Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1318/2024

ATA/761/2024 du 25.06.2024 ( EXPLOI ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : COMMERCE ET INDUSTRIE;VENTE;CIGARETTE;ALCOOL;MINORITÉ(ÂGE);SURVEILLANCE;SANCTION ADMINISTRATIVE;INTERDICTION D'EXERCER UNE PROFESSION;PROVISOIRE
Normes : LTGVEAT.1; LTGVEAT.7.al1.leta; LTGVEAT.7.al1.letb; LTGVEAT.4.al3.letb; LTGVEAT.6; LTGVEAT.10.al2; LTGVEAT.10.al3; LTGVEAT.11.al1; LTGVEAT.18; LTGVEAT.19; LTGVEAT.19.al5
Résumé : Recours contre une décision de suspension des autorisations de vendre du tabac et des produits assimilés ainsi que des boissons alcooliques pour une durée de 60 jours en raison de la vente à une mineure d'une cigarette électronique à usage unique de marque « Puff » avec une teneur de 2% de nicotine et d'une bouteille de 275 ml de marque « Smirnoff Ice original » et de boissons alcooliques après 21h00. Réduction de la durée de la suspension à 30 jours pour des questions de proportionnalité. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1318/2024-EXPLOI ATA/761/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 juin 2024

 

dans la cause

 

A______ SA et B______ recourants

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé



EN FAIT

A. a. Le 1er novembre 2022, le service de police du commerce et lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a délivré à B______ l’autorisation de vendre à l’emporter des boissons alcooliques et des produits de tabac ainsi que des produits assimilés au tabac dans son commerce à l’enseigne « C______ », sis D______ à Genève, pour le compte d’A______ SA, propriétaire du commerce. B______ dispose de la signature individuelle pour représenter la société.

b. Selon les rapports du secteur inspectorat du PCTN des 1er mars, 23 octobre et 8 décembre 2023, le commerce a vendu a) à une mineure le 17 février 2023 une cigarette électronique à usage unique de marque « Puff » avec une teneur de 2% de nicotine, b) à une personne mineure une bouteille de 275 ml de marque « Smirnoff Ice original » le 19 octobre 2023 et c) des boissons alcooliques après 21h00 le 7 décembre 2023.

c. Après chacun de ces incidents, le PCTN a invité la société et le titulaire des autorisations de vente à se déterminer sur la suspension envisagée de celles-ci, d’une durée de sept jours à six mois.

d. La société a, le 2 novembre 2023, reconnu la gravité des faits et présenté ses excuses. Elle avait licencié la personne responsable de la vente, renforcé la formation du personnel et mis en place des procédures strictes relatives à la vérification de l’âge des jeunes clients. Il s’agissait d’un incident isolé. Elle s’engageait à respecter la législation en vigueur et demandait la reconsidération de la suspension envisagée.

Le 5 janvier 2024, elle s’est excusée pour les faits survenus le 19 octobre 2023 et a reconnu leur gravité. L’acheteur ne présentait pas l’apparence d’une personne mineure et avait insisté pour procéder à l’achat. L’employée avait aussi cru que la boisson vendue était un boisson alcoolique fermentée et non distillée. A______ SA souhaitait pleinement collaborer avec le PCTN. Les démarches nécessaires allaient être entreprises. Elle espérait que ses explications seraient prises en considération et relevait que sa situation financière était précaire.

e. Le courrier adressé à B______ après le premier incident a été retourné avec la mention « défaut d’adressage ». Il lui a été renvoyé le 17 octobre 2023.

Il n’a pas répondu au courrier du PCTN relatif au second incident.

f. L’invitation à se déterminer sur le troisième incident ayant été retournée au PCTN avec la mention « destinataire inconnu à l’adresse », elle a été publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève le ______ janvier 2024, impartissant un délai pour se déterminer au 12 février 2024.

g. Seul B______ s’est déterminé. Il s’est excusé, a expliqué que le responsable sur place avait reconnu les faits, comprenait leur gravité et reconnaissait sa responsabilité. Il allait prendre des mesures pour éviter que de tels événements se reproduisent.

h. Par décision du 22 mars 2024, le PCTN a suspendu les autorisations de B______ pour 60 jours, en raison des faits constatés les 17 février et 19 octobre 2023. Il l’a, par ailleurs, averti, en relation avec les faits constatés le 8 décembre 2023, qu’en cas de nouvelles infractions, il s’exposait à une nouvelle mesure administrative.

B. a. Par acte expédié le 20 avril 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ SA, sous la signature de B______, a recouru contre cette décision. Elle avait pris les mesures nécessaires à la suite de la réception des rapports du PCTN. La suspension avait un impact négatif sur sa situation financière.

Les infractions avaient été motivées par l’insistance des acheteurs et l’inexpérience et l’incompétence de ses employés. Elle dépendait fortement de la vente de boissons alcoolisées et des produits du tabac. Une suspension aurait des conséquences catastrophiques sur ses revenus. Elle demandait que soient pris en considération les efforts qu’elle avait déployés pour « rectifier la situation ». Elle prenait cette affaire très au sérieux.

Elle demandait donc la suppression de la suspension, subsidiairement le prononcé d’une amende qui tiendrait compte de ses difficultés financières.

b. Le PCTN a conclu au rejet du recours.

La vente de marchandise à des mineurs faite en violation des interdictions prévues était une infraction grave. La sanction était proportionnée, car l’infraction s’était produite à deux reprises. Il n’était pas possible de prononcer une amende ; une telle mesure était du ressort du service des contraventions.

c. La recourante ne s’est pas manifestée dans le délai imparti à cet effet.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Les recourants se plaignent de la suspension des autorisations de vendre du tabac et des produits assimilés ainsi que des boissons alcooliques pour une durée de 60 jours.

2.1 La loi sur la remise à titre gratuit et la vente à l’emporter de boissons alcooliques, de produits du tabac et de produits assimilés au tabac du 17 janvier 2020 (LTGVEAT - I 2 25) a pour buts d’assurer qu’aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l’ordre public, en particulier la tranquillité et la santé publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu’en raison de sa construction, de son aménagement et de son implantation. Elle vise également à protéger la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction (art. 1 al. 1 LTGVEAT). Toute autorisation prévue par cette loi ne peut être délivrée que si les buts énoncés à l’al. 1 sont susceptibles d’être atteints (al. 2).

2.2 La vente de produits du tabac et de produits assimilés au tabac, y compris l’exploitation d’appareils automatiques délivrant ces produits, ainsi que celle de produits du tabac et de produits assimilés au tabac est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation délivrée par le PCTN (art. 7 al. 1 let. a et b LTGVEAT). Sont considérés comme produits assimilés au tabac les cigarettes électroniques, présentant un dispositif sans tabac et permettant d’inhaler de la vapeur obtenue par chauffage d’un liquide avec ou sans nicotine, ainsi que les flacons de recharge et les cartouches pour ce dispositif (art. 4 al. 3 let. b LTGVEAT).

2.3 La remise à titre gratuit et la vente des produits de tabac précités aux mineurs est interdite (art. 6 al. 4 LTGVEAT). La remise à titre gratuit et la vente de boissons distillées à des mineurs est strictement interdite (art. 6 al. 2 LTGVEAT). Est de même interdite, a remise à titre gratuit et la vente de boissons fermentées à des mineurs de moins de 16 ans (art. 6 al. 3 LTGVEAT).

Les titulaires d’une autorisation sont tenus de respecter les dispositions de la LTGVEAT et celles de la législation fédérale (art. 10 al. 2 LTGVEAT). Ils doivent en particulier veiller à ce que le personnel de vente contrôle l’âge des jeunes clients. À cette fin, une pièce d’identité peut être exigée (al. 3).

2.4 Le PCTN peut effectuer ou organiser des achats-tests afin de vérifier si les prescriptions de la LTGVEAT sont respectées (art. 11 al. 1 LTGVEAT).

2.5 Aux termes de l’art. 18 al. 3 LTGVEAT, en cas de violation de la LTGVEAT ou de ses dispositions d’exécution, le PCTN peut prononcer, sans préjudice de l’amende prévue à l’art. 19, l’une des mesures suivantes : la suspension de l’autorisation pour une durée de sept jours à six mois (let. a) ; le retrait de l’autorisation (let. b). Si, dans les trois ans qui précèdent l’acte ou l’omission, le contrevenant a déjà fait l’objet d’une mesure de suspension ou de retrait devenue exécutoire, la sanction est au moins une suspension de 30 jours (al. 4). Si, dans les trois ans qui précèdent une infraction à l’interdiction visée à l’art. 6 al. 2 à 4, le contrevenant a déjà fait l’objet d’une mesure de suspension ou de retrait devenue exécutoire en raison d’une violation de la même disposition, la sanction est le retrait de l’autorisation assorti d’un délai de carence de 36 mois au plus, à compter de l’entrée en force de la décision, pendant lequel le PCTN ne peut entrer en matière sur une nouvelle demande d’autorisation (al. 5). Pour fixer la durée de la mesure ou décider d’un retrait, outre les seuils prévus par la présente disposition, l’autorité tient compte notamment de la gravité de la faute, des antécédents et de leur gravité. Est notamment considérée comme grave la violation des prescriptions visées aux art. 6, 14 et 16 (al. 6).

Indépendamment du prononcé d’une mesure administrative, les contrevenants à la LTGVEAT ou à ses dispositions d’exécution sont passibles d’une amende pénale de CHF 1'000.- à CHF 40'000.- (art. 19 al. 1 LTGVEAT). Celle-ci est prononcée par le service des contraventions (art. 19 al. 5 LTGVEAT).

2.6 Le PCTN jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer la mesure administrative. La chambre de céans ne le censure qu’en cas d’excès (ATA/983/2021 du 24 septembre 2021 consid. 7b ; ATA/625/2021 du 15 juin 2021consid. 4b et les références citées). L'autorité commet un abus de son pouvoir d'appréciation, si elle ne se fonde pas sur des motifs sérieux et objectifs, se laisse guider par des éléments non pertinents ou étrangers au but des règles ou viole des principes généraux tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, les principes de la bonne foi et de la proportionnalité (ATA/32/2020 du 14 janvier 2020 consid. 2b et l'arrêt cité).

2.7 En l’espèce, il est établi et non contesté que, lors d’un achat-test effectué par le PCTN le 19 octobre 2023, un employé du commerce de la recourante a vendu une bouteille de 275 ml de la marque « Smirnoff Ice Original » à une personne mineure et que, lors d’un achat-test effectué le 17 février 2023, une cigarette électronique jetable a été vendue à une personne mineure. En cela, le recourant a contrevenu à l’art. 6 al. 4 LTGVEAT, qui interdit la vente de tabac et de produits assimilés ainsi que d’alcool à des mineurs. Il a également violé l’art. 10 al. 3 LTGVEAT, qui impose aux titulaires de l’autorisation de veiller à ce que le personnel de vente contrôle l’âge des jeunes clients.

Les recourants remettent en cause la proportionnalité de la mesure, qu’ils estiment trop sévère eu égard à la situation financière de la société.

Le législateur a opté pour un régime de sanction particulièrement sévère en cas de vente de produits interdits à des mineurs. La LTGVEAT prévoit, en effet, expressément que la vente de tabac ou de produits assimilés ainsi que de boissons distillées aux mineurs constitue une infraction grave (art. 18 al. 6 in fine LTGVEAT). La gravité d’une telle infraction est, par ailleurs, confirmée par la sanction en cas de deuxième manquement à l’art. 6 LTGVEAT, soit le retrait de l’autorisation assorti d’un délai de carence de 36 mois, pendant lequel le PCTN ne peut entrer en matière sur une nouvelle demande (art. 18 al. 5 LTGVEAT). Or, il s’agit là d’une sanction beaucoup plus sévère qu’en cas de récidive aux autres infractions prévues par la loi (art. 18 al. 4 LTGVEAT). La sévérité de la sanction en cas de vente de tabac ou d’alcool aux mineurs répond ainsi à une volonté clairement exprimée par le législateur de se montrer intransigeant à l'égard des auteurs de cette infraction. Par ailleurs, l’éventuelle insistance des clients mineurs pour acquérir les produits interdits relève d’une circonstance à laquelle le personnel de vente doit être préparé et qui ne justifie, en aucun cas, l’absence de contrôle de l’âge. Il appartenait au commerce de prendre les dispositions pour ne pas se retrouver dans une telle situation.

Cela étant, bien que les deux infractions constatées soient graves, ce que les recourants ont d’ailleurs admis, la sanction prononcée apparaît particulièrement sévère. En effet, elle ne tient pas suffisamment compte du fait que le recourant n’a pas d’antécédent disciplinaire, a exprimé des regrets, s’est engagé à prendre des mesures pour éviter une récidive, que la quantité d’alcool vendu était limitée à une bouteille de 275 ml, que la vente d’un produit assimilé au tabac était limitée à une cigarette électronique et des effets économiques de la mesure sur l’établissement. Il faut, en revanche, imputer à charge du recourant qu’il avait déjà fait l’objet d’un achat-test en février 2023 ayant mis en évidence son absence de rigueur de l’application de l’interdiction de vente de certains produits à des mineurs et qu’un second incident du même type est intervenu en octobre 2023.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, une suspension d’une durée de 30 jours jours apparaît suffisante et apte à atteindre le but de la LTGVEAT, soit le respect par le recourant des dispositions de cette loi, en particulier la protection de la santé des mineurs, notamment contre les risques d’addiction.

Enfin, bien que les recourants s’en prévalent, comme précédemment devant le PCTN, ils n’apportent aucun élément relatif à la prétendue situation financière précaire de la société. En outre, cette question n’a pas à être instruite plus avant, le PCTN n’ayant pas prononcé d’amende, n’en ayant au demeurant pas la compétence ; cette prérogative relève du service des contraventions (art. 19 al. 5 LTGVEAT).

Le recours sera partiellement admis et la durée de la suspension réduite à 30 jours.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 250.- sera mis à la charge du recourant, et il lui sera alloué une indemnité de procédure de CHF 500.- (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 avril 2024 par A______ SA et B______ contre la décision du service de police du commerce et lutte contre le travail au noir du 22 mars 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement et annule la décision précitée en tant qu’elle fixe la durée de la suspension des autorisations de B______ de vente d’alcool et de tabac à 60 jours ;

réduit la durée de ladite suspension à 30 jours ;

confirme pour le surplus la décision précitée ;

met un émolument de CHF 250.- à la charge solidaire de A______ SA et B______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______ SA et B______, solidairement entre eux ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ SA, B______ ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

 

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le 

 

 

la greffière :