé chez différents employeurs. Aucun diagnostic psychiatrique avec impact sur la capacité de travail n’était retenu. En ce qui concernait le déficit de l’attention, il était difficile pour l’expert de se prononcer sur ce diagnostic. Toutefois, même dans l’hypothèse où il convenait de le retenir, il ne serait pas incapacitant. Ce trouble devait exister, par définition, depuis l’enfance. Or, ce trouble n’avait pas empêché l’assurée de faire des études et de travailler. Quant à l’épisode dépressif caractérisé, les critères diagnostiques n’étaient pas réunis. L’arrêt de travail n’était pas justifié du point de vue psychiatrique. Au vu du degré d’autonomie que l’assurée avait dans toutes les activités de la vie quotidienne, une pleine capacité de travail devait être antérieure à la date de l’examen. La poursuite de la formation professionnelle paraissait incompatible avec une incapacité totale de travail.

C. a. Par courrier du 9 mars 2022, l’assureur a informé l’assurée que, compte tenu des conclusions du rapport d’expertise, il considérait qu’elle était apte à travailler à 100% dès le 20 mars 2022. Il cesserait de verser les indemnités journalières dès ce jour.

b. Le 10 mars 2022, l’assurée a contesté les conclusions du rapport d’expertise, ainsi que la « méthode brutale et déstabilisante » utilisée par l’expert. Le rendez-vous médical s’était « extrêmement mal » passé. L’entretien avait été « émotionnellement très éprouvant » et avait duré plus de deux heures. Elle s’était sentie « agressée » et « bombardée par ses questions ».

c. Le 16 mars 2022, l’assurée a sollicité la poursuite du versement des indemnités journalières pour le mois de mars, soit CHF 5'843.50 (31 x CHF 188.50).

d. Le 21 mars 2022, le Dr G______ s’est déterminé au sujet des observations de l’assurée.

e. Le 29 mars 2022, le docteur H______, psychiatre FMH, s’est déterminé au sujet de l’expertise du Dr G______. Il suivait l’assurée depuis février 2022. Elle présentait une perturbation de l’activité et de l’attention ou TDA-H de type mixte moyen à sévère, une anxiété généralisée et un trouble de personnalité émotionnellement labile, type borderline. À l’heure actuelle, elle était en incapacité de travail totale.

f. Le 19 avril 2022, le Dr G______ s’est déterminé sur les observations du Dr H______. Si l’assurée souffrait d’un TDA-H, il devait être présent depuis l’enfance et le cas échéant, il faudrait alors conclure que ce trouble ne l’avait pas empêchée d’accomplir sa scolarité et d’avoir un parcours professionnel réussi. Ce trouble ne pouvait dès lors être incapacitant. Il s’agissait uniquement d’un facteur de vulnérabilité. S’agissant de l’anxiété, l’assurée n’avait pas présenté de symptôme de ce trouble.

g. Par courrier du 20 avril 2022, l’assurée a sollicité le versement des indemnités journalières pour les mois de mars et avril 2022.

D. a. Le 29 avril 2022, l’assurée a déposé une demande en paiement par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, concluant à ce que l’assureur soit condamné à lui verser la somme de CHF 2'262.50 à titre d’indemnités journalières pour le mois de mars 2022 et CHF 5'655.50 pour le mois d’avril 2022. Elle contestait en substance le résultat du rapport d’expertise du 2 mars 2022.

b. Le 17 mars 2022, l’assurée a sollicité la tenue d’une audience de débats.

c. Par réponse du 16 août 2022, l’assureur a conclu au rejet de la demande en paiement.

Du 22 octobre 2020 au 20 mars 2022, il avait versé CHF 96'889.05 à l’assurée à titre d’indemnités journalières. L’expertise du Dr G______ était fouillée, précise et convaincante. L’expert avait réfuté point par point les arguments développés par le Dr H______. Les médecins traitants se prononçaient du reste généralement en faveur de leurs patients.

d. Le 23 septembre 2022, la chambre de céans a tenu une audience de débats, lors de laquelle l’assurée a sollicité l’audition du Dr H______ et de la Dresse D______ et produit un avis médical du Dr H______ daté du 22 mars 2022. L’assureur s’est quant à lui opposé à leur audition.

Lors de l’audience de comparution personnelle, l’assurée a indiqué qu’elle avait été active, en qualité d’assistante administrative et commerciale, dans le domaine de la gestion de fortune et des finances. Il s’agissait d’une activité très stressante pour elle et elle cherchait désormais à se réorienter dans un domaine plus créatif. Sur requête de l’assurance-invalidité, elle avait commencé une formation dans le domaine de l’art auprès de l’IFAGE à raison de quatre heures par semaine durant neuf mois. Cette formation nécessitait deux à trois heures de travail par semaine, en plus des heures de cours. Elle avait la volonté de réussir même si elle avait de la difficulté à se concentrer dans la lecture. Elle avait également suivi une deuxième formation de trois semaines portant sur trois logiciels informatiques. Ces formations étaient obligatoires et l’OAI pouvait procéder à des contrôles. En 2021-début 2022, elle avait coupé tous ses liens sociaux préexistants, sauf avec sa famille. Elle n’avait plus l’énergie de garder le lien avec eux. Elle avait rencontré des nouvelles personnes à la formation, mais ne les avait pas vues en dehors des cours. Elle avait vécu l’expertise comme une « agression ».

e. Le 25 novembre 2022, la chambre de céans a procédé à l’audition du Dr H______, lequel a confirmé être le psychiatre traitant de l’assurée depuis 2022. Elle suivait une psychothérapie à raison de deux fois par semaine depuis février 2022, et cela probablement jusqu’en juin 2023. Elle voyait également le médecin toutes les trois semaines. À son sens, l’incapacité entière de travail de l’assurée remontait à 2020, avec une variabilité en intensité et dans la durée. Suite aux observations de l’expert, il souhaitait redéfinir son diagnostic d’anxiété, en ce sens que sa patiente présentait une anxiété non spécifiée et non une anxiété généralisée. Elle présentait également des éléments dépressifs et anxieux, une vulnérabilité très importante en lien avec le TDA-H, ainsi qu’un trouble mixte de la personnalité. L’anxiété non spécifiée était dans son cas un trouble incapacitant entraînant une incapacité de travail entière. Le TDA-H était également incapacitant en raison de sa synergie très importante avec l’anxiété. La date du « 22 mars 2022 » mentionnée dans son rapport était une erreur de plume, ledit rapport étant en réalité daté de fin juillet 2022. Selon lui, le TDA-H pouvait, à lui seul, entraîner une incapacité de travail même lorsqu’il était présent depuis l’enfance. Un enfant atteint de TDA-H, surtout s’il était intelligent, arrivait à compenser ce trouble, de sorte qu’il pouvait passer inaperçu. Or, plus tard, et en fonction des exigences de la vie, qui allaient en augmentant (par exemple les conflits conjugaux), le TDA-H pouvait devenir incapacitant. Il s’agissait effectivement de deux avis médicaux divergents. À son sens, l’expert avait sous-estimé l’impact du trouble de TDA-H dans la vie quotidienne de l’assurée, étant précisé qu’elle était en conflit constant avec son époux en raison de ses oublis et inattentions. Elle avait certes accompli certaines tâches, mais au prix d’une « souffrance énorme ». Il contestait l’appréciation de l’expert selon laquelle l’assurée présentait une anxiété contextuelle en lien avec la procédure judiciaire, son anxiété ayant été très présente lors de leur entretien. Selon lui, l’expert n’avait pas pris en compte le fait qu’elle prenait des médicaments. Cela pouvait apporter des indices importants quant à la gravité de son état de santé. Il était exact que l’assurée avait des ressources, mais celles-ci ne tenaient plus, raison pour laquelle elle était dans un service de psychothérapie spécialisé en matière de TDA-H. Le médecin a confirmé avoir attesté d’une capacité de travail de 20% en avril 2022. Il s’agissait d’arranger la situation avec l’assurance-chômage, étant précisé que ce taux d’activité représentait le maximum de capacité qu’il pouvait attester au vu de son état de santé. Avant 2022, l’assurée avait un parcours très lourd qui avait été sous-estimé. Elle avait déjà été suivie par une thérapeute pendant deux ans. Avec la Dresse D______, ils étaient très inquiets par rapport à sa situation et une reprise de travail leur paraissait inimaginable. Enfin, le médecin a admis avoir parlé avec l’assurée la veille de l’audience. Il était important pour lui de comprendre pourquoi elle ne se sentait pas entendue et quels éléments du rapport d’expertise elle contestait précisément.

f. Au terme de l’audience, la représentante de l’assurance a relevé que la valeur probante des déclarations du Dr H______ était limitée. Il avait changé de diagnostic et s’était entretenue avec sa patiente la veille de l’audience. Une expertise n’était pas nécessaire.

Sur quoi, la chambre de céans a imparti un délai à la défenderesse pour se déterminer sur la suite à donner à la procédure.

g. Le 9 décembre 2022, l’assurance a relevé que la chambre de céans était à même de se forger une opinion sans mettre en œuvre une nouvelle expertise. L’expertise du Dr G______ avait valeur probante et il n’existait aucun indice contre sa fiabilité, étant précisé que le fait qu’un médecin traitant ait une opinion divergente ne suffisait pas.

h. Le 16 décembre 2022, l’assurée a contesté la valeur probante de l’expertise du Dr G______. Au vu de la divergence des avis médicaux, elle sollicitait l’audition de témoins, voire une nouvelle expertise.

i. Le 30 janvier 2023, la chambre de céans a informé les parties de son intention de confier une mission d'expertise au docteur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et leur a octroyé un délai pour se prononcer sur une éventuelle récusation de l'expert et sur les questions libellées dans la mission d'expertise.

j. Par écriture du 10 février 2023, l’assurée a indiqué qu'elle ne connaissait pas de motif de récusation à l'encontre de l'expert et qu'elle n'avait pas de commentaires sur les questions libellées dans la mission d'expertise.

k. Par écriture du 20 février 2023, l’assurance a informé la chambre de céans qu'elle n'avait aucun motif de récusation de l'expert et a proposé des questions complémentaires.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 7 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) et à l'art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale prévue par la LAMal, relevant de la loi fédérale sur le contrat d'assurance, du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA - RS 221.229.1).

Selon les conditions générales d’assurances (CGA), applicables à la police d’assurance, le contrat est régi par la LCA.

La compétence de la chambre de céans à raison de la matière pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Selon l’art. 31 CPC, le tribunal du domicile ou du siège du défendeur ou celui du lieu où la prestation caractéristique doit être exécutée est compétent pour statuer sur les actions découlant d’un contrat, étant précisé que l’art. 17 al. 1 CPC consacre la possibilité d’une élection de for écrite.

En l’occurrence, l’art. F1 des conditions générales d’assurances (CGA), assurance d’une indemnité journalière en cas de maladie, prévoit que le preneur d’assurance ou les ayants droits peuvent intenter une action contre la défenderesse au lieu de leur domicile en Suisse.

La demanderesse ayant son domicile à Genève, la chambre de céans est compétente à raison du lieu pour connaître de la présente demande.

1.3 Les litiges que les cantons ont décidé de soumettre à une instance cantonale unique selon l'art. 7 CPC ne sont pas soumis à la procédure de conciliation préalable de l'art. 197 CPC (ATF 138 III 558 consid. 4.5 et 4.6; ATAS/306/2022 du 31 mars 2022 consid. 3 ; ATAS/199/2022 du 4 mars 2022 consid. 2), étant précisé que le législateur genevois a fait usage de cette possibilité (art. 134 al. 1 let. c LOJ).

1.4 Pour le reste, la demande respecte les conditions formelles prescrites par les art. 130 et 244 CPC, ainsi que les autres conditions de recevabilité prévues par l'art. 59 CPC. Elle est donc recevable.

2.             Se pose en premier lieu la question de savoir s’il convient d’ordonner une expertise judicaire psychiatrique.

2.1 Selon l’art. 183 al. 1 CPC, un tribunal civil peut, à la demande d’une partie ou d’office, demander une expertise à un ou plusieurs experts. Il entend préalablement les parties. Il s’agit d’une décision d’instruction qui peut être prise par le seul juge instructeur (ATF 147 III 582 consid. 4.4).

Une expertise porte sur des faits (arrêt du Tribunal fédéral 4A_37/2019 du 30 avril 2019 consid. 4.5.3) qui sont débattus entre les parties, même si le juge n’est pas tenu par les allégations et déterminations des parties, lorsque la maxime inquisitoire sociale est applicable (ATF 142 III 402 consid. 2.1 ; ATF 139 III 457 consid. 4.4.3.2).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une expertise privée ne constitue pas un moyen de preuve, mais un simple allégué de partie ; celui-ci doit toutefois être contesté de manière motivée par la partie qui considère une telle expertise comme non concluante (ATF 141 III 433 consid. 2.5.3 et 2.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_410/2021 du 13 décembre 2021 consid. 3.2).

En présence de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. Ce qui compte à cet égard, c'est que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et, enfin, que les conclusions de l'expert soient bien motivées. En ce qui concerne les rapports établis par le médecin traitant de l'assuré, le juge prendra en considération le fait que celui-ci peut être enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qu'ils ont nouée (ATF 125 V 351 consid. 3 p. 352 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_481/2014 du 20 février 2015 consid. 2.4.1).  

2.2 En l’espèce, au vu des conclusions de la demanderesse, le présent litige porte uniquement sur le droit aux indemnités journalières pour la période du 19 mars au 30 avril 2022. Selon le ch. B.1. des CGA, la défenderesse sert les prestations mentionnées dans la police pour les conséquences économiques de l’incapacité de travail due à la maladie. Est réputée maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical et provoque une incapacité de travail (ch. A 4 al. 1).

Le droit de la demanderesse envers la défenderesse à des indemnités journalières dépend ainsi de l’existence d’un ou plusieurs troubles à sa santé qui exigent un traitement médical et ont une incidence sur sa capacité de travail.

La demanderesse a requis la mise en œuvre d’une expertise judicaire portant sur l’existence de troubles psychiatriques à sa santé et des conséquences que ceux-ci entraînaient sur sa capacité de travail durant la période litigieuse. Ces questions sont donc susceptibles de faire l’objet d’une telle expertise pour autant que les preuves déjà disponibles à la procédure ne permettent pas déjà d’y répondre.

En l’occurrence, la défenderesse a produit à la procédure une expertise privée d’un médecin spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Conformément à la jurisprudence, cette expertise doit être qualifiée d’allégué de partie. Selon cette expertise, l’assurée présente uniquement une personnalité borderline sans répercussion sur la capacité de travail. S’agissant en particulier du déficit de l’attention, mentionné dans les rapports médicaux au dossier, l’expert a retenu qu’il lui était difficile de se prononcer sur ce diagnostic. Toutefois, même dans l’hypothèse où il convenait de le retenir, il ne serait pas incapacitant puisque ce trouble devait exister, par définition, depuis l’enfance. Or, ce trouble n’avait pas empêché l’assurée de faire des études et de travailler.

Devant la chambre de céans, la demanderesse conteste cette appréciation. Se fondant sur les rapports médicaux du Dr H______ du 29 mars 2022 et de fin juillet 2022, elle fait valoir que ce trouble a entraîné une incapacité de travail entière. Il ressort en effet de ces rapports que l’assurée présente un TDA-H de type mixte sévère, actuellement aggravé par plusieurs facteurs de détresse et par les conflits conjugaux. D’après le Dr H______, le TDA-H est un trouble dynamique, dont les symptômes peuvent varier en fonction du contexte de vie de la personne. La situation clinique de l’assurée était typique des patients atteints de TDA-H décompensés avec une aggravation très visible de toutes les dimensions du trouble. Entendu en audience, le Dr H______ a relevé que, contrairement à l’avis de l’expert, le TDA-H pouvait à lui seul entrainer une incapacité de travail, même lorsqu’il était présent depuis l’enfance. Un enfant atteint de TDA-H, surtout s’il était intelligent, arrivait à compenser ce trouble, de sorte que le trouble pouvait passer inaperçu. Or, plus tard, et en fonction des exigences de la vie, qui augmentaient (par exemple les conflits conjugaux), le TDA-H pouvait devenir incapacitant. Le Dr H______ a ainsi confirmé que, sur ce point, les avis médicaux étaient divergents. À son sens, l’expert avait sous-estimé l’impact du trouble de TDA-H dans la vie quotidienne de l’assurée, étant précisé qu’elle était en conflit constant avec son époux en raison de ses oublis et inattentions. Elle avait certes accompli certaines tâches, mais au prix d’une « souffrance énorme ». Le médecin a également relevé que l’anxiété non spécifiée était dans le cas de la demanderesse un trouble incapacitant entraînant une incapacité de travail entière. Cet élément est également contesté par l’expert qui estime, pour sa part, que l’assurée n’avait pas présenté de symptôme de ce trouble lors de son examen.

Il apparait ainsi que l’expertise privée produite par la défenderesse est contestée de manière motivée par le psychiatre traitant de la demanderesse. Contrairement à ce que soutient l’assurance, le fait que le Dr H______ ait redéfini son diagnostic d’anxiété lors de l’audience devant la chambre de céans ne suffit pas à écarter son opinion au profit de celui de l’expert. On notera d’ailleurs que le médecin a maintenu son diagnostic d’anxiété, mais, tenant compte des observations de l’expert, a redéfini son diagnostic d’« anxiété généralisée » en une « anxiété non spécifiée ». Il n’en reste pas moins que ses explications quant aux manifestations d’anxiété présentées par la demanderesse et le fait qu’il s’agit d’une forme clinique de la symptomatologie du TDA-H ont toujours été claires et cohérentes. Enfin, le fait qu’avant son audition devant la chambre de céans, le psychiatre traitant ait discuté avec sa patiente de la procédure judiciaire en cours ne permet pas non plus d’écarter toute valeur probante à ses déclarations. Comme l’explique d’ailleurs la demanderesse dans son écriture du 16 décembre 2022, l’entretien avec le Dr H______ était prévu depuis longtemps et s’inscrivait dans le suivi médical que l’assurée entretient avec son médecin depuis près d’une année.

Le dossier contient ainsi des divergences médicales importantes se rapportant à la substance des diagnostics médicaux et à leurs effets sur la capacité de travail de la demanderesse. En présence de documents médicaux qui se contredisent sans que l’un n’apparaisse clairement plus convaincant que l’autre, il n’est pas possible pour la chambre de céans d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’une incapacité de travail. Dès lors que cette question est essentielle pour la résolution du litige, il y a lieu d’ordonner une expertise psychiatrique judiciaire.

Le docteur I______, médecin spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a été proposé aux parties comme expert. Il aura pour mission de déterminer si, en mars et avril 2022, la demanderesse présentait un ou plusieurs troubles à sa santé ayant une incidence sur sa capacité de travail.

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

 

I.              Ordonne une expertise psychiatrique de Madame A______.

Commet à ces fins le Dr I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, à Genève.

Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A.      Prendre connaissance du dossier de la cause.

B.       Si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité la personne expertisée, en particulier la Dresse D______ et le Dr  H______.

C.      Examiner et entendre la personne expertisée et si nécessaire, ordonner d’autres examens.

D.      Charge l’expert d’établir un rapport détaillé comprenant les éléments suivants :

1.                  Anamnèse détaillée

2.                  Plaintes de la personne expertisée

3.                  Status clinique et constatations objectives

4.                  Diagnostics (selon un système de classification reconnu)

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogénèse).

4.1 Avec répercussion sur la capacité de travail

Dates d'apparition

4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail

Dates d'apparition

4.3 Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

4.4 Y a-t-il exagération des symptômes ?

4.5 Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

 

5.                  Limitations fonctionnelles

5.1 Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic et le pourcentage de limitations fonctionnelles en lien avec le diagnostic posé.

5.2 Dates d'apparition

5.3 Les plaintes sont-elles objectivées ?

6.                  Cohérence

6.1 Est-ce que le tableau clinique est cohérent ?

6.2 Quels sont les niveaux d’activité sociale et d’activités de la vie quotidienne (dont les tâches ménagères) et comment ont-ils évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

7.                  Personnalité

7.1 Est-ce que la personne expertisée présente un trouble de la personnalité ?

7.2 Le cas échéant, quelle est l'influence de ce trouble de personnalité ou de ces traits de personnalité pathologiques sur les limitations éventuelles et sur l'évolution des troubles de la personne expertisée ?

8.                  Ressources

8.1 Quelles sont les ressources résiduelles de la personne expertisée ?

9.                  Capacité de travail

9.1 Mentionner globalement les conséquences des divers diagnostics retenus sur la capacité de travail de l'assurée, en pourcent :

dans l'activité habituelle ;

dans une activité adaptée.

9.2 Dater la survenance de l’incapacité de travail durable dans l’activité habituelle pour chaque diagnostic, indiquer son taux pour chaque diagnostic et détailler l’évolution de ce taux pour chaque diagnostic.

9.3 Veuillez en particulier apprécier la capacité de travail de la personne expertisée durant la période de mars et avril 2022.

10.              Traitement

10.1 Examen du traitement suivi par la personne expertisée et analyse de son adéquation.

10.2 Propositions thérapeutiques et analyse de leurs effets sur la capacité de travail de la personne expertisée.

11.              Appréciation d'avis médicaux du dossier

11.1 Êtes-vous d'accord avec les conclusions du Dr G______ dans son expertise du 8 mars 2022, complétée par ses explications des 21 mars 2022 et 19 avril 2022 ?

Indiquer pour quelles raisons cet avis est confirmé ou écarté.

En particulier, êtes-vous d’accord avec les critères utilisés (critères A, avec au moins un symptôme cardinal [A1-A2] par le Dr G______ s’agissant du diagnostic « trouble dépressif caractérisé » et ses conclusions au moment où il a expertisé l’assurée le 2 mars 2022 ?

Êtes-vous d’accord avec les critères utilisés (critères DSM-5) par le Dr G______ s’agissant du diagnostic de « personnalité borderline » et ses conclusions au moment où il a expertisé l’assurée le 2 mars 2022 ?

11.2 En particulier, êtes-vous d’accord avec l’opinion du Dr G______, selon laquelle le TDA-H ne peut pas être considéré comme un trouble incapacitant en soi chez l’assurée, au vu de son parcours scolaire et professionnel (qui incluait notamment deux formations professionnelles) ?

11.3 Êtes-vous d’accord avec l’opinion du Dr G______, selon laquelle l’assurée ne présentait pas de symptômes du trouble de l’anxiété, mais uniquement une anxiété contextuelle en lien avec la procédure judiciaire ?

11.4 Êtes-vous d'accord avec les conclusions du Dr H______ (rapports des 29 mars 2022 et du « 22 mars 2022 » [sic] et témoignage devant la chambre de céans du 25 novembre 2022) ?

Indiquer pour quelles raisons cet avis est confirmé ou écarté.

11.5 En particulier, partagez-vous l’opinion du Dr H______, exprimée dans le cadre de son témoignage devant la chambre de céans du 25 novembre 2022, selon laquelle l’assurée souffrait au moment des faits (mars et avril 2022) d’une anxiété non spécifiée et non d’une anxiété généralisée ?

11.6 Que pensez-vous de l’appréciation du Dr H______ selon laquelle l’anxiété non spécifiée était dans le cas de l’assurée un trouble incapacitant entraînant une incapacité de travail entière ?

11.7 Êtes-vous d’accord avec l’opinion du Dr H______ selon laquelle le TDA-H entraînait à lui seul une incapacité de travail chez l’assurée, et cela même s’il était présent depuis l’enfance ?

12.              Faire toute remarque utile.

II.           Invite l'expert à déposer dans les meilleurs délais un rapport en trois exemplaires à la chambre de céans.

III.        Réserve le fond ainsi que le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties le