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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3988/2021

ATAS/72/2023 du 07.02.2023 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3988/2021 ATAS/72/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 7 février 2023

8ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Daniela LINHARES

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A_____(ci-après : l'assuré ou le recourant), né le ______ 1967 et originaire du Portugal, est marié et père de trois enfants adultes. Il est sans formation et a travaillé en tant que maçon au Portugal, en France et en Espagne, ainsi qu'en Suisse après son arrivée en 2009, en dernier lieu chez B______ SA.

b. Le 18 mars 2017, l'assuré a fait une chute en arrière à son domicile suite à un malaise, laquelle a provoqué un traumatisme crânien et cervical avec une fracture du pédicule gauche de C2 et de l'uncus C3, ainsi qu'une spondylolisthésis C2-C3. Depuis lors, il est en incapacité de travail totale.

c. Les suites de l'accident ont été prises en charge par la caisse nationale suisse en cas d'accidents (ci-après : la SUVA).

d. Le 22 mars 2017, l'assuré a subi une intervention chirurgicale consistant en la fixation de C1-C3.

B. a. Le 6 octobre 2017, l'assuré a requis les prestations de l'assurance-invalidité auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI ou l’intimé), après le refus des prestations par cette assurance suite à une demande déposée en 2015 à cause d'une atteinte au genou gauche.

b. Du 31 octobre au 27 novembre 2018, l'assuré a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (ci-après : la CRR) à Sion. À titre de comorbidités aux diagnostics résultant de l'accident, les médecins de cette clinique ont notamment constaté une légère polyneuropathie liée à une probable consommation d'alcool chronique et nocive à la santé, ainsi qu'à un possible diabète débutant. La participation de l'assuré a été considérée comme importante et aucune incohérence n'a été relevée. La prise en charge dans les ateliers professionnels avait dû être interrompue en raison de rachialgies. Un changement professionnel paraissait inéluctable. Le cas n'était pas encore stabilisé. Il y avait des limitations fonctionnelles provisoires pour le port de charges supérieures à 5 kg, les mouvements répétés et de grande amplitude du rachis cervical et la position statique prolongée. Le pronostic de réinsertion dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles était théoriquement favorable, mais les facteurs personnels et contextuels pourraient interférer avec le processus de réorientation.

c. Le 14 mai 2019, l'assuré a été examiné par le médecin d'arrondissement de la SUVA, le docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Il se plaignait de la persistance des douleurs cervicales, brachialgies et douleurs occipitales de 6/10 sur l'échelle visuelle analogique d'évaluation de la douleur (ci-après : EVA), exacerbées lors des mouvements des membres supérieurs qu'il n'arrivait que difficilement à lever au-dessus de l'horizon. Il vivait seul avec son fils, son épouse étant restée au Portugal. L'examen clinique était objectivement en relation avec l'état subjectif. Le Dr C______ a constaté une raideur de la nuque importante, une limitation des mouvements des membres supérieurs à 110-120°, une rotation interne limitée à D12 et une préhension extrêmement faible à 8 kg. Les limitations fonctionnelles établies par la CRR étaient toujours d'actualité.

d. Lors de la consultation du 29 juin 2019 au service de neurochirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : les HUG), le docteur D______, spécialiste FMH en neurochirurgie, a constaté à l'examen clinique une douleur à la palpation de la musculature cervicale et une mobilité de la tête fortement restreinte.

e. Dans son rapport du 2 mai 2020, le docteur E______, généraliste FMH et médecin traitant, a attesté qu'il y avait peu d'amélioration deux ans après le traumatisme. L'assuré était invalide compte tenu d'une mobilité très réduite du rachis et d'une raideur invalidante.

f. Dans son rapport relatif à l'examen final en date du 24 septembre 2020, le Dr C______ a mentionné que les plaintes de l'assuré avaient peu évolué depuis son séjour à la CRR. L'assuré décrivait des douleurs en casque, irradiant dans les épaules, exacerbées par les manœuvres de Valsalva. La raideur de la nuque le gênait dans ses activités et il devait effectuer une rotation du tronc pour tourner la tête. Les mouvements des membres supérieurs étaient limités, car ils réveillaient la douleur cervicale. À l'examen clinique, le Dr C______ a constaté une raideur de la nuque importante en flexion/extension, des limitations des mouvements des membres supérieurs à l'élévation avec des douleurs entraînant une faiblesse diffuse, une préhension au Jamar faible (16 kg à droite et 10 kg à gauche, soit très inférieure à la norme pour son âge qui est de 40 kg). L'examen clinique était en cohérence avec les plaintes. L'état était stabilisé. La capacité de travail était nulle en tant que maçon. L'assuré présentait des limitations fonctionnelles pour le port de charges supérieures à 5 kg, des mouvements répétés dans tous les modes et de grande amplitude du rachis cervical et les positions statiques prolongées. Dans une activité strictement adaptée à ces limitations, la capacité de travail était de 100%. L'atteinte à l'intégrité a été évaluée à 22,5%.

g. Le 3 novembre 2020, la SUVA a informé l'assuré qu'elle mettait fin au versement des indemnités journalières et au paiement des soins médicaux, hormis le traitement antalgique, avec effet au 1er mars 2021. Elle allait par ailleurs examiner le droit à une rente d'invalidité et à une indemnité pour atteinte à l'intégrité.

h. Dans son avis médical du 14 décembre 2020, le service médical régional de l'assurance-invalidité pour la Suisse romande (ci-après : le SMR) a retenu une capacité de travail totale, dès le 1er mars 2019, dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles déterminées par la SUVA, auxquelles il a encore ajouté l'absence de flexion prolongée des genoux et d'utilisation répétée d'escalier.

i. Dans son rapport final du 31 mai 2021, la division de réadaptation professionnelle de l'OAI a constaté que des mesures de reclassement professionnel n'avaient pas pu être mises en place, l'assuré ayant la conviction d'être inapte à toute tâche. Il maitrisait par ailleurs mal le français, avec des lacunes en écriture et lecture. Compte tenu des limitations retenues, l'assuré pourrait exercer à 100% toute activité lucrative adaptée qui ne nécessitait pas de formation complémentaire, sur le marché équilibré du travail. La perte de gain dans une telle activité adaptée était de 21%, en tenant compte d'un abattement des salaires statistiques de 15%.

j. Le 24 juin 2021, l'OAI a informé l'assuré qu'il avait l'intention de lui octroyer une rente limitée à la période du 1er avril 2018 au 31 mai 2019 et lui refuser le droit à une rente à partir de juin 2019, dès lors que sa capacité de travail était considérée entière dans une activité adaptée dès mars 2019 et que sa perte de gain n'ouvrait pas le droit aux prestations.

k. Par décision du 21 octobre 2021, l'OAI a confirmé son projet de décision.

C. a. Par acte du 22 novembre 2021, l'assuré a recouru contre cette décision, par l'intermédiaire de son conseil, en concluant à son annulation et à l'octroi d'une rente d'invalidité entière, subsidiairement à une rente entière jusqu'en février 2021, puis à un quart de rente et à l'octroi d'une mesure de reclassement et de réadaptation, sous suite de dépens. À titre préalable, il a notamment conclu à la mise en œuvre d'une expertise médicale judiciaire et d'une expertise auprès des Établissements pour l'intégration (ci-après : les ÉPI) pour déterminer sa capacité de travail. En premier lieu, il a contesté que son état fût stabilisé. Par ailleurs, en admettant la stabilisation de son état, c'était seulement le cas à partir du 3 novembre 2020, comme la SUVA l'avait constaté. Le recourant a aussi contesté le calcul de sa perte de gain. Quant à la mesure de réadaptation, il ne s'y était jamais opposé et avait uniquement rappelé que son état de santé ne lui permettait pas de travailler. Il souhaitait retravailler dans une autre profession, même s'il n'avait travaillé depuis l'âge de 17 ans qu'en tant que maçon.

b. Dans sa réponse du 16 décembre 2021, l'intimé a conclu au rejet du recours. Tant les médecins du SMR que ceux de la SUVA s'accordaient sur la date à partir de laquelle le recourant présentait une capacité de travail résiduelle dans une activité adaptée. L'intimé a par ailleurs maintenu son calcul de la perte de gain. Quant à la mesure d'ordre professionnel, il a relevé que le recourant avait déclaré ne pas se projeter vers une cible professionnelle ni envisager un quelconque projet d'orientation professionnelle. Il a également indiqué ne pouvoir exercer aucune activité professionnelle à cause de ses problèmes de santé. À défaut d'aptitude subjective à la réadaptation, c'était à juste titre qu'une mesure d'ordre professionnel n'avait pas été mise en place.

c. Dans sa réplique du 20 janvier 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions et a informé la chambre de céans que la SUVA lui avait notamment accordé une rente de 28%, par décision du 23 décembre 2021, à laquelle il allait faire opposition.

d. Dans sa duplique du 31 janvier 2022, l'intimé a maintenu ses conclusions. La perte de gain était déterminée de façon différente dans l'assurance-accidents et l'assurance-invalidité. En tout état de cause, un taux d'invalidité inférieur à 40% ne donnait pas droit aux prestations.

e. Invité à soumettre le dossier à son service de réadaptation professionnelle pour déterminer les activités accessibles au recourant, l'intimé a informé le 13 juin 2022 la chambre de céans que ce service avait retenu à ce titre la logistique légère, réceptionniste ou travail de bureau, des tâches simples de surveillance, vérification ou contrôle.

f. Par ordonnance du 9 août 2022, la chambre de céans a ordonné une expertise judiciaire et l'a confiée au docteur F______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur.

g. Dans son expertise du 22 décembre 2022, l'expert judiciaire a conclu à une incapacité de travail totale du recourant.

h. Dans son avis du 24 janvier 2023, le SMR a considéré que l'expertise judiciaire n'était pas convaincante en raison du manque d'informations médicales, ainsi que de l'absence d'aggravation objective du problème cervical et de la polyneuropathie.

i. Dans sa détermination du même jour, l'intimé a persisté dans ses conclusions, en se ralliant à l'avis médical précité du SMR.

j. Par écritures du 30 janvier 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions, en se fondant sur l'expertise judiciaire.

k. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits et le juge se fonde, en règle générale, sur l'état de fait réalisé à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références).

En l’occurrence, la décision querellée a été rendue antérieurement au 1er janvier 2022, de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

4.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

5.             Est litigieuse en l'occurrence le droit à la rente et à une mesure d'ordre professionnel du recourant.

6.             Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

7.             En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 654/00 du 9 avril 2001 consid. 1).

8.             Selon les art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA. Selon l’art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

9.             Pour pouvoir calculer le degré d’invalidité, l’administration (ou le juge, s’il y a eu un recours) a besoin de documents qu’un médecin, éventuellement d’autres spécialistes, doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l’état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est, à ce motif, incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l’assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 et les références).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3; ATF 125 V 351 consid. 3).

10.         Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

10.1 Le juge peut accorder une pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

10.2 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

11.         En l'espèce, selon le rapport du 24 septembre 2020 du Dr C______, les plaintes de l'assuré ont peu évolué depuis son séjour à la CRR. L'assuré décrit des douleurs en casque, irradiant dans les épaules, exacerbées par les manœuvres de Valsalva. La raideur de la nuque le gêne dans ses activités et il doit effectuer une rotation du tronc pour tourner la tête. Les mouvements des membres supérieurs sont limités, car ils réveillent la douleur cervicale. À l'examen clinique, le Dr C______ constate une raideur de la nuque importante en flexion/extension, des limitations des mouvements des membres supérieurs à l'élévation avec des douleurs entraînant une faiblesse diffuse, une préhension au Jamar faible (16 kg à droite et 10 kg à gauche, soit très inférieure à la norme pour son âge qui est de 40 kg). L'examen clinique est en cohérence avec les plaintes. L'état est stabilisé. La capacité de travail est nulle en tant que maçon. L'assuré présente des limitations fonctionnelles pour le port de charges supérieures à 5 kg, des mouvements répétés dans tous les modes et de grande amplitude du rachis cervical et les positions statiques prolongées. Dans une activité strictement adaptée à ces limitations, la capacité de travail est de 100%.

Dans l'expertise judiciaire du 22 décembre 2022, le Dr F______ pose les diagnostics d'ankylose cervicale et de perte de la balance sagittale secondaire dans le cadre d'un status après une fracture instable de la deuxième vertèbre cervicale et dans le cadre d'un traitement chirurgical avec spondylodèse entre la première et la troisième vertèbre cervicale. Il constate à cet égard une atrophie de la musculature para-cervicale proximale profonde. La position de la tête est "en avant". À cela s'ajoute une arthrose sévère au niveau C5-C6 et C6-C7 et une polyneuropathie sensitivo-motrice avec péjoration progressive, ainsi qu'une ostéonécrose du condyle fémoral interne du genou gauche générant une arthrose invalidante après une méniscectomie, une impotence fonctionnelle de l'épaule gauche potentiellement liée à une rupture de la coiffe des rotateurs et une apnée du sommeil. L'état n'est pas stabilisé en ce qui concerne la problématique post-traumatique, au vu du trait de fracture toujours visible sur le scanner effectué en mars 2018, ce qui atteste de la non consolidation sur le plan osseux. Les cervicalgies, la perte de la balance sagittale, les restrictions de mouvements-placements continuent à s'aggraver. Il en va de même de l'état du genou gauche. La fin de la prise en charge en neurochirurgie et l'envoi en consultation d'antalgie est un constat d'échec thérapeutique. Même dans une activité adaptée, le recourant est limité par les douleurs de façon importante. Les atteintes engendrent par ailleurs des limitations fonctionnelles qui touchent les quatre membres et le rachis. Le recourant ne peut rester ni assis, ni debout, ni porter des charges et doit gérer les douleurs chroniques avec des médicaments générant des effets secondaires sous forme d'une diminution de la concentration. Au vu de l'état de santé altéré de manière massive, l'incapacité de travail est totale dans toute activité et des mesures de réadaptation ne pourraient être mises en œuvre. Quant à la conviction du recourant de ne pas pouvoir travailler, elle est parfaitement cohérente avec l'examen médical. Il n'est pas imaginable que l'état de santé s'améliore suffisamment pour permettre une reprise du travail.

L'expert judiciaire rapporte en outre que le recourant a chuté et s'est blessé au genou gauche. La situation a été évaluée par une imagerie par résonance magnétique (IRM) du 19 mai 2021 avec proposition d'une intervention chirurgicale qui a été effectuée en mars 2022. L'évolution n'a pas été favorable, ce qui est attesté par une IRM pratiquée le 20 juillet 2022. Selon une expertise effectuée en mai 2022 par le docteur G______, sur mandat du Groupe Mutuel, une reprise de travail n'est pas exigible et il n'y a pas d'activité adaptée.

12.          

12.1 L'expertise judiciaire a été rendue en connaissance de l'intégralité du dossier médical, prend en compte des plaintes du recourant, repose sur un examen clinique approfondi et contient des conclusions motivées. Elle revêt donc en principe une pleine valeur probante.

12.2 L'intimé dénie cependant toute valeur probante à cette expertise. Il estime en premier lieu que l'aggravation de l'atteinte au genou gauche nécessitant une intervention chirurgicale et le problème de l'épaule gauche sont postérieurs à la date de la décision querellée et ne font ainsi pas l'objet du litige. Quant à l'atteinte de la colonne cervicale, elle est connue et l'expert n'a mis en évidence aucun élément objectif permettant de retenir une aggravation à ce niveau. L'expert judiciaire n'a pas effectué de nouveaux examens radiologiques et aucun signe de descellement du matériel d'ostéosynthèse ni d'atteinte de la moelle ne sont établis. Il n'étaye l'aggravation de la neuropathie par aucun examen neurologique ni ENMG récents et se base uniquement sur les plaintes subjectives du recourant. Cette pathologie est par ailleurs en rapport avec un problème d'alcoolisme et de diabète et non avec une atteinte de la moelle épinière.

12.3 Avec l'intimé, il convient de constater que l'expert judiciaire n'a pas documenté ni expliqué une aggravation au niveau cervical, à savoir l'arthrose sévère au niveau C5-C6 et C6-C7. Il n'en demeure pas moins que l'IRM du 14 août 2019 montre une discrète inversion de la lordose cervicale physiologique centrée essentiellement au niveau C5-C6 et C6-C7, ainsi qu'une discrète discopathie. Au vu de la perte de la balance sagittale avec une position de la tête "en avant" due au blocage des trois vertèbres supérieures, il paraît toutefois convaincant à la chambre de céans que cette mauvaise position ne peut qu'aggraver à terme l'arthrose dégénérative et les douleurs.

Quant au genou, il y a certes une aggravation, laquelle est survenue avant la décision du 21 octobre 2021, une IRM ayant été réalisée suite à cette chute le 19 mai 2021. Cette aggravation aurait donc dû être prise en considération par l'intimé. Toutefois, une limitation pour la marche pourrait être également compatible avec un travail consistant en logistique légère, réceptionniste ou travail de bureau, des tâches simples de surveillance, vérification ou de contrôle, tels que retenus par l'intimé à titre d'activités adaptées, pour autant qu'une telle activité n'implique pas de marcher sur de longues distances.

Quoi qu'il en soit, la limitation essentielle est liée à l'atteinte à la nuque post-traumatique qui interdit le port de charges supérieures à 5 kg, les mouvements répétés et de grande amplitude du rachis cervical, ainsi que les positions statiques prolongées, selon l'intimé. L'expert judiciaire ajoute que le recourant est également limité par les douleurs de façon importante et que les effets secondaires d'une médication antalgique efficace, sous forme de tramadol par exemple, ne sont pas compatibles avec l'exercice d'une activité professionnelle. Ces limitations fonctionnelles sont dues à la perte de la balance sagittale par une position "tête en avant", laquelle n'est pas correcte biomécaniquement, aux lésions dégénératives et l'atrophie de la musculature paravertébrale postérieure proximale.

Cela étant, il semble qu'il y ait un consensus entre les médecins sur les limitations fonctionnelles, le Dr C______ ne niant pas les douleurs. Par contre, leurs opinions divergent sur la capacité de travail dans une activité strictement adaptée aux handicaps. Le Dr C______ admet une pleine capacité de travail dans une telle activité, alors que l'expert conclut à l'inverse à une incapacité de travail totale.

À cet égard, il sied de relever que le Dr C______ constate que la symptomatologie douloureuse n'a guère évolué depuis l'observation du recourant à la CRR en 2018. Il admet en outre que l'examen clinique est en cohérence avec les plaintes, ce qui est aussi relevé à la CRR qui retient que les plaintes et limitations fonctionnelles s'expliquent principalement par les lésions. Il est également à rappeler que le recourant a participé à la CRR aux ateliers professionnels où il a travaillé jusqu'à deux heures consécutives dans des activités légères et sans contrainte posturale. Toutefois, il a dû interrompre ces activités en raison de rachialgies. Sa participation aux thérapies a été considéré comme élevée. Il y avait une incohérence consistant en un comportement douloureux marqué lors de l'examen clinique et l'appréciation, par le recourant, de ne pouvoir réaliser que des activités exigeant un niveau d'effort très bas. Pour le reste, son comportement a été cependant jugé cohérent par les médecins de cette clinique. Le pronostic de réinsertion dans une activité adaptée était théoriquement favorable, mais des facteurs personnels et contextuels pourraient interférer avec le processus de réorientation. À titre de tels facteurs, la CRR a mentionné la cotation élevée de la douleur, la sous-estimation des capacités fonctionnelles et une kinésiophobie.

L'importance des douleurs est toutefois confirmée par l'expert judiciaire. Il paraît aussi compréhensible d'avoir peur des mouvements de la nuque, dans la mesure où ils déclenchent des douleurs considérables.

Par ailleurs, le médecin traitant du recourant considère, dans son rapport du 2 mai 2020, que la capacité de travail est nulle, en l'absence d'une amélioration deux ans après le traumatisme.

Cela étant, la chambre de céans se rallie à la conclusion de l'expert judiciaire, selon laquelle le recourant est totalement incapable de travailler.

13.         De surcroît, une activité adaptée paraît difficile à déterminer.

13.1 Lorsqu'il s'agit d'examiner dans quelle mesure un assuré peut encore exploiter économiquement sa capacité de gain résiduelle sur le marché du travail entrant en considération pour lui (art. 16 LPGA), on ne saurait subordonner la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain à des exigences excessives. Il s'ensuit que pour évaluer l'invalidité, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s'il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail lorsque les places de travail disponibles correspondent à l'offre de la main d'œuvre (VSI 1998 p. 293). On ne saurait toutefois se fonder sur des possibilités de travail irréalistes. Il est certes possible de s'écarter de la notion de marché équilibré du travail lorsque, notamment l'activité exigible au sens de l'art. 16 LPGA, ne peut être exercée que sous une forme tellement restreinte qu'elle n'existe quasiment pas sur le marché général du travail ou que son exercice impliquerait de l'employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semble exclu de trouver un emploi correspondant (cf. RCC 1991 p. 329; RCC 1989 p. 328; arrêts du Tribunal fédéral 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4.2 et 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3.2). Le caractère irréaliste des possibilités de travail doit alors découler de l'atteinte à la santé – puisqu'une telle atteinte est indispensable à la reconnaissance d'une invalidité (cf. art. 7 et 8 LPGA) – et non de facteurs psychosociaux ou socioculturels qui sont étrangers à la définition juridique de l’invalidité (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_175/2017 du 30 octobre 2017 consid. 4.2).

13.2 En l'occurrence, le service de réadaptation professionnelle propose, sans avoir discuté avec le recourant, un travail de logistique légère. Cependant, une telle activité implique généralement l'utilisation de moyens informatiques. Or, le recourant ne comprend pas, ni parle très bien le français (expertise p. 9; rapport de la division de réadaptation du 31 mai 2021), et est sans formation. On peine au demeurant à imaginer qu'un tel travail ne demande pas de mouvements répétés de la tête. Un travail de réceptionniste ou de bureau, comme suggéré par ledit service, n'entre pas en considération pour les mêmes raisons. La vérification ou le contrôle impliquent généralement des positions statiques assises ou debout statiques, ainsi que de bouger la tête, rien que pour prendre les pièces à contrôler, ce qui n'est pas compatible avec les limitations fonctionnelles. Seules des tâches simples de surveillance entrent en ligne de compte. Le choix des activités adaptées paraît ainsi très restreint. Cela étant, la chambre de céans considère que, même si une capacité de travail dans une activité adaptée devait être admise, les possibilités de travail seraient irréalistes.

14.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision annulée et le recourant mis au bénéfice d'une rente entière dès le 1er avril 2018.

15.         Le recourant obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 2'500.- lui sera octroyée à titre de participation à ses honoraires d'avocat.

16.         Au vu de l'issue de la cause, l'intimé sera condamné au paiement d'un émolument de justice de CHF 200.-.

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Annule la décision du 21 octobre 2021.

4.        Met le recourant au bénéfice d'une rente entière dès le 1er avril 2018.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 2’500.- à titre de dépens mise à la charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Maya CRAMER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le