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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2668/2022

ATAS/20/2023 du 18.01.2023 ( LAA ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2668/2022 ATAS/20/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 18 janvier 2023

4ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A_______, domicilié à GENÈVE

 

 

recourant

contre

GROUPE MUTUEL ASSURANCES GMA SA, sise rue des Cèdres 5, MARTIGNY

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A_______ (ci-après : l'assuré ou le recourant), né en 1975, travaille comme Beauty Manager pour le compte de la société B_______ (ci-après : l'employeuse). À ce titre, il est assuré obligatoirement contre les accidents professionnels et non professionnels, ainsi que contre les maladies professionnelles auprès du Groupe Mutuel Assurance GMA SA (ci-après : l'assurance ou l'intimée).

b. Par déclaration d'accident du 25 avril 2022, l'employeuse a annoncé à l'assurance que le 19 avril 2022, l'assuré s'était cassé une dent avec un petit caillou qui se trouvait dans la salade de lentilles qu'il mangeait.

c. Dans un questionnaire pour l'assurance rempli le 5 mai 2022, l'assuré a déclaré avoir mangé, le 19 avril 2022, une salade de lentilles qu'il avait achetée à la Coop à Genève, dans laquelle se trouvait un petit gravier qui lui avait provoqué une lésion dentaire. Il a précisé que ses deux filles avaient été témoins de l'évènement.

d. Le 24 mai 2022, le docteur C_______, médecin dentiste, a indiqué, par formulaire adressé à l'assurance, que l'accident s'était déroulé conformément aux déclaration de l'assuré. Il diagnostiquait la perte d'une couronne avec fracture radiculaire vestibulaire nécessitant un traitement.

e. Par décision du 29 juin 2022, l'assurance a refusé de couvrir le traitement de la dent lésée de l'assuré à la suite de l'évènement du 19 avril 2022. Elle estimait que la présence de petits grains dans une salade de lentilles n'avait rien d'extraordinaire et qu'en l'absence de preuve de corps étranger exceptionnel, la cause extérieure extraordinaire n'était pas établie. Elle ne pouvait donc pas intervenir en faveur de l'assuré.

f. Par courriel du 30 juin 2022, l'assuré a contesté cette décision, alléguant que la déclaration d'accident faisait état de gravier et non pas de petits grains, de sorte que la présence d'un corps étranger était établie.

g. Le 19 juillet 2022, l'assurance a invité l'assuré à signer son opposition, sous peine d'irrecevabilité.

h. Par pli signé, réceptionné le 25 juillet par l'assurance, l'assuré a formé opposition contre la décision du 29 juillet 2022, réitérant son grief.

i. Le 11 août 2022, l'assurance a rejeté l'opposition de l'assuré, au motif qu'il était connu et fréquent que de petits cailloux puissent se trouver à tout moment dans les lentilles, de sorte qu'il ne s'agissait pas d'un facteur inhabituel.

B. a. Le 22 août 2022, l'assuré a interjeté recours par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) contre cette décision, concluant en substance à son annulation et à la condamnation de l'intimée à prendre en charge les suites de l'accident du 19 avril 2022.

À l'appui de son recours, il a en particulier produit les photographies d'un emballage de morilles et d'une barquette de salade de lentilles, achetés en supermarché.

b. Invitée à se déterminer, l'intimée a, par réponse du 11 octobre 2022, conclu au rejet du recours.

c. Le 18 octobre 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans le délai légal, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

2.             Le litige porte sur la question de savoir si les suites de la lésion dentaire subie par le recourant, après avoir mangé une salade de lentilles, doivent être prises en charge par l'intimée, et en particulier de déterminer si la notion d'accident est réalisée ou non en l'espèce.

3.              

3.1 Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique ou mentale ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA).

Il résulte de la définition même de l'accident que le caractère extraordinaire de l'atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné, le cas échéant, des conséquences graves ou inattendues. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu'il excède, dans le cas particulier, le cadre des événements et des situations que l'on peut, objectivement, qualifier de quotidiens ou d'habituels (ATF 129 V 402 consid. 2.1 ; ATF 122 V 230 consid. 1).

3.2  

3.2.1 Le bris d'une dent lors d'une mastication normale est réputé accidentel lorsqu'il s'est produit au contact d'un élément dur extérieur à l'aliment consommé, de nature à causer la lésion incriminée. La dent ne doit pas nécessairement être parfaitement saine, il suffit qu'elle remplisse normalement sa fonction (ATF 114 V 169 consid. 3b).

3.2.2 Une lésion dentaire causée par un objet, qui ne se trouve habituellement pas dans l'aliment consommé, est de nature accidentelle (SVR 1999 UV n° 9 p. 28, consid. 3c/cc ; RUMO-JUNGO, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 3ème édition, ad art. 6, ch. IV 1d, p. 26). Le Tribunal fédéral a ainsi admis l'existence d'une cause extérieure extraordinaire et par conséquent le caractère accidentel du bris d'une dent sur un fragment de coquille se trouvant dans du pain aux noix, au motif que cet aliment n'est pas supposé contenir de tels esquilles et que la présence de ce résidu peut partant, être considérée comme un facteur exceptionnel (RAMA 1988 n° K 787 p. 419). La même conclusion s'impose lorsque la fracture de la dent résulte de la consommation d'un pain confectionné à base d'olives dénoyautées achetées chez un grand distributeur. Notre Haute-Cour a en effet souligné que le fait qu'on ne puisse pas exclure totalement qu'un corps dur se trouve dans un aliment ne suffit pas à dénier le caractère extraordinaire de sa présence (arrêt du Tribunal fédéral 9C_985/2010 du 20 avril 2011 consid. 6.2). Un fragment d'os dans une saucisse constitue également un facteur extérieur extraordinaire, et se casser une dent en croquant un éclat d'os présent dans un Schüblig de campagne constitue dès lors un accident (RAMA 1992 n° U 144 p. 83 consid. 2b), de même qu'une lésion survenue en mordant un caillou contenu dans une préparation de riz (RAMA 1999 n° U 349 p. 478 s. consid. 3a).

3.2.3 En revanche, le fait de se briser une dent en mangeant une tarte aux cerises de sa propre confection, préparée avec des fruits non dénoyautés, ne constitue pas un accident, le dommage dentaire n'ayant pas été causé par un facteur extérieur de caractère extraordinaire (ATF 112 V 201, consid. 3b). Le fait de se casser une dent sur un plomb contenu dans un civet de cerf ne peut pas non plus être considéré comme un accident, dès lors qu'on peut s'attendre selon l'expérience générale à trouver un reste de projectile dans du gibier (arrêt du Tribunal fédéral U 367/04 du 18 octobre 2005 consid. 4.3 ; cf. également ATAS/68/2012). Le Tribunal fédéral considère également que l'on peut s'attendre, en mangeant des morilles, à y trouver des petits fragments de pierre, dont la présence n'a rien d'extraordinaire, même lorsqu'elles sont achetées dans le commerce (arrêt du Tribunal fédéral 8C_53/2016 du 9 novembre 2016, consid. 5.2).

3.3 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré et le défaut de preuve va au détriment de la partie qui entendait tirer un droit du fait non prouvé (ATF 126 V 319 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 339/03 du 19 novembre 2003 consid. 2).

3.4 Il incombe à celui qui réclame des prestations de l'assurance-accidents de rendre plausible que les éléments d'un accident sont réunis. S'il ne satisfait pas à cette exigence, en donnant des indications incomplètes, imprécises ou contradictoires, qui ne rendent pas vraisemblable l'existence d'un accident, l'assurance n'est pas tenue de prendre en charge le cas (arrêt du Tribunal fédéral 8C_398/2008 du 28 août 2008 consid. 7.1). En cas de bris d'une dent, le Tribunal fédéral a considéré que la simple présomption que le dommage dentaire se soit produit après avoir mordu sur un corps étranger dur ne suffit pas pour admettre l'existence d'un facteur extérieur extraordinaire (arrêt du Tribunal fédéral U 64/02 du 26 février 2004 consid. 2.2). Cette conclusion est valable non seulement lorsque la personne déclare avoir mordu sur « un corps étranger » ou « quelque chose de dur », mais encore lorsqu'elle croit avoir identifié l'objet. Lorsque les indications de la personne assurée ne permettent pas de décrire de manière précise et détaillée le « corpus delicti », l'autorité administrative (ou le juge, s'il y a eu un recours) n'est en effet pas en mesure de porter un jugement fiable sur la nature du facteur en cause, et encore moins sur le caractère extraordinaire de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 8C_1034/2009 du 28 juillet 2010 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 67/05 du 24 mai 2006 consid. 3.2).

4.              

4.1 En l'espèce, c'est en mangeant une salade de lentilles que le recourant dit avoir mordu sur un gravier et avoir subi une lésion dentaire.

4.2 L'intimée estime que le cas du recourant est comparable à l'affaire des petits graviers se trouvant dans une sauce aux morilles (cf. 8C_53/2016), que donc selon l'expérience générale de la vie, l'on peut s'attendre à trouver des petits cailloux dans une salade de lentilles et que dès lors, la condition de cause extérieure extraordinaire n'est pas remplie.

4.3 En l'occurrence, on ne peut suivre le raisonnement de l'intimée, lorsqu'elle compare la situation du recourant à celle de l'assuré qui s'était cassé une dent en mangeant une sauce aux morilles.

Dans cette affaire, il s'agissait de morilles provenant d'un paquet de morilles séchées, acheté en supermarché. Or, les morilles sont des champignons poussant sur le sol et il est vrai qu'il peut s'avérer difficile de les nettoyer parfaitement sans les abimer, même lorsqu'elles sont préparées pour être séchées et mises en confection.

Les lentilles, quant à elles, sont des graines provenant d'une plante potagère ramifiée, dressée entre 30 et 70 cm de haut (cf. Lentille : planter, cultiver, récolter [aujardin.info]). Elles ne poussent donc pas à même le sol, contrairement aux morilles, bien qu'il existe un risque de présence de cailloux en raison du processus de récolte des graines de lentilles (cf. Culture des lentilles en conditions biologiques [www.bioactualites.ch/cultures/grandes-cultures-bio/legumineuses-a-graines/lentilles-fr]). Ainsi, il est rare mais néanmoins possible de trouver un caillou dans un emballage de lentilles sèches.

D'ailleurs, dans une affaire zurichois UV.2018.00303 du 21 juin 2019 similaire, l'assurée s'était également cassée une dent en croquant sur un petit caillou présent dans une salade de lentille, qu'elle avait préparée elle-même après avoir cuit des lentilles sèches provenant d'un emballage acheté en supermarché. La juridiction cantonale a en particulier relevé que sur l'emballage de lentilles acheté par cette assurée figurait une mention selon laquelle, malgré un traitement soigneux, de petits cailloux et d'autres corps étrangers pouvaient occasionnellement être présents. Elle a donc estimé que, conformément à cette mention expresse, la présence d'un petit caillou ne pouvait être considéré comme un facteur extérieur extraordinaire.

Cela étant, l'affaire qui nous intéresse présente une différence essentielle, en ce sens que la salade de lentille mangée par le recourant était une salade achetée en supermarché, prête à être consommée, donc dont les produits étaient lavés, préparés et assaisonnés. Or, on ne peut pas partir du principe qu'en mangeant un tel produit – soit un plat cuisiné acheté en grande surface –, un consommateur peut s'attendre à y trouver des petits cailloux.

Cette position est d'ailleurs renforcée par le fait que, selon les photographies produites par le recourant, sur l'emballage des morilles séchées figure la mise en garde suivante : « Les champignons sont des produits naturels. En dépit des contrôles minutieux, la présence de petits cailloux ou d'autres corps étranger n'est pas exclue. », alors qu'aucune indication de ce genre ne figure sur la barquette de salade de lentilles préparée et vendue par la Coop.

Dans ces conditions, on ne peut, en l'espèce, pas partir du même postulat que pour les morilles, ni du paquet de lentilles sèches et il convient, au contraire, de se référer plutôt à la jurisprudence relative au caillou contenu dans une préparation de riz (cf. RAMA 1999 n° U 349 p. 478 s. consid. 3a).

Ainsi, dans le cas d'espèce, il convient de retenir que le gravier contenu dans la salade de lentilles consommée par le recourant, constituait bel et bien un facteur extérieur extraordinaire et que, dès lors, l'évènement du 19 avril 2022 doit être considéré comme un accident au sens de la LPGA. 

 

5.              

5.1 Partant, le recours est admis, la décision sur opposition du 11 août 2022 annulée et il est dit que l'intimée doit prendre en charge les suites de l'évènement du 19 avril 2022.

5.2 Le recourant n'étant pas représenté par un mandataire ni n'ayant allégué des frais particulièrement importants pour défendre ses droits dans le cadre de la présente procédure, aucune indemnité ne saurait lui être accordée à titre de participation à des frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

5.3 La procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA).

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 11 août 2022.

4.        Condamne l'intimée à prendre en charge les coûts relatifs aux soins dentaires du recourant rendus nécessaires par l'événement du 19 avril 2022.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le