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Décisions | Chambre civile

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C/13560/2022

ACJC/938/2025 du 08.07.2025 ( IUO ) , REJETE

Normes : LPM.4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13560/2022 ACJC/938/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 8 JUILLET 2025

 

Entre

ORGANISATION AUTONOME A BUT NON-LUCRATIF "A______/B______", sise ______, Russie, demanderesse, comparant par Me Nadine VON BÜREN-MAIER, avocate, MLL Froriep SA, rue du Rhône 65, case postale 3199, 1211 Genève 3, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

C______/B______ SA, sise ______[GE], défenderesse, comparant par Me Paul HANNA, avocat, Borel & Barbey, rue de Jargonnant 2,
1211 Genève 6, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a.a ORGANISATION AUTONOME A BUT NON LUCRATIF "A______/B______" ("A______/B______" selon la traduction fournie par elle) est une personne morale de droit russe ayant son siège à D______ (Fédération de Russie).

Selon l'extrait du Registre d'État unifié des entités juridiques produit, elle a pour activité principale les "études de marché et études d'opinion publique" et, comme activités supplémentaires, les "autres activités professionnelles, scientifiques et techniques non inclues dans d'autres groupes" et les "autres services d'éducation pour enfants et adultes non inclus dans d'autres groupes".

Son directeur général est E______ et son Conseil ("presidium") est composé notamment de F______ et, jusqu'en 2024, de G______.

a.b Sa création a été décidée en 2018 par l'Association des juristes de Russie afin de mettre en œuvre le projet de cette dernière de créer un établissement d'enseignement juridique à Genève. Le A______/B______ a été fondé le ______ ______ 2018 par l'Association précitée ainsi que par l'Institut H______ du Gouvernement de la Fédération de Russie, la Fondation I______ de l'Université d'État de droit de D______ et l'association des anciens élèves de l'Institut J______ de D______.

b.a Le 23 décembre 2018, le A______/B______ a conclu un contrat avec la société K______ SA.

K______ SA depuis le ______ 2020; ci-après L______ SA) est une société de droit suisse, inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 2017, dont le siège se trouve au no. ______, rue 1______ à Genève. Le but de la société, à teneur du registre du commerce, est notamment la création, l'organisation et la gestion d'un établissement privé d'enseignement supérieur, de développer conjointement des programmes éducatifs internationaux, de réaliser des programmes de formation continue et d'organiser des stages de formation au sein d'entreprise ainsi que de fournir des conseils dans le domaine éducatif.

La société a été fondée par M______. N______ en est administratrice (avec O______ jusqu'au 28 février 2025). G______ en a été "directeur exécutif pour le développement international" du 1er juin 2018 au 27 août 2019.

b.b Par le contrat du 23 décembre 2018, K______ SA s'engageait à organiser [le programme de formation] P______ et, en particulier, à créer les sociétés nécessaires (étape 1), à mettre en place l'infrastructure nécessaire (étape 2) et à organiser le processus d'apprentissage (étape 3). K______ SA devait, sur instruction du A______/B______, fournir et exécuter les services et les travaux visés par le contrat (art. 1; objet du contrat).

K______ SA était responsable pour la mise en œuvre du projet d'académie juridique en Suisse, alors que le A______/B______ en était responsable dans la Fédération de Russie (sélection et négociation avec les universités russes partenaires et organisation des campagnes d'admission notamment) (art. 3; attribution des responsabilités aux Parties).

K______ SA avait la possibilité, dans le cadre de l'exécution du contrat, d'utiliser les marques, noms commerciaux et logos du A______/B______ (art. 5; propriété intellectuelle). Selon F______, il s'agit d'une formulation générale sur les droits de propriété intellectuelle, sans qu'elle vise une marque en particulier.

Le contrat a été conclu pour une durée de trois ans, renouvelable sauf résiliation avec un préavis de six mois (art. 8; durée du contrat).

Le contrat était régi par le droit suisse et les éventuels litiges devaient être portés devant les tribunaux fribourgeois (art. 10; règlement des litiges et droit applicable).

L'Annexe 1 au contrat indique notamment que le A______/B______ doit déposer auprès d'un notaire ou de K______ SA un montant égal au capital social d'une ou des sociétés nouvellement créées (ch. 1.1.1 et 2). L'Annexe 1 prévoit également que doit être vérifiée la conformité du nom commercial de l'entreprise aux dispositions du registre du commerce et du droit de la propriété intellectuelle et que le nom peut également être enregistré auprès de l'OMPI comme "marque de l'entreprise" (ch. 1.1.2).

c. Le A______/B______ a allégué que dans le cadre du contrat du 23 décembre 2018, L______ SA a constitué deux sociétés, à savoir Q______ SA et C______/B______ SA (soit la défenderesse), la première s'occupant des tâches administratives et la seconde du volet éducatif et qu'elles étaient donc indissociables.

c.a Q______ SA (R______/B______ [avec acronyme] SA après un changement de raison sociale) a été inscrite le ______ mars 2019 au Registre du commerce de Genève; son siège a ensuite été transféré le ______ février 2022 du no. ______, rue 1______ à Genève au no. ______, rue 2______ à S______ [VD] (en même temps que sa raison sociale était modifiée et que G______ en était désigné administrateur président).

Son but est la création, l'organisation et la gestion d'un établissement privé d'enseignement supérieur.

F______ (75%) et M______ (25%) en étaient initialement actionnaires. Le A______/B______ n'en a jamais été actionnaire.

Par décision du juge du Tribunal d'arrondissement de W______ [VD] du 4 octobre 2023, la société a été dissoute conformément à l'art. 731b CO, la société ne disposant plus d'administrateurs, et elle a été radiée du registre du commerce le 21 janvier 2025.

c.b Le ______ 2019, C______/B______ SA a été inscrite au Registre du commerce de Genève, son siège se situant au no. ______, rue 1______ à Genève. A teneur du registre du commerce, son but est la création, l'organisation et la gestion d'un établissement privé d'enseignement supérieur. Elle a mis en œuvre un programme d'études en coopération avec des universités russes.

N______ en a été l'administratrice unique (désignée par M______), avant que deux autres administrateurs soient désignés; F______ était le recteur du centre d'enseignement.

L'acte notarié constitutif de la société désigne M______ comme le fondateur. Le montant du capital-actions de 100'000 fr. a été apporté par M______ et est encore partiellement détenu par lui à hauteur d'environ 70%.

Selon le A______/B______, les actions de C______/B______ SA devaient lui être transférées, conformément au contrat du 23 décembre 2018, mais M______, qui avait avancé les fonds pour libérer le capital de 100'000 fr., avait refusé.

Selon un acte notarié du 19 août 2021 signé par F______, le transfert des actions de C______/B______ SA sans aucun remboursement était proposé à M______ (pce 54).

c.c C______/B______ SA conteste avoir été constituée en exécution du contrat du 23 décembre 2018. Elle a allégué qu'elle avait été constituée dans le cadre d'un accord entre M______ et l'Association des juristes de Russie et des universités partenaires. Le A______/B______ n'avait qu'un rôle administratif (admission des étudiants, remise des factures aux étudiants, négociations avec les universités russes pour le compte de C______/B______ SA). Elle concluait directement des contrats avec, soit les étudiants, soit les universités partenaires. Q______ SA avait été créée afin de lui fournir des services dans le cadre de sa propre organisation et gestion.

Selon un affidavit de M______ du 18 mars 2022, le A______/B______ ne disposait pas des moyens financiers nécessaires pour fonder deux sociétés. C'est donc lui qui avait versé les fonds pour la constitution de C______/B______ SA, laquelle "n'a pas été créé dans le cadre de l'accord du 23 décembre 2018, bien qu'en lien avec celui-ci".

c.d Le 7 février 2020, la C______/B______ a été inaugurée lors du début de la première année académique. À cette occasion, le rôle de l'Association des juristes de Russie dans la création de ce projet a été rappelée. L'académie propose diverses formations de base et ainsi que des formations approfondies, en partenariat avec des universités russes.

d.a Le 18 juin 2020, C______/B______ SA, soit pour elle N______, a déposé en Suisse la marque figurative n° 3______ "C______/B______", enregistrée le ______ novembre 2020, avec effet à la date du dépôt, pour la classe 41:

[image]

Selon le A______/B______, L______ SA a fait déposer cette marque, avec son consentement, au nom de C______/B______ SA dans le cadre du contrat du 23 décembre 2018, ce que cette dernière conteste.

Le A______/B______ se fonde sur un courriel de N______ du 19 juin 2019 dans lequel elle soumet à F______, qui agirait alors pour le A______/B______ (ce que conteste C______/B______ SA selon laquelle F______ a été consulté en sa qualité de recteur du centre d'enseignement juridique), le "logo" ainsi qu'une carte de visite et du papier pour correspondance portant un signe similaire à celui de la marque n° 3______, ainsi qu'un courrier du 30 juillet 2021 de la précitée, sur papier à en-tête de L______ SA faisant mention de l'enregistrement de marques pour C______/B______ SA (cf. infra let. g.b).

e. Le 21 septembre 2020, un contrat a été conclu entre L______ SA et C______/B______ SA par lequel la première chargeait la seconde d'organiser "les travaux relatifs à l'organisation du processus éducatif pour les étudiants bacheliers" de la première. Ce contrat a été signé par N______ et O______ pour la première et par F______ et N______ pour la seconde.

Selon C______/B______ SA, ce contrat a été conclu "en substitution" du contrat du 23 décembre 2018.

f.a Le A______/B______ a allégué qu'il avait conclu un contrat le 7 septembre 2020 pour la conception et la création d'un logo représentant la combinaison d'une voile et du terme "C______/B______". Celui-ci explique par ailleurs que lors d'une réunion du 23 décembre 2020, une marque et un logo avaient été présentés et approuvés par les initiateurs russes du projet de centre d'enseignement juridique en Suisse.

f.b Le 14 mars 2021, le A______/B______ a ainsi déposé en Russie deux marques figuratives n° 4______ et n° 5______, comportant un logo et la mention "C______/B______ [avec acronyme]" (en anglais pour l'une et en russe pour l'autre).

[image]

f.c Le 22 octobre 2021, le Service fédéral de la propriété intellectuelle russe a considéré que cette désignation pouvait induire le consommateur en erreur, compte tenu du fait que l'enregistrement était demandé par une personne morale russe. Il lui a toutefois été répondu que les éléments verbaux "C______/B______" étaient classés comme "éléments non protégés" selon l'art. 1483 al. 1 du Code civil de la fédération de Russie et que le consommateur n'était pas induit en erreur car le programme éducatif se déroulait en Russie et en Suisse.

f.d Les deux marques figuratives n° 4______ et n° 5______ ont été enregistrées en Russie les ______ et ______ décembre 2021 en classes 35, 41 (relative essentiellement aux services d'éducation ou de formation) et 43 (services d'hébergement temporaire).

g. Le 27 avril 2021, C______/B______ SA a déposé en Suisse la marque figurative n° 6______ "B______", enregistrée le ______ juillet 2021, avec effet à la date du dépôt, pour la classe 41:

[image]

Selon le A______/B______, cette marque a été déposée par N______ à son insu, ayant appris qu'il prévoyait d'opérer un dépôt international de ses marques russes.

g.a En juillet 2021, le A______/B______ a communiqué à L______ SA sa volonté de résilier le contrat du 23 décembre 2018, au motif qu'elle n'avait pas rempli ses obligations en découlant.

g.b Par courrier du 30 juillet 2021, L______ SA, soit pour elle N______ et O______, a contesté les reproches qui lui étaient adressés. Elle a soutenu que la société avait rempli ses obligations prévues par le contrat du 23 décembre 2018, relevant notamment, en lien avec l'étape 1 du contrat, avoir constitué deux sociétés, Q______ SA et C______/B______ SA. Concernant cette dernière, conformément à l'accord avec M______ ("following your agreement with Mr M______ as a partner"), le capital social de 100'000 fr. avait été fourni par M______, un directeur avait été nommé, un compte bancaire avait été ouvert et des marques avaient été enregistrées. Q______ SA avait obtenu une participation dans C______/B______ SA. Un programme de bachelor en droit international et comparé avait été développé et deux étudiants s'étaient inscrits en 2019 et 20 en 2020 et étudiaient à Genève.

g.c Les 9 août et 11 octobre 2021, le A______/B______ a réaffirmé sa volonté de mettre fin au contrat du 23 décembre 2018. Il a notamment relevé que les parties avaient cessé d'entretenir toute relation financière, contractuelle ou autre depuis 2019.

h.a Le ______ novembre 2021 C______/B______ SA a déposé en Suisse la marque verbale n° 7______ "B______", enregistrée le ______ novembre 2021, avec effet à la date du dépôt, pour la classe 41.

h.b Le _____ mai 2022, elle a également déposé la marque figurative et verbale n° 8______, enregistrée le ______ juin 2022, avec effet à la date du dépôt, pour les classes 9, 16, et 41.

[image]

i.a Le 10 décembre 2021, le A______/B______ a conclu un accord de "coopération et de partenariat" avec Q______ SA, notamment dans le domaine de l'éducation juridique et de la science, la promotion du développement du droit, le soutien juridique des entreprises et les innovations et les technologies, la gestion des entreprises, la résolution de tâches socialement importantes et l'élévation du niveau juridique et de la culture d'entreprise; ces activités devaient se dérouler notamment en Russie et en Suisse (cf. art. 1).

Dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord, le A______/B______ a transféré à Q______ SA le droit d'utiliser le logo déposé pour enregistrement comme marque en Russie.

Le A______/B______ a expliqué qu'il avait dû trouver d'autres partenaires pour mettre en œuvre le projet de l'Association des juristes de Russie, conformément au but dans lequel il avait été créé.

i.b Le même jour, le A______/B______ a conclu un accord similaire avec G______.

j. Le 13 décembre 2021, G______ a transféré à T______ SA (U______/B______ [avec acronyme] SA selon publication à la FOSC du ______ janvier 2022 puis à nouveau T______ SA selon publication à la FOSC du ______ juillet 2022) son droit d'utilisation des marques enregistrées en Russie par le A______/B______.

Le A______/B______ allègue que dans la mesure où M______ avait refusé de transférer les actions de C______/B______ SA, il était nécessaire d'opérer par le biais d'une autre société.

k.a Le 28 janvier 2022, C______/B______ SA a formé devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de U______/B______ [avec acronyme] SA et R______/B______ [avec acronyme] SA tendant notamment à ce qu'il leur soit fait interdiction d'enrôler des étudiants en se prévalant de leurs nouvelles raisons sociales et d'apposer sur leur éventuel campus des enseignes portant les noms B______ GROUP, U______/B______ [avec acronyme] SA et R______/B______ [avec acronyme] SA.

C______/B______ SA a reproché, en substance, aux deux sociétés précitées de vouloir créer la confusion afin d'enrôler de ses propres étudiants, en se prévalant de sa renommée, alors que le A______/B______ soutient que c'est le contraire puisque C______/B______ SA s'était appropriée le projet de l'Association des juristes de Russie après avoir enregistré plusieurs marques à son nom.

k.b La Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a fait droit aux conclusions prises par ordonnance sur mesures superprovisionnelles du 31 janvier 2022 et provisionnelles du 6 mai 2022, fixant par ailleurs, aux termes de cette dernière, un délai de trois mois à la requérante pour déposer une demande au fond, mis les frais judicaires, arrêtés à 5'552 fr. 30 à la charge des intimées et condamné ces dernières à verser à la requérante un montant de 16'052 fr. 20 à titre de dépens.

Aucun recours n'a été formé contre ces décisions.

k.c Le 10 août 2022, C______/B______ SA a introduit une action en cessation de trouble devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.

l. Le 5 avril 2022, le A______/B______ a requis l'extension de la protection de sa marque russe "C______/B______ [avec acronyme]" (cf. supra let. f ) à la Suisse, France et Hongrie.

C______/B______ SA y a formé une opposition, laquelle a été admise par l'IPI le 7 décembre 2022. La procédure est pendante devant le Tribunal administratif fédéral.

B. a. Le 14 juillet 2022, le A______/B______ a formé devant la Cour de justice à l'encontre de C______/B______ SA une action en cession et protection de la marque, en cessation de l'atteinte et en protection de la raison de commerce et du nom.

Elle a conclu, avec suite de frais, à ce que soit ordonnée en sa faveur la cession et le transfert des marques suisses n° 3______ ["C______/B______"], n° 6______ ["C______/B______" (fig.)] et n° 7______ ["B______"] détenues par C______/B______ SA, à ce qu'il soit fait interdiction à la défenderesse d'utiliser le signe "B______", ainsi que la dénomination "C______/B______", à ce que la défenderesse soit condamnée à faire radier du Registre du commerce la raison sociale C______/B______ SA et à ce qu'il soit fait interdiction à la défenderesse d'utiliser la dénomination "C______/B______". Elle a conclu, subsidiairement, à ce que soit constatée la nullité des marques suisses n° 3______ "C______/B______", n° 6______ "C______/B______" (fig.) et n° 7______ "B______" et à ce qu'il soit ordonné à l'IPI de les radier.

Elle a invoqué essentiellement l'art. 4 LPM à l'appui de sa demande; elle a également mentionné les art. 956 CO, 29 al. 2 CC et 9 LCD.

b. Par arrêt du 8 décembre 2022, la Cour a rejeté la requête en fourniture de sûretés en garantie des dépens formée le 21 octobre 2022 par C______/B______ SA à l'encontre du A______/B______.

c. Dans sa réponse à la demande du 23 janvier 2023, C______/B______ SA a conclu, à la forme, à l'irrecevabilité de la demande et, au fond, à son rejet et au déboutement de A______/B______ de ses conclusions, avec suite de frais.

d. Dans le cadre du second échange d'écritures ordonné par la Cour, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

C______/B______ SA a par ailleurs notamment conclu à ce que soit ordonnée la simplification de la procédure à la question de la recevabilité de la demande. Elle a produit des pièces nouvelles.

e. Le 3 août 2023, le A______/B______ s'est déterminé sur les allégués et requêtes de la duplique de la partie défenderesse. Elle a conclu au rejet de la requête de simplification de la procédure. Elle a produit des pièces nouvelles.

f. Le 18 août 2023, C______/B______ SA a allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles, relatifs à son opposition quant à l'enregistrement international des marques russes "C______/B______ [avec acronyme]".

Le A______/B______ s'est déterminé à cet égard le 31 août 2023.

Les 28 août 2023 et 8 septembre 2023, C______/B______ SA et le A______/B______ se sont à nouveau déterminés.

g. Une audience de débats d'instruction s'est tenue le 4 octobre 2023, lors de laquelle les débats principaux ont été ouverts et les parties ont persisté dans leurs conclusions lors des premières plaidoiries.

h.a Lors de l'audience du 12 juin 2024, E______ et G______, convoqués pour être auditionnés comme parties, n'étaient pas présents. Ils ont expliqué ne pas avoir obtenu le renouvellement de leur visa Schengen.

h.b F______, entendu en qualité de partie devant le Cour lors de cette même audience, membre du présidium du A______/B______, a expliqué que celui-ci a été fondé par l'association des juristes de Russie, mais qu'il y avait d'autres organes fondateurs, en particulier quatre universités. Il s'agit d'un organe autonome dont la fonction principale est la coordination du fonctionnement des Instituts actifs dans le domaine de l'éducation juridique internationale. Un des projets du A______/B______ était le développement d'un centre d'enseignement juridique en Suisse, mais il a des projets dans d'autres pays.

Il devait être le recteur du centre d'enseignement. Un administrateur devait être trouvé et des collègues de l'université V______ lui avaient parlé de M______, qui avait une structure en Suisse, soit K______ SA. Il avait été convenu que celui-ci s'occuperait des tâches administratives et notamment créer deux sociétés dont l'une s'occuperait du volet éducatif. M______ devait par la suite assurer une fonction éducative. Le contrat du 23 décembre 2018, qu'il qualifiait de contrat d'agence, était la formalisation de cette manière de procéder. M______ était leur agent et il avait été autorisé à lui proposer 20% de la structure composée de Q______ SA et de C______/B______ SA; s'il n'était pas intéressé, il serait remboursé. Celui-ci avait cependant proposé de conserver 75% des actions, ce qui l'avait étonné car il n'en avait jamais été question. Après cela, leur collaboration avait cessé. Des discussions avaient eu lieu afin de le rembourser.

M______ avait versé les fonds nécessaires pour constituer C______/B______ SA (alors que lui-même avait versé ceux nécessaires à la constitution de Q______ SA) car le A______/B______ avait des problèmes à effectuer des paiements depuis la Russie et il devait transférer les actions des sociétés qui avaient été créées.

La question de l'enregistrement des marques avait été discutée et des designers avaient établis des projets en 2018 et 2019, mais l'enregistrement avait été effectué sans son accord, ce qu'il avait appris en 2022.

h.c N______, en sa qualité de représentante de la partie défenderesse, a contesté que C______/B______ SA ait été constituée dans le cadre du contrat du 23 décembre 2018; deux sociétés devaient initialement être créées dans ce cadre, mais seule une société avait finalement été créée, car "il n'y a eu qu'un seul paiement".

Elle a expliqué que C______/B______ SA avait été créée dans le cadre d'un projet qui avait été discuté avec l'Association des juristes de Russie avec laquelle elle-même et M______ avaient eu des discussions depuis 2012. M______ n'avait pas eu de contact avec le A______/B______ lors de la constitution de C______/B______ SA, pour laquelle il avait versé le capital-actions de 100'000 fr. Il n'avait jamais été question que les actions soient transférées au A______/B______; il avait en revanche été question que Q______ reçoive 24% des actions de C______/B______ SA. Il ressortait de l'acte notarié du 19 août 2021 signé par F______ (pce 54 déf.) que le transfert des actions était demandé sans contrepartie financière, ce qui l'avait surpris. Lors de l'assemblée générale des actionnaires de C______/B______ SA, la répartition des actions n'avait pas été contestée.

Dans son courrier du 30 juillet 2021, elle avait expliqué les différentes actions qui avaient été entreprises de manière générale, mais pas uniquement en lien avec le contrat du 23 décembre 2018. Il s'agissait uniquement d'une description générale de toutes les actions qui avaient été entreprises "en lien avec l'état général des choses".

Il y avait un projet commun auquel étaient parties l'Association des juristes de Russie, L______ SA et différentes universités russes. Le A______/B______ participait également au projet, mais pas comme auteur; il devait uniquement s'occuper de tâches administratives.

À aucun moment avant le présent litige le A______/B______ ne lui avait indiqué qu'il devrait être le titulaire des marques. Lorsqu'elle s'était adressée à F______ le 19 juin 2019 pour approuver le logo, elle l'avait fait en sa qualité de recteur de C______/B______ SA. Il importait peu que les marques déposées le 18 juin 2020 et 27 avril 2021 aient été enregistrées durant la période de validité du contrat conclu avec le A______/B______ car ledit contrat ne concernait pas C______/B______ SA. Après hésitation, N______ a déclaré que les marques enregistrées mentionnées dans le courrier du 30 juillet 2021 étaient les deux marques précitées.

i.a Entendu en qualité de témoin, M______ a exposé qu'il avait créé une première école en Suisse en 2002 en collaboration avec l'Université de D______ [Russie] et que depuis L______ SA avait délivré des diplômes à plus de 500 étudiants. Il avait été contacté en 2011 par l'Association des juristes de Russie pour développer un nouveau projet, qui serait la "copie" de celui qu'il avait créé, mais avec l'Association des juristes de Russie. Un accord n'avait cependant été trouvé qu'en 2017, sans qu'un document ne soit signé. Ce second projet ne devait toutefois pas concurrencer le premier. Il avait eu ces discussions avec F______ qu'il avait désigné comme recteur et un document avait été signé (pce 17 déf.). Il connaissait le A______/B______, mais il n'avait signé aucun document avec lui. À sa connaissance, ce dernier avait un rôle administratif en Russie, assurant des fonctions auxiliaires et secondaires, aidant F______ à remplir ses fonctions de recteur.

F______ lui avait demandé à plusieurs reprises de lui céder ses actions de C______/B______ SA, ce qui lui rappelait la manière de traiter les affaires dans les années 1990, mais il avait refusé. Seule Q______ avait été créée sur la base du contrat du 23 décembre 2018. Il avait cédé une part des actions de C______/B______ SA à Q______ SA à condition qu'elle lui envoie entre 30 et 50 étudiants par année, ce qui ne s'était pas produit.

Il avait personnellement versé le montant de 100'000 fr. nécessaires à la création de C______/B______ SA; il en détenait encore 77% et Q______ SA, 23%. Le A______/B______ n'avait rien versé pour la création de C______/B______ SA. Il avait désigné les administrateurs de la société, à savoir N______ puis, récemment, d'autres personnes. Le nom de la société avait été proposé par N______ ainsi que l'acronyme "B______". Il était normal que la société détienne les marques et les droits qui y sont liés.

i.b O______ est administratrice de la société L______ SA et travaille avec N______ depuis environ 2013.

Entendue comme témoin, elle a déclaré que L______ SA avait eu des contacts en 2018 avec le A______/B______ en lien avec un projet, qui était cependant le même que celui de L______ SA. Celle-ci avait donc signé un contrat avec le A______/B______, mais avec des clauses de non concurrence. Dans le cadre de celui-ci, Q______ SA avait été constituée, mais pas C______/B______ SA car le A______/B______ n'avait pas rempli ses obligations financières. Elle avait de la peine à expliquer pourquoi Q______ SA et la défenderesse étaient mentionnées dans le courrier du 30 juillet 2021, mais elle comprenait qu'elles étaient liées. Selon sa compréhension du contrat du 23 décembre 2018, Q______ SA devait exercer des fonctions administratives et il fallait une deuxième société qui implémentait le projet éducatif. Deux étudiants seulement étaient inscrits dans le programme du A______/B______, ce qui était insuffisant, raison pour laquelle ils avaient été intégrés au programme de L______ SA qui en avait 60.

Le contrat de 2018 avait été résilié par le A______/B______ car il voulait travailler avec une autre structure et elle avait appris qu'une école s'était ouverte à S______ [VD].

j. G______ s'est présenté à l'audience de la Cour du 19 juin 2024 comme partie, du fait de sa qualité annoncée de membre du présidium du A______/B______. Il a dès lors notamment assisté à l'audition de M______. Il s'est toutefois avéré à l'issue de cette audition qu'il n'était plus membre du présidium du A______/B______.

C______/B______ SA a relevé qu'il ne pouvait dès lors pas prétendre à la qualité de représentant de la partie demanderesse et elle s'est opposée à son audition en qualité de témoin en application de l'art. 171 al. 4 CPC puisqu'il avait assisté à l'audition du témoin M______.

Ses déclarations ont néanmoins été consignées au procès-verbal. Il en ressort que selon lui, le projet de C______/B______ était celui de l'Association des juristes de Russie. M______ était le seul qui se trouvait en Suisse et pouvait aider à promouvoir le projet. Il n'était pas envisagé de lui donner plus de 20% de cette structure, mais il s'en était emparé. Le A______/B______ a été fondé dans le but de créer un centre international d'étude juridique en Suisse, dans le cadre du projet de l'Association des juristes de Russie. La question de savoir qui devrait être l'actionnaire de C______/B______ SA était difficile et il ne savait pas.

Il avait été actionnaire de L______ SA à 80%, M______ en détenant les 20% restant. Il a été employé et directeur de cette société en 2018 et 2019. Il a été en conflit avec le précité.

k. Les parties ont renoncé à l'audition de E______.

l. Le 12 août 2024, C______/B______ SA a allégué des faits nouveaux relatifs à T______ SA, qui n'avait plus d'adresse, ni d'administrateur, et U______/B______ [avec acronyme] SA et R______/B______ [avec acronyme] SA, qui était en liquidation. Dans la mesure ou le A______/B______ leur avait confié l'autorisation d'utiliser ses marques, il n'avait plus d'intérêt juridique à son action.

Le A______/B______ s'est déterminé le 30 août 2024.

Les parties ont répliqué et dupliqué les 16 et 27 septembre 2024.

C______/B______ SA s'est à nouveau déterminée le 11 octobre 2024 pour "dénoncer un manque de sincérité de sa partie adverse qui équivaut à une infraction à l'art. 52 CPC".

m. Dans leurs plaidoiries finales écrites du 14 janvier 2025, le A______/B______ et C______/B______ SA ont persisté dans leurs conclusions.

Elles ont répliqué le 3 février 2025, puis se sont encore déterminées les 20 et 24 février 2025 puis les 7 et 10 mars 2025.

n. La cause a été gardée à juger le 2 avril 2025.

EN DROIT

1. 1.1 Aux termes de l'art. 5 al. 1 CPC, la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 1 let. a LOJ) connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, y compris en matière de nullité et de violation de tels droits (art. 5 al. 1 let. a CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ). Il s'agit des litiges résultant notamment de l'application de la loi sur la protection des marques (loi fédérale du 28 août 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance; Loi sur la protection des marques (LPM) – RS 232.11).

En l'occurrence, la demanderesse se fonde essentiellement sur les droits découlant de la loi sur la protection des marques, de sorte que la Cour est, à cet égard, compétente ratione materiae.

La défenderesse a invoqué l'incompétence de la Cour à raison de la matière du fait que le litige relevait du droit des contrats ou du droit des sociétés, relatif notamment à l'actionnariat de la défenderesse. Dans la mesure où le fondement invoqué, soit l'art. 4 LPM, relève du droit de la propriété intellectuelle et que les conclusions tendent à la cession d'une marque, le litige relève bien de la compétence de la Cour en instance unique. Autre est la question de savoir si ce fondement permet à la demanderesse d'obtenir gain de cause ou si sa demande doit être rejetée pour les motifs invoqués par la défenderesse.

L'art. 4 LPM n'exige par ailleurs pas une relation contractuelle directe (cf infra consid. 2.1), de sorte que l'absence de relation contractuelle entre la demanderesse et la défenderesse, qui n'est notamment pas partie au contrat du 23 décembre 2018, ne permet pas de considérer que la défenderesse ne dispose pas de la légitimation passive.

1.2 Le tribunal du domicile ou du siège du lésé ou du défendeur ou le tribunal du lieu de l'acte ou du résultat de celui-ci est compétent pour statuer sur les actions fondées sur un acte illicite (art. 36 CPC). La notion d'acte illicite doit être interprétée de manière large, ce qui signifie que le for de l'art. 36 CPC est notamment ouvert en ce qui concerne les actions fondées sur la LPM et la LCD (Haldy, Commentaire Romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 2 ad art. 36 CPC).

Au vu du siège à Genève de la société défenderesse, la Cour de céans est compétente ratione loci.

1.3 Déposée selon la forme requise (art. 130 et 252 CPC), la demande est recevable.

1.4 La défenderesse invoque l'irrecevabilité de la demande en raison du défaut d'intérêt digne de protection (art. 59 al. 2 let. a CPC). Elle soutient que dans la mesure où les sociétés suisses R______/B______ [avec acronyme] SA et T______ SA qui auraient pu être impliquées dans l'utilisation ou l'exploitation des marques litigieuses sont désormais inopérantes, la demanderesse n'avait plus d'intérêt réel et actuel à faire valoir des droits sur les marques litigieuses.

Cela étant, le projet de la demanderesse dans le cadre duquel les marques litigieuses devaient être utilisées, peut être mis en œuvre par d'autres sociétés que celles précitées. En effet, s'il était fait droit à la demande, la demanderesse pourrait céder l'usage de celle-ci à d'autres entités que celles auxquelles elle les avait initialement cédées. Il ne peut par ailleurs être tiré de conclusion sur la volonté (ou l'absence de volonté) de la demanderesse d'utiliser les marques litigieuses de la cessation des activités des sociétés précitées, même si les animateurs de ces différentes sociétés étaient identiques.

1.5 La procédure ordinaire s'applique aux litiges pour lesquels est compétente une instance unique au sens des art. 5 et 8 CPC (art. 243 al. 3 CPC).

La maxime des débats et la maxime de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2. La demanderesse soutient que les marques enregistrées au nom de la défenderesse doivent lui être cédées, subsidiairement que leur nullité doit être constatée. Elle fonde son action sur l'art. 4 LPM.

2.1 Selon l'art. 4 LPM, les marques enregistrées sans le consentement du titulaire au nom d’un agent, d’un représentant ou d’un autre utilisateur autorisé ne sont pas protégées; il en va de même des marques qui n’ont pas été radiées du registre, bien que le titulaire ait révoqué son consentement.

Le motif particulier d'exclusion de la protection de la marque enregistrée selon l'art. 4 LPM repose – à l'instar des motifs d'exclusion relatifs – sur l'existence préalable de certains signes de tiers; ceux-ci ne sont certes pas enregistrés en tant que marque en Suisse, mais ont été utilisés en Suisse ou à l'étranger par le meilleur ayant droit (ATF 143 III 216 consid. 2.1).

La norme vise à protéger le titulaire économique d'une marque contre un agent, un représentant ou une autre personne autorisée à utiliser le signe pendant la durée de la coopération, qui dépose le signe à son nom sans autorisation ou qui conserve l'enregistrement après la fin de la coopération. Cette protection repose sur l'idée que le titulaire du droit d'usage est soumis, en raison de la coopération, à une obligation de préservation des intérêts ou de loyauté envers le titulaire, qui s'oppose à l'appropriation de la marque (ATF 143 III 216 consid. 2.1).

Les personnes (physiques ou morales) visées par les notions d’agent, de représentant ou encore d'utilisateur autorisé ne sont pas seulement les agents tels que définis par le droit des obligations (art. 418a ss CO), mais visent également les distributeurs indépendants, les preneurs de licence et de franchise (soit les franchisés). Dans cet esprit, la qualification juridique du contrat liant la victime au titulaire de la marque n’est pas déterminante (De Werra, Des marques et des contrats: la marque d’agent et l’action en cession de marque, in: Mélanges en l’honneur de François Dessemontet, 2009, p. 71 ss, p. 74-75; De Werra, Commentaire romand, PI, 2013, n. 17 ad art. 4 LPM).

La situation particulière visée par le législateur présuppose un contrat entre le titulaire réel et le titulaire présumé (formel) de la marque, qui a pour objet la protection des intérêts commerciaux du maître de l'affaire ainsi qu'une autorisation d'utiliser la marque d'autrui. Cela étant, il n'y a pas lieu de poser des exigences trop strictes en ce qui concerne l'identité du cocontractant autorisé à faire usage de la marque à l'encontre duquel l'art. 4 LPM est invoqué: sont visés non seulement les dépôts accomplis par le cocontractant lui-même, mais aussi ceux effectués par ses organes, associés, auxiliaires, des sociétés affiliées du groupe ou des hommes de paille, dans la mesure où de tels dépôts sont intervenus en lien avec l'usage de la marque dans le cadre de ladite autorisation (ATF 150 III 83 consid. 3.2.2).

Pour être considérées comme des marques d'agent, les conditions suivantes doivent être réunies (ATF 151 III 106, [arrêt du Tribunal fédéral 4A_166/2024, 4A_172/2024 du 17 septembre 2024] consid. 10.2):

1.    le maître de l'affaire (la loi parle de façon ambiguë de "propriétaire" [Inhaber]) a un meilleur droit préexistant sur la marque;

2.    celui au nom duquel la marque est enregistrée est considéré comme le "titulaire du droit d'usage" (Nutzungsberechtigter);

3.    il existe un contrat entre le maître de l'affaire et le "titulaire du droit d'usage" (ou le propriétaire réel et le titulaire) qui a pour objet (a) la protection des intérêts commerciaux du propriétaire de l'entreprise et (b) l'autorisation d'utiliser la marque d'autrui;

4.    la marque enregistrée et la marque "étrangère" sont identiques (identische Marken);

5.    l'autorisation contractuelle d'utiliser la marque se rapporte également au pays de dépôt, c'est-à-dire la Suisse (lien territorial);

6.    le dépôt a été effectué pendant la durée de l'obligation contractuelle de loyauté (lien temporel);

7.    le maître de l'affaire n'a pas autorisé le dépôt de la marque ou il a retiré son consentement.

L'art. 4 LPM ne permet pas de lutter contre la contrefaçon de marque. Si un tiers dépose la marque d'un meilleur ayant droit avec lequel il n'a pas de relation contractuelle l'autorisant à utiliser la marque, l'art. 4 LPM n'est pas applicable, faute d'autorisation d'utilisation (ATF 151 III 106, consid. 10.5).

Le Tribunal fédéral relève encore que non sans raison, la doctrine considère que l'art. 4 LPM doit être interprété de manière restrictive, étant donné que, contrairement aux victimes de la contrefaçon de marques, le maître de l'affaire a la possibilité de garantir ses intérêts vis-à-vis de l'agent par des accords contractuels ou en déposant lui-même une marque en temps utile (ATF 151 III 106, consid. 10.6).

Selon l'art. 53 LPM, au lieu de faire constater la nullité de l’enregistrement, le demandeur peut intenter une action en cession du droit à la marque que le défendeur a usurpée (al. 1); l'action se périme par deux ans à compter de la publication de l’enregistrement ou, dans les cas visés à l’art. 4, à compter du moment où le titulaire a révoqué son consentement (al. 2).

2.2
2.2.1 En l'espèce, il convient d'emblée de formuler quelques remarques générales.

La qualification exacte du contrat du 23 décembre 2018 – que la demanderesse qualifie de mandat, ce que conteste la défenderesse qui, pour la première fois dans le cadre des plaidoiries finales, l'a qualifié de joint-venture – n'est pas déterminante, même si les parties y consacrent de longs développements (sans exposer, à bien les comprendre, quelles conséquences elles en tirent). En effet, la demanderesse se réfère à de nombreuses reprises à l'appui de son argumentation à ce contrat. Elle ne fonde toutefois pas ses prétentions sur celui-ci et n'invoque aucune disposition des art. 394 ss CO puisqu'elle a agi devant la Cour en sa qualité d'instance unique en se fondant sur le droit des marques. La défenderesse n'est par ailleurs pas partie à ce contrat, qui ne lui impose dès lors aucune obligation contractuelle.

Ensuite, le reproche adressé par la demanderesse à la défenderesse est fondamentalement celui de s'être "appropriée", par l'entremise de M______, le projet de centre d'enseignement en Suisse que la demanderesse a été chargée de mettre sur pied par l'Association des juristes de Russie. Il ressort cependant des explications de M______ qu’il aurait agi dans le cadre d'un projet avec ladite association. Les éléments figurant à la procédure ne permettent cependant pas de déterminer s'il s'agit du même projet que celui que la demanderesse a été chargée de mettre en œuvre ou d'un autre. Il ne peut donc être retenu, sur la base des éléments figurant à la procédure, que le programme de la défenderesse concurrencerait indument celui que la demanderesse a été chargée de mettre en exécution. Il ne peut en tout état de cause être interdit à M______ de développer un projet de centre d'enseignement au motif qu'il concurrencerait celui que la demanderesse cherche à développer.

Enfin, malgré les volumineuses écritures des parties, la nature des relations entre les différents protagonistes qui sont intervenus dans le cadre du développement d’un centre d’enseignement juridique en Suisse, les conditions auxquelles ils y ont participé et les causes de leur conflit restent passablement obscures, les versions des parties, qui reposent essentiellement sur leurs propres déclarations, et les conclusions qu'elles en tirent divergeant largement. Il en va ainsi, notamment, des circonstances et des raisons pour lesquelles M______ est devenu personnellement actionnaire de la défenderesse.

2.2.2 Les parties s'opposent sur la question de savoir si la défenderesse a été constituée dans le cadre du contrat du 23 décembre 2018, comme l'affirme la première, ce que la défenderesse conteste.

Dans son courrier du 30 juillet 2021 à la demanderesse, L______ SA a exposé, en réponse au courrier de la demanderesse faisant état de sa volonté de résilier le contrat du 23 décembre 2018, qu'elle avait rempli toutes ses obligations contractuelles et que notamment, concernant la première étape prévue par ledit contrat (cf. supra let. A/b.b), la défenderesse avait été constituée. Les explications de N______ à cet égard dans le cadre de la présente procédure, en sa qualité de représentante de la défenderesse, selon laquelle ce courrier qu'elle avait signé en sa qualité de représentante de L______ SA ne faisait qu'énumérer de manière générale les actions qui avaient été entreprises sans qu'elles concernant le contrat du 23 décembre 2018 sont contredites par le texte clair du courrier du 30 juillet 2021. On ne comprend par ailleurs pas pourquoi elle aurait évoqué des faits qui n'avaient aucun rapport avec l'objet de son courrier, à savoir la question de l'exécution du contrat du 23 décembre 2018. Le fait que la demanderesse n'ait pas rempli ses obligations financières en lien avec la constitution de la défenderesse ne signifie en outre pas encore que cette dernière n'a pas été créée dans le cadre de l'exécution du contrat du 23 décembre 2018.

Cela étant, sous l'angle du droit des marques, qui est celui dont la Cour est saisie, le fait que la défenderesse aurait effectivement été créée dans le cadre de l'exécution du contrat du 23 décembre 2018 n'est pas décisif pour l'issue du présent litige.

Il peut néanmoins être relevé ce qui suit à cet égard.

Tout d'abord, il appartenait à la demanderesse, selon le contrat du 23 décembre 2018, de déposer auprès d'un notaire un montant égal au capital social des sociétés créées dans le cadre du contrat, ce qu'elle n'a pas allégué avoir fait. La demanderesse ne s'est par ailleurs pas prévalue judiciairement du contrat pour récupérer les actions de la défenderesse, ce qu'elle aurait pu faire si elle estimait qu'elle en était la légitime propriétaire en vertu du contrat précité.

Ensuite, la société défenderesse a été constituée, à teneur de l'acte notarié du 16 mai 2019, par M______, qui a entièrement souscrit le capital-actions de 100'000 fr. La demanderesse soutient que M______ aurait indument refusé de lui transférer sa participation dans la défenderesse, conformément au contrat du 23 décembre 2018 et en exécution de celui-ci (cf. demande, n. 57). M______ n'est cependant pas partie à ce contrat, lequel ne peut lui imposer aucune obligation personnelle et la demanderesse n'explique pas sur quelle base il aurait dû lui transférer les actions de la défenderesse. Le refus de M______ pourrait tout au plus constituer une violation de ses éventuels propres engagements contractuels à l'égard de la demanderesse ou de l’Association des juristes de Russie tendant au financement de la société, mais le contenu de ceux-ci, s'ils existent, ne sont pas connus. Cela étant, aucune offre financière adressée à M______ pour le rachat des actions de la défenderesse ne figure à la procédure et aucun élément permet de retenir que celui-ci se serait engagé à céder gratuitement ses actions de la défenderesse, laquelle ne lui a par ailleurs pas réclamé judiciairement le transfert de ces actions.

Il n'est dès lors pas démontré qu'en refusant de transférer les actions de la défenderesse M______ violerait des obligations contractuelles qu'il aurait contractées à l'égard de celle-ci.

2.2.4 N______ a précisé, dans son courrier du 30 juillet 2021 relatif à l'exécution du contrat du 23 décembre 2018, concernant la défenderesse, que des marques avaient été enregistrées. On ne voit pas à quelles autres marques que celles déposées les 18 juin 2020 et 27 avril 2021 elle pourrait faire référence (la troisième marque a été déposée ultérieurement). Cette circonstance n'est toutefois pas décisive.

Le contrat du 23 décembre 2018 n’indique pas que les marques enregistrées dans le cadre dudit contrat devaient l'être au nom de la demanderesse qui en serait titulaire ; une telle volonté commune des parties n’est pas établie. L'enregistrement des marques au nom de la défenderesse n'est donc pas contraire à ce que prévoyait le contrat du 23 décembre 2018.

Il n'est par ailleurs pas allégué qu'il était contractuellement prévu qu'une fois enregistrées au nom de la défenderesse, les marques dont celle-ci est titulaire devaient être cédées à la demanderesse. La demanderesse n'a d'ailleurs pas intenté une action à l'encontre de L______ SA fondée sur le contrat tendant à la cession des marques litigieuses. Il paraît par ailleurs cohérent que les marques "C______/B______" ainsi que son acronyme "B______" soient enregistrés au nom de la société qui porte le même nom, ce qui permet d'éviter tout risque de confusion entre la raison sociale de la défenderesse et les marques, qui seraient détenues par un autre sujet de droit.

En tout état de cause, la défenderesse qui est titulaire des marques litigieuses n'est pas partie au contrat du 23 décembre 2018 et elle n'est pas soumise aux obligations qui en découlent quant au fait que lesdites marques litigieuses auraient dû, selon la demanderesse, être enregistrées sur instruction de cette dernière. Celle-ci ne peut donc tirer aucun argument du contrat du 23 décembre 2018 pour prétendre à la cession des marques à laquelle elle a conclu.

2.2.5 Concernant enfin la question de savoir si la demanderesse est fondée à réclamer la cession des marques litigieuses sur la base de l'art. 4 LPM, il peut être relevé d'emblée de cause que le cas présent ne constitue pas un cas typique d'application de cette disposition puisque les marques litigieuses n'ont pas été déposées pour être utilisées par le cocontractant de la demanderesse, soit L______ SA (anciennement K______ SA), mais par un tiers sans relation juridique avec la demanderesse et dans un contexte autre que celui faisant l'objet du contrat du 23 décembre 2018 ayant pour objet la création d'un centre d'enseignement, la dénomination des marques utilisée n'étant par ailleurs pas mentionnée dans le contrat précité et ne correspondant pas à celle de la demanderesse.

Pour le surplus, la première marque a été enregistrée en Suisse par la défenderesse le 18 juin 2020. À cette date, la demanderesse ne détenait aucune marque identique ou même seulement similaire, ni n'avait utilisé un tel signe, en Suisse ou à l'étranger, en Russie en particulier. Elle n'a en effet déposé une marque similaire, en ce sens qu'elle comporte le même terme "C______/B______" (avec l'acronyme B______), de couleur rouge, mais avec un logo différent, que neuf mois plus tard, le 14 mars 2021. La marque suisse aurait été déposée avec le consentement de la demanderesse selon ses explications, ce qui semble contradictoire avec les déclarations de F______ lors de son audition devant la Cour selon lesquelles il avait appris l'enregistrement des marques en 2022.

La demanderesse ne peut par ailleurs se prévaloir du fait que les deux marques déposées par la défenderesse postérieurement au dépôt de marques en Russie sont similaires à ses marques russes, en ce sens qu’elles utilisent l’acronyme "B______", puisque lesdites marques russes sont elles-mêmes similaires à celles précédemment déposées par la défenderesse le 16 juin 2020 qui comportent le terme "C______/B______", dont l’acronyme est "B______".

La demanderesse ne peut donc reprocher à la défenderesse d'avoir effectué postérieurement le dépôt "préventif" de deux marques comportant l’acronyme « B______ », le 27 avril 2021 et le 16 novembre 2021 (au-dessus de la mention "C______/B______" pour la première), pour "l'entraver dans la poursuite de son projet concernant l'Association des juristes de Russie" (cf. plaidoiries finales, n. 56), ces marques s'inscrivant dans le prolongement du dépôt de la première marque de la défenderesse. La demanderesse qui reproche à la défenderesse l'enregistrement des deuxième et troisième marques (cf. plaidoiries finales n. 31 ss), qui utilisent l'acronyme B______, n'explique par ailleurs pas, à bien la comprendre, pourquoi, la défenderesse devrait lui céder également la première.

En l'absence de l'existence préalable d'un signe similaire de la demanderesse, l'art. 4 LPM n'est donc pas applicable (cf. supra consid. 2.1, condition 1).

Les marques enregistrées par la défenderesse ne sont par ailleurs pas identiques à celles dont se prévaut la demanderesse, puisqu'elles ne comportent notamment pas de logo représentant une voile. Or, une telle identité est une condition d’application de l’art. 4 LPM (cf. supra consid. 2.1, 4ème condition d’application).

Il est par ailleurs douteux que l'art. 5 du contrat du 23 décembre 2018, qui octroyait à L______ SA (anciennement K______ SA) le droit d'utiliser les marques, noms commerciaux et logos de la demanderesse, puisse être qualifié d'autorisation d'utilisation au sens de l'art. 4 LPM (cf. supra consid. 2.1, 3ème condition, let. b), qui vise une situation différente, à savoir celle du cocontractant qui reçoit une autorisation d'utiliser une marque pour remplir ses obligations contractuelles, comme revendre ou promouvoir les produits qui font l'objet du contrat de distribution ou de franchise qui contient ladite autorisation. Cette autorisation a été donnée dans le cadre du contrat du 23 décembre 2018 dont l'objet était la création d'un centre d'enseignement et non son exploitation.

Pour le surplus, les marques litigieuses ont été enregistrées par la défenderesse, laquelle n’a entretenu aucune relation contractuelle avec la demanderesse. Elle ne peut pas être qualifiée d'agent ou de représentant de la demanderesse et n'a aucune obligation à son encontre; elle n'a pas reçu d'autorisation d'utiliser les marques litigieuses. Celle-ci n’a ainsi aucune obligation de fidélité ou de protection des intérêts commerciaux à l’égard de la demanderesse.

L'art. 4 LPM s'applique également en cas de dépôt par les organes, associés ou auxiliaires du cocontractant, des sociétés affiliées du groupe ou des hommes de paille. Cela étant, la cocontractante de la demanderesse, L______ SA, est une société indépendante de la défenderesse. Les deux sociétés ne peuvent être qualifiées de sociétés affiliées ou faisant partie du même groupe.

Enfin, l'une des deux administratrices de L______ SA, N______, était également l'administratrice unique de la défenderesse à sa constitution. Le seul fait qu'elle soit administratrice des deux sociétés ne permet cependant pas de créer une confusion juridique entre elles et les marques n'ont pas été enregistrées dans l'intérêt et au profit de L______ SA, cocontractante de la demanderesse. La défenderesse ne peut ainsi pas être qualifiée d' "autre personne autorisée à utiliser le signe pendant la durée de la coopération". Quant à la qualité d'actionnaire de M______ de L______ SA à l'époque des faits, elle n'est pas établie; elle ne serait en tout état de cause pas suffisante à elle seule pour admettre une identité entre les deux sociétés ou en tous les cas un lien suffisant pour en faire une "autre personne autorisée à utiliser le signe".

Il ressort ainsi de ce qui précède que les conditions d'application de l'art. 4 LPM ne sont pas remplies en l'espèce et cette disposition ne fonde par conséquent pas le droit de la demanderesse à se voir céder les trois marques litigieuses. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu de constater la nullité de ces marques et d'ordonner à l'IPI de les radier.

En outre, en l'absence d'acte d'usurpation, aucun motif ne justifie la cession des marques litigieuses en application de l'art. 53 LPM.

2.2.6 Pour le surplus, la demanderesse conclut à ce qu'il soit fait interdiction à la défenderesse d'utiliser le signe B______ dans le cadre de ses affaires, à ce qu'elle soit condamnée à faire radier sa raison sociale du registre du commerce et à ce qu'il lui soit fait interdiction d'utiliser la dénomination "C______/B______" pour fournir des services ou d'en faire usage d'une quelconque manière, le tout sous la menace de la peine de l'art. 292 CP. Elle avait mentionné dans sa demande les art. 956 CO, 29 al. 2 CC et 9 LCD, dispositions qu'elle n'indique plus dans ses plaidoiries finales qui se concentrent sur l'art. 4 LPM.

En tout état de cause, on ne voit pas sur quelle base et pour quel motif elle pourrait prétendre à ce que la défenderesse soit radiée du registre du commerce, comme elle le sollicite. Les marques et la société ne peuvent par ailleurs être dissociées, sauf à risquer de créer une confusion entre la marque que la demanderesse exploiterait et la raison sociale de la défenderesse.

2.2.7 En définitive, au vu de ce qui précède, les prétentions de la demanderesse ne sont pas fondées et elle sera déboutée de toutes ses conclusions.

3. Les frais de la procédure seront mis à la charge de la demanderesse qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).

Les frais judicaires seront arrêtés à 8'000 fr. (art. 17 RTFMC) et compensés partiellement avec l'avance fournie par la demanderesse, qui restent acquises à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). La demanderesse sera condamnée à verser le solde aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

La demanderesse sera condamnée à verser à la défenderesse un montant de 10'000 fr. à titre de dépens, débours et TVA compris (art. 85 RTFMC; art. 20, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable la demande formée par ORGANISATION AUTONOME A BUT NON-LUCRATIF "A______/B______" le 14 juillet 2022 dans la cause C/13560/2022.

Au fond :

La rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 8'000 fr., les met à la charge de ORGANISATION AUTONOME A BUT NON-LUCRATIF "A______/B______" et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne ORGANISATION AUTONOME A BUT NON-LUCRATIF "A______/B______" à verser aux Services financiers du Pouvoir judiciaire la somme de 3'000 fr. à titre de solde de frais judicaires.

Condamne ORGANISATION AUTONOME A BUT NON-LUCRATIF "A______/B______" à verser à C______/B______ SA 10'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN et Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

La présidente :

Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.