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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1791/2024

ATA/427/2025 du 15.04.2025 sur JTAPI/1236/2024 ( LCR ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1791/2024-LCR ATA/427/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 avril 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 décembre 2024 (JTAPI/1236/2024)


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1948, est titulaire d'un permis de conduire pour les catégories A1, B, Be, B1, D1, D1E, F, G et M.

b. Par décision du 24 avril 2024, l'office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) lui a retiré son permis de conduire toutes catégories, à titre définitif, au minimum pour cinq ans. La levée de la mesure pouvait être envisagée sur présentation d'une expertise favorable émanant de l'Unité de médecine et psychologie du trafic et la restitution du permis était conditionnée à la réussite d'un examen pratique de contrôle.

A______ avait conduit un véhicule à moteur, le 27 décembre 2023, malgré une mesure de retrait de permis de conduire. Elle avait fait l'objet d'un retrait du permis de conduire le 26 février 2021, pour une durée indéterminée, mais d’au minimum deux ans, mesure qui était alors toujours en vigueur. Il s'agissait d'une infraction grave au sens de l'art. 16c al. 1 let. f de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01). En vertu de l'art. 16c al. 2 let. e LCR, après une infraction grave, le permis de conduire était retiré définitivement si au cours des cinq dernières années, le permis avait été retiré en vertu dudit article.

c. Il ressort du rapport de police que l’intéressée avait déclaré qu'elle avait utilisé son véhicule pour s'occuper de son fils, atteint d'autisme. Ce dernier avait du mal à se calmer et généralement, ils allaient se balader à pied ou en transports publics. Ce soir-là, il était passablement agité et c'était pour cette raison qu'elle lui avait proposé de l'emmener faire un tour. Elle était désolée, ne voulait pas enfreindre la loi mais devait trouver une solution pour son fils.

d. Il ressort du dossier que la conductrice s’est vu retirer son permis de conduire pendant trois mois pour conduite en état d’ébriété en décembre 2012. En février 2020, un nouveau retrait, d’une durée de douze mois avait été prononcé pour conduite en état d’ébriété et excès de vitesse. Enfin, en février 2021, le retrait de permis précité avait été ordonné pour conduite en état d’ébriété, vitesse inadaptée, perte de maîtrise et heurt d’un véhicule et conduite après retrait du permis.

B. a. Le 23 mai 2024, A______ a recouru contre la décision de l'OCV auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Elle était sous interdiction de conduire depuis plusieurs années et avait scrupuleusement respecté cette interdiction. Elle attendait impatiemment de pouvoir récupérer son permis afin de reprendre ses nombreuses activités de bénévoles et s'occuper de son fils autiste. Elle s'était soumise à toutes les analyses demandées et était totalement abstinente depuis environ un an. Le 27 décembre 2023, elle n'avait bu aucune goutte d'alcool, elle roulait doucement et n'avait mis la vie en danger de personne. Elle avait cédé au besoin de son enfant autiste en vacances chez elle durant les fêtes. Il avait des angoisses sévères lui causant des insomnies et apaisées par des balades en voiture qui le relaxaient et l'apaisaient. Les nombreux médicaments qu'il prenait n'arrivaient pas à produire cet effet. Le soir en question, elle n'avait personne à qui elle pouvait avoir recours pour conduire à sa place. Depuis son retrait, elle avait fait appel à des étudiants ou des personnes en recherche d'emploi pour transporter son fils. Ce n'était pas facile de trouver des personnes disponibles à des horaires fluctuants ou imprévus, étant précisé que son fils ne pouvait pas prendre les transports en commun.

Elle avait effectué une formation d'enseignante spécialisée et avait travaillé pendant plus de 20 ans auprès de polyhandicapés lourds et d'enfants gravement malades. Elle faisait beaucoup de bénévolat et s'occupait de personnes handicapées isolées ou de personnes âgées afin de faire des sorties et des déplacements, très souvent en voiture, tels que médecin, coiffeur, achats, visites au cimetière. Son permis était donc essentiel pour s'occuper de ces personnes et de son fils autiste. Quelques années auparavant, elle avait traversé une période difficile qui l'avait plongée dans une dépression insidieuse avec abus d'alcool. Elle en était heureusement sortie et avait pris conscience de la grande dangerosité de sa conduite. Elle était prête à se soumettre à des tests réguliers d'alcoolémie, à passer d'autres examens, à continuer un suivi thérapeutique ou à se soumettre à toutes autres mesures utiles. Elle souhaitait une dernière chance. Elle avait 76 ans et encore quelques années pour rendre service à la société et à ses proches.

b. Le 25 juillet 2024, elle a produit un courrier de B______, daté de juin 2024, qui regrettait que celle-ci n'ait plus son permis car depuis lors, elle ne pouvait plus la conduire pour faire ses courses ou se rendre au cimetière où se trouvaient son fils et son époux. Elle-même ne pouvait plus que se déplacer en déambulateur et ne pouvait pas prendre les transports publics.

Elle a expliqué être seule à pouvoir accueillir son fils durant les week-ends et les vacances. Ce dernier vieillissait précocement et les déplacements autres qu'en voiture privée étaient très compliqués. Il était de plus en plus angoissé devant des situations inhabituelles et tout ce qui était rituel l'apaisait et lui permettait de mieux fonctionner. Il ne supportait ni la foule ni la promiscuité ni les bousculades. Tout changement était perturbant et source d'angoisses. Il avait de plus en plus de peine à faire confiance en des personnes qu'il ne connaissait pas bien. Les personnes qui faisaient office de chauffeur ne comprenaient pas toujours le handicap et c'était très difficile pour son fils de se sentir à l'aise avec elles. Les sorties étaient de plus en plus compliquées et la nuit, son fils avait de fréquentes insomnies. Seules les promenades en voiture l'apaisaient et ce n'étaient pas des moments où il était facile de trouver un chauffeur. Son fils avait besoin d'un environnement familier et rassurant comme une voiture connue, avec un paysage qui défile et le ronron régulier du moteur, souvent avec des musiques identiques. Cela faisait partie des rituels rassurants face au monde extérieur, souvent perçu comme hostile.

c. L'OCV a conclu au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, l’intéressée a sollicité une « chance » pour les dernières années de sa vie et a persisté dans son argumentaire.

Elle était surprise que la décision querellée se soit basée principalement sur le rapport du 7 août 2023 de l'Unité de médecine et psychologie du trafic. À la suite de l'expertise, elle avait entrepris un suivi psychologique et effectué des analyses capillaires prouvant son abstinence. Rien ne justifiait son comportement, mais les circonstances difficiles de cette période pouvaient l'expliquer et montrer le caractère particulier et momentané de sa vie dans laquelle elle avait sombré. Elle a joint divers documents, tels qu'attestation de suivi et analyses toxicologies.

e. Par jugement du 16 décembre 2024, le TAPI a rejeté le recours.

Ayant conduit alors que le permis de conduire lui avait été retiré, elle avait commis une infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 let. f LCR. L'art. 16c al. 2 let. e LCR, prévoyait dans un tel cas, le retrait définitif du permis, ne laissant à l’autorité aucune marge d’appréciation.

C. a. Par acte expédié le 21 janvier 2025 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a indiqué vouloir recourir contre le jugement précité. Elle sollicitait un délai pour le compléter. Elle venait de perdre son autre fils brutalement et était profondément bouleversée et en détresse.

b. Dans le délai imparti pour compléter son recours, l’intéressée est revenue sur la situation de handicap de son fils, l’importance qu’avait pour lui le fait de rouler en voiture et à quel point cela l’apaisait. Il ne comprenait pas pourquoi cela n’était plus possible. Elle avait circulé prudemment et n’était pas sous l’influence de l’alcool. Elle demandait que sa situation soit jugée avec humanité. Son cas était particulier et il était peut-être possible de lui appliquer des mesures exceptionnelles, qui feraient jurisprudence pour une justice plus humaine. Elle demandait s’il était possible de prononcer une mesure moins incisive, s’engageant à se soumettre à des contrôles réguliers et à un examen médical pour tester ses aptitudes.

c. L’OCV a conclu au rejet du recours.

d. La recourante ne s’est pas manifestée dans le délai imparti pour répliquer.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑ LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Est litigieux le retrait définitif du permis de conduire de la recourante.

2.1 Selon l'art. 16c al. 1 let. f LCR, intitulé « Retrait du permis de conduire après une infraction grave », commet une infraction grave la personne qui conduit un véhicule automobile alors que le permis de conduire lui a été retiré. Après une infraction grave, la durée du retrait de permis est d'au minimum de trois mois et peut aller jusqu'au retrait définitif, en fonction des circonstances (art. 16c al. 2 LCR).

Selon l'art. 16c al. 2 let. e LCR, après une infraction grave, le permis de conduire est retiré définitivement si, au cours des cinq années précédentes, le permis a été retiré en application, notamment, de l'art. 16c al. 2 let. d LCR (retrait pour une durée indéterminée, mais pour deux ans au minimum).

La loi ne laisse aucune marge de manœuvre à l'autorité administrative. En effet, la durée minimale du retrait – en l'espèce le retrait définitif (atténué par la possibilité de restitution offerte après cinq ans par la loi ; art. 17 al. 1 et 23 al. 3 LCR) – est incompressible et ne peut être réduite. Le Tribunal fédéral a déjà rappelé que les durées minimales prescrites étaient incompressibles et cela même pour les personnes dont les besoins professionnels de disposer d’un permis de conduire étaient avérés. Des motifs de sécurité routière s’opposaient, dans ce type de situations, à prévoir des exceptions (ATF 132 II 234 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_492/2020 du 18 novembre 2020 consid. 3.3 ; 1C_204/2017 du 18 juillet 2017 consid. 2.6 ; 1C_498/2012 du 8 janvier 2013).

2.2 En l’espèce, la recourante ne conteste pas avoir commis une infraction grave à la LCR en circulant alors que le retrait de permis dont elle avait fait l’objet était toujours valable ni qu’elle avait fait l’objet, avant 2023, d’un retrait de permis pour une durée d’au minimum deux ans en application de l’art. 16c al. 2 let. d LCR. Dès lors que la loi prévoit, dans un tel cas, le retrait du permis pour une durée minimale de cinq ans, l’autorité intimée n’avait aucune marge de manœuvre dans la décision qu’elle devait prendre. Comme cela vient d’être exposé, le législateur a estimé que, dans de telles situations, la sécurité de l’ensemble des autres usagers de la route imposait de n’autoriser aucune dérogation au retrait définitif du permis de conduire.

La chambre de céans ne met nullement en doute les difficultés concrètes auxquelles la recourante doit faire face en l’absence de la possibilité d’utiliser son permis de conduire, notamment dans la prise en charge de son fils autiste. La loi n’autorise cependant pas la chambre administrative à s’écarter de son texte clair. Outre que la chambre administrative violerait la loi si elle ne la respectait pas, elle consacrerait, par la même occasion, une inégalité de traitement avec les autres administrés. Il n’est donc pas possible de prévoir une dérogation ou des aménagements particuliers à la recourante.

Mal fondé, son recours devra ainsi être rejeté.

3.             Vu l’issue du recours, l’émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne peut être allouée (art. 87 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 janvier 2025 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 décembre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge d’A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l'office cantonal des véhicules, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’à l’office fédéral des routes.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :