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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4294/2023

ATA/618/2024 du 21.05.2024 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4294/2023-FORMA ATA/618/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 mai 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D’ÉTUDES intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : l’étudiant), né le ______ 1993, domicilié à Genève, a obtenu un baccalauréat en science forensique à l’Université de Lausanne en juin 2019.

En septembre 2021, il a commencé un baccalauréat en informatique et systèmes de communication auprès de la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du canton de Vaud (ci-après : HEIG-VD).

b. L’étudiant a été engagé en qualité de stagiaire du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2025 auprès de B______ SA. Son salaire mensuel s’élevait à CHF 1'000.- la première année, CHF 1'200.- la deuxième, CHF 1'400.- la troisième et CHF 1'600.- la quatrième, 13 x l’an.

c. Pendant l’année scolaire 2021/2022, il a bénéficié d’une bourse d’études d’un montant de CHF 16'000.-.

L’étudiant avait expliqué au service des bourses et prêts d’études (ci‑après : SBPE) avoir quitté un foyer familial néfaste, maltraitant, à l’âge de 15 ans. Dans un document joint au dossier de bourse d’études, C______, directeur de l’Internat du Collège de l’Abbaye de D______, attestait que l’intéressé y avait été résident de 2010 à 2014, y avait exercé des activités de surveillant et mentionnait des « problèmes familiaux qui dictaient un relatif éloignement familial ». La bourse a été octroyée bien que le SBPE ait ignoré la situation financière des parents.

d. Par décision du 22 mars 2023, le SBPE a refusé d’octroyer une bourse ou un prêt d’études à l’étudiant pour l’année scolaire 2022/2023, son découvert n’étant pas supérieur ou égal à CHF 500.-.

Le SBPE avait pris connaissance de l’avis de taxation de la mère de l’étudiant laquelle possédait, à elle seule, un revenu brut de CHF 255'300.- et une fortune totale de CHF 3'783'174.-. Les données fiscales du père de l’étudiant n’étaient pas accessibles, ses ressources dépassant la limite imposée par le système informatique qui ne permettait pas de consulter la situation financière des personnes ayant un revenu supérieur à CHF 300'000.-. Sa condition devait en conséquence être plus confortable que celle de son ex-femme. Selon le registre du commerce, il était propriétaire de l’atelier d’architecture E______ A______ SA. Il n’était pas nécessaire d’investiguer davantage la situation du père de l’étudiant, au vu de celle de sa mère.

B. a. Le 23 septembre 2023, l’étudiant a déposé une demande de bourses et prêts d’études pour l’année scolaire 2023/2024. Il prévoyait de finir sa formation auprès de la HEIG-VD le 1er octobre 2025. Comme précisé dans ses dernières demandes de bourse, il avait quitté le domicile pour vivre dans un foyer depuis l’âge de 15 ans. Ses contacts avec son père n’étaient pas « suffisamment bons » pour pouvoir répondre aux questions qui le concernaient.

b. Par décision du 28 novembre 2023, le SBPE a rejeté la demande. Les revenus de l’étudiant étaient suffisants pour couvrir ses dépenses. Bien que son dossier ne soit pas complet, l’autorité disposait de suffisamment d’éléments. Les revenus de 2021 de sa mère suffisaient à couvrir ses dépenses.

c. Le 1er décembre 2023, l’étudiant a sollicité un réexamen de sa situation. Il était indépendant depuis plus de deux ans sur le plan financier. Âgé de plus de 30 ans révolus, ne vivant plus chez ses parents, il remplissait les conditions de l’art. 18 al. 5 de la loi sur les bourses et prêts d’études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20).

d. Par décision du 20 décembre 2023, le SBPE a rejeté la réclamation de l’étudiant. S’il avait effectivement plus de 30 ans depuis octobre 2023 et avait son propre logement, il ne remplissait pas les conditions de l’art. 18 al. 3 LBPE, n’ayant notamment pas obtenu un revenu d’au moins CHF 30'000.- « pendant deux ans avant de commencer sa nouvelle formation ».

C. a. Par acte du 25 décembre 2023, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision. Il a conclu à son annulation et à l’octroi d’une bourse d’études. Lors de ses précédents échanges avec le SBPE, il avait été assuré, à plusieurs reprises, qu’il satisfaisait aux critères requis pour l’obtention d’une bourse. Ces affirmations l’avaient incité à poursuivre sa demande, convaincu que ses qualifications et sa situation personnelle étaient conformes aux conditions. Ces informations avaient fortement influencé sa décision de reprendre des études. Il remplissait les critères d’indépendance financière de l’art. 18 al. 5 LBPE.

b. Le 26 décembre 2023, l’intéressé a complété son recours. Il contestait le calcul de ses revenus. Il avait, notamment, travaillé pendant deux ans et demi à l’Internat de D______ où il avait été logé. Cette dernière prestation faisait partie intégrante de sa rémunération. De même, lors de son emploi à Londres, le logement constituait une composante essentielle de sa rétribution. Il avait commencé ses études universitaires en assurant les dépenses liées à son logement et toutes ses factures courantes.

c. Ayant obtenu un délai supplémentaire pour compléter son dossier le délai de recours n’étant pas échu, l’étudiant a précisé que le SBPE lui avait indiqué, par courriel, qu’il devait travailler à plein temps pendant quatre ans pour obtenir une bourse, condition qu’il remplissait. S’il n’avait pas eu la certitude de pouvoir bénéficier d’une telle aide financière, il n’aurait probablement pas repris ses études.

Il avait entamé son école de recrues en juin 2014, suivie de l’école de sous-officiers la même année. Il avait été promu au grade de chef de groupe et avait poursuivi sa progression devenant officier. Il avait terminé son service militaire en février 2016 en qualité de premier lieutenant. Il s’agissait d’une activité génératrice de revenus liés au service militaire obligatoire et « volontaire, non obligatoire » de 21 mois.

Il avait par la suite occupé un poste de préfet dans l’Internat de D______ d’août 2016 à juin 2018. Pendant cette période, il avait assuré des services de piquets à plein temps, pendant 23 mois, même si son revenu mensuel n’était alors que de CHF 1'000.-. Il était nourri, logé et financièrement indépendant. Du 22 janvier 2016 au 30 avril 2016, il avait travaillé pour la société F______. Il était intervenu à 100% pendant deux semaines lors du salon de l’automobile la même année. À la fin de ses études en science forensique, en 2019, il avait effectué un stage de trois semaines au sein de la H______ de la police judiciaire de Genève à 100%. Ce stage n’était pas rémunéré mais servait à assurer qu’il puisse entrer dans les forces de police. Pendant cinq mois, de septembre 2019 à janvier 2020, il avait occupé un emploi à plein temps à Londres. En sus de revenus mensuels de CHF 2'000.-, il était nourri et logé. Du 17 février au 15 mars 2020, il avait été engagé au stand G______ du salon de l’automobile. Bien que l’événement ait été annulé en raison de la pandémie de Covid-19, le contrat avait été honoré. Il avait perçu des indemnités chômage de novembre 2020 à janvier 2021 avant d’œuvrer comme commandant de compagnie au sein de l’école d’I______ pendant huit mois, jusqu’en septembre 2021. Il avait en conséquence travaillé à temps complet pendant 62.25 mois, voire 54.5 si l’on ne tenait pas compte du service militaire obligatoire, du stage auprès de la police et de la période de chômage. Cela représentait plus de quatre années.

Il avait donc terminé une formation donnant accès à un métier en criminologie et avait été financièrement indépendant pendant deux ans avant de commencer sa formation actuelle. Ces différentes activités économiques lui avaient permis de mettre quelques économies de côté afin de subvenir à ses besoins de manière indépendante. Il n’avait jamais sollicité l’aide sociale et n’avait aucune aide financière de la part de sa famille, avec laquelle les relations étaient par ailleurs quasi inexistantes.

Le SBPE avait fait une mauvaise application de l’art. 18 LBPE.

d. Le 24 janvier 2024, le recourant s’est référé à l’Accord intercantonal sur l’harmonisation des régimes de bourses d’études du 18 juin 2009 (Concordat sur les bourses d’études [CBE] - C 1 19). Selon l’art. 7 CBE, le service militaire était considéré comme une activité professionnelle, de la même manière que le chômage.

e. Le SBPE a conclu au rejet du recours. Il contestait avoir garanti une intervention du service, d’autant plus que le calcul de sa situation financière n’avait pas été effectué. Les aides n’étant octroyées que pour l’année de formation en cours, l’octroi de la bourse pour l’année académique 2021/2022 était sans incidence pour les années suivantes. Dès lors que la mère du recourant avait signé le contrat de bail de l’étudiant, se portant solidairement responsable de celui-ci, il était peu probable que le recourant soit dans l’impossibilité de fournir les avis de taxation de ses parents ou leur jugement de divorce. Les liens n’apparaissaient pas totalement rompus. Il n’avait d’ailleurs jamais remis les justificatifs attestant du refus du service de protection des mineurs de lui remettre les documents idoines. Il n’avait pas contesté le refus de bourse pour l’année de formation 2022/2023 et était parfaitement au courant des modalités du calcul pour l’année 2023/2024.

Le recourant n’avait pas déclaré au fisc les prestations en nature (logement ; nourriture) dont il se prévalait. Seuls les documents officiels faisaient foi pour le calcul des CHF 30'000.-.

Enfin, il ne remplissait pas les conditions d’un cas de rigueur, ayant déjà bénéficié d’une bourse lors de la première année de formation. Avec un salaire mensuel de CHF 1'600.- sur treize mois, un subside assurance-maladie de CHF 320.- et une fortune mobilière de CHF 127'236.- selon l’avis de taxation 2022, il ne pouvait se prévaloir d’une situation de précarité. À cela s’ajoutait le manque de certaines informations.

f. Dans sa réplique, le recourant a relevé que la let. b de l’art. 18 al. 3 LBPE n’impliquait aucun revenu minimal par an et faisait uniquement mention de l’exercice d’une activité lucrative à plein temps. Il rappelait son parcours et la nécessité de tenir compte du service militaire.

Il évoquait, au titre d’éléments constitutifs de sa rémunération à D______, les avantages en nature tels que le logement, la nourriture, des locaux à disposition ainsi que des « bénéfices plus subtils, difficilement quantifiables, tels que l’organisation et la préparation des repas, le soutien des femmes de ménage ou l’organisation d’activités comme des sorties au cirque ou des concerts », notamment. Ces éléments constituaient une partie substantielle de sa rémunération. Cette composante du revenu n’avait pas été déclarée par sa fiduciaire, dès lors qu’elle ne figurait pas dans les certificats de salaire émis par son employeur. Il avait contacté l’Administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) pour obtenir des conseils sur les démarches à entreprendre en vue d’effectuer un « redressement fiscal ». Il a produit une attestation d’J______, procureur de l’abbaye de D______, certifiant que l’intéressé avait été salarié dans l’institution en tant que préfet des internes du 18 août 2016 au 22 juin 2018. Il était rémunéré, quotidiennement, à hauteur de CHF 7.- pour le petit déjeuner, CHF 12.- pour le repas de midi et CHF 12.- pour le repas du soir soit CHF 31.- par jour équivalent à CHF 930.-/mois auxquels devaient s’ajouter CHF 450.- de logement soit un salaire en nature total de CHF 1'380.-. Une attestation détaillée du chanoine C______ confirmait un taux d’activité de 100%.

g. Le SBPE a précisé avoir pris bonne note que le recourant avait entrepris des démarches pour une mise à jour, auprès de l’AFC, sur la base de l’attestation de l’abbaye de D______ mentionnant un salaire en nature pour la période d’août 2016 à juin 2018. Dès réception d’éventuelles modifications des avis de taxation, il pourrait procéder à une nouvelle analyse.

h. Interpellé par la juge déléguée sur une éventuelle suspension de la présente procédure, le recourant s’y est opposé.

i. Lors de l’audience du 2 mai 2024, l’étudiant a expliqué ne pas avoir travaillé entre juillet 2018 et fin août 2019 pour se concentrer sur la fin de son baccalauréat. Il n’avait pas perçu d’indemnités chômage pendant plusieurs mois après son inscription, conformément au délai de carence imposé aux étudiants. Si nécessaire, il pouvait produire les fiches de salaire de son activité déployée à Londres. Le SBPE confondait activités professionnelle et lucrative. Selon le « Manuel » commentant le CBE, l’activité professionnelle était définie à l’art. 7 comme devant cumuler une activité lucrative et des revenus nets à CHF 30'000.-. La let. b de l’art. 18 al. 3 de la LBPE ne parlait que d’activité lucrative à plein temps pendant quatre ans, condition qu’il remplissait.

Le SBPE a précisé que lorsque la loi exigeait un âge précis, les calculs étaient modifiés au début du mois de la naissance, soit en l’espèce dès le 1er octobre 2023. La pratique interprétait le terme « immédiatement » de l’art. 18 al. 5 LBPE de façon assez souple. Pour l’art. 18 al. 3 let. a LBPE, il interprétait la notion de deux ans comme une exigence de durée. Il se référait aux avis de taxation des deux dernières années. Si les conditions n’étaient pas remplies, il étendait son analyse à cinq années et prenait en compte l’année en cours. Il faisait du cas par cas. Le recourant confondait « première formation donnant accès à un métier » et la question de l’indépendance financière lorsqu’il interprétait l’art. 7 CBE. Par ailleurs, certaines zones d’ombre persistaient sur sa situation, notamment familiale.

Les avis de taxation du recourant pour les années 2016 à 2021 ont été versés à la procédure à l’issue de l’audience. Il en ressort un revenu brut de CHF 17'195.- en 2016, CHF 9'676.- en 2017, CHF 6'055.- en 2018, CHF 7'007.- en 2019, CHF 9'832.- en 2020 et CHF 63'185.- en 2021.

Sur ce, les parties se sont dites d’accord que la cause soit gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Est litigieux le refus d’octroi d’une bourse ou d’un prêt au recourant pour l’année scolaire 2023/2024.

2.1 Le financement de la formation incombe aux parents et aux personnes tierces qui y sont légalement tenus ainsi qu’à la personne en formation elle-même (art. 1 al. 2 LBPE). L’aide financière est subsidiaire (art. 1 al. 3 LBPE).

2.2 Si les revenus de la personne en formation, de ses parents (père et mère), de son conjoint ou sa conjointe ou sa ou son partenaire enregistré et des autres personnes qui sont tenues légalement au financement de la formation, ainsi que les prestations fournies par des personnes tierces ne suffisent pas à couvrir les frais de formation, le canton finance, sur demande, les besoins reconnus par le biais de bourses ou de prêts (art. 18 al. 1 LBPE).

Les revenus des parents ne sont pas pris en compte lorsque la personne en formation a atteint l’âge de 30 ans révolus, qu’elle ne vit plus chez ses parents et remplit, immédiatement avant de commencer la formation pour laquelle elle demande une aide, les conditions figurant à l’al. 3 let. a ou b (art. 18 al. 5 LBPE).

À teneur de l’art. 18 al. 3 LBPE, les conditions consistent en : a) avoir terminé une première formation donnant accès à un métier et avoir été financièrement indépendant pendant deux ans avant de commencer sa nouvelle formation ; ou b) avoir exercé une activité lucrative à plein temps pendant quatre ans.

Selon l’art. 8 al. 2 du règlement d’application de la loi sur les bourses et prêts d’études du 2 mai 2012 (RBPE - C 1 20.01), dans le cadre de l’application de l’art. 18 al. 3 let. a LBPE, la personne en formation doit réaliser un revenu annuel net d’au moins CHF 30'000.- afin de remplir la condition d’indépendance financière.

2.3 Dans son rapport n° 139 de mai 2018, portant sur la problématique des bourses et prêts d’études dans le canton, la Cour des comptes avait relevé que « La prise en compte, dans le calcul du droit, d’une contribution théorique des parents ne reflète pas toujours la réalité de l’aide apportée par les parents, en particulier quand les personnes en formation sont en études après l’âge de 30 ans. Il apparaît donc que la mise en œuvre actuelle de la LBPE entraîne des risques d’exclusion de personnes aux situations familiales difficiles. Pour couvrir ce risque, la Cour a recommandé de formaliser davantage les critères permettant de prendre en compte les situations complexes (cas de rigueur pour les situations de rupture durable des relations familiales, équivalences de formation, etc.). Elle propose également des modalités de décision collégiale pour les situations complexes, afin d’éviter d’éventuelles inégalités de traitement pour des cas non prévus par les directives. Dans le même ordre d’idées, elle a recommandé d’ignorer les ressources des parents lorsque le demandeur est âgé de 30 ans révolus et qu’il reprend une formation après une période d’indépendance financière » (rapport n° 139 de la Cour des comptes, p. 4).

Dans sa recommandation n° 5, la Cour des comptes proposait ainsi au département concerné de préparer un projet de révision du RBPE prévoyant notamment de ne plus prendre en compte les revenus des parents pour les demandeurs âgés de 30 ans et plus bénéficiant du statut « indépendant » (rapport n° 139 de la Cour des comptes, p. 64).

Plusieurs dispositions légales et réglementaires sont ainsi entrées en vigueur le 1er juin 2021, dont l’art. 18 al. 3 et 5 LBPE.

3.             En l’espèce, il n’est pas contesté que le recourant a atteint l’âge de 30 ans révolus en octobre 2023, pendant l’année scolaire concernée, et n’habite plus chez ses parents.

Seule est litigieuse la troisième condition nécessaire et cumulative de l’art. 18 al. 5 LBPE, soit « de remplir immédiatement avant de commencer la formation pour laquelle il demande une aide », une des conditions alternatives de l’art. 18 al. 3 LBPE.

Le recourant a commencé la formation « pour laquelle il demande une aide » en septembre 2021. L’analyse doit en conséquence porter sur la période antérieure à septembre 2021. Il n’est toutefois pas nécessaire de déterminer avec précision comment calculer la période définie comme « immédiatement avant », compte tenu de l’issue du litige.

3.1 S’agissant de la let. a de l’art. 18 al. 3 LBPE, il n’est pas contesté que le recourant qui a obtenu un baccalauréat en science forensique en juin 2019 remplit la première condition, soit avoir terminé une première formation donnant accès à un métier, à savoir, à teneur des travaux préparatoires, être titulaire d’un « diplôme reconnu donnant le droit d’exercer un métier » (PL 12’749 p. 9/32).

La seconde, soit d’avoir été financièrement indépendant pendant deux ans avant de commencer sa nouvelle formation doit être analysée étant rappelé que selon l’art. 8 al. 2 RBPE, la personne en formation doit réaliser un revenu annuel net d’au moins CHF 30'000.- afin de remplir la condition d’indépendance financière.

À teneur de son curriculum vitae (ci-après : CV), le recourant n’a pas travaillé de juillet 2018 à fin août 2019. Il a confirmé ce fait en audience, précisant s’être concentré sur ses études, obtenant son baccalauréat en juin 2019. Il a travaillé, à plein temps, au K______ LONDON du 30 septembre 2019 au 5 janvier 2020. Il allègue avoir perçu un revenu mensuel d’environ CHF 2'000.- auquel devrait s’ajouter un montant équivalent au titre de prestations en nature pour la nourriture et le logement. La notion d’indépendance était, de son point de vue, réalisée.

Entre le 17 février et le 15 mars 2020, il devait être employé à 100% au stand G______ au salon de l’automobile. Bien que l’événement ait été annulé en raison de la pandémie, le contrat a été honoré. Le recourant a perçu à ce titre CHF 3'727.-.

Il a été inscrit auprès de la caisse cantonale de chômage à compter de mai 2020. Il n’a perçu des indemnités que depuis novembre 2020 compte tenu des délais d’attente imposés aux étudiants (art. 14 al. 1 let. a et 18 al. 2 de la loi fédérale sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 25 juin 1982 [loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0] et 6 al. 1 de l’Ordonnance sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité [Ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI]).

Ainsi, de septembre 2019 à septembre 2020, le recourant a perçu moins de CHF 10'000.- de revenus. Même à prendre en compte un revenu correspondant à des prestations en nature pour l’activité exercée du 30 septembre 2019 au 5 janvier 2020, le revenu réalisé n’atteint probablement pas le minimum de CHF 30'000.- requis par l’art. 18 al. 3 let. a LBPE, cum 8 al. 2 RBPE. Cette question peut toutefois demeurer indécise, le SBPE ayant indiqué être prêt à réexaminer la situation une fois les taxations de l’AFC corrigées en tenant compte du salaire en nature.

S’agissant de la période de septembre 2020 à septembre 2021, le recourant indique avoir perçu des indemnités chômage de novembre 2020 à janvier 2021. L’extrait de son compte individuel auprès de l’office cantonal des assurances sociales indique des montants de CHF 5'263.- et CHF 2'570.-. De février 2021 à fin septembre 2021, il a travaillé en qualité de commandant de compagnie au sein de l’école d’I______, pour un revenu de CHF 55'763.-. Son revenu net pour la seconde année dépasse en conséquence largement les CHF 30'000.- annuels. Le cumul des deux années représente CHF 74'923.-.

Le montant de CHF 30'000.- étant un minimum annuel selon le texte clair de l’art. 18 al. 3 let. a LBPE, et devant être gagné pendant deux années, le recourant ne remplit pas la condition de l’art. 18 al. 3 let. a LBPE.

3.2 Se pose la question de la condition alternative prévue à la let. b de l’art. 18 LBPE, qui impose d’avoir exercé une activité lucrative à plein temps pendant quatre ans.

Les parties divergent sur l’interprétation des termes « activité lucrative à plein temps », en raison des explications contenues dans le « Manuel » à propos de l’art. 7 CBE.

3.2.1 La CBE vise à encourager dans l’ensemble de la Suisse l’harmonisation des allocations de formation du degré secondaire II et du degré tertiaire, notamment : a) en fixant des normes minimales concernant les formations ouvrant le droit à une bourse d’études, la forme, le montant, le calcul et la durée du droit à l’allocation ; b) en définissant le domicile déterminant pour l’octroi d’une allocation ; et c) en veillant à la collaboration entre les cantons signataires et avec la Confédération (art. 1 CBE).

L’art. 7 CBE, sous le titre « exercice d’une activité professionnelle », prévoit que quatre années d’exercice d’une activité professionnelle assurant l’indépendance financière de la personne sollicitant une allocation valent première formation donnant accès à un métier (al. 1). Valent aussi activité professionnelle la tenue de son ménage avec des mineurs ou des personnes nécessitant des soins, le service militaire, le service civil et le chômage (al. 2).

Les parties ont fourni un extrait du « Manuel », soit un commentaire de l’accord intercantonal sur l’harmonisation des régimes de bourses d’études au 30 avril 2019. Cet extrait n’est toutefois pas pertinent en l’espèce. L’art. 7 CBE se limite à préciser ce qui peut être retenu comme « activité professionnelle assurant l’indépendance financière » et donc valoir « première formation donnant accès à un métier ». Or, il n’est pas contesté que le recourant est au bénéfice d’une première formation.

Contrairement à ce que soutient le recourant, l’art. 7 de la CBE ne trouve en conséquence pas application et n’est pas pertinent pour définir ce qu’est l’activité lucrative.

Par voie de conséquence, contrairement à ce que semble soutenir le SBPE, la référence faite, dans ce cadre, par le Manuel, à des revenus de CHF 30'000.- annuels, ne s’applique pas dans l’analyse de l’art. 18 al. 3 let. b LBPE.

3.2.2 La question consiste dès lors à déterminer si le recourant a exercé une « activité lucrative à plein temps pendant quatre ans » au sens de l’art. 18 al. 3 let. b LBPE.

La LBPE précise que « l’assistance apportée à des proches faisant ménage commun avec la personne en formation est considérée comme une activité lucrative » (art. 18 al 5 LBPE).

Le projet de loi qui a fait suite au rapport n° 139 de la Cour des Comptes mentionnait, à propos de l’art. 18 al. 3 LBPE, que « le nouveau dispositif prévoit la prise en compte partielle de l’excédent des ressources du budget des parents pour les étudiants âgés de 25 ans révolus ou plus, qui sont au bénéfice d’une première formation permettant d’accéder au marché du travail (diplôme reconnu donnant le droit d’exercer un métier) et qui ont réellement acquis une indépendance financière par l’exercice d’une activité lucrative pendant une durée de deux ans avant de commencer la nouvelle formation. Ces exigences sont identiques à celles préconisées par le concordat sur les bourses et prêts d’études (cf. art. 19 CBE) » (PL 12749 p. 9).

L’art. 19 CBE prévoit, sous le titre « Calcul partiellement indépendant des prestations parentales » que l’ « on peut renoncer partiellement à tenir compte des prestations raisonnablement exigibles des parents lorsque la personne en formation a atteint l’âge de 25 ans, qu’elle a déjà terminé une première formation donnant accès à un métier et qu’elle était financièrement indépendante pendant deux ans avant de commencer sa nouvelle formation ».

S’agissant d’une norme uniquement potestative, les cantons restent libres d’exiger quatre ans d’activité lucrative dès 30 ans.

La notion d’indépendance financière est par ailleurs fondamentale puisqu’elle ressort tant de la CBE que des travaux législatifs. Par ailleurs si deux ans sont nécessaires à 25 ans, quatre ans sont exigés pour un étudiant de plus de 30 ans, ce qui apparait logique et confirme cette volonté que l’étudiant ait démontré avoir pu être indépendant financièrement préalablement à la reprise d’études.

Le recourant soutient que le service militaire et les périodes de chômage assurent cette indépendance financière, ce que le SBPE conteste.

Contrairement à ce qu’allègue l’étudiant, il ne peut déduire aucun droit des lois vaudoise et jurassienne qui assimilent le service militaire et la période de chômage à une activité lucrative. De même, le fait que le guide romand l’évoque ne peut être déterminant, référence étant clairement faite à la législation vaudoise. De surcroît, il n’est pas certain que lesdites dispositions aient le sens que veut leur donner l’étudiant, la législation vaudoise faisant référence, dans le même article, à la définition de la « première formation », à l’instar de l’art. 7 CBE.

Ainsi, même à considérer que la question du service militaire puisse rester indécise, le recourant ayant gradé et ayant obtenu des gains à même d’assurer son indépendance financière les mois précédant la reprise de sa formation, la prise en compte des périodes de chômage comme assurant une indépendance financière ne ressort d’aucune disposition. De surcroît, le long délai de carence imposé aux étudiants avant le versement des premières indemnités plaide contre l’existence d’une indépendance financière pendant cette période.

En conséquence, il ne peut être tenu compte du service militaire effectué par le recourant entre juin 2014 à février 2016 vu l’ancienneté des faits. L’activité chez F______ en mars 2016 date de plus de cinq ans avant septembre 2021. Sa prise en compte est dès lors discutable au vu de la pratique, souple, du SBPE. Depuis août 2016, le recourant a travaillé pour l’internat de D______. Les attestations du procureur et du chanoine évoquent un contrat de travail à plein temps. L’intéressé a perçu une rémunération mensuelle. Il ressort de l’extrait de compte individuel de l’office cantonal des assurances sociales un revenu annuel de CHF 9'600.- en 2017 et CHF 5'800.- pour 2018. Il n’est pas contesté qu’il était, en sus, nourri et logé. Les questions relatives à la taxation fiscale de ces prestations en nature ne sont pas déterminantes, aucun montant minimum n’étant exigé par l’art. 18 al. 3 let. b LBPE. Cette activité a duré jusqu’au 22 juin 2018. Sous réserve d’un stage à la police, le recourant a confirmé s’être consacré exclusivement à ses études entre juillet 2018 et fin août 2019. L’intéressé a travaillé à Londres du 30 septembre 2019 au 5 janvier 2020, puis pour G______ du 17 février au 15 mars 2020. Il n’a pas travaillé pendant la pandémie et a été au chômage jusqu’au 1er février 2021 date à laquelle il a pris sa fonction de commandant de compagnie à l’école d’I______.

Les conditions posées à la let. b de l’art. 18 al. 3 LBPE d’une activité lucrative à plein temps pendant une période d’au moins quatre années, avant septembre 2021, ne sont dès lors pas remplies compte tenu des périodes de juillet 2018 à fin août 2019 puis du 16 mars 2020 au 1er février 2021, représentant l’équivalent de deux ans de chômage pendant les quatre dernières années.

En conséquence, le recourant ne remplit aucune des deux conditions alternatives de l’art. 18 al. 3 LBPE, nécessaire au sens de l’al. 5 du même article, pour qu’il ne soit pas tenu compte des revenus de ses parents.

4.             Le recourant sollicite l’allocation d’une bourse pour « cas de rigueur ».

4.1 Selon l’art. 23 LBPE, lors de l’octroi des bourses et des prêts d’études, il est tenu compte des particularités que comportent les filières d’études en matière d’organisation dans le temps ou de contenu (al. 1). La bourse peut être complétée par un prêt lorsqu’une formation fortement structurée rend plus difficile l’exercice d’une activité professionnelle en parallèle. Il en va de même lorsque les frais de formation dépassent largement les frais reconnus (al. 2). Des bourses pour des cas de rigueur peuvent être octroyées dans les limites des disponibilités budgétaires (al. 3). L’art. 16 RBPE, intitulé « cas de rigueur », prévoit l’allocation de bourses pour les personnes en formation qui, pour des raisons familiales, personnelles ou de santé, se trouveraient dans une situation de précarité.

Il ressort des travaux préparatoires qu’il était nécessaire de prévoir un régime particulier pour les personnes en formation se trouvant dans des situations difficiles, notamment en raison du refus des parents de prendre en charge les frais de formation ou en cas de reprise d’une formation après des années consacrées à l’entretien de personnes à charge (MGC 2008-2009 XI/2, p. 14’941).

4.2 En l’espèce, le SBPE a considéré que l’étudiant ne remplissait pas les conditions du cas de rigueur.

Le recourant, quand bien même il soutient se trouver dans une situation financière délicate, ne se prévaut pas d’une des situations évoquées dans les travaux préparatoires. Ceux-ci mentionnent la reprise d’une formation après des années consacrées à l’entretien de personnes à charge ou un refus des parents de prendre en charge les frais de formation (ATA/458/2021 du 27 avril 2021 consid. 4h ; ATA/610/2020 du 23 juin 2020 consid. 7d). Tel n’est pas le cas en l’espèce, le recourant ne reprenant pas une formation après des années consacrées à l’entretien d’un proche. Le refus de ses parents de prendre en charge sa formation, allégué mais non établi à satisfaction de droit, n’est en l’espèce pas déterminant. Il a par ailleurs déjà bénéficié d’une telle bourse en 2021. Or, d’une part, il n’était pas établi que toutes les conditions étaient remplies au moment où il l’a perçue. D’autre part, la question de la collaboration de l’intéressé pouvait se poser dès lors qu’il ne pouvait ignorer la situation de revenus et de fortune de ses parents, éléments qu’il n’a pas évoqués dans le cadre de sa demande.

C’est en conséquence sans violer le droit ni excéder son large pouvoir d’appréciation que le SBPE a refusé l’octroi d’une bourse pour cas de rigueur.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Il ne sera pas perçu d’émolument, vu la nature du litige, et il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 décembre 2023 par A______ contre la décision sur réclamation du service des bourses et prêts d’études du 20 décembre 2023 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu’au service des bourses et prêts d’études.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :