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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1309/2023

ATA/1270/2024 du 29.10.2024 sur JTAPI/220/2024 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : TRANSFORMATION DE L'ENTREPRISE(DROIT FISCAL);BÉNÉFICE(DROIT FISCAL);RÉALISATION(EN GÉNÉRAL);RÉSERVE LATENTE;FORTUNE PRIVÉE ET COMMERCIALE(DROIT FISCAL)
Normes : LIFD.20a.al1.letb; LHID.7a.al1.letb; LIPP.23.al1.letb
Résumé : Rejet du recours d’un contribuable ayant transféré des actions d’une société anonyme suisse, qu’il détenait avec un tiers à parts égales, à une société de capitaux étrangère, dont il détenait 50% du capital social au moment dudit transfert, l’autre moitié de cette société étrangère étant détenue à 50% par le même tiers. Confirmation de l’existence d’un cas de transposition compte tenu des conditions prévues dans les normes fiscales topiques qui reprennent en grande partie l’ancienne jurisprudence, sous réserve de quelques nouveautés déterminantes en l’espèce. Objectivation des conditions légales de la transposition, de sorte que les motifs subjectifs ne sont pas pertinents et que la transposition ne présuppose plus la réalisation des conditions de l’évasion fiscale pour être admise. Une des conditions cumulatives de la transposition est que la personne qui vend ses participations doit détenir au minimum 50% du capital social de la société reprenante (ou acquéreuse des participations transférées) au moment de leur transfert (représentant un passage de sa fortune privée à sa fortune commerciale à une valeur supérieure à celle de leur valeur nominale). Ce changement de système (passage de la valeur nominale pour la fortune privée à la valeur comptable pour la fortune commerciale) implique l’imposition systématique des réserves latentes des participations transférées. Pas d’examen d’un éventuel cas d’évasion fiscale vu que toutes les conditions de la transposition sont réalisées. Confirmation du jugement querellé et des décisions des autorités fiscales.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1309/2023-ICCIFD ATA/1270/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 octobre 2024

4ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants
représentés par Me Jean-Luc BOCHATAY, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 mars 2024 (JTAPI/220/2024)


EN FAIT

A. a. Domicilié à Genève du 13 octobre 2010 au 18 septembre 2018 avec son épouse A______, B______ a bénéficié du régime d’imposition selon la dépense comme personne mariée avec un enfant à charge.

b. En 2017, il détenait la moitié du capital-actions de deux sociétés, l’une genevoise, C______ (ci-après : C______), et l’autre chypriote, D______ (ci-après : D______). Le but de C______ était « prise et administration de participations à toutes sociétés ou entreprises, notamment européennes, pour son propre compte ou pour le compte de tiers, à l'exception de participations immobilières en Suisse prohibées par la LFAIE ». Inscrite au registre du commerce du canton de Genève en octobre 2012, C______ en a été radiée le 7 décembre 2021.

L’autre moitié de ces deux sociétés était détenue par E______.

Le capital-actions de C______ était composé de 100 actions nominatives, liées selon les statuts, de CHF 1'000.- chacune. Celui de D______ était constitué de 1'000 actions nominatives valant EUR 1.- chacune.

c. Aux termes d’un contrat du 10 mars 2017, conclu entre les deux sociétés précitées et le contribuable, celui-ci a fait augmenter le capital-actions de D______ à 2'000 actions de la même valeur nominale (avec une prime d’émission de EUR 5'990.- par chaque nouvelle action), a souscrit 500 de ces nouvelles actions et les a payées par la remise à D______ de sa moitié du capital-actions de C______, dont la valeur s’élevait à USD 3'175'000.- (somme comprenant sa valeur nominale de CHF 50'000.-).

Par contrat du même jour, le contribuable a vendu à E______ sa part du capital-actions de D______ pour le prix de USD 3'175'000.- (CHF 3'126'146.-).

d. Dans leur déclaration fiscale 2017, les contribuables ont indiqué que la participation dans C______ avait été vendue le 10 mars 2017.

B. a. Les 9 septembre et 13 novembre 2019, l’administration fiscale cantonale (ci‑après : AFC) a demandé au contribuable de lui remettre les états financiers (bilan et compte de résultat) de D______ au 31 décembre 2016 et 2017 et de lui indiquer la composition du capital-actions de cette société.

b. Le 3 février 2020, les contribuables ont remis à l'AFC les comptes 2016-2017 de D______, faisant état de recettes nulles en 2016 et 2017, des actifs de USD 434.- en 2016 et USD 6'341'327.- en 2017 (dont « Trade and other receviables » de USD 6'340'345.-) et des passifs « Share capital » de USD 1'359.- en 2016 et USD 2'422.- en 2017 et « Share premium » de USD 0.- en 2016 et USD 6'348'937.- en 2017. Afin d’expliquer l’absence de toute participation de C______ dans le bilan de D______, ils ont indiqué que les actions de C______ avaient été, dès leur « cession » à D______ du 10 mars 2017, destinées à être cédées à E______. Ainsi, à cette même date, le contribuable avait vendu sa participation de 50% dans D______ à E______, qui l’avait par la suite transférée dans une autre société sans lien avec le contribuable. En conséquence, la cession par le contribuable des actions de C______ était en réalité « une cession à une personne physique par le biais d’une société chypriote qui [avait] fonctionné comme simple véhicule fiduciaire ».

c. Par bordereaux et avis de taxation relatifs aux impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) et à l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) 2017 du 20 août 2020, l'AFC a imposé auprès des contribuables un revenu mobilier, non soumis à l’impôt anticipé, de CHF 3'076'146.-, correspondant au prix de vente des actions C______ de CHF 3'126'146.- moins la valeur nominale des actions vendues de CHF 50'000.-, au motif que l’époux avait réalisé une transposition.

C. a. Dans leur réclamation du 18 septembre 2020, les contribuables ont fait valoir que pour des « raisons de confidentialité liées au statut de [E______] et à des procédures civiles en cours [en 2016] », et compte tenu du fait que le contribuable et E______ étaient « politiquement exposés », il n’était pas possible que ce premier vende directement au second ses actions de C______, comme cela avait été initialement convenu en 2016. Ils avaient donc convenu que la transaction se réalise par « une coquille vide qui agirait à titre de conduit », soit D______. Ainsi, le 10 mars 2017, le contribuable avait simultanément cédé à D______ 50% de ses actions C______ et à E______ 50% de ses actions D______, pour le « prix convenu » de USD 3'175'000.-. Dès lors qu’il s’agissait d’une opération dont D______ n’était qu’un « conduit créé dans le but de cette cession », ces transactions avaient été concomitantes, réalisées le même jour et pour le même prix. L’apport avait été fait par le contribuable dans D______ par augmentation du capital de D______ avec une prime à l’émission par action de EUR 5'990, soit l’équivalent en USD de l’apport de C______ pour USD 3'125'000.- (USD 50'000.- représentant le capital nominal de C______). Les comptes 2017 de D______ montraient que celle-ci était une « structure vide sans activité ni participation », que son seul actif était une créance contre E______, la participation de C______ ne se trouvant plus dans son bilan au 31 décembre 2017, et que le contribuable n’était plus son actionnaire. Il était donc question d’une vente par le contribuable à E______ de sa participation dans C______. Le motif de cette transaction était une dette que le contribuable avait envers E______. La volonté des parties n’était pas d’éviter une distribution des réserves, mais de réaliser un gain en capital exonéré d’impôt. Il s’agissait d’une cession à titre privé entre deux personnes physiques, et non d’une transposition, dont les conditions n’étaient pas données en l’espèce.

En conclusion, la cession de C______ par le contribuable était une « simple cession » à E______. La concomitance du transfert de C______ et de D______ démontrait que le contribuable avait cédé cette première société à E______. En conséquence, cette cession devait être considérée comme un transfert de fortune mobilière exonéré d’impôt.

b. Par décisions du 9 mars 2023, l'AFC a rejeté cette réclamation.

Le contribuable avait transféré 50% de C______, appartenant à sa fortune privée, à D______, dont il était également actionnaire à raison de 50% au moment de la vente, pour un prix de USD 3'175'000.-, soit CHF 3'126'146.-, alors que la valeur nominale des actions transférées était de CHF 50'000.-. La différence, soit USD 3'125’000.-, avait servi à augmenter le capital-actions de D______ du même montant par une prime d'émission assimilable à une réserve issue d'apport de capital, laquelle serait traitée en franchise d'impôt en cas de distribution.

Elle considérait les ventes successives des actions de C______ et de D______ comme deux opérations distinctes. Bien que concomitantes, ces ventes avaient été néanmoins successives, de sorte que la première opération réalisée, soit le transfert des actions de C______, était consécutive à la cession d'une participation suisse dans une société dominée par le même actionnaire. En outre, à supposer que l'on considérât cette transaction comme une vente entre deux personnes physiques, le fait que la première opération ait permis de commuer des réserves C______ en réserves issues d'apport de capital confirmait le caractère imposable de la restructuration, l'actionnaire final se retrouvant ainsi en présence de réserves non imposables en cas de distribution.

c. Par jugement du 11 mars 2024, le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) a rejeté le recours.

Les conditions de la transposition étaient réalisées. Le contribuable détenait la moitié du capital-actions de C______ dans sa fortune privée, à savoir CHF 50'000.-. Le 10 mars 2017, il avait cédé ces titres à D______, société qu’il était en mesure de contrôler puisqu’il en était actionnaire à raison de 50% avant cette cession, et ce à une valeur supérieure à leur valeur nominale (à savoir USD 3'175'000.-, somme comprenant la valeur nominale initiale de CHF 50'000.- et équivalent à CHF 3'126'146.-). Il avait reçu, en contrepartie de cette cession, 500 actions nouvellement émises par D______, représentant son capital social nominal. Il avait ainsi transféré dans D______ des réserves latentes de C______ valant USD 3'125'000.-, sans soutenir qu’elles auraient été imposables en cas de leur distribution par D______. La créance fiscale en cause était donc née, de par la loi, au moment de cette cession et transposition.

Le fait que le contribuable ait finalement vendu la totalité de sa participation D______ à E______ n’avait aucune incidence sur la transposition litigieuse, étant relevé qu’il l’avait fait après avoir acquis 500 titres supplémentaires de D______. Il ne pouvait être suivi lorsqu’il affirmait que les deux opérations ne s’étaient pas déroulées « dans un ordre chronologique ». Les motifs personnels des parties à cette vente étaient sans pertinence, puisque celle-ci était indépendante de l’opération entre le contribuable et D______, pour laquelle seules les conditions objectives susmentionnées étaient à prendre en compte pour savoir si elle constituait une transposition, ce qui était manifestement le cas. Il n’y avait dès lors pas lieu d’examiner la question de l’évasion fiscale.

Cela étant, il apparaissait pour le moins insolite de recourir simultanément aux deux opérations susmentionnées si, comme le prétendait le contribuable, la seule finalité recherchée était de céder sa part C______ à E______. L’on ne voyait pas pourquoi il lui était nécessaire, pour préserver son anonymat, d’augmenter d’abord le capital de D______, en lui transférant ses titres C______, puis de vendre immédiatement sa part D______ à E______, étant précisé qu’il s’agissait de deux sociétés anonymes et que ce dernier était également l’actionnaire de C______. Dans cette mesure, cette opération ne pouvait s’expliquer que par la recherche d’une économie d’impôt sur les réserves latentes de C______. Les conditions d’une évasion fiscale apparaissaient donc également remplies.

D. a. Par acte expédié le 10 avril 2024, A______ et B______ ont formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement en concluant à son annulation ainsi qu’à celle des décisions sur réclamation et à ce que leur imposition soit calculée, pour l’année 2017, sur la base de la dépense fixée par l’AFC à CHF 1'350'000.-. Ils demandaient subsidiairement le renvoi de la cause à l’AFC pour qu’elle procède à ce calcul.

Le contribuable, ressortissant étranger, avait contracté une dette importante envers E______, ressortissant étranger. En vue de son remboursement, ils avaient en 2016 convenu que le premier céderait au second sa participation dans C______. Tous étaient particulièrement soucieux de préserver la plus grande confidentialité au sujet de cette opération qui s’inscrivait dans le contexte de leurs relations économiques privées.

S’ils étaient les actionnaires de C______, ils ne l’étaient pas de D______, société offshore incorporée à Chypre, dont ils étaient, à parts égales, les ayants droits économiques. Les deux actionnaires, à raison de 50% chacun, détenait, pour le compte du contribuable et du cocontractant précité, à titre de « nominee » (fiduciaire), les actions de D______, comme cela ressortait des déclarations « of trust » du 12 juillet 2014 établies par chacun de ces deux actionnaires.

La vente de la participation du contribuable dans C______ à E______ ne pouvait être faite de manière confidentielle pour deux raisons. Il s’agissait d’actions nominatives liées, ce qui impliquait d’informer le conseil d’administration de la société de la transaction envisagée et d’obtenir son accord. Le transfert devrait faire l’objet d’une inscription dans le registre des actionnaires ainsi que dans le registre des ayants droit économiques. C’était pour cette raison qu’ils avaient convenu que le contribuable céderait au second précité sa position d’ayant droit économique dans D______, à laquelle il apporterait ses actions C______, et non sa participation directe dans C______. Comme aucun d’eux n’était actionnaire de D______ mais qu’ils étaient uniquement ayants droit économiques de celle-ci par l’intermédiaire de deux « nominees » (fiduciaires) agissant pour leur compte, le transfert de la position d’ayant droit économique du contribuable en faveur de E______ pouvait s’effectuer avec un degré de confidentialité quasiment absolu, seuls les « nominees » étant informés de ce transfert. L’actionnaire détenant 50% des actions de D______ pour le compte du contribuable, continuerait à les détenir, après ledit transfert, mais pour le compte de E______. C’était dans ce contexte qu’ils avaient signé le même jour, à savoir le 10 mars 2017, l’ensemble de la documentation dont la finalité était de transférer les actions de C______ détenues par le contribuable dans le patrimoine économique de E______. Cette documentation était principalement constituée de quatre documents produits par le recourant, à savoir : une convention dite « Agreement of sale and purchase of beneficial title to shares in [D______] », un acte de transfert dit « Transfer of Shares Agreement between [le contribuable, D______ et C______] ; deux déclarations de souscriptions (« Subscription application ») concernant les actions nouvellement émises au moment de l’apport de C______ dans D______, établies par chacun des deux actionnaires de D______ ; une déclaration de trust établie par l’actionnaire concerné en faveur de E______. Ces quatre documents étaient signés et datés du 10 mars 2017. Ainsi, à l’issue de cette journée, le contribuable n’était plus ni actionnaire, ni ayant droit économique, directement ou indirectement, des sociétés C______ et D______, conformément aux actes précités signés simultanément ce même jour, reflétant la volonté commune du contribuable et de E______ de transférer la moitié de C______, détenue par le contribuable, de manière à ce que E______ devienne le seul et unique ayant droit économique des deux sociétés C______ et D______.

Les contribuables ne contestaient pas l’existence du transfert de titres de participations de la fortune privée de l’époux à la fortune commerciale de D______ pour un montant excédant la valeur nominale desdits titres. En revanche, la dernière condition, à savoir celle de la détention d’une participation d’au moins 50% au capital-actions de D______ après le transfert, n’était pas réalisée, car le contribuable avait pris l’engagement de céder sa qualité d’ayant droit économique de la moitié du capital-actions de D______ « en même temps (voire peut-être même avant) » que sa participation dans C______ ne soit apportée à D______. Ainsi, au moment où les actions de C______ avaient été apportées à D______ et que cette dernière avait procédé à l’augmentation de son capital et émis en contrepartie de nouvelles actions souscrites par les « nominees » précités, le contribuable avait déjà cédé sa position d’ayant droit économique de D______ en faveur de E______. Cela avait été formalisé par la déclaration de trust établie par l’actionnaire concerné de D______ indiquant qu’il détenait les certificats d’actions correspondant à la moitié du capital-actions de D______ pour le compte de E______, et non du contribuable. Celui-ci ne pouvait plus, après le transfert de sa participation de C______ dans D______, exercer le moindre pouvoir de disposition sur D______, voire C______, ni a fortiori sur le versement d’éventuels dividendes de la part de C______. Il invoquait l’arrêt ATA/1289/2021 du 23 novembre 2021, à l’appui de son argumentation, au motif que les opérations précitées avaient eu lieu le même jour, de sorte qu’il n’y avait pas de transposition – à savoir de rendement de la fortune mobilière – imposable, compte tenu son intention de se dessaisir de sa participation dans D______ en faveur de E______, parallèlement au transfert de sa participation dans C______ à D______. Il n’avait jamais eu l’intention de garder un quelconque contrôle sur D______.

Sous l’angle de l’évasion fiscale, le transfert de la qualité d’ayant droit économique du contribuable sur 50% des actions de D______ en faveur de E______ n’était pas une opération « insolite » car elle offrait un niveau de confidentialité « quasiment absolu » et beaucoup plus élevé qu’une cession directe de sa participation dans C______ audit cocontractant pour les raisons précitées. La condition, selon laquelle l’économie d’impôts était le but de ladite opération, n’était pas non plus réalisée. En effet, si le contribuable avait vendu sa participation de 50% dans C______ à la personne précitée, la plus-value ainsi réalisée aurait été qualifiée de gain en capital, non imposable en vertu des art. 16 al. 3 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et art. 7 al. 4 let. b de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), sans égard au fait que C______ ait accumulé des réserves ouvertes ou latentes. S’agissant de la transposition, il n’avait pas non plus recherché à économiser des impôts car, comme le démontreraient les documents signés le même jour, il n’avait pas l’intention de conserver le contrôle sur D______ de sorte qu’il ne pouvait avoir une quelconque influence sur la « politique de distribution » de cette société, ni récupérer franc d’impôts des bénéfices futurs réalisés dans C______ et distribués dans D______.

b. L’AFC a conclu au rejet du recours, au besoin en confirmant l’imposition litigieuse par substitution de motif au titre de l’évasion fiscale.

Les conditions, cumulatives, de la transposition étaient remplies. Les actions C______ issues de la fortune privée, soumises au principe de la valeur nominale, avaient été cédées en 2017 à une société soumise au régime de la valeur comptable, à savoir D______. Le contribuable détenait, après le transfert à D______, 50% des actions de cette société-ci. Les actions C______ cédées l’avaient été à une valeur supérieure à leur valeur nominale, celle-ci étant de CHF 50'000.-, pour un prix de USD 3'175'000.-. En contrepartie des actions C______ vendues, le contribuable avait reçu 500 actions nouvellement émises de D______ et ainsi financé l’augmentation du capital social nominal de cette société. La transposition avait déployé ses effets avant la vente desdites actions nouvellement émises par le contribuable à E______. Même si cette vente avait eu lieu le même jour, elle ne pouvait pas supprimer rétroactivement le fait qu’une des conditions de la transposition, à savoir la détention de 50% de D______ par le contribuable après le transfert de ses actions C______, était réalisée avant cette vente. Ainsi, la transposition avait eu une incidence fiscale. Les réserves latentes de C______, dont la distribution aurait été soumise à imposition, avaient été transposées par le contribuable en réserves issues d’apport en capital de D______, dont le remboursement serait franc d’impositions, de sorte que ces réserves latentes étaient sorties du champ de l’impôt. En effet, les comptes 2017 de D______ ne mentionnaient aucune « autre réserve », l’augmentation du capital de D______ découlant du transfert précité des actions C______ ayant été comptabilisée sous « Share premium », c’est-à-dire au crédit des réserves issues d’apport en capital. Comme le législateur avait voulu l’imposition systématique des réserves latentes au moment de leur sortie du champ de l’impôt, ce qui constituait une exception à l’exonération des gains en capital privés, il était justifié de les imposer à ce moment-là auprès du contribuable.

Si la transposition n’était pas admise, les décisions litigieuses devaient être confirmées par substitution de motifs. La jurisprudence sur l’évasion fiscale demeurait applicable dans l’hypothèse où un contribuable faisait en sorte qu’une des conditions de la transposition ne soit pas remplie tout en obtenant le même résultat économique, c’est-à-dire en faisant sortir du champ de l’impôt les réserves latentes d’une société dont il était actionnaire et dont la distribution était soumise à imposition. Le souci de confidentialité allégué n’avait pas été considéré pertinent sous l’angle de l’évasion fiscale par le TAPI, selon lequel l’augmentation du capital de D______, effectuée par le contribuable, n’était pas susceptible d’assurer une telle confidentialité, compte tenu du fait qu’il s’agissait de deux sociétés anonymes et que son cocontractant était également actionnaire de C______. L’anonymat procuré par la détention d’actions de sociétés anonymes protégeait déjà le contribuable, raison pour laquelle le TAPI ne discernait pas les raisons pour lesquelles il aurait fallu adopter une structure juridique complexe pour la vente des actions C______ à E______. Cela l’amenait à conclure que les opérations en cause ne pouvaient s’expliquer que par la recherche d’une économie d’impôt sur les réserves latentes de C______ et à admettre l’évasion fiscale, la forme juridique de l’opération étant insolite au regard du but allégué et inadaptée à celui-ci.

D’ailleurs, le but principal du financement de l’augmentation du capital de D______, par l’apport à celle-ci de la participation du contribuable dans C______, était de rendre la distribution des réserves latentes de C______ franches d’imposition, en les commuant en réserves issues d’apport en capital de D______. Les trois opérations prises dans leur ensemble avaient permis au contribuable de percevoir de la part de E______ une somme équivalente aux réserves latentes de C______, commuée en réserves issues d’apport en capital de D______, sans que ces réserves aient été imposées. Ces trois opérations prises dans leur ensemble auraient donc conduit à une économie d’impôt si les conséquences fiscales en découlant avaient été acceptées par l’AFC. Ainsi, les trois conditions de l’évasion fiscale étaient remplies, de sorte que l’imposition devait être fondée sur la situation correspondant au but économique poursuivi, et non sur la forme juridique choisie. Le bilan 2017 de D______ a immédiatement qualifié la distribution future de l’apport des actions de C______, comptabilisé en tant que réserves issues d’apport en capital, comme un remboursement du capital franc d’imposition. L’économie des impôts – qui seraient dus si les rapports de droit avaient été aménagés de manière appropriée – avait été effective à un moment où le contribuable était encore actionnaire à 50% de D______, ce qui justifiait d’imposer le montant correspondant à l’impôt futur éludé par cette opération, auprès du contribuable et à titre de revenu. Par conséquent, même si une des conditions de la transposition ne devait pas être admise, l’imposition du revenu de CHF 3'076'146.- auprès du contribuable devrait être confirmée par substitution de motif, au titre de l’évasion fiscale.

c. Les contribuables ont répliqué et persisté dans leurs conclusions.

Sous l’angle de la transposition, il ne s’agissait pas de prendre en compte l’intention du contribuable, mais d’interpréter l’expression « après transfert » concernant la condition de la détention par le contribuable d’une participation dans la société bénéficiant de l’apport, s’élevant à au moins 50% du capital après le transfert. L’examen de cette condition devait, selon l’ATA/1289/2021 précité, prendre en compte les engagements ayant un impact sur ledit pourcentage. Les versions allemande et italienne de l’art. 20a LIFD et 7a let. b LHID exprimaient clairement que l’analyse du pourcentage de détention du contribuable ayant réalisé l’opération devait s’analyser postérieurement au transfert, sans exclure les engagements –préalables ou concomitants au transfert – influant directement sur ce pourcentage. Or, une interprétation téléologique de la norme devrait conduire à la prise en compte de toute convention, conclue par le contribuable dans ce contexte, ayant un impact certain sur son pourcentage de « détention post-transfert », en particulier une promesse de cession d’actions. Dès lors, l’AFC ne pouvait pas limiter son analyse à une photographie de la « situation capitalistique » au moment de l’augmentation de capital et de l’attribution des actions en contrepartie de l’apport, sans égard à l’engagement contracté préalablement par le contribuable qui l’obligeait à transférer toute sa participation à un tiers.

S’agissant de l’évasion fiscale, l’AFC avait maintenu son argumentation, sans prendre en compte la différence de réglementation entre la Suisse et Chypre en matière de protection de l’anonymat recherché par les actionnaires, respectivement par les ayants droit économiques des sociétés. Les règles applicables en matière de droit des sociétés en Suisse étaient « sensiblement plus inquisitrices » au sujet de l’identité des actionnaires et surtout des ayants droit économiques des sociétés anonymes, compte tenu des registres y relatifs devant indiquer le changement de détenteur des actions et du devoir de communication à l’attention du conseil d’administration appelé à approuver le transfert d’actions. L’AFC partait de la prémisse, erronée, selon laquelle le contribuable avait pour but de constituer au niveau de D______ des réserves issues d’apport en capital pour pouvoir ensuite en obtenir le remboursement en franchise d’impôts, et non de réaliser un profit en cédant sa participation dans C______. Or, dès le jour même de son apport à D______, le contribuable n’y conservait pas sa participation et n’avait donc plus d’influence sur lesdites réserves. Ainsi, deux conditions de l’évasion fiscale n’étaient pas remplies, faute d’intention du contribuable de réaliser une économie d’impôt, en utilisant à son profit les réserves issues d’apport en capital de D______, ainsi qu’en l’absence d’une économie effective d’impôts. Le seul but du contribuable était de vendre sa participation dans C______, dont la valeur était effectivement supérieure au montant nominal de ses actions, à travers D______, pour les raisons de confidentialité déjà détaillées, considérant qu’une cession directe des actions C______ présentait des risques qu’il ne voulait pas courir. L’opération à travers D______ lui était apparu comme parfaitement adaptée en termes de préservation de l’anonymat pour recevoir la contrevaleur de sa participation dans C______, sous la forme d’une cession de ses actions dans D______. Ce procédé ne s’apparentait pas à une évasion fiscale.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             L’objet du litige porte en premier lieu sur l’existence d’un cas de transposition au sens des art. 20a al. 1 let. b LIFD, 23 al. 1 let. b LIPP et 7a al. 1et. b LHID.

2.1 Selon ces dispositions ayant une teneur similaire, est considéré comme un rendement de la fortune mobilière au sens des normes topiques correspondantes (art. 20 al. 1 let. c LIFD, art. 22 al. 1 let. c LIPP et art. 7 al. 1 LHID), le produit du transfert d’une participation au capital-actions ou au capital social d’une société de capitaux ou d’une société coopérative représentant un transfert de la fortune privée à la fortune commerciale d’une entreprise de personnes ou d’une personne morale dans laquelle le vendeur ou la personne qui effectue l’apport détient une participation d’au moins 50% au capital après le transfert, dans la mesure où le total de la contre-prestation reçue est supérieur à la somme de la valeur nominale de la participation transférée et des réserves issues d’apport de capital visées par les articles pertinents (art. 20 al. 3 à 7 LIFD, art. 7b LHID, art. 22 al. 3 à 7 LIPP).

Aucune des parties ne conteste que la transposition est soumise à quatre conditions cumulatives, conformément à la jurisprudence exposée par le jugement querellé (ATF 115 Ib 238 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_879/2008 du 20 avril 2009 consid. 6.1 ; ATA/1289/2021 du 23 novembre 2021 consid. 3b et les arrêts cités). En revanche, le contribuable estime qu’une de ces conditions n’est en l’espèce pas réalisée, à savoir celle selon laquelle le détenteur de la participation transférée détienne au moins 50% du capital de la société reprenante après le transfert (Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS in Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Kommentar - Bundesgesetz über die direkte Steuer Bundessteuer, 4e éd., 2022 n. 82 et 99 ad art. 20a LIFD ; Yves NOËL in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], in Commentaire Romand - Impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 9 ad art. 20a LIFD).

2.2 Afin d’améliorer la prévisibilité du système fiscal et la sécurité juridique dans le domaine de la fortune mobilière, notamment s’agissant de la délimitation entre gain en capital exonéré et revenu de la fortune imposable, le Conseil fédéral a proposé de réglementer le cas de la transposition (ou vente à soi-même) par l’introduction de l’art. 20a al. 1 let. b LIFD, reprise à l’art. 7a al. 1 let. b LHID (Message du Conseil fédéral du 22 juin 2005 concernant la réforme de l’imposition des entreprises II [ou la loi fédérale sur l’amélioration des conditions fiscales applicables aux activités entrepreneuriales et aux investissements ; ci-après : Message sur la réforme fiscale des entreprises II] in FF 2005 4469, p. 4540 et 4601).

2.2.1 Cette nouvelle réglementation introduit une solution légale objective pour la transposition (vente à soi-même). Elle s’applique exclusivement aux droits de participation de la fortune privée et déploie ses effets uniquement si les droits de participation sont transférés à une société de capitaux ou à une société coopérative à laquelle le vendeur ou celui qui fait l’apport détient une participation de 50% au moins après le transfert (Message sur la réforme fiscale des entreprises II, p. 4580). La question de savoir si l’on est en présence d’une « vente à soi-même » doit dépendre du taux de participation au capital-actions ou au capital social de la société de capitaux ou de la société coopérative qu’une personne détient après le transfert des droits de participation à cette société. On est en présence d’une transposition si, après le transfert, le vendeur ou la personne qui apporte des droits de participation participe (ou continue de participer) à hauteur de 50% au moins à la société qui acquiert. Seul est déterminant le critère du taux, rendu objectif par des réflexions pratiques, car il permet de n’imposer que les cas d’abus manifestes (Message sur la réforme fiscale des entreprises II, p. 4543).

Bien que la nouvelle disposition codifie pour l’essentiel l’ancienne jurisprudence, elle introduit aussi des nouveautés. Ainsi, les conditions d’une transposition ont été objectivées par sa réglementation légale, comme le rappelle un arrêt récent du Tribunal fédéral (arrêt 9C_679/2021 du 20 avril 2023 consid. 2.2.1 et 3.1.2). Les motifs subjectifs qui amènent un détenteur de parts à effectuer une transposition sont sans importance. Il peut donc y avoir transposition, même si les conditions y relatives découlent de l’exécution d’obligations contractuelles, telles qu’une convention d’actionnaires ou un contrat d’option. Un cas d’évasion fiscale n’est en particulier plus exigé, comme c’était le cas selon la jurisprudence antérieure (Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS, op. cit., n. 84 ad art. 20a LIFD et les références citées).

2.2.2 Selon l'art. 16 al. 3 LIFD, les gains en capital réalisés lors de l'aliénation d'éléments de la fortune privée ne sont pas imposables. La vente d'actions appartenant à la fortune privée constitue en principe un gain en capital privé exonéré en vertu de cette disposition. Ce gain peut toutefois être qualifié de rendement de la fortune mobilière soumis à l’imposition du revenu (arrêt du Tribunal fédéral 2C_703/2018 du 28 mars 2019 consid. 4).

Selon le message précité du Conseil fédéral, du point de vue juridique, cette exonération ne pose aucun problème lorsque l’acquéreur thésaurise également ces actions dans sa fortune privée, reprenant ainsi la charge fiscale latente sur les bénéfices qui n’ont pas encore été distribués. Toutefois, cela ne concerne pas les cas de « changement de système », comme la transposition impliquant un transfert de la fortune privée (soumise au principe de la valeur nominale) à la fortune commerciale (soumise au principe de la valeur comptable ; Yves NOËL, op. cit., n. 100 et 105 ad art. 20 LIFD ; Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS, op. cit., n. 3 et 86 ad art. 20a LIFD). Dans ce cas, des droits de participation de la fortune privée sont en effet vendus dans la fortune commerciale, ce qui signifie la plupart du temps que les bénéfices non encore distribués ne sont pas imposés. En cas de transposition, un actionnaire vend sa participation à une société qui lui appartient. La différence entre le produit de la vente et la valeur nominale était considéré par le Tribunal fédéral comme un dividende imposable parce que, du point de vue économique, le vendeur ne se séparait jamais de sa participation. Les conséquences fiscales pouvaient être évitées si, dans la comptabilité de la société de capitaux ou de la société coopérative, la charge fiscale latente sur les bénéfices non encore distribués était maintenue (Message sur la réforme fiscale des entreprises II, p. 4539).

Le législateur a, à travers l’art. 20a al. 1 let. b LIFD (transposition), institué explicitement une exception à l’exonération des gains en capital privés prévue à l’art. 16 al. 3 LIFD, justifiée par la volonté d’une imposition systématique des réserves latentes au moment de leur sortie du champ de l’impôt (Yves NOËL, op. cit., n. 11 ad art. 20a LIFD). Il existe désormais une base légale claire permettant de retenir un rendement de participation là où il n’y a, sur le plan civil, qu’une aliénation donnant normalement lieu à un gain en capital (Yves NOËL, op. cit., n. 107 ad art. 20 LIFD).

2.2.3 Le but du cas de transposition au sens de l’art. 20a al. 1 let. b LIFD est d’appréhender fiscalement la charge fiscale latente sur les réserves de la société, qui n’ont pas encore été distribuées, société dont les droits de participation sont aliénés, puisque cette charge fiscale latente peut disparaître lors de l’aliénation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_679/2021 précité consid. 3.1.1 ; Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS, op. cit., n. 3 ad art. 20a LIFD).

Lors de la transposition, les droits de participation sont cédés à une société contrôlée par le vendeur, ce qui permet (sans contre-mesures) de prélever la charge fiscale latente sur les réserves existantes. Dans de tels cas, l’art. 20a LIFD limite l’exonération fiscale en requalifiant le gain en capital privé en rendement imposable de la fortune. Il existe plusieurs théories sous-jacentes, comme celles de la transposition de réserves latentes imposables dans un substrat remboursable sans impôt ou de la vente à soi-même qui ne serait pas une aliénation mais un simple transfert à l’intérieur de sa fortune ne permettant pas de réaliser un gain en capital exonéré d’impôt (Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS, op. cit., n. 3 ad art. 20a LIFD). Sous l’angle de la théorie de la transposition, le versement du capital nominal de la société reprenante ainsi que le remboursement du prêt ne déclenchent pas d’assujettissement de l’actionnaire à l’impôt sur le revenu. Cette modification des relations juridiques entre les détenteurs de parts et leurs sociétés permet de supprimer la charge fiscale latente sur les dividendes. Les fonds de la société transférée, en soi imposables, sont transférés en franchise d’impôt dans la catégorie du capital social remboursable sans conséquence fiscale ou de la créance de prêt remboursable en franchise d’impôt, c’est-à-dire transposés (Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS, op. cit., n. 106 ad art. 20a LIFD).

En effet, la contrepartie de l’apport, qu’il s’agisse de capital ou de créance, ne donne pas lieu à imposition lorsqu’elle est remboursée à l’actionnaire ; celui-ci éviterait ainsi définitivement l’impôt dû sur les réserves latentes au moment de leur distribution. Selon l’ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral, l’apport d’une participation à une société dominée par le même actionnaire ne constitue pas une aliénation des droits de participation, car le pouvoir d’en disposer économiquement reste acquis au contribuable par le biais de sa participation à la société-mère ; il n’y a qu’une vente à soi-même. Le contribuable réalise par une telle transaction un accroissement de son patrimoine, dont la cause réside dans la détention de la participation, et non dans son aliénation. Il ne s’agit plus alors d’un gain en capital, mais d’un revenu de fortune qui trouve sa cause dans la détention de la participation, soumis à l’impôt sur le revenu en tant qu’il excède le capital nominal (Yves NOËL, op. cit., n. 100 ad art. 20 LIFD et les arrêts cités).

Depuis la réforme de l’imposition des entreprises II, le droit suisse a introduit le principe de l’apport en capital (ou principe de la valeur nominale modifié) : le remboursement d’apports, d’agios et de versements supplémentaires n’est plus imposés au titre de rendement de participation (Yves NOËL, op. cit., n. 51 ad art. 20 LIFD). Le remboursement du capital nominal et le remboursement d’une dette n’étaient pas soumis à l’impôt (ibid., n. 66). Désormais, l’imposition de la transposition varie selon que la valeur de transfert excédant la valeur nominale est comptabilisée au crédit du capital nominal / des réserves issues d’apports de capital ou à celui des « autres réserves », seul ce dernier cas n’ayant pas d’incidence fiscale compte tenu de la pratique de l’administration fédérale des contributions (Yves NOËL, op. cit., n. 11 ad art. 20a LIFD).

2.3 Selon un arrêt récent du Tribunal fédéral (arrêt 9C_679/2021 précité), le texte de l’art. 20a al. 1 let. b LIFD est clair et permet en principe une seule interprétation, que ce soit au sujet des conditions d’une transposition imposable (quorum des parts transférées, situation de la société reprenante) ou de l’étendue de l’imposition de l’opération (« contreprestation globalement obtenue »). Le législateur n’a clairement pas voulu limiter les opérations imposables à celles qui donnent effectivement lieu à des distributions. L’état de fait déterminant pour l’appréciation est déjà réalisé (« abgeschlossen ») au moment du transfert de la participation (consid. 3.1.2 et la référence citée). De plus, les opérations visées par l’art. 20a al. 1 let. b LIFD ne doivent pas être considérées d’un point de vue économique « global et orienté vers le résultat » (consid. 3.1.3).

2.3.1 Dans cette affaire, le contribuable soutenait, à l’instar de la présente espèce, qu’il ne s’agissait pas d’une transformation (« Umgestaltung ») du patrimoine, mais d’une véritable aliénation, de sorte qu’il n’y avait pas de rendement de fortune imposable (consid. 4.2). Il insistait sur la courte durée pendant laquelle la société anonyme reprenante (ou acquéreuse), agissant pour le contribuable, avait détenu les actions et sur leur revente au prix d’achat, dans un bref délai et à des conditions identiques, ce qui démontrait qu’il s’agissait, d’un point de vue économique, d’une opération de financement à plusieurs niveaux (consid. 4.2.1).

En considérant l'ensemble des phases de l'opération de financement, on ne pouvait pas considérer que le recourant n'avait fait que transformer son patrimoine. Il ne s'agissait pas d'une transposition, mais d'une opération de financement qui s'apparentait à une vente directe à un tiers. La vente de la participation à la société anonyme reprenante (ou acquéreuse) n'avait pas eu lieu pour réorganiser son propre patrimoine, mais pour vendre la participation à un tiers. La charge fiscale latente n'avait été supprimée que pour une courte durée et en théorie, mais elle avait été rétablie immédiatement après la revente. Il n'y avait pas non plus d'indices que le but de la vente était de vider la société cible de sa substance, de préparer une telle opération ou d'initier une distribution de dividendes. Il s'agissait d'un véritable produit de vente ou d'un gain en capital privé (consid. 4.2.2).

2.3.2 Le Tribunal fédéral a rejeté le recours des époux, contribuables, et confirmé l’arrêt cantonal.

La juridiction cantonale s’était, à bon droit, limité à examiner si les conditions prévues par l’art. 20a al. 1 let. b LIFD étaient remplies ou non. Comme tel était le cas, ce qui n’était pas contesté, le Tribunal fédéral a admis l’existence d’un rendement de la fortune imposable, de sorte qu’il ne devait pas examiner d’autres aspects. À l’argumentation des contribuables, selon laquelle ils auraient pu obtenir les conséquences économiques recherchées par une vente directe, le Tribunal fédéral leur a opposé qu’ils n’avaient justement pas choisi cette autre manière de procéder dans le contexte de la transaction déterminante en cause (consid. 5.2.1).

Le Tribunal fédéral a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de l’évasion fiscale (« Steuerumgehung ») puisque les conditions de l’art. 20a al. 1 let. b LIFD étaient réalisées. Ce n’était que si ces conditions n’étaient pas remplies que ladite question se posait (consid. 5.2.2).

2.4 S’agissant de la condition litigieuse concernant le contrôle dans la société reprenante, l’art. 20a al. 1 let. b LIFD exige que le détenteur de la participation transférée détienne au moins 50% du capital de la société reprenante après le transfert (Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS, op. cit., n. 99 ad art. 20a LIFD).

2.4.1 REICH, HELBING et DUSS estiment que le contrôle doit exister ou être prévu (« gegeben oder geplant sein ») au moment du transfert des droits de participation (« im Zeitpunkt der Übertragung der Beteiligungsrechte »). Si, au moment du transfert, il était déjà prévu que l’actionnaire transférant acquière ultérieurement une participation dominante, le critère du contrôle est rempli. Cela vaut en particulier lorsque l’actionnaire transférant dispose, au moment du transfert, d’une option d’achat pour acquérir une participation majoritaire, mais pas lorsque le contrôle ne résulte qu’ultérieurement (« nachträglich ») d’autres motifs. L’hypothèse générale d’une domination préexistante au moment du transfert, qui n’intervient toutefois qu’après coup (« nachträglich »), doit être rejetée, même si elle intervient en temps utile (« zeitnah ») après le transfert (Markus REICH/Andreas HELBING/Fabian DUSS, op. cit., n. 104 ad art. 20a LIFD).

2.4.2 Dans l’ATA/1289/2021 précité, invoqué par les recourants et concernant la taxation de 2006 régie par le droit antérieur à l’entrée en vigueur de l’art. 20a LIFD, le contribuable concerné par cette affaire a, dès le début de la transaction, voulu conserver et conservé le contrôle dans la société acquéreuse, après le transfert de ses actions dans cette dernière, vu les circonstances particulières et ses différentes positions dans les sociétés impliquées dans l’opération en cause (consid. 3d). Il avait en particulier conclu un protocole d’accord avec la société acquéreuse en août 2006 au sujet de la vente de ses actions, soit avant le transfert litigieux de celles-ci à la société acquéreuse survenu en octobre 2006, et ce afin de garder le contrôle sur la société - dont les actions étaient transférées - dès leur transfert (« immédiatement après ») à la société acquéreuse. Il avait ainsi gardé le contrôle dans la société acquéreuse de manière à pouvoir influer sur la politique de distribution de dividendes, étant précisé que la nouvelle réglementation exigeait la détention d’une participation d’au moins 50% au capital après le transfert (consid. 3d et ch. 5 à 7 en fait).

2.5 En l’espèce, à la différence de l’ATA/1289/2021 précité, le contribuable détenait, avant et au moment du transfert des actions C______, 50% de D______, à travers le dispositif qu’il a décrit dans ses écritures au sujet des « nominees » détenant à titre fiduciaire le capital social de D______ pour son compte et celui de E______. Par ailleurs, la présente espèce est, contrairement audit arrêt, soumise à l’art. 20a LIFD entré en vigueur le 1er janvier 2007 et aux dispositions correspondantes pour l’ICC entrées en vigueur postérieurement à cette date. Comme évoqué plus haut, la nouvelle réglementation reprend en grande partie l’ancienne jurisprudence, avec quelques nouveautés évoquées plus haut, rappelées par l’arrêt récent 9C_679/2021 précité du Tribunal fédéral et déterminantes in casu.

L’application de l’art. 20a al. 1 let. b LIFD a été objectivée, de sorte que si ses conditions sont réalisées, les motifs pour lesquels les parties opèrent la transposition sont sans pertinence. Par ailleurs, celle-ci ne présuppose plus la réalisation des trois conditions de l’évasion fiscale (arrêt 2C_681/2018 et 2C_692/2018 du Tribunal fédéral du 16 janvier 2020 consid. 7.3.1) pour que son existence soit admise, étant rappelé que la recherche d’une économie – notable – d’impôt figure parmi lesdites conditions. Il importe ainsi peu que l’aliénation directe des actions C______ à E______ ait été exonérée d’impôt au motif qu’elle aurait alors été qualifiée de gain en capital de la fortune privée du contribuable au sens de l’art. 16 al. 3 LIFD, option que ce dernier n’a toutefois pas choisie, ce que le Tribunal fédéral a également souligné dans son arrêt récent 9C_679/2021 précité.

Enfin, en choisissant de transférer ses actions C______ à D______, qu’il contrôlait à 50%, afin de les transférer, dans un deuxième temps, à E______, et ce à travers une société étrangère dite « offshore » et qualifiée de « coquille vide » sise dans un État étranger disposant d’une réglementation moins « inquisitrice » que la Suisse au sujet de l’identité des actionnaires et surtout des ayants droit économiques, le contribuable a décidé de changer de « système » et de faire passer ses actions C______ de sa fortune privée à la fortune commerciale d’une société de capitaux dont il détenait 50% du capital-actions, soit D______. Ce transfert implique un changement de système en ce sens que ses participations passent de la fortune privée, évaluée à la valeur nominale, à la fortune commerciale soumise au principe de la valeur comptable, avec pour conséquence l’imposition des réserves latentes sur lesdites participations en tant que les premières représentent une augmentation de la valeur des secondes. Ce changement de système implique une imposition systématique des réserves latentes, voulue par le législateur lors de l’adoption de la réglementation légale de la transposition cristallisée à l’art. 20a al. 1 let. b LIFD, et ce au moment du transfert des participations transférées, sans qu’une appréciation économique globale soit exigée, comme l’a rappelé le Tribunal fédéral dans son arrêt récent 9C_679/2021 précité.

Dès lors, les circonstances postérieures audit transfert, selon lesquelles le contribuable aurait, le jour même, définitivement cédé sa part de D______ à E______ qui l’aurait transférée dans une autre société avec laquelle le contribuable n’aurait aucun lien, ne sont pas pertinentes pour l’examen des conditions de l’art. 20a al. 1 let. b LIFD. Cette disposition exige uniquement que le vendeur des participations transférées détienne au moins 50% du capital de la société reprenante (ou acquéreuse) de celles-ci, au moment de leur transfert.

Tel a bien été le cas in casu. C’est d’ailleurs parce que le contribuable détenait et contrôlait la moitié de D______ qu’il a pu, dans un deuxième temps, en disposer et céder sa part à E______, à une valeur supérieure à la valeur nominale des actions C______, ce qui n’est pas remis en cause et implique l’existence de réserves latentes. Celles-ci ne figurent pas dans la comptabilité de D______, à titre d’« autres réserves », mais ont été utilisées, à titre d’apport en capital franc d’impôt, pour augmenter le capital social de D______ avec une prime d’émission pour chacune des nouvelles actions, achetées à parts égales par le contribuable et E______, comme l’a notamment relevé l’AFC dans sa réponse. Ainsi, en transférant à ce dernier sa part dans D______, le contribuable a utilisé les réserves latentes contenues dans ses actions C______ cédées à D______ pour rembourser la dette alléguée, de sorte qu’il a perçu une contre-prestation financière comprenant la valeur desdites réserves latentes.

Par conséquent, la dernière condition litigieuse de la transposition est remplie. Dès lors, le transfert litigieux réalise le cas de transposition au sens de l’art. 20a al. 1 let. b LIFD, comme l’a à bon droit considéré l’AFC. Le même raisonnement s’applique à l’ICC compte tenu de la similitude des art. 7a al. 1 let. b LHID et 23 al. 1 let. b LIPP. Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner si la présente espèce constitue également un cas d’évasion fiscale.

Le recours des contribuables doit donc être rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge conjointe des recourants et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 avril 2024 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge conjointe de A______ et B______  ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Luc BOCHATAY, avocat des recourants, à l'administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :