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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1986/2021

ATAS/122/2022 du 15.02.2022 ( AVS ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1986/2021 ATAS/122/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 février 2022

15ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié au Portugal, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Pierre GABUS

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, sise rue des Gares 12, GENÈVE

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. La société B______ SA (ci-après : la société) qui avait pour but, selon l'inscription au registre du commerce (ci-après : RC) de Genève, toute activité de nettoyage et d'entretien de bureaux et de locaux professionnels, commerce, importation et exportation, courtage et représentation en matières premières, de matériaux et de produits, acquisition et exploitation de brevets, participation à d'autres entreprises, acquisition, exploitation et vente d'immeubles, a été créée en 1994 sous la raison sociale C______ SA. Elle est devenue, en 2009, B______ SA.

b. À teneur de l'extrait du RC, par jugement du Tribunal de première instance (ci-après : TPI) du 15 mai 2019, la faillite de la société a été prononcée et la société a été dissoute par voie de faillite. L'état de collocation a été publié le 5 novembre 2019. La procédure de faillite a été clôturée par jugement du 9 janvier 2020 et la société a été radiée d'office le 13 janvier 2020.

c. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1949, a été administrateur avec signature individuelle de la société, notamment durant la période du 17 mai 2013 au 22 mars 2017, date à partir de laquelle Monsieur D______ en est devenu administrateur avec signature individuelle, selon son inscription au RC. Le 21 décembre 2017, Messieurs E______ et F______ en sont également devenus administrateurs avec signature collective à deux aux côtés de M. D______.

d. La société était affiliée en qualité d'employeur à la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse ou l’intimée) du 1er octobre 1994 au 31 mai 2019.

e. Selon l’extrait de compte des cotisations sociales de la société concernant la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, la société n'a payé qu'une partie des charges sociales dues pour ces deux années, soit CHF 20'282.40 en 2015 sur les salaires versés (CHF 275'059.45), laissant un montant de CHF 20'297.- en souffrance, et CHF 2'628.55 en 2016 sur les salaires versés (CHF 259'487.60), laissant un montant de CHF 36'247.95 en souffrance. Des frais de sommations, des intérêts moratoires et des frais de poursuites se sont ajoutés à la dette de cotisations de ces années à hauteur de CHF 7'368.65 en 2015 et de CHF 4'236.05 en 2016. En fin de compte, la société était débitrice pour ces deux années d'un montant total de CHF 24'071.-, intérêts moratoires, frais de sommations et de poursuites inclus en faveur de la caisse.

B. a. Par décision du 1er mars 2021, la caisse a sollicité de l'assuré le paiement de CHF 24'071.- pour les années 2015 et 2016, en précisant que MM. D______, E______ et F______ étaient solidairement responsables de cette dette.

b. Par courrier du 24 mars 2021, l'assuré a formé opposition contre cette décision, au motif qu'il n'était pas responsable du dommage subi par la caisse dans la mesure où il avait cédé l'intégralité des actions de sa société à M. D______ par contrat du mois de mars 2017 et que ce dernier avait repris à son compte toutes les dettes de la société. Dans un contrat de « vente et d'achat d'actions » signé par les précités, l'assuré a cédé à M. D______ l'intégralité du capital-actions de la société d'un montant de CHF 100'000.-, composé de 500 actions de CHF 200.- au porteur entièrement libérées. L'acheteur s'engageait « non pas à payer un prix comme valeur de vente mais à honorer toutes les créances dues par la société - non par personnellement - mais par la société ». L'acheteur s'engageait « à payer au fur et à mesure quand la liquidité le permet[trait] dans la société - les factures en souffrance ». Le contrat portait la mention suivante : « la société n'est pas l'objet de procédure de faillite ou de procédures similaires ou de décision de dissolution, il n'existe pas à la date de la signature des poursuites et comminations de faillite - ces dernières étant en suspens et au bénéfice de plans de paiements ».

c. Par décision sur opposition du 17 mai 2021, la caisse a confirmé sa décision en exposant qu'en sa qualité d'administrateur, durant la période litigieuse, l'assuré a violé ses obligations de payer les cotisations sociales des employés de l'entreprise, en rappelant que le contrat conclu entre l'assuré et le repreneur ne lui était pas opposable.

C. a. Par acte du 8 juin 2021, l'assuré a recouru contre cette décision devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à ce qu'il soit libéré de toute responsabilité à l'égard de la caisse pour le paiement des cotisations sociales. Compte tenu de la reprise de dettes convenue le 22 mars 2017, il ne s'estimait plus responsable des dettes de la société, ni solidairement responsable, au-delà de trois ans après ladite reprise, soit dès le 22 mars 2020. Par ailleurs, il n'avait pas commis de négligence dans la gestion de la société, mais au contraire, avait cherché des arrangements de paiements des dettes sociales et ne pouvait répondre des actes du repreneur après le 22 mars 2017. Le recourant conteste, pour le surplus, le dommage de la caisse, celle-ci pouvant encore faire des démarches pour recouvrer le montant dû auprès de M. D______.

b. Par réponse du 8 juillet 2021, la caisse a conclu au rejet du recours en réitérant les arguments exposés dans sa décision. Pour le surplus, sa créance n'était pas prescrite dans la mesure où elle avait agi en réparation moins d'un an après le prononcé de la faillite.

c. Par lignes du 19 juillet 2021, le recourant a répliqué en s’en remettant à justice quant à la question de l'éventuelle prescription de la créance de l'intimée et en reprenant les arguments déjà développés dans l'opposition et le recours.

d. L'intimée a dupliqué le 23 août 2021 en reprenant elle aussi ses précédents arguments et ajoutant que les conditions de l'art. 181 CO n'étaient pas remplies dans la mesure où le contrat réglait les obligations internes des cocontractants et non envers la caisse, qui n'avait pas été informée d'une cession-acquisition, laquelle n'avait pas été publiée conformément à la loi. Le recourant confondait les cotisations paritaires sur la base desquelles était chiffré le dommage et l'action en responsabilité contre l'administrateur fondée sur l'art. 41 CO, la créance ne pouvant plus être encaissée par la caisse, compte tenu de la disparition de la personne morale.

e. Le 3 septembre 2021, le recourant a adressé des observations à la CJCAS en soutenant que le contrat de reprise de dettes devait être considéré comme une cession de patrimoine au sens de l'art. 181 CO, de sorte que le repreneur était seul responsable des dettes de la société, le recourant étant resté solidairement responsable que jusqu'au 22 mars 2020. La cession avait été valablement communiquée aux créanciers, dont la caisse, par l'inscription du repreneur dans le RC.

f. Les parties ont été informées que la cause serait gardée à juger dès le 15 septembre 2021.

g. Par pli envoyé le 15 septembre 2021, l'intimée a fait parvenir des observations à la chambre de céans en l'informant du fait que le recourant faisait l'objet de deux procédures de réparation du dommage subi par la caisse, pour deux sociétés tombées en faillite. Une première décision de réparation du dommage était en force et en procédure d'encaissement, le recourant refusant cependant de collaborer. Les acheteurs de la société avaient déclaré que le recourant leur avait caché la réelle situation financière de ses sociétés. L'intimée produisait un procès-verbal de Monsieur G______ pour démontrer que l'assuré avait caché à cet homme la situation de sa société H______ Sàrl (en faillite le 14 février 2019) et un courrier de M. D______. L'intimée informait en outre la CJCAS qu'elle engageait désormais des démarches pour dénoncer les agissements pénalement répréhensibles du recourant. Par ailleurs, l'art. 181 al. 4 CO renvoie à la loi fédérale sur les fusions et acquisitions en cas de reprise des actifs et passifs d'une société inscrite au RC et, en particulier à son art. 26, qui rappelle que la limitation de responsabilité personnelle ne s'applique pas aux associés qui assument une responsabilité personnelle pour les dettes de la société reprenante. Aussi, même en cas d'application de l'art. 181 CO, le recourant serait responsable. Dans ce dernier cas, la créance en réparation était devenue exigible au plus tôt à la date de la publication de l'état de collocation le 5 novembre 2019, de sorte que l'intimée pouvait agir en réparation du dommage jusqu'au 5 novembre 2022.

h. Le 1er octobre 2021, le recourant a conclu à l'irrecevabilité de la dernière écriture reçue par la CJCAS le 16 septembre 2021, soit après que la cause avait été gardée à juger le 15 septembre 2021.

i. La CJCAS a admis la recevabilité des observations envoyées par l’intimée le 15 septembre 2021 et a accordé un délai au recourant pour d'éventuelles observations, lequel a adressé un courrier à la CJCAS le 22 octobre 2021. Selon lui, aucune décision en réparation du dommage était en force. Il affirmait n'avoir pas caché la situation de sa société lors de sa vente. Il fallait écarter du dossier les pièces produites par la caisse. Sa société n'avait pas fusionné, seul l'art. 181 CO s'appliquait. Si les actions en réparation de la caisse ne semblaient certes pas prescrites, le recourant était néanmoins entièrement libéré des dettes de la société dès le 22 mars 2020.

j. Les parties ont été informées que la cause était gardée à juger le 25 octobre 2021.

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce, quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

La société étant domiciliée dans le canton de Genève jusqu'au moment de sa faillite, la chambre de céans est compétente ratione materiae et loci pour juger du cas d’espèce.

1.3 La LPGA est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'AVS, notamment en ce qui concerne l'art. 52 LAVS. Désormais, la responsabilité de l'employeur y est réglée de manière plus détaillée qu'auparavant et les art. 81 et 82 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101) ont été abrogés.

Il faut toutefois préciser que le nouveau droit n'a fait que reprendre textuellement, à l'art. 52 al. 1 LAVS, le principe de la responsabilité de l'employeur figurant à l'art. 52 aLAVS, la seule différence portant sur la désignation de la caisse de compensation, désormais appelée assurance. Les principes dégagés par la jurisprudence sur les conditions de droit matériel de la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 aLAVS (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2002) restent par ailleurs valables sous l'empire des modifications introduites par la LPGA (ATF 129 V 11, consid. 3.5 et 3.6).

Il convient de rappeler que, sur le plan matériel, sont en principe applicables les règles de droit en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 129 V 1 consid. 1 ; ATF 127 V 467 consid. 1 et les références).

Ainsi, dès lors que les périodes de cotisations pertinentes et la décision litigieuse sont postérieures au 1er janvier 2003, le cas d'espèce est régi par le nouveau droit. Interjeté dans les formes et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 38 et 56 à 61 LPGA).

2.             Le litige porte sur la responsabilité du recourant pour le défaut de paiement des cotisations sociales (à l'assurance-vieillesse et survivants [ci-après : AVS], l'assurance-invalidité [ci-après : AI], les allocations pour perte de gain [ci-après : APG], l'assurance chômage [ci-après : AC], l'assurance-maternité [ci-après : AMat] et les allocations familiales [ci-après : AF]) entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2016.

3.              

3.1 L'art. 14 al. 1 LAVS en corrélation avec les art. 34 et suivants RAVS prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur, qui ne s'acquitte pas de cette tâche, commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 118 V 193 consid. 2a).

3.2 À teneur de l'art. 52 LAVS, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation (al. 1). Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). L’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du Code des obligations sur les actes illicites (al. 3 nouvelle teneur depuis le 1er janvier 2020). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).

La nouvelle teneur de l'art. 52 al. 2 LAVS codifie la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATAS/610/2013 du 18 juin 2013, consid. 4a).

3.3 À titre liminaire, il convient d'examiner si la prétention de l'intimée est prescrite.

3.4 Avec l'entrée en vigueur de la LPGA au 1er janvier 2003, l'art. 82 RAVS a été abrogé. Depuis lors et jusqu'au 31 décembre 2019, un art. 52 LAVS (introduit par le chiffre 7 de l'annexe à la LPGA) prévoyait à son al. 3 que le droit à réparation était prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais pouvaient être interrompus et l'employeur pouvait renoncer à s'en prévaloir. Il s'agissait de délais de prescription, non de péremption, comme cela ressortait du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (cf. SVR 2005 AHV n° 15, p. 49, consid. 5.1.2 ; FF 1994 V 964 ss, 1999, p. 4422).

L'art. 52 al. 3 LAVS a été modifié et prévoit que l’action en réparation du dommage se prescrit désormais conformément aux dispositions du Code des obligations sur les actes illicites (nouvelle teneur selon l’annexe chiffre 21 de la LF du 15 juin 2018 [Révision du droit de la prescription], en vigueur depuis le 1er janvier 2020 [RO 2018 5343 ; FF 2014 221]). Ainsi, le délai de prescription relatif a été porté de deux à trois ans et le délai de prescription absolu de cinq à dix ans. De plus, la prescription plus longue de l’action pénale visée à l’art. 60 al. 2 CO est applicable.

3.5 Lorsque le précédent art. 52 al. 3 LAVS est entré en vigueur, le Tribunal fédéral avait relevé que la LPGA ne contenait pas de disposition transitoire relative aux délais de péremption et de prescription prévus par l'ancien art. 82 RAVS et l'art. 52 al. 3 LAVS et rappelant que dans un arrêt du 27 septembre 2005 (ATF 131 V 425), le Tribunal fédéral des assurances avait jugé que les prétentions en dommages-intérêts qui n'étaient pas encore périmées au 1er janvier 2003 étaient assujetties aux règles de prescription de l'art. 52 al. 3 LAVS qui étaient entrées en vigueur à ce moment-là (ATF 131 V 425 consid. 5.1 et 5.2), confirmant ainsi le bien-fondé de la pratique administrative (ch. 7057.1 des directives de l'Office fédéral des assurances sociales [ci-après : OFAS] sur la perception des cotisations ; ATF 134 V 353 consid. 4).

3.6 En l'occurrence, en se fondant sur ce qui précède et faute de disposition transitoire en matière de prescription, le nouvel art. 52 al. 3 LAVS est applicable aux prétentions en dommages-intérêts qui ne sont pas encore périmées au 1er janvier 2020, ce qui est le cas en l'espèce.

Les délais prévus par le Code des obligations sont des délais de prescription. Le délai de prescription de trois ans commence à courir dès le jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage, ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé.

3.7 Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et employés ou ouvriers) dues par l'employeur, les contributions aux frais d'administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations - DP, ch. 8017).

Le dommage survient dès que l'on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 193 consid. 2.2 ; ATF 126 V 443 consid. 3a ; ATF 121 III 382 consid. 3bb ; ATF 121 III 386 consid. 3a). Ainsi, en matière de cotisations, un dommage se produit au sens de l'art. 52 LAVS lorsque l'employeur ne déclare pas à l'AVS tout ou partie des salaires qu'il verse à ses employés et que, notamment, les cotisations correspondantes se trouvent ultérieurement frappées de péremption selon l'art. 16 al. 1 LAVS. Dans un tel cas, le dommage est réputé survenu au moment de l'avènement de la péremption (ATF 112 V 156 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 35/06 du 4 octobre 2006 consid. 6).

Un dommage se produit également en cas de faillite, en raison de l'impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu le jour de la faillite (ATF 129 V 193 consid. 2.2).

3.8 S'agissant des actes interruptifs de prescription, il sied de retenir ce qui suit.

Tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138 al. 1 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse - CO, Code des obligations - RS 220). Cette notion d'acte judiciaire des parties doit être interprétée largement tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l'inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d'une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l'instance (ATF 130 III 202 consid. 3.2). Par ailleurs, tant la décision que l'opposition interrompent le délai de prescription de deux ans (respectivement de trois ans selon le droit en vigueur dès le 1er janvier 2020) et font courir un nouveau délai de même durée (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2).

3.9 En l'espèce, lors de l'entrée en vigueur de l'actuel al. 3 de l'art. 52 LAVS le 1er janvier 2020, les prétentions en dommages-intérêts de la caisse n'étaient pas encore périmées. En effet, le dies a quo du délai de prescription (dès la connaissance du dommage) avait commencé à courir, au plus tôt, au moment de la faillite de la société le 15 mai 2019, soit moins d'un an avant l'entrée en vigueur de l'actuel art. 52 al. 3 LAVS. Aussi dès l'entrée en vigueur de cette disposition, les délais de prescription relatif et absolu de trois et dix ans s'appliquaient au cas d'espèce. La créance en réparation du dommage se rapportant aux cotisations paritaires impayées pour la période litigieuse du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016 ne pas pouvait pas se prescrire avant le 15 mai 2022. La prescription n'était donc pas acquise le 1er mars 2021, date de la décision en réparation du dommage.

L'action en réparation du dommage n'étant pas prescrite, il convient à présent d'examiner si les autres conditions de la responsabilité de l'art. 52 LAVS sont réalisées, à savoir si le recourant, dont la qualité d'employeur tenu de verser des cotisations sociales n'est pas contestée, a commis une faute ou une négligence grave, s'il existe un lien de causalité adéquate entre son comportement et le dommage causé à l'intimée et s'il peut être tenu pour responsable de la dette malgré le contrat qu'il a signé le 22 mars 2017, au vu des griefs qu'il fait valoir à ce sujet.

4.              

4.1 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

4.2 La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).

4.3 Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations - DP, no 8016 et 8017). Les éventuelles amendes prononcées par la caisse de compensation ne font pas partie du dommage et doivent, le cas échéant, être déduites (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 142/03 du 19 août 2003 consid. 5.5).

4.4 Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave, l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189).

4.5 La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

4.6 Concernant une société anonyme, dont l'administration est confiée à une seule personne, la jurisprudence se montre d'autant plus sévère car on peut en règle générale exiger de celle-ci - dans la mesure où elle assume à elle seule l'administration de la société en sa qualité d'organe - qu'elle contrôle toutes les activités importantes de l'entreprise et cela quand bien même elle a confié l'essentiel de la gestion à un tiers. Par cette délégation de compétence, elle ne peut en même temps se décharger de sa responsabilité d'administrateur unique. Dans les entreprises de petite taille et de grandeur moyenne, le devoir de surveillance concernant l'accomplissement de l'obligation légale de payer des cotisations ne saurait être abandonné à des tiers (arrêt du Tribunal fédéral 9C_437/2009 du 16 avril 2010 consid. 2.2).

4.7 Celui qui appartient au conseil d'administration d'une société et qui ne veille pas au versement des cotisations courantes et à l'acquittement des cotisations arriérées est réputé manquer à ses devoirs (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/03 du 30 novembre 2004 consid. 7.3.1, in SJ 2005 I 272 consid. 7.3.1).

4.8 La responsabilité d'un administrateur dure en règle générale jusqu'au moment où il quitte effectivement le conseil d'administration et non pas jusqu'à la date où son nom est radié du RC. Cette règle vaut pour tous les cas où les démissionnaires n'exercent plus d'influence sur la marche des affaires et ne reçoivent plus de rémunération pour leur mandat d'administrateur (ATF 126 V 61 consid. 4a). En d'autres termes, un administrateur ne peut être tenu pour responsable que du dommage résultant du non-paiement de cotisations qui sont venues à échéance et auraient dû être versées entre le jour de son entrée effective au conseil d'administration et celui où il a quitté effectivement ces fonctions, soit pendant la durée où il a exercé une influence sur la marche des affaires. Demeurent réservés les cas où le dommage résulte d'actes qui ne déploient leurs effets qu'après le départ du conseil d'administration (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 263/02 du 6 février 2003 consid. 3.2).

4.9 La responsabilité instituée par l'art. 52 LAVS est le corollaire des obligations que l'employeur - c'est-à-dire celui qui verse à des personnes obligatoirement assurées une rémunération au sens de l'art. 5 al. 2 LAVS (cf. art. 12 al. 1 LAVS) - assume, notamment en matière de perception des cotisations et de versement des prestations. En matière de cotisations, l'employeur responsable ne peut donc être que la personne (physique ou morale) qui était chargée, en tant qu'organe d'exécution de la loi, de la perception des cotisations et du règlement des comptes, conformément à l'article 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les articles 34 ss RAVS. Dans ces conditions, la société qui reprend une entreprise avec actifs et passifs, n'encourt aucune responsabilité, au sens de l'article 52 LAVS, pour le dommage résultant du non-paiement d'une dette de cotisations sociales de cette entreprise. L'obligation légale de perception des cotisations et de règlement des comptes, ainsi que la responsabilité qui en découle, incombent exclusivement à l'ancien employeur. Si cet employeur est une société et entre en liquidation, ses organes peuvent être recherchés en responsabilité, à titre subsidiaire (ATF 119 V 389 ; ATF 112 V 152, cités dans l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 87/04 du 22 juin 2005 consid. 4.2.2 ; cf. également l'ATF 136 V 268 consid. 2.6).

4.10 La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

5.             En l'espèce, en sa qualité d'administrateur unique de la société jusqu'au 22 mars 2017, le recourant était le seul employeur au regard de l'assurance-vieillesse et survivants tenu de verser l'intégralité des cotisations sociales. Il n'a payé qu'une partie desdites cotisations et a endetté sa société à hauteur de CHF 24'071.- pour les seules années 2015 et 2016. Le recourant avait le devoir de veiller à ce que la société règle, sans délai, la totalité des cotisations sociales dues en 2015, puis en 2016, ce qu'il n'a pas fait, laissant s'ajouter à la dette, des frais de sommation, de poursuites et des intérêts moratoires. Force est de constater qu'en 2015 et 2016, le recourant a soustrait la société, en partie, à son obligation de cotiser, cette dernière ayant versé des salaires sur lesquels ses ressources financières ne permettaient pas de prélever les cotisations paritaires. En laissant les cotisations de 2015 et 2016 en souffrance, le recourant a agi avec négligence. Le fait qu'il ait partiellement payé les cotisations et sollicité, comme il l'allègue, des délais de paiement n'était pas suffisant puisque le solde des arriérés de cotisations s'élevait encore à CHF 24'071.- au moment de son départ de la société.

Lorsque le recourant a cédé les actions de sa société à un tiers, contre reprise des dettes de celle-ci, la dette envers l'intimée existait déjà. Le fait de céder cette dette notamment ou son patrimoine, comme le recourant l'allègue, ne constituait pas un acte de diligence, et ce d'autant moins que le contrat ne garantissait pas que le repreneur solderait les dettes à la conclusion du contrat, mais uniquement qu'il s'acquitterait des factures en souffrance au gré des moyens de la société. Le recourant savait que la société n'était pas capable de payer ses dettes. À cet égard, le recourant a lui-même indiqué dans le contrat que la faillite était en suspens. Le recourant ne peut dès lors pas être suivi lorsqu'il soutient qu'il n'a pas été négligent dans la gestion de la société. La conclusion du contrat de vente d'actions, soit la reprise de dettes telle qu'elle a été convenue ou le transfert des actifs et passifs de la société, ne pouvait au demeurant pas permettre au recourant de s'exonérer de sa responsabilité d'administrateur et d'employeur au sens de l'art. 52 LAVS et de sa propre dette fondée sur du droit public, compte tenu de la loi et de la jurisprudence rappelée ci-dessus.

Le recourant a fait supporter le risque inhérent au financement d'une entreprise par l'assurance sociale et commis de la sorte une négligence grave au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS (cf. ATF 108 V 189, consid. 4, p. 196).

Par son comportement, le recourant a causé un dommage à l'intimée, dont il est responsable sur la base de l'art. 52 LAVS. Sa faute est la cause primaire de la perte des cotisations. La créance de cette dernière n'était plus recouvrable dès le prononcé de la faillite de la société. Le recourant ne peut dès lors pas contester l'existence du dommage. La quotité du dommage, soit CHF 24'071.- (comprenant, à juste titre, les cotisations, frais de poursuite et intérêts moratoires), est corroborée par les pièces au dossier. La créance en dommages-intérêts de l'intimée n'est née qu'avec l'ouverture de la faillite de la société, de sorte que c'est à raison que l'intimée a recherché le recourant en lui notifiant une décision le 1er mars 2020. Ce n'est, comme on l'a vu ci-dessus, qu'au moment de la faillite que le délai de prescription de trois ans a commencé à courir, délai qui a été largement respecté.

Le recourant ne saurait davantage être suivi quand il prétend qu'il ne répondait plus solidairement des dettes de la société au-delà du 22 mars 2020, la responsabilité fondée sur l'art. 52 LAVS prévoyant une action en responsabilité contre l'employeur responsable du paiement des cotisations sociales et des délais de prescription propres, lesquels ont été respectés, comme exposé ci-avant.

Le recourant est tenu à réparation du dommage qu'il a causé à l'assurance et ne saurait se prévaloir d'un contrat par lequel il a cédé les dettes de la société à M. D______ pour s'exonérer de sa responsabilité, lequel ne pouvait le soustraire à son obligation légale de perception des cotisations et de règlement des comptes, et encore moins à la responsabilité qui en découle, lesquelles incombent à l'employeur.

6.             Si la responsabilité du recourant au sens de l'art. 52 LAVS doit être confirmée pour la période litigeuse, soit du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, comme exposé ci-dessus, il n'existe toutefois pas de base légale suffisante pour rechercher les employeurs ou leurs organes pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations dues en vertu de la LAMat (cf. consid. 8b ci-dessus ; ATAS/79/2020 du 30 janvier 2020 consid. 14).

Partant, il y a lieu de déduire du dommage de l'intimée les cotisations impayées découlant de la LAMat.

Eu égard à ce qui précède, le recours sera très partiellement admis, la décision litigieuse du 17 mai 2021 annulée et la cause renvoyée à l'intimée pour nouveau calcul du dommage, en excluant les cotisations impayées découlant de la LAMat, les intérêts moratoires et frais administratifs afférents à ces montants, et nouvelle décision.

Le recourant, représenté par un conseil, n'obtenant gain de cause, ni sur le principe de sa responsabilité, ni sur la majeure partie du dommage dont il est responsable, l'indemnité sera fixée à CHF 200.-. (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

7.             Pour le surplus, la procédure est gratuite.

* * * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet très partiellement, dans le sens des considérants.

3.        Renvoie la cause à l'intimée pour nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées découlant de la LAMat, les intérêts moratoires et frais administratifs afférents à ces montants, et nouvelle décision.

4.        Rejette le recours pour le surplus et confirme donc la responsabilité du recourant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 200.- à titre de dépens, à la charge de l'intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie NIERMARÉCHAL

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le