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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/243/2000

ATA/335/2000 du 23.05.2000 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; FIDELITE; SECRET DE FONCTION; MESURE DISCIPLINAIRE; SUSPENSION TEMPORAIRE D'EMPLOI; CE
Normes : RPAC.25; LPAC.21 al.1; RPAC.26
Résumé : Suspension provisoire avec maintien du traitement confirmée dans le cas d'une fonctionnaire ayant divulgué auprès du public des informations concernant des erreurs commises par l'administration au détriment de tiers.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 23 mai 2000

 

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame P. Y.

représentée par Me Jacques Barillon, avocat

 

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

 

1. Madame P. Y. travaille à l'office X. (ci-après : l'X.) depuis le 1er octobre 1995. Elle a été nommée fonctionnaire le 1er octobre 1998.

 

2. A l'occasion du changement du matériel informatique, les anciens ordinateurs du service ont été mis en vente, au sein même de l'X., le 13 janvier 2000. Quinze ordinateurs ont été acquis par des collaborateurs de l'office.

 

3. Le soir même de la vente, une fonctionnaire de l'X. a informé le directeur de l'office que l'ordinateur qu'elle avait acquis comportait des anciens rapports d'un réadaptateur de l'X..

 

Le 14 janvier 2000, la direction de l'X. a adressé un message à tous les collaborateurs qui avaient acheté un ordinateur, leur demandant de les ramener pour qu'un contrôle puisse être effectué.

 

4. Le 27 janvier 2000, un fax a été adressé à la sous-directrice de l'office fédéral des assurances sociales (ci-après : l'OFAS) avec copie au président du département de l'action sociale et de la santé (ci-après : le département). Son auteur, resté anonyme, a affirmé avoir acheté un ordinateur lors de la vente aux enchères organisée par l'X. et prétendu que le disque dur de son ordinateur contenait des données personnelles concernant des assurés. Il était très inquiet ayant lui-même un membre de sa famille à l'...

 

5. Une enquête interne a été ouverte au sein de l'X., dans le cadre de laquelle Mme Y. a reconnu être l'auteur du fax anonyme précité.

 

6. Le 9 février 2000, le chef du département a déposé auprès du Procureur général de la République et canton de Genève une plainte pénale en violation du secret de fonction au sens de l'article 320 CPS et du devoir de discrétion au sens de l'article 35 de la loi fédérale sur la protection des données.

 

7. Par arrêté du 15 février 2000, le Conseil d'Etat a ordonné l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de Mme Y., mesure entraînant la suspension provisoire de cette dernière, avec maintien du traitement. Dite décision a été déclarée exécutoire nonobstant recours.

 

8. Mme Y. a saisi le Tribunal administratif par acte du 28 février 2000. Elle a protesté contre la suspension provisoire prononcée à son encontre. Préalablement, elle a conclu à la restitution de l'effet suspensif. Sur le fond, elle a conclu principalement à l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat du 15 février 2000 en tant qu'il prononçait la suspension provisoire et subsidiairement à l'annulation dudit arrêté.

 

9. Dans sa détermination du 30 mars 2000, le Conseil d'Etat s'est opposé à la demande de restitution de l'effet suspensif.

 

10. Par décision du 4 avril 2000, le président du Tribunal administratif a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif.

 

11. Le 14 avril 2000, le Conseil d'Etat a présenté ses observations sur le fond. Il a conclu au rejet du recours. Les conditions présidant à la suspension provisoire au sens de l'article 28 alinéa 1 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) étaient remplies. La prévention de faute était suffisante dès lors que les faits avaient été reconnus par l'intéressée. La suspension apparaissait proportionnée eu égard aux manquements reprochés et au fait que le droit au traitement avait été maintenu.

 

Au nombre des pièces produites, le Conseil d'Etat a versé aux débats le rapport de l'enquête administrative daté du 7 mars 2000.

 

12. L'on retiendra de ce rapport les éléments suivants :

 

a. L'enquête a comporté neuf auditions contradictoires, auxquelles Mme Y., assistée de son conseil, a pris part. Ces auditions ont donné lieu à l'établissement de procès-verbaux, contresignés par les personnes auditionnées et par l'enquêteur, joints au rapport d'enquête. L'enquête a permis d'établir que jusqu'aux faits ayant justifié l'ouverture de l'enquête administrative, Mme Y. était bien considérée par sa hiérarchie et la direction de l'X. lui avait confié des missions à responsabilité.

 

b. Mme Y. n'a pas acquis de PC lors de la vente du 13 janvier 2000. En fonction des éléments en sa possession, l'enquêteur s'est déclaré convaincu qu'il y avait réellement sur le disque dur d'un PC en tout cas acquis par l'un des collaborateurs de l'X. des informations sur les dossiers confidentiels concernant des assurés .

 

c. Mme Y. a reconnu être l'auteur du fax anonyme du 27 janvier 2000 adressé à la sous-directrice de la division auprès de l'OFAS ainsi qu'au président du département de l'action sociale et de la santé (DASS). Elle a admis avoir composé la lettre anonyme sur le PC d'un tiers qui avait expédié la lettre par fax, de la poste de la Jonction, selon les instructions reçues de Mme Y..

 

d. L'enquête a également établi que la productrice de l'émission "Duel" diffusée à la Télévision suisse romande du 25 janvier 2000, était en possession de documents confidentiels. L'enquêteur n'a pas cherché à déterminer comment la productrice avait obtenu ces renseignements, estimant qu'il appartenait aux autorités pénales d'établir la lumière sur ces faits.

 

e. L'enquêteur a, par ailleurs, pu établir que lors d'une séance d'information aux collaborateurs de l'X., organisée le 28 janvier 2000 au muséum sous la présidence du Conseiller d'Etat chargé du DASS, les journalistes étaient déjà au courant de la vente des PC et d'informations confidentielles concernant les assurés restées sur les disques durs. L'enquêteur a estimé qu'il appartenait à l'enquête pénale de déterminer comment les journalistes s'étaient trouvés en possession de ces informations.

 

f. L'enquête a clairement établi que Mme Y. avait communiqué à une personne externe de l'X., en l'occurrence l'expéditeur du fax, des informations concernant la vente des PC et le fait que des informations confidentielles concernant des assurés étaient restées sur le disque dur.

 

g. Mme Y. avait motivé sa démarche d'envoi anonyme par la crainte de subir des représailles de la part de son supérieur si elle était reconnue comme l'auteur de ce fax.

 

Au vu des éléments ci-dessus retenus, l'enquêteur a estimé que Mme Y. avait porté gravement préjudice à l'intérêt de l'Etat au sens des articles 20 et 21 lettre d LPAC. Elle avait enfreint l'obligation légale du secret (art. 26 al. 1 LPAC). La conséquence des fautes commises entraînait une rupture de la relation de confiance avec l'employeur, aussi bien avec l'X. qu'avec l'Etat de Genève. Il y avait également lieu de se poser la question de savoir s'il n'y avait pas une violation du secret de fonction au sens de l'article 320 CPS.

 

13. La juge déléguée à l'instruction de la cause s'est enquise du sort réservé à la plainte pénale déposée par le président du DASS le 9 février 2000. Au jour du prononcé du présent arrêt, dite plainte est encore en mains de la police.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Le Tribunal administratif a déjà admis sa compétence en matière de suspension provisoire d'un fonctionnaire, dans une jurisprudence rendue à propos de l'ancien article 26 LPAC, devenu aujourd'hui l'article 28 LPAC (ATA R. du 7 avril 1998; B. du 2 mars 1993). Il n'y a pas lieu de s'écarter de cette jurisprudence.

 

2. Selon l'article 21 alinéa 2 lettre b LPAC, le Conseil d'Etat ou le Conseil d'administration peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service du fonctionnaire en respectant le délai de résiliation. L'article 22 LPAC définit comme motif objectivement fondé l'insuffisance des prestations (let. a), le manquement grave ou répété aux devoirs de service (let. b) et l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. c).

 

3. Lorsque le Conseil d'Etat envisage une résiliation pour un motif objectivement fondé, il doit ordonner l'ouverture d'une enquête administrative qu'il confie à un ou plusieurs magistrats ou fonctionnaires, en fonction ou retraité (art. 27 al. 2 LPAC).

 

4. L'article 28 alinéa 1 LPAC prévoit que dans l'attente d'une enquête administrative ou d'une information pénale, le Conseil d'Etat ou le Conseil d'administration peut, de son propre chef ou à la demande de l'intéressé, suspendre provisoirement le membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction (...). La suspension provisoire peut entraîner la suppression de toute prestation à la charge de l'Etat ou de l'établissement (al. 3). A l'issue de l'enquête administrative, il est veillé à ce que l'intéressé ne subisse aucun préjudice réel autre que celui qui découle de la décision finale. Une décision de résiliation des rapports de service avec effet immédiat peut cependant agir rétroactivement au jour de l'ouverture de l'enquête administrative (al. 4).

 

5. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, la suspension provisoire pour enquête a un caractère temporaire et ne préjuge nullement de la décision finale (ATA R. du 7 avril 1998 et les références citées). Le Tribunal administratif a donc admis qu'une suspension ne saurait être ordonnée lorsque ni une sanction disciplinaire, ni un licenciement n'était envisageable. Dans cette mesure, la suspension apparaît comme une sorte de mesure provisionnelle, prise dans l'attente d'une décision finale relative à une sanction ou à un licenciement (ATA R. précité; B. du 3 mars 1993).

 

6. Il résulte du caractère de mesure provisionnelle de la suspension prévue par l'article 28 LPAC que les conditions de cette suspension ne sont pas identiques à celles de la décision finale.

 

Ainsi, l'article 28 LPAC ne limite pas la suspension au cas où un licenciement est envisagé, mais bien lorsqu'il est reproché au fonctionnaire une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction.

 

7. Conformément aux principes généraux du droit administratif, la suspension doit apparaître comme globalement proportionnelle, compte tenu de la situation de l'intéressée et des conséquences de la suspension, de la gravité de la faute qui lui est reprochée, de la plus ou moins grande certitude quant à sa culpabilité, ainsi que de l'intérêt de l'Etat à faire cesser immédiatement tant les rapports de service que ses propres prestations, en raison de la faute alléguée. Une telle mesure n'est justifiée que s'il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de la fonction.

 

Il se peut fort bien que, malgré une suspension provisoire pour enquête, la décision finale, prise après instruction complémentaire et approfondie de la cause, ne comporte pas de licenciement avec effet immédiat, voire pas de licenciement du tout. Inversement, le fait qu'une suspension immédiate ne soit pas justifiée ne signifie nullement qu'un licenciement ne pourra pas être prononcé en fin de compte.

 

8. Le titre III du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RLPAC - B 5 05.01) est consacré aux devoirs du personnel. En application de l'article 25 RLPAC, les membres du personnel tenus au respect de l'intérêt de l'Etat doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice. L'article 21 RLPAC enseigne l'attitude générale que doivent observer les membres du personnel. Ainsi, ceux-ci doivent, notamment, par leur attitude, justifier et renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l'objet (let. c). Enfin, selon l'article 26 RLPAC, les membres du personnel sont soumis à l'obligation de garder le secret.

 

9. La commission d'un crime ou d'un délit, au moins s'il s'agit de délit grave ou infamant, constitue une violation du devoir de dignité des fonctionnaires (B. KNAPP, La violation du devoir de fidélité, cause de cessation de l'emploi des fonctionnaires fédéraux, RDS 194 I pp. 494-495; A. GRISEL, Traité de droit administratif, 1984, p. 486). Pour que ce fait constitue un motif de cessation des rapports de service, un rapport à la fonction exercée doit être établi impliquant une perte de confiance dans l'exécution des tâches à remplir (P. HÄNNI, Die Treupflicht im öffentlichen Dienstrecht, 1982, p. 56; W. HINTENBERGER, Disziplinarfehler und Disziplinarmassnahmen im Recht des öffentlichen Dienstes, 1986 p. 250-251; Y. HANGARTNER, Treupflicht und Vertrauenwürdigkeit der Beamten, ZBl. 1984 p. 397).

 

10. En l'espèce, la recourante a reconnu être l'auteur du fax anonyme adressé à des personnes étrangères au service dans lequel elle travaillait. La question de savoir si la recourante est également la source des informations données aux différents journalistes n'est pas élucidée, l'enquêteur administratif estimant qu'il s'agit là d'un point devant être élucidé par les autorités pénales.

 

En l'espèce, la prévention de faute est avérée, dès lors que celle-ci a reconnu être l'auteur du fax anonyme. Un tel comportement implique une perte de confiance dans l'exécution des tâches à accomplir.

 

Par ailleurs, le faute commise par la recourante apparaît de nature à justifier une cessation provisoire des rapports de travail. Il s'agit en effet de violation des devoirs élémentaires imposés aux membres du personnel de l'Etat. Les motivations dont se réclame la recourante, à savoir qu'elle craignait les représailles de sa hiérarchie, ne sauraient en aucun cas justifier un tel comportement.

 

Dès lors, la suspension de la recourante, sans suppression de son traitement, pendant la durée de l'enquête administrative, apparaît comme proportionnée au regard de l'existence certaine de la faute et du fait que l'intéressée ne s'est précisément pas retrouvée du jour au lendemain totalement démunie de ressources.

 

Dans son arrêté du 15 février 2000, le Conseil d'Etat s'est réservé la possibilité de prononcer la suppression de toute prestation à charge de l'Etat, en fonction d'éléments nouveaux qui pourraient être révélés par l'enquête, mais, en l'état, une telle mesure n''est pas intervenue.

 

11. Au vu de ce qui précède, les conditions d'une suspension provisoire, avec maintien du traitement, sont réalisées et la décision attaquée ne peut qu'être confirmée.

 

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

au fond :

 

rejette le recours interjeté le 28 février 2000 par Madame P. Y. contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 15 février 2000;

 

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.-;

 

communique le présent arrêt à Me Jacques Barillon, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

le secrétaire-juriste : le président :

 

O. Bindschedler D. Schucani

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci