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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3272/2022

ATA/563/2024 du 07.05.2024 sur JTAPI/552/2023 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3272/2022-PE ATA/563/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 mai 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Manuel BOLIVAR, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mai 2023 (JTAPI/552/2023)


EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1976, est ressortissant du Kosovo.

b. Son épouse, B______et leurs trois enfants vivent au Kosovo.

c. Le 15 mars 2012, A______ a été interpellé par la police genevoise à C______. Il travaillait en tant que carreleur sans disposer d'un titre de séjour, et a déclaré être arrivé en Suisse quatre ans auparavant dans le but d'y travailler, et faire de fréquents allers-retours entre la Suisse et le Kosovo car toute sa famille y vivait. Il était marié et avait deux enfants.

d. Par ordonnance pénale du 18 juin 2012, le Ministère public du canton de Genève l'a condamné pour entrée illégale en Suisse.

e. Par ordonnance pénale du 10 mars 2022, le Ministère public du canton de Genève a refusé d'entrer en matière sur l'infraction de faux dans les titres qui était reprochée à A______ (les relevés soumis ne constituant pas des titres), mais l'a condamné à une peine de 180 jours-amende avec sursis et à une amende immédiate de CHF 1'440.- de pour séjour illégal, exercice illégal d'une activité lucrative et comportement frauduleux à l'égard des autorités au sens des art. 115 al. 1 let. b et c et 118 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

f. A______ a formé des demandes de visas de retour afin de se rendre au Kosovo pour rendre visite à sa famille, ceci à onze reprises entre le 27 mars 2018 et le 4 janvier 2022.

B. a. A______ a déposé le 15 février 2018 auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande d'autorisation de séjour dans le cadre de l'« opération Papyrus », en y joignant notamment un formulaire « Papyrus » (selon lequel il était célibataire et n'avait pas d'enfant), une attestation de langue française (niveau oral A2), un extrait AVS, un formulaire M, un extrait de son casier judiciaire, une attestation d'absence d'aide financière de l'Hospice général et une attestation de non-poursuite de l'office des poursuites, un contrat de travail conclu avec l'entreprise individuelle de son frère D______le 3 octobre 2011 ainsi que sept attestations signées par des proches ou des connaissances, à teneur desquelles il avait séjourné et travaillé à Genève entre 2008 et 2012.

b. Les 19 septembre et 17 octobre 2018, l'OCPM lui a demandé des documents et renseignements complémentaires.

c. Le 21 mars 2019, l'OCPM a informé l'intéressé qu'il soumettait le dossier au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) en vue d'approbation.

d. Le 23 août 2019, le SEM a demandé à A______ des documents et renseignements complémentaires, demande à laquelle il a répondu le 13 septembre 2019.

e. Le 31 janvier 2020, le SEM a retourné le dossier à l'OCPM pour nouvel examen.

f. Le 7 mai 2021, l'OCPM a dénoncé A______ au Ministère public en raison de certaines attestations fournies dans le cadre de sa demande d'autorisation de séjour. Les quittances émanant de la société E______pour 2009 et 2010 semblaient antidatées, ladite société n'ayant eu son siège à l'adresse indiquée qu'à partir de février 2011.

g. Entendu dans ce cadre par la police le 10 mars 2022, A______ a indiqué qu'il avait réellement travaillé pour l'entreprise considérée en 2009 et 2010. Il ne savait pas quand avaient été établis les documents, qu'il avait reçus à sa demande au moment de compléter sa requête « Papyrus ». Son épouse et ses trois enfants vivaient au Kosovo.

h. Par décision du 26 août 2022, l’OCPM a refusé de soumettre le dossier de A______ avec un préavis positif au SEM. En outre, son renvoi de Suisse était prononcé, aucun élément du dossier ne laissant apparaître que l'exécution de son renvoi ne serait pas possible, pas licite ou ne pourrait pas être raisonnablement exigée.

Il avait été condamné pour comportement frauduleux à l'égard des autorités. S'agissant de son état de santé, il disait être suivi par un spécialiste et être dans l'incapacité de se rendre au Kosovo depuis le décès de son père. Or, aucun certificat médical n'avait été transmis à l'autorité et il n'avait jamais fait mention d'un trauma suite au décès de son père jusqu'à son courrier du 13 juillet 2022. Il avait cependant obtenu un visa de retour à destination du Kosovo le 13 janvier 2022, alors que le décès de son père était survenu en 2021, selon les affirmations qu'il avait faites en déposant une demande de visa le 6 août 2021. Il avait encore déposé une demande de visa le 15 juillet 2022, qui lui avait été refusée.

En outre, sa mère, son épouse, ainsi que ses trois enfants résidaient au Kosovo et sa réinstallation dans ce pays s'avérait donc raisonnablement exigible. Il existait au Kosovo des possibilités de traitement pour les affections dont il souffrait, qui ne requéraient pas de séjour hospitalier, d'utilisation d'appareils médicaux sophistiqués ni d'intervention chirurgicale. Sous l'angle des dispositions légales relatives au cas individuel d'extrême gravité, il n'avait pas démontré une intégration socioculturelle particulièrement remarquable au vu de son comportement. Il n'avait pas non plus démontré qu'une réintégration dans son pays d'origine aurait de graves conséquences sur sa situation personnelle, indépendamment des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place.

C. a. Par acte du 23 septembre 2022, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant principalement à son annulation et subsidiairement à ce que, après annulation de la décision, il soit dit qu'un délai de départ de 12 mois devait lui être imparti pour quitter la Suisse dès l'entrée en force du jugement. Préalablement, il sollicitait l'audition de F______, D______, G______, H______, I______, J______, K______ et L______.

S'agissant des faits qui lui avaient été reprochés sur le plan pénal, il s'était vu remettre par F______ différents documents qui étaient censés être exacts et refléter l'activité qu'il avait exercée pour son employeur en 2009 et 2010. Il n'était en tout cas pas conscient que l'indication du siège social ou du numéro de téléphone de l'entreprise ne correspondait pas à la réalité. Au demeurant, l'infraction de faux dans les titres qui lui avait été reprochée au sujet de ces quittances avait fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière du Ministère public. En tout état, le délai de deux mois qui lui avait été imparti pour quitter la Suisse avait été fixé de manière abusive. Il avait besoin d'un délai d'au moins 12 mois, notamment afin de résilier son contrat de travail, de rechercher un nouvel emploi depuis la Suisse et trouver un nouveau logement au Kosovo, ainsi qu'organiser le déménagement de ses affaires.

Par ailleurs, l'OCPM, sous l'angle des critères de l'« opération Papyrus », s'était contenté de constater qu'il avait fait l'objet d'une condamnation pénale, mais n'avait pas examiné les circonstances de cette dernière. Ce qui comptait réellement, c'est qu'il avait effectivement déployé l'activité lucrative durant les périodes couvertes par les documents litigieux, et non pas l'indication erronée du numéro de téléphone ou du siège social de l'entreprise concernée.

Il joignait les mêmes pièces que celles annexées à sa demande d'autorisation de séjour.

b. Le 7 décembre 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours. A______ alléguait être arrivé en Suisse en 2009, mais ses déclarations n'étaient pas prouvées à satisfaction de droit, en raison notamment des doutes liés à certaines pièces relatives aux années 2009 et 2010, ce qui avait conduit l'OCPM à signaler la situation au Ministère public. En outre, en l'absence d'intégration professionnelle exceptionnelle au sens de la jurisprudence et vu les possibilités de réintégration dans son pays d'origine, le précité ne remplissait pas les conditions légales du cas individuel d'extrême gravité. Il avait sollicité et obtenu des visas de retour à plusieurs reprises et avait ainsi conservé des attaches avec son pays d'origine, son épouse et ses trois enfants vivant au Kosovo.

c. Le 27 janvier 2023, A______ a persisté dans ses conclusions. Il avait demandé l'audition de témoins pour établir la date de son arrivée en Suisse en 2009. S'agissant de son prétendu mépris pour l'ordre juridique suisse, il avait également sollicité l'audition de témoins afin de démontrer sa bonne foi à l'égard des autorités. L'OCPM ne pouvait pas non plus de bonne foi relever l'absence d'intégration professionnelle exceptionnelle, puisque cette question ne faisait pas l'objet des critères retenus dans le cadre de l'« opération Papyrus ». Enfin, l'absence de retours dans le pays d'origine ou leur fréquence ne faisait pas non plus partie des critères retenus dans le cadre de l'« opération Papyrus ».

d. Par jugement du 16 mai 2023, le TAPI a rejeté le recours.

L'« opération Papyrus » exigeait une continuité du séjour excluant des séries d'allers-retours entre la Suisse et le pays d'origine. L'audition des auteurs des attestations fournies n'apporterait pas d'informations suffisamment fiables sur la continuité du séjour. Ainsi, des allers-retours plus ou moins fréquents entre la Suisse et le Kosovo (ou un pays voisin de la Suisse) ne sauraient être exclus par l'audition des personnes qui avaient fréquenté A______ depuis 2008 ou 2009.

On pouvait admettre que A______ avait séjourné et travaillé en Suisse de 2008 à 2010, éventuellement jusqu'en 2011. Pour la période au-delà de 2011, c'est-à-dire durant les sept années qui avaient précédé sa demande de régularisation, son dossier ne contenait absolument aucune pièce « de catégorie A » au sens défini par l'OCPM. La continuité du séjour en Suisse durant les dix années ayant précédé le dépôt de la demande d'autorisation de séjour n'était ainsi pas démontrée.

La durée du séjour en Suisse de l'intéressé ne pouvait pas être considérée comme longue, étant donné l'insuffisance de preuves ou même d'indices de son séjour entre 2011 et 2018. Son intégration socioprofessionnelle pouvait être considérée comme bonne pour la période de 2008 à 2010, ainsi qu'à partir de 2018, mais pas être considérée comme exceptionnelle au sens de la jurisprudence, étant rappelé en outre sa condamnation pénale de 2022.

A______ ne donnait pas d'explications spécifiques permettant de retenir qu'il serait frappé de manière particulièrement dure, soit au-delà des conditions de vie générales de la population de son pays d'origine, en cas de retour au Kosovo. C'était avec raison que l'OCPM avait relevé la présence dans ce dernier de son épouse et de ses enfants en tant que facteur positif de réintégration, de même que les retours qu'il avait effectués à plusieurs reprises vers le Kosovo et qui démontraient qu'il y a conservé des liens.

Enfin, la question du délai de départ relevait de l'exécution de la décision de renvoi.

D. a. Par acte posté le 16 juin 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant préalablement aux huit auditions demandées en première instance et principalement à l'annulation du jugement attaqué, à ce que l'OCPM transmette son dossier au SEM avec un préavis favorable et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Lors de la phase non contentieuse, l'OCPM avait demandé des preuves de séjour pour la période située entre 2008 et 2010, mais n'avait à aucun moment contesté sa présence en Suisse ni la continuité de son séjour entre 2011 et 2018. Le TAPI ne pouvait pas retenir que sa présence lors de ces dernières années était douteuse alors que la procédure devant l'autorité administrative n'avait pas porté sur ce point et que l'on ne lui avait pas demandé de fournir des justificatifs concernant cette période.

Il était également insoutenable de considérer que l'audition de ses proches, anciens voisins et anciens employeurs ne permettrait pas de prouver sa présence en Suisse, de même que sa bonne foi dans le cadre de sa condamnation pénale de 2022. Cette dernière ne justifiait pas, comme il l'avait déjà longuement expliqué, un refus de régularisation selon les critères de l'« opération Papyrus », dès lors qu'il avait été de bonne foi et n'avait jamais cherché à tromper les autorités.

b. Le 20 juillet 2023, l’OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments invoqués, semblables à ceux présentés en première instance, n’étant pas de nature à modifier sa position.

c. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 8 septembre 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

d. Le 30 août 2023, l'OCPM a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.

e. Le 6 septembre 2023, le recourant a persisté dans ses conclusions.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant sollicite son audition et celle de huit autres personnes, reprochant au TAPI de ne pas y avoir procédé.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, le TAPI a estimé que le dossier contenait les éléments suffisants pour statuer en connaissance de cause, de sorte que les auditions requises n’apparaissaient pas utiles. Il a considéré que celles-ci n'apporteraient pas d'informations suffisamment fiables sur la continuité du séjour, des allers-retours plus ou moins fréquents entre la Suisse et le Kosovo ne pouvant être exclus par ce biais.

Ce faisant, le TAPI a procédé à une appréciation anticipée des preuves qui ne prête pas le flanc à la critique. En effet, le recourant a apporté des pièces au dossier et fourni des explications détaillées tant devant l’OCPM que devant le TAPI et la chambre de céans. Il a lui-même fait des déclarations selon lesquelles il faisait de nombreux allers et retours entre la Suisse et le Kosovo, ce que démontre également le grand nombre de demandes de visas de retour déposées postérieurement à sa demande de régularisation de ses conditions de séjour. Par ailleurs, la condamnation du recourant pour, notamment, comportement frauduleux à l'égard des autorités de migration, est entrée en force, si bien qu'il ne saurait parvenir à démontrer par le biais d'auditions de témoins sa bonne foi à l'égard des autorités de migration. Son audition ainsi que celle des personnes ayant fourni des attestations en sa faveur ne sont ainsi pas susceptibles d’influer sur l’issue du litige, comme retenu par le TAPI et comme cela sera exposé ci-après.

Il ne sera donc pas procédé aux actes d’instruction sollicités et il sera retenu que le TAPI n’a pas violé le droit d’être entendu du recourant en ne procédant pas aux auditions demandées.

3.             Le litige porte sur la conformité au droit du jugement confirmant la décision de l'OCPM de refuser de transmettre au SEM le dossier du recourant avec un préavis favorable et prononçant son renvoi de Suisse.

3.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l'espèce, avant le 1er janvier 2019 sont régies par l’ancien droit.

3.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

L'art. 31 al. 1 OASA, dans sa teneur au moment du dépôt de la demande, prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse (let. b), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière ainsi que de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (secrétariat d'État aux migrations, Domaine des étrangers [ci-après : directives LEI], état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

3.3 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2 ; ATA/38/2019 du 15 janvier 2019 consid. 4c).

La reconnaissance de l'existence d'un cas d'extrême gravité implique que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'un cas d'extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu'elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d'origine ou une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2).

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

3.4 L'« opération Papyrus » développée par le canton de Genève a visé à régulariser la situation des personnes non ressortissantes UE/AELE bien intégrées et répondant à différents critères, à savoir, selon le livret intitulé « Régulariser mon statut de séjour dans le cadre de Papyrus »), avoir un emploi ; être indépendant financièrement ; ne pas avoir de dettes ; avoir séjourné à Genève de manière continue sans papiers pendant cinq ans minimum (pour les familles avec enfants scolarisés) ou dix ans minimum pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; faire preuve d'une intégration réussie ; absence de condamnation pénale (autre que séjour illégal).

L'« opération Papyrus » n'emportait aucune dérogation aux dispositions légales applicables à la reconnaissance de raisons personnelles majeures justifiant la poursuite du séjour en Suisse (art. 30 al. 1 let. b LEI), pas plus qu'à celles relatives à la reconnaissance d'un cas individuel d'extrême gravité (art. 31 al. 1 OASA), dont les critères peuvent entrer en ligne de compte pour l'examen desdites raisons personnelles majeures (ATA/254/2023 du 14 mars 2023 consid. 2.1.4).

3.5 Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit néanmoins être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances du cas particulier et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (ATF 130 II 39 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

3.6 Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée ou dont l'autorisation n'est pas prolongée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation. Le renvoi d'une personne étrangère ne peut être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

3.7 En l’espèce, le recourant soutient être arrivé en Suisse en 2008. Le TAPI a retenu à juste titre que le recourant – qui n'avait pas à être interpellé sur ce point par l'intimé et devait dès le départ donner des preuves de son séjour continu en Suisse depuis au moins décembre 2008 – n'avait pas démontré par pièces sa présence en Suisse entre 2011 et 2017, et semblait avoir effectué de nombreux allers et retours entre la Suisse et le Kosovo. Ce dernier élément se fonde, comme déjà mentionné, tant sur les propres déclarations du recourant à la police en 2012 que sur ses nombreuses demandes de visas de retour déposées dès 2018. Dans la mesure en outre où il a été condamné pour avoir tenté de tromper les autorités de migration à ce sujet – du reste, en sus des attestations transmises au Ministère public, on notera qu'il a indiqué dans son formulaire « Papyrus » être célibataire sans enfant alors qu'il était marié et avait trois enfants –, force est de constater qu'il n'a pas réussi à démontrer un séjour continu de dix ans en Suisse avant le moment du dépôt de sa demande, le 17 décembre 2018. Le recourant ne peut ainsi se prévaloir de l’application de l’« opération Papyrus ».

Le recourant ne remplit pas non plus les critères d’un cas d’extrême gravité, dont d’ailleurs l’« opération Papyrus » n’était qu’une illustration. En effet, la durée de son séjour en Suisse doit de toute façon être fortement relativisée du fait qu’elle s’est intégralement déroulée dans l’illégalité, ou au bénéfice d'une tolérance des autorités depuis le dépôt de la demande. Par ailleurs, la condamnation du recourant du 10 mars 2022 n’est pas anodine, puisqu’elle a directement trait à l’un des critères permettant de retenir une intégration sociale réussie, à savoir le respect de l’ordre public. Or, le recourant, en produisant de faux relevés de salaire et en donnant de fausses indication sur son état civil, a – quoi qu'il en dise – cherché à induire en erreur les autorités en vue d’obtenir un titre de séjour. Ce comportement dénote un mépris certain pour les institutions du pays.

Si le recourant est, certes, indépendant financièrement, n’a pas recouru à l’aide sociale et n’a pas de dettes, de tels éléments ne suffisent pas pour retenir l’existence d’une intégration socio-professionnelle particulièrement réussie. Le recourant n’établit au titre de ses compétences linguistiques qu'une maîtrise du français de niveau A2 à l'oral. Il ne rend pas vraisemblable qu’il se serait investi dans la vie associative, culturelle ou sportive à Genève. Enfin, bien qu’indépendant économiquement, il travaille dans le secteur de la construction et ne peut se prévaloir d’une ascension professionnelle remarquable au sens de la jurisprudence, ce qu’il ne conteste d’ailleurs pas. En outre, les connaissances professionnelles acquises en Suisse ne sont pas spécifiques à ce pays, au point qu’il ne pourrait les utiliser au Kosovo.

Le recourant est né au Kosovo et y a passé toute son enfance, son adolescence et le début de sa vie d’adulte jusqu’à l’âge de 32 ans. Il connaît les us et coutumes de son pays, la mentalité et en parle la langue. Il ne soutient pas ne plus y avoir de famille ; au contraire, il a demandé à plusieurs reprises des visas de retour au Kosovo pour raisons familiales, et surtout son épouse et ses trois enfants y résident. Ainsi, malgré la durée de son séjour en Suisse, son pays ne peut lui être devenu étranger. Âgé de 48 ans et en bonne santé, il pourra faire valoir en cas de retour l’expérience et les compétences acquises en Suisse pour sa réintégration, notamment professionnelle et sociale, et ne devrait ainsi pas rencontrer d’importants problèmes de réintégration professionnelle, du moins qui soient indépendants des difficultés connues par l'ensemble de la population au Kosovo. Sa situation ne permet en tout cas pas de retenir que sa réintégration serait gravement compromise au sens de la jurisprudence.

Au vu de ce qui précède, l’OCPM n’a pas violé la loi ni commis un abus de son pouvoir d’appréciation en refusant de préaviser favorablement auprès du SEM la demande d’autorisation de séjour présentée par le recourant.

Dès lors que l’OCPM a, à juste titre, refusé l’octroi d’une autorisation de séjour au recourant, il devait prononcer son renvoi. En l’espèce, aucun motif ne permet de retenir que l’exécution du renvoi ne serait pas possible, licite ou ne pourrait raisonnablement être exigée. Le recourant ne le soutient d'ailleurs pas.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

4.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 juin 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 mai 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Manuel BOLIVAR, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.