Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1010/2020

ATA/497/2020 du 19.05.2020 ( DIV ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1010/2020-DIV ATA/497/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 mai 2020

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

DIRECTION DES FINANCES DE LA POLICE - DFP



EN FAIT

1. Le 20 décembre 2019, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a déclaré irrecevable le recours formé par Monsieur A______ contre la fouille complète à laquelle la police avait procédé sur sa personne le 15 novembre 2019. L'intéressé ayant fait l'objet d'une arrestation provisoire le jour en question, dans le cadre de la procédure pénale P/1______/2018, la chambre de céans a retenu que la contestation de la fouille litigieuse relevait des autorités pénales, de sorte qu’elle a transmis le recours à la chambre pénale de recours de la Cour de justice (ci-après : chambre pénale de recours).

2. Par décision du 31 décembre 2019, la direction des finances de la police (ci-après : DFP) a adressé à M. A______ une facture de CHF 250.- pour les frais d’intervention d’un médecin au poste de police de l’aéroport de Genève le 16 novembre 2019 à 0h40.

3. Par arrêt du 22 janvier 2020, la chambre pénale de recours a déclaré le recours irrecevable. M. A______ avait fait l’objet d’avis de recherche et d'arrestation émis les 12 décembre 2018 et 18 juin 2019 par le Ministère public. Ces avis lui avaient été remis le 16 novembre 2019, après qu’il avait été interpellé la veille au soir à l'aéroport de Genève en provenance de Russie par les gardes-frontière, qui l'avaient remis à la police. Lesdits avis ordonnaient à la police de rechercher M. A______, de procéder à sa fouille, de l'auditionner et de l'amener au Ministère public pour y être entendu en qualité de prévenu de diffamation et d'injures.

4. Par courriel adressé le 8 mars 2020 à la DFP, M. A______ s’est plaint de la facture de médecin de CHF 250.-.

Il souhaitait connaître le nom des agents qui lui avaient fait subir une détention provisoire humiliante les 15-16 novembre 2019. Il ne connaissait pas le nom du médecin qui était intervenu. L’homme qui l’avait examiné avait posé trois doigts sur son foie et était ressorti de sa cellule sans rien dire. Il n’était d’ailleurs pas sûr qu’il s’agissait d’un médecin, ce dernier ne portant pas de blouse blanche. Le médecin lui avait interdit de prendre ses médicaments, de sorte qu’il avait eu mal au foie toute la nuit. Le médecin aurait dû préserver le secret médical qu’il avait pourtant trahi. Il n’avait pas eu la possibilité d’accepter ou de refuser les soins.

Il était resté dans une cellule sans ventilation, sans table, sans lavabo, sans dentifrice, savon ni rasoir. Il avait subi un traitement inhumain. Il avait été illégalement privé de sa liberté. Il se plaignait de la décision de réaliser une fouille sur sa personne. Par ailleurs, il recourait contre le fait qu’il n’avait pas fait l’objet d’une « évaluation individuelle afin de déterminer la probabilité » qu’il tente de s’évader. Il demandait également pourquoi il n’avait pas pu bénéficier du droit de se promener une heure à l’air libre. Il demandait une réparation « effective et justifiée ».

5. La DFP a transmis ce courriel à la chambre de céans comme objet de sa compétence, en exposant qu’elle maintenait la facture du 31 décembre 2019.

6. À la demande de la chambre de céans, elle a transmis le « bon pour l’intervention d’un médecin » de la police du 16 novembre 2019, la facture de SOS Médecins et celle de la DFP du 31 décembre 2019.

Elle a précisé qu’elle avait adressé la facture à M. A______ par pli simple à son domicile à B______ en Fédération de Russie.

EN DROIT

1. Il convient, en premier lieu, de relever que le bien-fondé des avis de recherche et d'arrestation ainsi que de la fouille personnelle a déjà été examiné par la chambre pénale de recours. La chambre de céans n’étant pas l’autorité de recours de la chambre pénale de recours, elle ne peut revenir sur les points jugés par celle-ci.

Par ailleurs, la chambre de céans n'est pas compétente pour connaître d’une demande en réparation du dommage subi d’une détention injustifiée ; cette question relève du juge pénal lorsque la procédure pénale est encore en cours ou du Tribunal civil de première instance, lorsque la procédure pénale est close (arrêt du Tribunal fédéral 6B_703/2016 du 2 juin 2017 consid. 2.1 avec les références citées ; arrêt de la chambre civile de la Cour de justice ACJC/1885/2019 du 10 décembre 2019 consid. 3.1.4 ; ATA/1233/2019 du 13 août 2019 consid. 5).

2. Seul peut donc être examiné le bien-fondé de la facture de CHF 250.-.

a. Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a retenu que les frais d'intervention d’un médecin, engagés dans le cadre d’une procédure pénale, constituent des débours liés à la procédure pénale ; ils ne peuvent être dissociés de celle-ci. Ils doivent être traités dans la décision pénale finale (ATA/972/2019 du 4 juin 2019 consid. 2 ; ATA/795/2018 du 7 août 2018 consid. 8).

b. En l’espèce, les frais d'intervention du médecin ont été engagés dans le cadre de la procédure pénale P/1______/2018. La DFP n'étant pas une autorité judiciaire pénale et sa facture ne constituant pas non plus une décision pénale finale, elle n'avait pas la compétence de réclamer le paiement des frais d'intervention litigieux au recourant.

La décision querellée est ainsi affectée d’un vice formel.

3. À celui-ci vient s’ajouter ce qui suit :

a. D'après la jurisprudence, la notification d'une décision à l'étranger directement par voie postale représente un acte de puissance publique qui, sans l'accord de l'Etat concerné, porte atteinte à la souveraineté de ce dernier et est ainsi contraire au droit international public (ATF 143 III 28 consid. 2.2.1 ;
136 V 295 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_478/2017 du 9 avril 2018 consid. 4.1, publié in ZBl 2018 p. 470, et les autres références citées). En l'absence d'un tel accord, la notification devra intervenir par la voie diplomatique ou consulaire (ATF 143 III 28 consid. 2.2.1 ; 136 V 295 consid. 5.1 ; 124 V 47 consid. 3a).  

Ainsi, à moins qu'elle ne soit autorisée conventionnellement, la notification directe à l'étranger, par la voie postale, est nulle et dépourvue de tout effet. Le vice n'est pas susceptible d'être guéri (ATF 135 III 623 consid. 2.2 et 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_31/2012 du 17 août 2012 consid. 2.1).

La nullité absolue d’une décision peut être invoquée en tout temps devant toute autorité et doit être constatée d’office (ATF 130 II 249 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_354/2015 du 21 janvier 2016 consid. 4.1). Entrent avant tout en considération comme motifs de nullité l’incompétence fonctionnelle et matérielle de l’autorité appelée à statuer ainsi qu’une erreur manifeste de procédure (ATF 129 I 361 consid. 2.1 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, la Convention européenne sur la notification à l’étranger des documents en matière administrative du 24 novembre 1977 (RS 0.172.030.5), entrée en vigueur pour la Suisse le 1er octobre 2019, n’a pas été signée par la Fédération de Russie. Par ailleurs, les deux pays ne sont pas non plus liés par une convention bilatérale relative à la facilitation de la notification de décisions et actes judiciaires en matière administrative.

Partant, la décision querellée ne pouvait être adressée par simple pli postal au recourant à son domicile à B______ en Fédération de Russie. Une telle notification se heurte au droit international public et est dépourvue de tout effet.

Au vu tant du vice de notification que de l’incompétence du DFP pour la rendre, la décision attaquée sera annulée, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le recours a été formé dans le délai et selon les formes requises.

4. Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument. Il n’y a pas lieu à l’allocation d’une indemnité de procédure, le recourant plaidant en personne (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

au fond :

admet le recours interjeté le 17 mars 2020 par Monsieur A______ contre la décision de la direction des finances de la police du 31 décembre 2019 ;

annule cette décision :

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la direction des finances de la police.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, MM. Verniory et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

N. Deschamps

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiqué par la voie diplomatique au recourant et par pli recommandé à l’autorité intimée.

 

Genève, le la greffière :