Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3304/2024

ATA/243/2025 du 11.03.2025 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3304/2024-FORMA ATA/243/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 mars 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1967, a formé, le 13 août 2021, une demande de bourse ou prêt d'études pour l'année scolaire 2021/2022 auprès du service des bourses et prêts d'études (ci-après : SBPE).

La formation concernée par la demande était un baccalauréat universitaire
(ci-après : bachelor) en sciences économiques à l'Université de la Suisse italienne (ci-après : USI), sise au Tessin.

b. Par décision du 3 décembre 2021, le SBPE lui a alloué une bourse de CHF 20'000.- pour l'année académique 2021/2022, en deux tranches égales.

L’intéressée a formé opposition à cette décision, faisant valoir qu’elle avait sollicité une bourse pour reconversion professionnelle, laquelle se montait à CHF 40'000.-. L’opposition, puis le recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), ont été rejetés.

c. Le 31 octobre 2022, A______ a déposé une demande d’aide financière auprès du SBPE pour la poursuite de ses études à l’USI.

d. Par décision du 8 mars 2023, le SBPE lui a alloué une bourse de CHF 20'000.- pour l'année académique 2022/2023.

B. a. Le 5 octobre 2023, A______ a déposé une demande d’aide financière auprès du SBPE pour la poursuite de ses études à l’USI.

b. Par décision du 15 février 2024, le SBPE lui a alloué une bourse de CHF 20'740.- pour l'année académique 2023/2024. Il était mentionné que le montant de CHF 10'370.- serait versé quand l’intéressée transmettrait son attestation scolaire pour le deuxième semestre de l’année 2023/2024.

c. Le 30 mai 2024, A______ a transmis au SBPE une attestation scolaire de l’Università degli Studi B______ pour la deuxième année.

d. Invitée par le SBPE à transmettre les procès-verbaux de ses crédits ECTS acquis durant les trois dernières années d’études au Tessin, A______ a invité le SBPE à finaliser sa bourse d’études pour l’année 2023/2024, précisant que les documents requis avaient été déposés, le seul changement concernant l’établissement de formation.

e. Le 18 juin 2024, le SBPE a reçu le procès-verbal des crédits ECTS de l’USI daté du 17 juin 2024, mentionnant six crédits ECTS durant les trois dernières années d’études.

f. Par courrier daté du 4 juillet 2024, A______ a expliqué avoir rencontré des problèmes financiers, de santé, y compris psychologiques, familiaux et juridiques qui avaient mené à une suspension de sessions d’examens, à une demande de congé, à une interruption d’études et à une demande de révocation d’une année académique pour se réinscrire.

g. Par décision du 19 juillet 2024, le SBPE a ordonné la restitution du montant de CHF 48'370.-, à titre de bourses d’études versées par ses soins depuis 2021. A______ avait manqué à son devoir d’informer l’administration de tout changement pouvant influencer son droit aux prestations. Compte tenu de ses nombreuses absences et l’obtention d’uniquement six crédits ECTS, elle ne pouvait pas prétendre être en études universitaires pendant ces trois années où elle avait sollicité des bourses.

h. Le même jour, le SBPE a déposé plainte pour escroquerie en vue d’obtenir une bourse d’études auprès du Ministère public.

i. Le 21 août 2024, A______ a formé réclamation à l’encontre de la décision du 19 juillet 2024.

j. Par décision du 26 août 2024, le SBPE a maintenu sa position. Il avait saisi le Procureur général d’une plainte contre l’intéressée. Il ne lui serait pas demandé de restituer les bourses avant l’issue de la procédure pénale. Il était prêt à réviser sa décision en fonction des résultats de la procédure pénale.

C. a. Par acte mis à la poste le 26 septembre 2024, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation. Elle sollicitait « la suspension de toute procédure pénale engagée jusqu’à ce qu’une évaluation complète et juste de sa situation soit réalisée ».

Elle avait régulièrement suivi ses études durant les trois années académiques et disposait de preuves documentaires telles que des relevés d’inscription et les échanges avec l’université confirmant sa présence et sa participation active aux cours. Elle avait dûment informé l’administration de sa situation. Les autorités avaient fait preuve de négligence dans la gestion de son dossier. Elle sollicitait une compensation pour le préjudice économique et moral subi.

b. Par réponse du 1er novembre 2024, le SBPE a conclu au rejet du recours.

Toutes les décisions rappelaient clairement l’obligation de signaler par écrit toute modification des données servant de base de calcul. Après trois années supposées d’études, la recourante n’avait obtenu que six crédits et se trouvait inscrite en première année. Le service avait récemment découvert qu’elle avait demandé un congé pour le semestre d’automne de l’année de formation 2022/2023, qui avait été accepté, ainsi que l’annulation de l’année académique 2022/2023 et un congé pour le premier semestre 2023/2024. Elle ne semblait pas avoir été admise pour le deuxième semestre 2023/2024, mais sollicitait néanmoins le versement de la seconde moitié de bourse. De plus, les demandes de bourse concernaient une formation à l’USI alors qu’elle avait fourni des attestations d’immatriculation d’autres établissements pour les années 2022/2023 et 2023/2024. Elle avait ainsi manifestement manqué à son devoir d’informer l’administration de ses congés et du changement d’université. Elle ne semblait pas non plus avoir obtenu de crédits ETCS auprès de l’Università degli Studi B______, ce qui remettait également en question son statut d’étudiante dans cet établissement.

Chaque semestre universitaire correspondait en moyenne à 30 crédits ECTS, une année correspondant à 60 crédits. Pour l’obtention du bachelor, il fallait donc valider 180 crédits ECTS, si bien qu’en n’en validant que six, la recourante ne pouvait faire état d’un temps prépondérant consacré à la formation.

c. A______ n’a pas répliqué dans le délai imparti, prolongé à deux reprises sur demande de l’intéressée.

d. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 [LOJ ‑ E 2 05] ; art. 28 al. 3 de la loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 [LBPE - C 1 20] et art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA ‑ E 5 10]).

2.             La recourante conclut à la suspension de la procédure pénale jusqu’à « évaluation complète et juste de sa situation ».

2.1 Lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature notamment pénale relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l’objet d’une procédure pendante devant celle-ci, la suspension de la procédure administrative peut être prononcée jusqu’à droit connue sur cette question (art. 14 al. 1 LPA).

2.2 En l’occurrence, l’autorité intimée a déposé une plainte pénale devant le Ministère public. Il n’appartient toutefois pas à la chambre de céans d’ordonner à l’autorité pénale de suspendre une procédure dont elle seule est saisie. La requête de la recourante apparaît dès lors irrecevable. Il lui revient d’adresser une telle demande directement au Ministère public.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé de la demande de restitution de CHF 48'370.- pour les années scolaires 2021/2022, 2022/2023 et 2023/2024.

3.1 La LBPE règle l'octroi d'aides financières aux personnes en formation
(art. 1 al. 1).

Les bourses d'études sont des prestations uniques ou périodiques non remboursables, qui permettent aux bénéficiaires d'entreprendre, de poursuivre ou de terminer une formation (art. 4 al. 1 LBPE). Les prêts sont des prestations uniques ou périodiques, qui doivent être remboursées à la fin de la formation ou en cas d'interruption ou d'échec de la formation (art. 4 al. 2 LBPE).

Selon l’art. 4 al. 3 LPBE, une personne en formation au sens de la présente loi est une personne qui suit une formation reconnue au sens de l’art. 11 et est régulièrement inscrite dans un des établissements de formation reconnus selon l’art. 12. Le statut de personne en formation est également reconnu à la personne qui, dans le cadre de sa formation et avec l’accord de l’établissement qu’elle fréquente, participe à un échange scolaire ou académique organisé par un autre établissement de formation reconnu.

Les aides financières sont accordées sous forme de bourses, de prêts ou de remboursement de taxes (art. 5 al. 1 LBPE).

Peuvent donner droit à des bourses : la formation professionnelle supérieure universitaire (tertiaire A), soit les formations dispensées par les universités et les écoles polytechniques fédérales aboutissant à un bachelor (art. 11 al. 1 let. d ch. 1 LBPE).

Les bourses sont octroyées pour la durée minimale de la formation. Lorsque cette durée est de deux ans ou plus et que la formation n’est pas encore achevée, les bourses peuvent être versées pendant 2 semestres supplémentaires (art. 14 al. 1 LBPE). Lorsque la durée des études dépasse de plus de deux semestres la durée minimale de formation, des prêts peuvent être octroyés si des circonstances particulières le justifient (art. 14 al. 2 LBPE).

3.2 Les personnes en formation, les parents et les tiers légalement tenus au financement de la formation doivent fournir tous les renseignements nécessaires au calcul de l’aide financière (art. 21 al. 1 LBPE). Les bénéficiaires des aides financières sont tenus de communiquer immédiatement toute modification relative aux données personnelles servant de base de calcul (al. 2).

Selon l’art. 14 al. 1 du règlement d'application de la loi sur les bourses et prêts d'études du 2 mai 2012 (RBPE - C 1 20.01), sont considérés comme données personnelles nouvelles dont la déclaration est obligatoire au sens de l’art. 21 LBPE : l'interruption ou la cessation de la formation (let. a) ; le changement d'état civil (let. b) ; la modification de la situation financière prise en considération lors de l'octroi de l'aide financière (let. c).

L'art. 27 LBPE est applicable en cas de non-déclaration d'un fait nouveau (art. 14 al. 2 RBPE).

3.3 Aux termes de l’art. 27 LBPE, la personne en formation qui bénéficie d’une aide financière à laquelle elle n’a pas droit doit la restituer sur la base d’une décision du service (al. 1) ; les modalités de restitution tiennent compte des circonstances de chaque cas, notamment de la situation financière et de la bonne foi de la personne qui a reçu l’aide financière ; elles sont définies dans le règlement (al. 2) ; l’obligation de restituer s’éteint à l’expiration du délai d’une année à compter du jour où le service a connaissance des faits qui justifient la restitution ; dans tous les cas, elle s’éteint cinq ans après l’octroi de l’aide (al. 4).

Selon l’art. 19 RBPE, le montant de l’aide indûment perçue à restituer doit être versé dans les 30 jours après l’entrée en force de la décision du service (al. 1). Le montant à restituer peut faire l’objet d’une compensation avec le montant d’une nouvelle aide financière au sens de la loi (al. 2). En cas de difficultés financières avérées, les versements peuvent être répartis en principe sur 24 mois (al. 3).

3.4 Dans la décision entreprise, l’autorité intimée réclame la restitution des montants versés depuis 2021, au motif que la recourante ne pouvait prétendre être en études universitaires pendant les trois années où elle avait sollicité des bourses d’études. Il lui reproche en particulier d’avoir manqué à son devoir d’informer l’administration de tout changement pouvant influencer son droit aux prestations. La recourante conteste cet élément, faisant valoir que ses demandes de financement étaient accompagnées de toute la documentation requise et qu’elles avaient été validées par l’autorité.

Il n’est pas contesté que la formation de bachelor en sciences économiques à l’USI peut donner droit à une aide financière au sens de l’art. 11 LBPE. Il n’est pas non plus remis en cause que, dans ses décisions d’octroi des 3 décembre 2021, 8 mars 2023, 31 mai 2023 et 15 février 2024, l’autorité intimée a expressément attiré l’attention de la recourante sur son obligation de signaler toute modification des données servant de base de calcul. Les pièces au dossier révèlent toutefois que la recourante a manqué à plusieurs reprises à son obligation de communiquer. Il ressort en effet du dossier, en particulier du courrier de l’USI du 12 janvier 2023, que, le 16 décembre 2022, la recourante a formé une demande de dispense pour le semestre d’automne de l’année 2022/2023, qui a été acceptée par l’université. Par ailleurs, selon l’attestation de l’Università degli Studi B______, l’intéressée était inscrite auprès d’une université italienne durant l’année académique 2023/2024. Enfin, l’intimé a indiqué, sans avoir été contredit sur ce point, que l’année académique 2022/2023 avait été annulée et que la recourante avait bénéficié d’un congé pour le premier semestre 2023/2024. Or, aucun de ces éléments n’a été annoncé à l’autorité intimée, et cela contrairement au texte clair de l’art. 14 al. 1 let. a RBPE. La recourante a donc manifestement manqué à son devoir d’informer l’administration de ses congés et du changement d’université.

S’ajoute à cela que, selon le procès-verbal d’examens de l’USI du 17 juin 2024, la recourante n’a obtenu que six crédits ECTS en trois années d’études. Or, selon le plan d’étude de l’année académique 2021/2022 pour l’obtention d’un bachelor en sciences économiques à l’USI (disponible sur le site : www.desk.usi.ch), chaque semestre correspondait à 30 crédits ECTS pour cinq cours obligatoires, soit dix pour l’année académique. Pour valider la deuxième année, l’étudiante devait également obtenir 60 crédits ECTS pour huit cours obligatoires et des cours de spécialisation. Quant à la troisième année de cours, elle correspondait également à 60 crédits ECTS, dont un cours obligatoire et des cours de spécialisation. Or, il apparait, sur la base du procès-verbal précité, que la recourante ne s’est présentée qu’à quatre examens en trois ans, dont seuls deux correspondent à des cours obligatoires sur les 19 prévus dans le cursus de bachelor en sciences économiques. La condition d’avoir suivi une formation au sens de l’art. 4 al. 3 LBPE fait ainsi manifestement défaut. Certes, la recourante indique avoir « régulièrement suivi ses études durant les trois années académiques ». Toutefois, hormis les attestations d’immatriculation, elle ne produit aucune pièce permettant de retenir une participation régulière aux cours prévus dans son cursus de bachelor.

Au vu des considérants qui précèdent et compte tenu de la violation des art. 21 LBPE et 14 al. 1 let. a RBPE, les conditions d'une restitution au sens de l'art. 27 al. 1 LBPE apparaissent remplies.

4.             Mal fondé, le recours sera rejeté.

Aucun émolument ne sera perçu, la procédure étant gratuite (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante, qui succombe (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 septembre 2024 par A______ contre la décision du service des bourses et prêts d’études du 26 août 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :