Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/1104/2019 du 27.11.2019 ( LPP ) , IRRECEVABLE
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/1891/2019 ATAS/1104/2019 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 27 novembre 2019 4ème Chambre |
En la cause
FONDATION RETRAITE FLEXIBLE (RF) DANS LA BRANCHE DE L'ÉCHAFAUDAGE, sise c/o Engelcopera Treuhand AG, Waldeggstrasse 37, BERN- LIEBEFELD, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Philippe NORDMANN | demanderesse |
contre
Monsieur A______, domicilié à VALLEIRY, France Madame B______, domiciliée au GRAND-LANCY
| défendeurs |
1. La Fondation Retraite Flexible dans la branche de l'échafaudage (ci-après la fondation ou la demanderesse) est une institution de prévoyance régissant la branche de l'échafaudage en vertu d'une convention collective de travail étendue par le Conseil fédéral. Les cotisations salariales et patronales des employés des firmes suisses d'échafaudage doivent être versées à cette fondation et, notamment, La D______ d'échafaudages Sàrl (ci-après la société).
2. Selon le registre du commerce, C______ Sàrl, créée le 8 mars 2012, est devenue La D______ Sàrl le 3 juillet 2015, et a été domiciliée dès le 9 août 2013 aux Avanchets. La société a été dissoute d'office en vertu de l'art. 153b ORC le 27 décembre 2017. Sa faillite a été prononcée le 12 mars 2018. La procédure de faillite a été suspendue le 23 juillet 2018 faute d'actifs. Aucune opposition n'ayant été formée, la société a été radiée d'office conformément à l'art. 159 al. 5 let. a ORC le 23 juillet 2018. Monsieur E______ (ci-après l'associé) en a été associé, sans signature, dès le 9 août 2013. Madame B______, à Vernier, en a été gérante du 9 août 2013 au 3 juillet 2015, puis gérante-liquidatrice jusqu'au 27 décembre 2017. Madame B______ (ci-après la défenderesse), à Lancy, en a été gérante liquidatrice dès le 27 décembre 2017. Monsieur A______ (ci-après le défendeur), en a été directeur, avec signature individuelle, depuis le 12 mai 2014.
3. Le 3 juillet 2017, la fondation a transmis à la société un extrait de son compte débiteur au 28 juin 2017 montrant un solde en sa faveur de CHF 11'534.55. La société était invitée à communiquer au 15 juin 2017 son accord avec ce solde ainsi que des propositions de règlement qui tenaient compte du fait qu'elle avait également les acomptes courants à régler.
4. La fondation a déposé plainte pénale le 5 septembre 2017 contre le défendeur et la défenderesse pour avoir détourné, en tant que dirigeants de la société, plus de CHF 11'000.- de cotisations prélevées sur les salaires des employés de la société.
5. Par ordonnances pénales du 15 octobre 2018, le Ministère public a déclaré les défendeurs coupables d'infraction à l'art. 76 al. 3 LPP et a renvoyé la demanderesse à agir par la voie civile pour ses éventuelles prétentions civiles. Il indiquait, dans les faits, que le défendeur avait déclaré que tout le courrier arrivait chez la défenderesse et que, la dernière année, celle-ci ne leur transmettait presque plus les courriers et que, la plupart du temps, l'associé lui donnait du cash et ils s'arrangeaient entre eux. La défenderesse avait déclaré à la police, le 28 février 2018, qu'elle était bien la gérante de la société depuis 2014 environ, mais qu'elle ne détenait aucune part de la société et qu'elle ne prenait pas de décision. Elle s'occupait uniquement de la comptabilité. Les difficultés avaient commencé quand le défendeur était entré dans la société. Elle n'avait plus eu accès à rien, notamment pas au compte postal de la société. Comme elle n'arrivait plus à effectuer son travail, elle avait préparé des papiers dans le but de sortir de la société. Une fois cette intention communiquée, elle n'avait plus eu de nouvelles. Elle était toujours inscrite comme gérante au registre du commerce. Elle n'avait pas fait de déclaration de masse salariale pour les années 2016 et 2017 et ignorait sur quelle base se fondait la fondation.
6. Par demande du 16 mai 2019 adressée à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, la fondation a fait valoir que les défendeurs avaient commis des actes pénalement répréhensibles engageant leur responsabilité selon les art. 41 CO, 52 LPP et 872 CO renvoyant à l'art. 752 CO. La demanderesse concluait à ce qu'il soit dit que les défendeurs, pris solidairement, devaient lui payer immédiatement CHF 11'534.55 plus intérêts à 5% l'an dès le 15 juillet 2017, avec suite de frais et dépens.
7. Le 25 juin 2019, le défendeur a répondu qu'il n'avait pas volontairement détourné l'argent et qu'il était ignorant à l'époque de ses devoirs de dirigeant. Il reconnaissait sa faute, dans le sens qu'il aurait dû se renseigner davantage sur ses responsabilités. Pour cela, il était prêt à payer ce qu'il devait en demandant toutefois l'indulgence, car il pensait s'être fait avoir.
8. La demanderesse a adressé au défendeur, le 1er juillet 2019, une proposition d'arrangement avec fixation d'un délai au 18 juillet 2019 pour accepter la proposition.
9. Le 14 août 2019, la demanderesse a informé la chambre de céans qu'aucune proposition ne lui était parvenue suite à sa lettre adressée au défendeur et que, dans ces conditions, elle ne pouvait que maintenir sa demande.
10. La défenderesse n'a pas répondu à la demande malgré le délai qui lui a été octroyé pour ce faire et un rappel.
11. Sur ce, la cause a été gardée à juger.
1. a. Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce, ainsi qu'aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations [CO - RS 220]; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 [LPP - RS 831.40]; art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).
b. Selon l'art. 73 al. 1 LPP, chaque canton désigne un tribunal qui connaît, en dernière instance cantonale, des contestations opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit. Ce tribunal est également compétent :
a. pour les contestations avec des institutions assurant le maintien de la prévoyance au sens des art. 4, al. 1, et 26, al. 1, LFLP ;
b. pour les contestations avec des institutions lorsque ces contestations résultent de l'application de l'art. 82, al. 2 ;
c. pour les prétentions en matière de responsabilité selon l'art. 52 ;
d. pour le droit de recours selon l'art. 56a, al. 1.
Les cantons doivent prévoir une procédure simple, rapide et, en principe, gratuite; le juge constatera les faits d'office (art. 73 al. 2 LPP).
En matière de contestations opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, la compétence des autorités visées par l'art. 73 LPP est doublement définie. Elle l'est, tout d'abord, quant à la nature du litige : il faut que la contestation entre les parties porte sur des questions spécifiques de la prévoyance professionnelle, au sens étroit ou au sens large. Constituent des questions spécifiques de la prévoyance professionnelle, au sens étroit ou au sens large, celles qui portent sur des prestations d'assurance, des prestations de libre passage et des cotisations. En revanche, les voies de droit de l'art. 73 ne sont pas ouvertes lorsque la contestation a un fondement juridique autre que le droit de la prévoyance professionnelle, même si elle devait avoir des effets relevant du droit de ladite prévoyance. Le Tribunal fédéral a notamment eu l'occasion de juger, dans un litige qui portait principalement sur le montant d'une prestation de libre passage, que les voies de droit prévues par l'art. 73 LPP n'étaient pas ouvertes pour l'exercice de prétentions en dommages-intérêts ou pour tort moral d'un ayant droit contre l'ancien employeur (ATF 120 V 26 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral des assurances B 36/99 15 mars 2000 consid. 3c; B 50/04 du 26 août 2004 consid. 5 et les références). En revanche, dans un litige qui opposait une institution de prévoyance à un employeur, notre Haute-Cour a considéré que lorsqu'une prétention à la réparation d'un dommage résultait d'une violation du contrat d'affiliation au sens d'une lésion d'obligations ressortant typiquement du domaine de la prévoyance professionnelle, le tribunal désigné à l'art. 73 LPP était compétent (ATF 136 V 73 consid. 5.3). Lorsque la compétence matérielle entre les juridictions civiles et les autorités visées par l'art. 73 LPP prête à discussion, le point de savoir si une question spécifique de la prévoyance professionnelle se pose doit être résolu - conformément à la nature juridique de la demande - en se fondant sur les conclusions de la demande et sur les faits invoqués à l'appui de ces conclusions, le fondement de la demande étant alors un critère décisif de distinction (ATF 141 V 170 consid. 3, 128 V 254 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_34/2013 du 17 juin 2013 cons. 2.2).
La compétence du juge de l'art. 73 LPP est également limitée par le fait que la loi désigne de manière non équivoque les parties pouvant être liées à une contestation, savoir les institutions de prévoyance, les employeurs et les ayants droit (ATF 127 V 35 consid. 3b et les références). Une contestation entre un employeur et un ayant droit peut porter, en particulier, sur le versement des cotisations par l'employeur à l'institution de prévoyance, y compris sur une demande de versements complémentaire en lien avec l'annonce d'un salaire à assurer plus élevé (art. 66 al. 2 et 3 LPP; SZS 1990 p. 205 ; MEYER/UTTINGER, in Commentaire LPP et LFLP, 2010, n° 59 ad. art. 73 LPP). Dans de tels cas, ce ne sont pas les juridictions des prud'hommes qui sont compétentes, mais le juge désigné par l'art. 73 LPP, même si la question de l'existence d'un contrat de travail entre les parties doit être tranchée à titre préjudiciel (ATF 120 V 26 consid 2 et les références).
c. L'art. 66 LPP prévoit que l'employeur est débiteur de la totalité des cotisations envers l'institution de prévoyance, qu'il déduit du salaire les cotisations à charge du salarié et qu'il transfère à l'institution sa contribution ainsi que les cotisations des salariés. Selon la jurisprudence, dans la mesure où la procédure d'action est soumise à la maxime de disposition, la partie demanderesse peut, après la survenance d'un cas où l'institution de prévoyance est tenue à prestation, librement définir l'objet du litige et décider si elle entend diriger son action contre l'employeur afin qu'il satisfasse à son obligation de cotiser ou contre l'institution de prévoyance afin qu'elle verse les prestations de la prévoyance professionnelle dues par celle-ci (ATF 135 V 23 consid. 3).
d. L'action dont dispose un créancier social envers les organes d'une société dépend du type de dommage subi. À cet égard, la jurisprudence du Tribunal fédéral distingue trois situations, soit celles où le dommage est directement subi par le créancier, respectivement par la société, et celle où tant la société que le créancier sont directement lésés (ATF 132 III 564 consid. 3).
Dans la première situation visée, soit celle où le créancier est lésé à titre personnel par le comportement des organes, à l'exclusion de tout dommage causé à la société, il subit un dommage direct (ATF 132 III 564 consid. 3.1.1). Dans ce cas de figure, le créancier lésé peut agir à titre individuel pour réclamer des dommages-intérêts au responsable. Son action est soumise aux règles ordinaires de la responsabilité civile, en particulier aux art. 41 ss CO (ATF 132 III 564 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_428/2014 du 12 janvier 2015 consid. 5.2.1).
Aux termes de l'art. 754 CO, « les membres du conseil d'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à l'égard de la société (anonyme), de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu'ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs ». La responsabilité des administrateurs fondée sur cette disposition est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivantes : la violation d'un devoir, une faute (intentionnelle ou par négligence), un dommage et l'existence d'un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation du devoir et la survenance du dommage (ATF 132 III 342). Il appartient au demandeur à l'action en responsabilité de prouver la réalisation de ces conditions (art. 8 CC), qui sont cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 4C.281/2004 du 9 novembre 2004, in SJ 2005 I p. 221, consid. 2.3). Cette disposition est applicable aux sociétés à responsabilité limitées par renvoi de l'art. 872 CO. Le litige relève alors strictement du droit privé, et partant de la compétence matérielle du juge civil (ATAS/1057/2017 du 23 novembre 2017).
L'art. 41 CO dispose que « celui qui cause, d'une manière illicite, un dommage à autrui, soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence, est tenu de le réparer ». Pour que le lésé puisse invoquer la responsabilité délictuelle (ou aquilienne), il faut, entre autres conditions, que l'auteur du dommage ait agi de manière illicite. La jurisprudence du Tribunal fédéral a consacré la théorie objective de l'illicéité, selon laquelle lorsqu'il est exclusivement question d'un dommage purement économique, l'illicéité doit résulter de la violation d'une norme de comportement destinée à protéger le lésé dans les droits atteints par l'acte incriminé (ATF 133 III 323 consid. 5.1 et les arrêts cités). Constitue en particulier une norme protectrice, dont la violation constitue un acte illicite, la norme pénale relative au détournement de retenues sur les salaires (art. 159 CP), laquelle vise à éviter que le travailleur ne subisse un dommage du fait de son employeur (consid. 6.2 de l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_428/2014 du 12 janvier 2015, non publié aux ATF 141 III 112).
e. L'art. 52 al. 1 LPP stipule que les personnes chargées d'administrer ou de gérer l'institution de prévoyance et les experts en matière de prévoyance professionnelle répondent du dommage qu'ils lui causent intentionnellement ou par négligence. La disposition vise, selon son texte clair, uniquement les dommages causés à l'institution de prévoyance (KIESER, in Commentaire LPP et LFLP, 2010, n° 8 ad. art. 52 LPP). Elle ne fonde pas d'obligation à la charge des membres du conseil ou de l'organe de gestion de réparer le dommage que ces derniers causent directement aux assurés (TRIGO TRINDADE, Institutions de prévoyance : devoirs et responsabilité civile, 2006, p. 147). La responsabilité de l'institution de prévoyance à l'égard des assurés ou d'autres tiers relève de la responsabilité des organes d'une personne morale selon l'art. 55 CC et ressortit en conséquence aux juridictions civiles (arrêts du Tribunal fédéral des assurances B 6/05 du 25 juillet 2005 consid. 6.2 ; B 37/03 du 10 mars 2004 consid. 4).
2. En l'espèce, la demanderesse requiert des défendeurs le paiement de son dommage, dont ils sont responsables, selon elle, en raison des actes pénalement répréhensibles qu'ils ont commis, ce qui a été constaté par les ordonnances pénales du 15 octobre 2018.
La voie de droit prévue par l'art. 73 LPP est notamment prévue pour les prétentions en matière de responsabilité selon l'art. 52 (art. 73 al. 1 let. c LPP). Cette disposition ne vise, selon son texte clair, que les dommages causés à l'institution de prévoyance par les personnes chargées de l'administrer ou de la gérer et les experts en matière de prévoyance professionnelle. Cette voie de droit n'est pas ouverte pour les actions en responsabilité intentées contre les organes d'une société qui n'a pas payé les cotisations à l'institution de prévoyance. En tant qu'elle est dirigée contre les anciens administrateurs de la société et tend à la réparation d'un dommage, la demande relève de la responsabilité délictuelle des organes d'une société à responsabilité limitée, soit du droit des obligations, qui est étranger à celui de la prévoyance professionnelle (cf. art. 41 et 754 CO ; ATF 141 III 112). En effet, on ne trouve pas dans la LPP de norme qui permettrait à la demanderesse d'exiger des anciens organes de la société la réparation d'un dommage. Le litige relève strictement du droit privé, en particulier des art. 41 et 754 CO, et partant de la compétence matérielle du juge civil.
En conclusion, la demande est irrecevable.
Lorsqu'elle décline sa compétence, la chambre de céans n'a l'obligation de transmettre un recours ou une demande qu'à une autre juridiction administrative compétente, notamment un autre Tribunal cantonal des assurances sociales (art. 64 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10] ; ATAS/1407/2012 du 22 novembre 2012 consid. 3c), elle ne transmettra donc pas d'office la demande à la juridiction compétente.
3. La procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare la demande irrecevable.
2. Dit que la procédure est gratuite.
3. Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Isabelle CASTILLO |
| La présidente
Catherine TAPPONNIER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le