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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1207/2021

ATAS/746/2022 du 26.08.2022 ( CHOMAG ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1207/2021 ATAS/746/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 26 août 2022

3ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié c/o M. B______, à GENÈVE

 

recourant

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI, Service juridique, rue des Gares 16, GENÈVE

 

 

 

intimé

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. Le 20 décembre 2019, Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en 1966, s’est annoncé à l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) en indiquant être domicilié chez Monsieur C______, avenue D______, à Genève.

b. Le 19 mars 2020, l'assuré a confirmé son inscription en indiquant une adresse différente de la première fois, chez Madame E______, avenue F______, à Châtelaine.

c. Relevant qu'une troisième adresse, en France, apparaissait sur des documents émanant de la caisse d'allocations familiales française, l'OCE, par courriel du 1er juillet 2020, a demandé des explications à l'assuré et lui a notamment réclamé une attestation de sous-location signée de Mme E______.

B. a. Par décision du 20 octobre 2020, l’OCE a nié à l'assuré le droit à l’indemnité de chômage dès le premier jour contrôlé, soit dès le 20 décembre 2019, en estimant qu’il n’avait pas démontré à satisfaction de droit être domicilié en Suisse.

En effet, le 19 mars 2020, l'assuré avait indiqué être domicilié chez Mme E______, à Châtelaine, alors que certains formulaires mentionnaient un domicile chez Monsieur C______, 4bis avenue D______, d'autres encore une adresse route G______, à REIGNIER ESERY, en France. Après diverses demandes d’explications, l’intéressé avait allégué loger à titre gratuit chez Madame H______, à Perly, dans un appartement de deux pièces et ne se rendre en France que pour y rencontrer ses deux enfants, âgées de 13 et 6 ans. Cependant, selon le registre de l’office cantonal de la population et des migrations (OCPM), Mme H______ vivait avec son époux, Monsieur I______. Par ailleurs, un contrat d’assurance auprès d’ASSURA mentionnait une police entrée en vigueur le 21 avril 2020 seulement.

b. Le 19 novembre 2020, l’assuré s’est opposé à cette décision en alléguant vivre en Suisse depuis de nombreuses années, n’avoir jamais vécu en France, ne s’y rendre que pour voir ses enfants, leur mère, de nationalité française, ayant refusé de le rejoindre en Suisse. Selon lui, ses seuls liens personnels avec la France seraient ses enfants. Étant d’un naturel très solitaire et ayant des difficultés à tisser des liens avec ses semblables, il n’était pas en mesure de fournir des preuves concernant le centre de ses relations personnelles. En revanche, toutes ses dépenses étaient effectuées en Suisse, ce qui démontrait que son lieu de vie était bien Genève. Tous ses emplois avaient été exercés en Suisse. Sa voiture y était immatriculée. Ses impôts y étaient payés. Il y avait souscrit une assurance-maladie et exerçait le droit de vote dans sa commune. En raison de la pénurie de logement et de sa situation financière difficile, il lui avait été difficile de trouver un logement de longue durée à Genève. Il s’était cependant toujours arrangé et n’avait jamais habité en France. À l’appui de ses dires, l'assuré produisait les extraits de son compte de chèque postal (CCP) des mois d’août à octobre 2020.

c. Par décision du 8 mars 2021, l’OCE a rejeté l’opposition.

L’OCE a considéré comme douteux l’allégation selon laquelle l’assuré ne se rendrait en France que pour participer à l’éducation de ses enfants.

Il a relevé que, selon les certificats de travail de l’assuré, celui-ci était non seulement capable d’entrer en relation avec des tiers, mais également d’entretenir des relations agréables.

Il était également douteux que l'assuré ait pu partager avec Mme H______ un logement de deux pièces l'hébergeant elle et son mari.

Enfin, l'OCE a constaté une nouvelle fois que la police d’assurance-maladie n'était entrée en vigueur que le 21 avril 2020, soit après l’inscription de l’intéressé au chômage.

C. a. Par écriture du 7 avril 2021, l’assuré a interjeté recours contre cette décision en reprenant en substance les arguments évoqués précédemment.

Il explique s'être retrouvé au chômage après avoir exercé une activité durant deux ans dans le canton de Vaud et être alors revenu à Genève. Ne pouvant plus habiter chez Mme E______, il s’est retrouvé sans domicile et a alors demandé à M. C______, un collègue, de l’héberger. Il a ensuite habité temporairement chez Mme H______ - dans son salon, qu'elle lui a mis à disposition pour y dormir -, le mari de celle-ci était en prison. C'est à REIGNIER ESERY, en France, que vivent ses enfants et leur mère, raison pour laquelle cette adresse figure sur le document émanant de la caisse d’allocations familiales française. Quant à la souscription tardive de l’assurance-maladie, le recourant l’explique par ses difficultés financières.

À l'appui de son recours, l'assuré a notamment produit :

-          une brève attestation signée le 14 septembre 2021 par M. C______, indiquant avoir permis à l'assuré d'utiliser son adresse pour la réception de sa correspondance, alors qu'il demeurait chez Mme E______, et l'avoir hébergé par moments;

-          un courriel adressé le 10 février 2021 à la caisse d'allocations familiales française par la mère de ses enfants, précisant que l'intéressé résidait en Suisse.

b. Invité à se déterminer, l’intimé, dans sa réponse du 4 mai 2021, a conclu au rejet du recours.

c. Par écriture du 30 juin 2021, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Il précise ne plus avoir de contact avec Mme E______.

Il dit avoir emménagé chez Mme H______ en juin 2020.

Il allègue avoir été affilié d'office à ASSURA par le service de l’assurance-maladie (SAM) en 2016, mais n'avoir jamais été contacté par cet assureur depuis lors.

À l’appui de ses dires, le recourant produit :

-          un courriel du 17 février 2020 adressé par son épouse à la caisse d’allocations familiales (CAF), alléguant que le père de ses enfants réside en Suisse;

-          un courrier de la CAF adressé à son épouse le 5 mars 2020, rédigé en ces termes : « de janvier 2019 à décembre 2019, vous et votre conjoint avez travaillé l’un en France et l’autre dans un pays de l’UE, l’EEE ou en Suisse. Au titre de la résidence en France de votre famille, les prestations familiales sont versées prioritairement par la caisse française »;

-          une attestation rédigée par Mme H______, non datée, confirmant qu’elle lui a permis de vivre « à titre gratuit dans son appartement »;

-          le bail de l'appartement de Mme H______, dont il ressort qu'il s'agit d'un deux pièces;

-          un contrat de sous-location concernant une chambre meublée, signé le 12 décembre 2020 entre un certain Monsieur B______, bailleur, et le recourant, pour la période du 14 décembre 2020 au 31 mars 2021 et pour un loyer de CHF 950.-.

d. Dans sa duplique du 8 juillet 2021, l’intimé a persisté dans ses conclusions.

e. Une audience de comparution personnelle s’est tenue en date du 16 septembre 2021. 

Le recourant a expliqué être arrivé en Suisse comme saisonnier en 1989 et avoir toujours vécu à Genève depuis lors. Il ne s'est pas marié avec la mère de ses deux enfants, nées en 2007 et 2014; ils n'ont jamais vécu ensemble, car ils n'ont pas de bonnes relations. Il a cependant toujours été très présent pour ses filles et les rejoint une à deux fois par semaine pour les aider dans leurs devoirs, par exemple. Lorsque la mère de ses enfants a dû s'absenter pour retourner à La Réunion, il s'est installé en France durant trois semaines (entre mai et juin 2020) pour veiller sur celle de ses filles que la mère n'avait pas emmenée avec elle.

Depuis son arrivée en Suisse, le recourant dit n'avoir jamais eu de logement propre : il a d'abord vécu à la rue Marziano, où des logements étaient mis à disposition des saisonniers, de 1989 à 1991, puis chez sa sœur, Madame J______, en 1992 et jusqu'à fin 1993, puis chez son autre sœur (demi-sœur), Madame K______, jusqu'en janvier 2016, puis chez Mme E______, une connaissance de la mère de ses enfants, très brièvement, avant de trouver du travail à Lausanne et de cohabiter durant deux ans et demi avec un collègue qui avait loué un grand appartement en colocation. S'il a gardé son adresse chez Mme E______ de 2016 à 2020, c'est à des fins purement administratives. De mai à décembre 2020, il a habité chez Mme H______, connaissance d'un collègue de travail. Enfin, il a eu les moyens de payer un logement et, depuis le 14 décembre 2020, il loge chez Monsieur B______, à qui il loue une chambre dans un grand appartement. Une autre personne loue une autre chambre en face de la sienne.

Le recourant a indiqué verser à la mère de ses enfants € 500.- par mois.

f. Le recourant a produit en date du 7 octobre 2021 :

-          le contrat de bail signé par la mère de ses enfants, Madame L______, le 24 octobre 2013 pour un logement conventionné d’environ 65 m2 de type T3, précisant que l'appartement serait occupé par l'intéressée et sa fille née en 2007 (et alors encore enfant unique);

-          le contrat de bail signé le 12 décembre 2020 entre le recourant et Monsieur B______, pour la sous-location d’une chambre meublée;

-          la preuve des paiements effectués par le recourant depuis décembre 2020 pour le loyer convenu, soit CHF 950.- par mois;

-          la preuve du versement mensuel de € 500.- à l’attention de la mère de ses enfants pour les années 2019, 2020 et 2021;

-          un courriel adressé par le SAM au recourant en date du 27 mai 2016, lui indiquant qu’il avait été affilié d’office à ASSURA à compter du 1er janvier 2016;

-          un courriel adressé au recourant par ASSURA le 24 octobre 2017, lui indiquant que son contrat d’assurance obligatoire des soins avait été radié en accord avec le SAM, de sorte qu’il ne faisait pas partie de l’effectif de leurs assurés;

-          un courriel adressé au recourant le 21 juin 2021 par le SAM, lui confirmant qu’en date du 25 janvier 2016, il avait été affilié d’office auprès d’ASSURA, mais que cette affiliation avait été suspendue le 1er janvier 2016 à la demande de l’assureur, au motif que l’assuré était introuvable à Genève; les courriers qui lui avaient été adressés avaient été systématiquement retournés par la Poste avec la mention « destinataire introuvable »; il était également précisé que, lorsque l’assuré s’était annoncé à ASSURA en avril 2020, la caisse lui avait réclamé, en plus des primes mensuelles, des pénalités pour les années sans assurance durant lesquelles l’intéressé était resté domicilié à Genève (supplément de prime prélevé sur une durée équivalent au double de la durée du retard d’affiliation, mais au maximum de 5 ans);

-          l'historique des recharges téléphoniques (prépaiement) du recourant auprès de son opérateur, de mars 2019 à juin 2020, et ses relevés téléphoniques depuis février 2020;

-          l'indication que Monsieur M______ l'aurait hébergé de 2017 à 2019, période durant laquelle l'assuré a travaillé à Lausanne.

g. Des audiences d’enquêtes se sont tenues en date du 9 décembre 2021.

h. Mme L______, mère des enfants du recourant, domiciliée à REIGNIER (France), a indiqué savoir que le recourant a vécu chez des amis ou de la famille. Il n'a vécu chez elle que trois semaines, durant la période où elle a dû se rendre à l'étranger, au chevet de sa mère malade. Sinon, il sort ses filles en fin de semaine et vient leur rendre visite une à deux fois par semaine. Leurs rapports sont réduits le plus possible. Il lui arrive de dormir à la maison lorsqu'elle est absente, à raison d'une fois par mois. Elle ne le laisse pas emmener les filles pour la nuit, puisqu'il n'a pas de logement fixe et est hébergé chez des personnes qu'elle ne connaît pas.

i. Mme E______ a indiqué avoir fait la connaissance du recourant par l'intermédiaire d'un collègue de travail. Elle a indiqué n'avoir jamais hébergé l'intéressé, dont elle a précisé qu'il ne connaissait même pas son appartement, ce que l'intéressé a admis, expliquant que le témoin l'avait juste aidé dans ses démarches administratives en le laissant utiliser son adresse pour y recevoir son courrier. À cette époque-là, il vivait chez ses sœurs, mais ne pouvait y recevoir son courrier : en raison de problèmes familiaux, celui-ci ne lui parvenait pas systématiquement.

j. M. C______ a expliqué avoir rencontré l'assuré alors qu'ils suivaient ensemble des cours du soir de technicien du bâtiment, en 2005. Tous deux s'entraidaient. Sachant que le recourant rencontrait des problèmes de logement et avait besoin d'une adresse pour recevoir son courrier, il a accepté de l'aider. Il ne lui a cependant jamais confié la clé de son logement, mais le laissait y passer de temps en temps pour prendre une douche, se faire à manger, faire une lessive, voire dormir, jamais plus d'une nuit de suite.

k. M. B______ a indiqué que le recourant avait répondu à une annonce qu'il avait fait paraître pour louer une chambre de son appartement de six pièces et qu'il était son locataire depuis le 14 décembre 2020, ce qu'a confirmé Monsieur N______, entendu à son tour et locataire d'une autre des chambres de l'appartement de M. B______ depuis août 2021.

l. Le recourant a pour sa part indiqué à la Cour de céans qu'il avait retrouvé du travail en mai 2021, de sorte que la période litigieuse s'étendait donc du 20 décembre 2019 au 30 avril 2021.

S'agissant de la période de mai à décembre 2020, le recourant a affirmé avoir été hébergé par Mme H______, dont le mari était alors en prison.

Quant à la période de décembre 2019 à avril 2020, il a affirmé avoir dormi soit dans sa voiture, soit sur des chantiers, soit chez ses frères et sœurs.

m. Les enquêtes se sont poursuivies en date du 13 janvier 2022.

n. Mme H______ a affirmé que son mari et elle avaient hébergé le recourant dans leur appartement de Perly à compter de mai 2020. La situation était compliquée : son mari devait normalement être incarcéré en janvier 2020, mais son incarcération a été repoussée et n'a d'ailleurs pas encore été exécutée; c'était une épée de Damoclès et, en février 2020, Mme H______ a appris qu'elle était enceinte. Qui plus est, son père était décédé au début de l'épidémie de COVID-19. Ce fait s'ajoutant à son état et à l'incarcération future de son mari, elle était déprimée. Le couple a alors décidé d'aller vivre chez la mère de Mme H______, laquelle dispose d'un grand appartement, avenue O______. Le mari du témoin ayant appris sur un chantier que le recourant recherchait un appartement et était dans le besoin, le couple lui a proposé son appartement et il y a emménagé en mai 2020, de sorte qu'ils n'ont jamais cohabité, puisqu'ils l'avaient déjà quitté. Le recourant les en a remerciés en effectuant les travaux nécessaires avant la résiliation du bail et en payant de sa poche toutes les fournitures; en revanche, il ne leur a versé aucun loyer. Mme H______ a accouché fin octobre 2020 et a décidé de réemménager à Perly, ce dont le recourant a été avisé en novembre 2020.

o. Madame P______, sœur du recourant, domiciliée à Annemasse (France), a déclaré que son frère, à compter de septembre 2019, avait dormi chez elle toutes les nuits, ce que le recourant a contesté, affirmant que, jusqu'en décembre 2019, il avait habité Lausanne.

p. À l’issue des enquêtes, l'intimé a indiqué être prêt à admettre un domicile en Suisse à compter de décembre 2021, date de la signature du contrat de bail avec M. B______.

Le recourant a pour sa part persisté dans ses conclusions.

q. Les autres faits seront repris - en tant que de besoin - dans la partie "en droit" du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 ss LPGA).

3.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l’intimé de nier au recourant le droit à l’indemnité de chômage, faute de domicile en Suisse et ce, jusqu'en décembre 2021, date de la signature du contrat de bail concernant une chambre dans l'appartement de M. B______, conclusion à laquelle l'intimé a indiqué pouvoir se rallier à l'issue des enquêtes.

4.             En vertu de l’art. 8 al. 1 LACI, l’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il est sans emploi ou partiellement sans emploi (let. a), s’il a subi une perte de travail à prendre en considération (let. b), s’il est domicilié en Suisse (let. c), s’il a achevé sa scolarité obligatoire, qu’il n’a pas encore atteint l’âge donnant droit à une rente d'assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS) et ne touche pas de rente de vieillesse de l’AVS (let. d), s’il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré (let. e), s’il est apte au placement (let. f) et s’il satisfait aux exigences du contrôle (let. g). Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 218 consid. 2).

Selon la jurisprudence, la notion de domicile au sens de la LACI ne correspond pas à celle du droit civil (art. 23ss CC), mais bien plutôt à celle de la résidence habituelle (cf. circulaire du Secrétariat d’État à l’économie [ci-après : SECO] sur l’indemnité de chômage (IC), état janvier 2007, B 136 dont la teneur n’a pas changé dans les directives de 2013 ; voir aussi les textes allemands et italiens de l’art. 8 al. 1er let. c LACI : « in der Schweiz wohnt », « risiede in Svizzera » ; ATF non publié 8C_270/2007 du 7 décembre 2007, consid. 2.1). Sont ainsi exigées, selon cette disposition légale, la résidence effective en Suisse, ainsi que l’intention de conserver cette résidence pendant un certain temps et d’en faire, durant cette période, le centre de ses relations personnelles (ATF 125 V 469 consid. 5).

L’entrée en vigueur de la LPGA n’a pas modifié cette pratique, dès lors que la notion de domicile inscrite à l’art. 13 al. 1er LPGA ne trouve pas application en matière d’assurance-chômage et ce, même si la LACI ne contient de dérogation expresse qu’à l’égard des étrangers habitant en Suisse (ATAS/726/2008 consid. 4). En particulier, le principe prévu par l’art. 24 al. 1er CC, selon lequel toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu’elle ne s’en est pas créée un nouveau, n’entre pas en ligne de compte pour l’application de l’art. 8 al. 1 let. c LACI (ATF non publié C 121/02 du 9 avril 2003 consid. 2.2).

Pour avoir droit à l'indemnité, l'assuré doit remplir cette condition du « domicile » en Suisse non seulement à l'ouverture du délai-cadre mais pendant tout le temps où il touche l'indemnité (Gustavo SCARTAZZINI, Marc HURZELER, Bundessozial-versicherungsrecht, 4ème éd., 2012, p. 599, n. 59 et les références citées). Cette exigence essentielle est l’expression de l’interdiction de l’exportation des indemnités de chômage, principe instauré pour prévenir les abus. Ce dernier terme doit être compris en ce sens que la vérification et les conditions du droit aux prestations, en particulier l’existence d’une situation de chômage, est rendue plus difficile lorsque l’assuré réside à l’étranger (arrêt du Tribunal fédéral C 226/02 du 26 mai 2003, consid. 1.1; Thomas NUSSBAUMER in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht, Soziale Sicherheit, vol. XIV, 2ème éd., 2007, p. 2233, n. 180).

Dans la mesure où la résidence suppose un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits, l’occupation d’un studio une à deux fois par semaine – le reste du temps étant passé à l’étranger – ne suffit pas à établir une résidence effective en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral C 226/02 du 26 mai 2003 ; Boris RUBIN, Assurance-chômage, 2ème éd., 2006, p. 173). De même un séjour tout à fait éphémère ou de pur hasard, ainsi qu’un pied-à-terre destiné uniquement à la recherche d’un emploi, ne sont pas assimilables à une résidence. Cela étant, un séjour prolongé et permanent n’est pas indispensable (arrêt du Tribunal fédéral 8C_270/2007 du 7 décembre 2007 consid. 2.2 et 3.1). Si tel n’était pas le cas, certaines personnes se trouveraient dépourvues de résidence et, partant, privées de domicile (Boris RUBIN, ibidem). Ainsi, en cas de séjour tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, la résidence est là où les liens sont les plus forts (ATF 87 II 7 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral C 153/03 du 22 septembre 2003). Le fait d’avoir une adresse officielle en Suisse et d’y payer ses impôts n’est pas déterminant si d’autres indices permettent de conclure à l’existence d’une résidence habituelle à l’étranger (arrêt du Tribunal fédéral C 149/01 du 13 mars 2002 consid. 3).

Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que l’assuré, qui loge une partie de la semaine à Genève dans un pied-à-terre de dimensions modestes ne lui permettant pas d’accueillir sa famille, afin de conserver une adresse en Suisse pour bénéficier de la qualité de résident sur territoire helvétique, mais réside la plupart du temps en France voisine avec ses trois enfants qui y sont régulièrement scolarisés, dont il a la garde et sur lesquels il exerce l'autorité parentale, a le centre de ses intérêts personnels en France dès lors qu’il y bénéficie de diverses prestations sociales (revenu minimum d'insertion, allocation de soutien familial, aide au logement ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_777/2010 du 20 juin 2011). Dans un arrêt plus récent, le Tribunal fédéral a précisé qu’à lui seul, l’existence d’un centre de relations personnelles n’est pas déterminant. Il faut bien plutôt accorder un poids décisif au fait que la famille réside dans une villa en France (arrêt du Tribunal fédéral 8C_245/2016 du 19 janvier 2017 consid. 4.1).

Le domicile fiscal, le lieu où les papiers d’identité et autres documents officiels ont été déposés (déclaration d’arrivée), ainsi que d’éventuelles indications dans des documents officiels ou des décisions judiciaires ne sont que des indices permettant de déterminer le lieu du domicile (ATF 136 II 405 consid. 4.3, p. 410 ; arrêt du Tribunal fédéral du 13 mars 2002 [C 149/01]). Pour pouvoir localiser le centre des intérêts personnels, il convient notamment de chercher à savoir où se trouvent la famille, les amis, les activités professionnelles et sociales, le logement, le mobilier et les affaires personnelles. Une visite des lieux est parfois indispensable (art. 12 let. d PA). Par ailleurs, le lieu où les enfants sont scolarisés joue un rôle. Le droit à des prestations sociales nécessite souvent d’être domicilié dans le pays qui les verse, de sorte que cet aspect doit également être pris en compte (DTA 2012 consid. 3.3, p. 74 ; Boris RUBIN, Commentaires sur la loi sur l’assurance-chômage, 2014, p. 78).

5.              

5.1 La procédure est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge, mais ce principe n’est pas absolu, sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire (art. 61 let. c LPGA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 125 V 195 consid. 2 et les références citées; cf. ATF 130 I 183 consid. 3.2). Le devoir du juge de constater les faits pertinents ne dispense donc pas les parties de collaborer à l’administration des preuves en donnant des indications sur les faits de la cause ou en désignant des moyens de preuve (ATF 130 I 184 consid. 3.2 ; ATF 128 III 411 consid. 3.2).

Autrement dit, si la maxime inquisitoire dispense les parties de l’obligation de prouver, elle ne les libère pas du fardeau de la preuve. En cas d’absence de preuve, c’est à la partie qui voulait en déduire un droit d’en supporter les conséquences (ATF 117 V 264 consid. 3), sauf si l’impossibilité de prouver un fait peut être imputée à son adverse partie (ATF 124 V 375 consid. 3).

5.2 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 360 consid. 5b ; ATF 125 V 195 consid. 2 et les références citées ; cf. ATF 130 III 324 consid. 3.2 et 3.3). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 322 consid. 5a).

6.             En l’espèce, l’OCE a considéré que le recourant n’était pas domicilié en Suisse au moment de sa demande de prestations de l’assurance-chômage, en décembre 2019, ce que celui-ci conteste. En revanche, à l'issue des enquêtes, l'intimé a admis l'existence d'un domicile en Suisse à compter de décembre 2020, date à partir de laquelle il a pu être établi que le recourant a occupé une chambre dans l'appartement de M. B______. Seule reste donc litigieuse à ce stade la période de décembre 2019 – date de dépôt de la demande d'indemnisation – à novembre 2020 – l'assuré ayant retrouvé un emploi en mai 2021.

6.1 Il ressort de l’extrait de l’OCPM que le recourant a été domicilié en Suisse, à Genève, depuis 1989. En décembre 2019, date à laquelle il s'est annoncé à l'assurance-chômage, il était formellement domicilié chez Mme E______, à Vernier et ce, depuis le 26 janvier 2016. Il l'est resté jusqu'au 14 mai 2020, date à laquelle son domicile a été transféré chez Mme H______, où il est demeuré jusqu'au 14 décembre 2020, date à compter de laquelle le recourant a loué une chambre chez M. B______, ce qui a été dûment établi par les enquêtes et n'est plus contesté.

Comme exposé ci-avant, le fait d’avoir une adresse officielle en Suisse n’est pas déterminant si d’autres incidences permettent de conclure à l’existence d’une résidence habituelle à l’étranger.

En l'occurrence, l'intimé doute de la réalité du domicile en Suisse du recourant avant décembre 2020. Il note que les deux filles de l'intéressé résident en France avec leur mère et que plusieurs adresses différentes ont été indiquées par l'assuré. S'y ajoute le fait que celui-ci n'a conclu un contrat d'assurance obligatoire des soins qu'en date du 21 avril 2020.

Le recourant a expliqué n'avoir jamais cohabité avec ses filles et leur mère, parce que les relations avec cette dernière sont difficiles, propos corroborés par Mme L______. Il fait remarquer qu'il a toujours travaillé en Suisse. Il allègue que c'est en raison de la pénurie de logements et de sa situation financière difficile, qu'il lui avait été difficile de trouver un logement de longue durée à Genève, mais affirme qu'il s'est cependant toujours arrangé et n'a jamais habité en France.

6.2 S’agissant de la période de décembre 2019 à mi-mai 2020, durant laquelle l'intéressé était formellement domicilié chez Mme E______, il convient de relever ce qui suit.

Lors de sa première audition, le recourant a allégué qu'après avoir exercé une activité durant deux ans dans le canton de Vaud, il s'était retrouvé au chômage et était "revenu à Genève". Ne pouvant plus habiter chez Mme E______, il s’était retrouvé sans domicile et avait alors demandé à M. C______, un collègue, de l’héberger.

La suite des enquêtes a toutefois permis d'établir, à l'audition de Mme E______, que cette dernière n'avait jamais hébergé l'assuré, qui n'avait même jamais pénétré dans son appartement. Elle avait simplement accepté de lui fournir une adresse de complaisance pour y recevoir son courrier, propos que le recourant a confirmé.

De même, il a été établi que le recourant n'avait pas séjourné durablement chez M. C______, qui, s'il lui avait également permis d'utiliser son adresse, voire, parfois, sa cuisine, sa salle de bains et son salon, ne lui a jamais confié ses clés, pas plus qu'il ne lui a permis de dormir chez lui plusieurs nuits d'affilée.

Dans ses écritures, le recourant a également allégué avoir été hébergé, de 2017 à 2019, par un certain M. M______. Cependant, la consultation du registre de l'OCPM n'a pas permis de retrouver cette personne. Le recourant n'a pas non plus produit la moindre pièce prouvant le versement d'un loyer quelconque à M. M______, dont il affirme pourtant avoir partagé l'appartement en colocation (logement dont il n'a par ailleurs jamais indiqué l'adresse). Ces allégations apparaissent pour le moins confuses et douteuses, d'autant plus que, si le recourant avait réellement partagé une colocation, il n'aurait alors pas eu besoin de faire appel à M. C______ et Mme E______ pour recevoir son courrier. On rappellera enfin que, lors de la seconde audience, le recourant a une nouvelle fois changé de version des faits, affirmant que, de décembre 2019 à avril 2020, il avait dormi soit dans sa voiture, soit sur des chantiers, soit chez ses frères et sœurs, propos corroborés par sa sœur, Mme P______, domiciliée à Annemasse, qui a déclaré que son frère, à compter de septembre 2019, avait dormi chez elle toutes les nuits, ce que le recourant a contesté.

Eu égard aux considérations qui précèdent, auxquelles s'ajoute le fait que, durant toute la période considérée, les efforts de l'assureur-maladie pour contacter le recourant sont restés vains, force est de constater que l'existence d'un domicile en Suisse pour la période considérée n'a pu être établie au degré de la vraisemblance prépondérante requis. Il semble plus probable que le recourant, durant ce laps de temps, ait dormi chez sa sœur, en France. C'est dès lors à juste titre que l'intimé lui a nié le droit aux prestations pour cette période.

6.2.1 Il en va différemment de la période du 14 mai 2020 au 14 décembre 2021, durant laquelle l'assuré a été formellement domicilié chez Mme H______, domicile dont l'intimé a mis en doute la réalité, au motif que l'appartement était trop petit pour que puissent y cohabiter le recourant et un couple.

La Cour ne partage pas le scepticisme de l'intimé. En effet, les enquêtes ont permis d'établir que le recourant a bel et bien occupé l'appartement du couple, lequel était alors allé vivre chez la mère de Mme H______. Les explications fournies par cette dernière sous la foi du serment apparaissent convaincantes et crédibles. On notera également que si les allégations du recourant ont été fluctuantes et confuses concernant la période antérieure à mai 2020, elles n'ont pas varié dans le temps pour la période postérieure. La Cour relève enfin que c'est précisément en avril 2020, soit à cette même période, que le recourant s'est enfin affilié à l'assurance obligatoire des soins.

7.             Sur la base de l’ensemble des éléments qui précèdent, en particulier l’instruction diligentée par la Cour de céans, il convient de retenir que si c'est à juste titre que l'intimé a nié au recourant le droit à l'indemnité au moment de son inscription, en décembre 2019, il a pu être démontré, au degré de vraisemblance prépondérante requis, que l'intéressé a résidé principalement à Genève, où il avait l'intention de s'établir et de créer son centre de vie, à compter du 14 mai 2020, date à partir de laquelle il a rempli la condition du domicile de l’art. 8 al. 1 let. c LACI.

Le recours doit en conséquence être partiellement admis en ce sens et le dossier renvoyé à l'intimé pour examen des autres conditions d'indemnisation et nouvelle décision portant sur la période de mai 2020 à avril 2021.

8.             Le recourant plaidant en personne et n'ayant pas fait état de frais particuliers et importants engagés pour la défense de ses intérêts, il n'y a pas lieu de lui allouer une indemnité de procédure, en dépit du fait qu'il obtient gain de cause (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA).

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement au sens des considérants.

3.        Dit que l'existence d'un domicile en Suisse doit être admise à compter de mai 2020.

4.        Renvoie la cause à l'intimé pour examen des autres conditions du droit à l'indemnisation concernant la période de mai 2020 à avril 2021 et nouvelle décision.

5.        Rejette le recours pour le surplus.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie-Catherine SECHAUD

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le