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Décisions | Chambre civile

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C/29143/2024

ACJC/669/2025 du 21.05.2025 ( IUS ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

C/29143/2024 ACJC/669/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 21 MAI 2025

 

A______ Sàrl, sise ______ [GE], requérante sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles du 12 décembre 2024, représentée par Me Alain ALBERINI, avocat, Walder Wyss SA, rue du Rhône 14, case postale, 1211 Genève 3,

et

1) Madame B______, domiciliée ______, France, citée,

2) Madame C______, domiciliée ______, France, autre citée,

3) D______ Sàrl, sise c/o E______ SA, ______ [GE], autre citée,

toutes représentées par Me Betsalel ASSOULINE, avocat, DN Avocats SNC, rue de Rive 4, 1204 Genève.

 


EN FAIT

A. a. A______ Sàrl est une société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce genevois depuis le ______ 2022. Son but est, notamment : "tous types de services et prestations en matière de courtage en assurances ainsi que le conseil dans les domaines de la prévoyance sociale et de la planification financière".

Selon ses propres allégués, son activité consiste à entrer en contact avec de jeunes adultes en lien avec leur "prévoyance sociale", pour "leur offrir des conseils adaptés à leur situation personnelle et professionnelle". L'identité de ces jeunes adultes, soit des personnes venant de réussir leur certificat fédéral de capacité (CFC), est obtenue par la consultation des listes officielles des résultats aux examens accessibles au grand public.

b. C______ et B______ ont toutes deux été employées de A______ Sàrl dès août 2022. Leurs tâches consistaient, en substance, à approcher par téléphone de potentiels clients de l'entreprise.

Selon le contrat de travail de C______ conclu le 22 septembre 2022, sous le titre "7. Secret professionnel", "[l]'employée est tenue d'observer l'entière discrétion sur tous les faits dont elle aura connaissance dans l'exercice de ses fonctions pour l'employeur A______ Sàrl. Cet engagement subsistera même après la fin du présent contrat".

Les relations de travail des précitées ont pris fin en juin 2024.

c. D______ Sàrl est une société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce genevois depuis le ______ 2024. C______ en est l'unique associée-gérante. Son but est, notamment : "le conseil notamment dans les domaines fiscal et social, ainsi que tous services y relatifs à destination des entreprises et des particuliers; le conseil dans le domaine patrimonial".

d. A______ Sàrl allègue avoir mis en place une "méthodologie" propre afin d'optimiser l'approche des nouveaux clients. Elle consiste en une marche à suivre en plusieurs étapes, un script et un discours détaillés permettant d'anticiper les questions et les réponses d'un potentiel client contacté par téléphone, ainsi qu'en un message électronique (SMS) permettant de confirmer la conclusion d'un rendez-vous avec un client. Selon A______ Sàrl, ces éléments seraient le fruit d'une "analyse poussée, fondée notamment sur leurs expériences passées". Ils étaient conservés de manière sécurisée.

Selon les pièces produites à l'appui de ces allégués, la "marche à suivre" est un document intitulé "Directives Call Center" lequel donne des conseils et des instructions sur le déroulement du travail : planification de la journée de travail (par exemple : "il est primordial d'organiser et de planifier en amont ses journées afin d'atteindre une bonne efficacité"), état d'esprit (par exemple : "Le métier de téléphoniste n'est pas aisé, si mentalement on ne va pas bien, cela va se ressentir sur notre efficacité."), les objectifs de rendement (par exemple : "Plus de personnes je contacte, plus j'obtiens de rendez-vous sur un moyen terme." ; nombres d'appel minimaux par heure) et la progression et le suivi (par exemple : "Afin de progresser, il est important d'avoir un esprit autocritique et d'être en réflexion permanente sur les axes de progression possibles").

Le script est matérialisé par plusieurs documents ayant évolué au fil des années 2022 à 2024. En substance, il s'agit d'un document de quelques pages retranscrivant un appel téléphonique type à un client potentiel. Les objections de celui-ci sont anticipées et les réponses devant être données par le téléphoniste déjà préparées. Dans la version la plus récente, le téléphoniste commence par se présenter et expose prendre contact avec le client à la suite de l'obtention de son certificat fédéral de capacité (CFC). Faisant preuve d'empathie (félicitations, questions sur un nouvel emploi, etc.), le téléphoniste expose ensuite que son employeur est "chargé" de dispenser "la séance sur la prévoyance, les impôts et les salaires" ce depuis "15 ans". Les services fournis sont ensuite présentés : explications sur les déductions apparaissant sur la fiche de salaire et les droits liés, planification de la prévoyance, déductions d'impôts, examen de la quotité du salaire par rapport aux salaires minimaux applicables, etc. Puis, un rendez-vous est fixé et les données du prospect confirmées. Dans une seconde partie du document, les objections potentielles du prospect sont anticipées : s'il exprime de la méfiance, le rassurer en se référant à l'ancienneté de l'entreprise et à la collaboration avec les cantons ; s'il déclare avoir déjà eu une séance similaire, lui expliquer que c'est une séance différente et de meilleure qualité ; s'il obtient des conseils par d'autres biais, lui montrer qu'il est mieux conseillé par des spécialistes du domaine ; s'il demande si la séance est obligatoire, lui mentionner qu'elle est recommandée et subventionnée par la Confédération ; s'il souhaite cotiser plus tard à un 3ème pilier, lui expliquer qu'il obtiendra des déductions fiscales et comblera des lacunes ; s'il est indépendant, l'encourager à cotiser au 3ème pilier ; s'il n'a pas entendu que ses collègues avaient reçu un tel appel, le rassurer et prendre le numéro de ces personnes.

Enfin, le message électronique de confirmation a le texte suivant, qui a légèrement évolué au fil du temps : "Bonjour [nom du prospect], Suite au rendez vous que nous venons de fixer je vous informe avoir bien réservé(e) la date du 04.10 auprès du conseiller en charge de la séance. En vous remerciant de veiller également a bien noter la date dans votre agenda Toute belle fin de journée [nom de l'expéditeur]."

B. a. Par requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles déposée à la Cour de justice (ci-après, la Cour) le 12 décembre 2024, A______ Sàrl a conclu à ce que la Cour interdise à C______, B______ et D______ Sàrl de conserver, reproduire, trahir (sic), révéler, divulguer, utiliser/exploiter, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers, tout secret d'affaire, information confidentielle et document confidentiel appartenant à et/ou révélé à elles dans le cadre de son activité pour la requérante, en particulier le script et le texte détaillé des discours et réponses à apporter au prospect, ordonne aux citées de détruire le matériel et documents confidentiels en leur possession qui lui appartenait, notamment les documents susévoqués et interdise aux citées d'exploiter tout résultat d'un travail qui leur a été confié par la requérante, respectivement réalisé par elle et confié par un tiers, en particulier le script, le discours et le SMS de confirmation du rendez-vous avec le prospect, le tout sous la menace de la peine de l'art. 292 CP et avec suite de frais.

A l'appui de sa requête, A______ Sàrl a exposé avoir découvert qu'une entité active sous le nom de "Conseils-jeunes" avait adopté la même méthodologie que la sienne pour approcher les mêmes prospects en utilisant la même marche à suivre, les mêmes scripts et le même SMS de confirmation qu'elle. Cette entité était animée par D______ Sàrl et C______. B______ avait collaboré à cette entreprise. A l'appui de ses allégués, elle a produit deux attestations au texte identique émanant de deux personnes affirmant par ce texte avoir été contactées par une certaine F______ (alias de C______) de D______ Sàrl qui aurait utilisé "un discours et une méthodologie identique à ceux utilisés par A______ Sàrl" et reprenait "des éléments identiques dans le traitement [des] objections". A______ Sàrl en déduisait que les citées s'étaient appropriées son matériel à la fin de leur contrat de travail et l'utilisaient sans droit, lui causant un dommage de quelque 430'000 fr. à ce stade. La mise en demeure adressée à C______ était restée sans effet. La prénommée avait en outre tenu des propos désobligeants à l'égard de A______ Sàrl en s'adressant à une collaboratrice de celle-ci, qu'elle avait tenté, par ailleurs, de recruter.

En droit, ces comportements étaient constitutifs de concurrence déloyale, soit plus précisément l'exploitation indue du résultat du travail confié (art. 5 let. a LCD), ainsi que l'exploitation du résultat du travail d'un tiers, bien qu'il soit su que ce résultat a été remis ou rendu accessible de façon indue (art. 5 let. b LCD) et la violation de secrets de fabrication ou d'affaires (art. 6 LCD).

b. Par arrêt du 16 décembre 2024, la Cour a rejeté la requête de mesures superprovisionnelles, imparti un délai aux citées pour se déterminer et réservé la suite de la procédure.

c. En réponse, les citées ont exposé que C______ et les animateurs de A______ Sàrl s'étaient connus au sein d'une entreprise G______ SA, sise dans le canton de Vaud et désormais en liquidation, dont ils étaient tous employés. Ainsi, les méthodes acquises lors de cette première expérience avaient été reprises au sein de A______ Sàrl, ce dont tous étaient conscients. De plus, les collaborateurs de la requérante propageaient sciemment des informations fausses en se faisant passer pour la Ville de Genève ou prétendant être accrédités par la Confédération.

Aucune concurrence déloyale n'existait, principalement parce que les éléments désignés par la requérante comme étant déloyalement repris par les citées ne possédaient aucune originalité.

d. Dans sa réplique, la requérante a persisté dans ses conclusions sur mesures provisionnelles et contesté les allégués des citées, admettant cependant que ses animateurs avaient précédemment travaillé pour G______ SA, mais que celle-ci avait un but différent de A______ Sàrl. La méthodologie utilisée par cette dernière était donc complètement nouvelle.

Elle a produit des pièces nouvelles et sollicité l'audition de témoins.

e. Dans leur duplique, les citées ont persisté dans leurs conclusions et contesté les nouveaux allégués de la requérante.

Elles ont produit des pièces nouvelles.

f. La requérante s'est spontanément déterminée et a persisté dans ses conclusions.

g. Par avis du 22 avril 2025, la Cour a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Les procédures introduites avant le 1er janvier 2025 demeurent régies par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 CPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f CPC.

2. Il existe un élément d'extranéité au vu du domicile français de deux des citées.

2.1
2.1.1 La compétence à raison du lieu, au niveau international, s'examine à la lumière de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après, CL), à laquelle la Suisse et la France sont parties (art. 1 al. 2 LDIP).

L'art. 5 al. 3 CL prévoit qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat lié par la Convention de Lugano peut être attraite, dans un autre Etat lié par cette convention, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.

Cette disposition s'applique aux actions fondées sur les dispositions réprimant la concurrence déloyale (Guillaume, Commentaire Romand - LDIP/CL, 2ème éd. 2025, n. 137 ad art. 5 CL). L'atteinte se produit alors au lieu du marché qui subit une distorsion de concurrence (Ibid., n. 157 ad art. 5 CL).

Selon l'art. 31 CL, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat lié par la Convention de Lugano peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat, même si, en vertu de la Convention de Lugano, une juridiction d'un autre Etat lié par la présente Convention est compétente pour connaître du fond.

Cet article suppose acquis le fait que l'autorité compétente pour statuer au fond peut aussi statuer sur les mesures provisoires (Bucher, Commentaire Romand - LDIP/CL, 2ème éd. 2025, n. 2 ad art. 31 CL).

2.1.2 Selon l'art. 13 CPC, sauf disposition contraire de la loi, est impérativement compétent pour ordonner des mesures provisionnelles le tribunal compétent pour statuer sur l'action principale (let. a) ou le tribunal du lieu où la mesure doit être exécutée (let. b). Sauf disposition contraire de la loi, le tribunal saisi est compétent lorsque le défendeur procède sans faire de réserve sur la compétence (art. 18 CPC).

A teneur de l'art. 36 CPC, le tribunal du domicile ou du siège du lésé ou du défendeur ou le tribunal du lieu de l'acte ou du résultat de celui-ci est compétent pour statuer sur les actions fondées sur un acte illicite.

Les faits fondés sur une situation de concurrence déloyale entrent dans le champ d'application de l'art. 36 CPC (Urbach, ZPO Kommentar - Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2023, n. 4 ad art. 36 CPC).

2.2 En l'espèce, les autorités suisses et, plus particulièrement, genevoises sont compétentes pour connaître du présent litige, notamment compte tenu du siège genevois de la requérante, du siège genevois de la troisième citée et étant donné que le marché touché par les prétendus actes de concurrence déloyale est le marché suisse.

Au surplus, les cités ont procédé sans contester la compétence ratione loci.

2.3
2.3.1
Aux termes de l'art. 5 al. 1 CPC, la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 1 let. a LOJ) connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle ou relevant de la Loi contre la concurrence déloyale (LCD) lorsque la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (let. d). Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

2.3.2 En l'espèce, la Cour est compétente pour connaître de la requête de mesures provisionnelles, puisque la requérante se fonde sur les dispositions de la LCD et que la valeur litigieuse alléguée est supérieure à 30'000 fr.

3. 3.1 Dans le cadre d'une procédure sommaire, la preuve est rapportée par titres (art. 254 al. 1 CPC).

D'autres moyens de preuve sont toutefois admissibles lorsque leur administration ne retarde pas sensiblement la procédure, le but de la procédure l'exige ou encore lorsque le tribunal établit les faits d'office (art. 254 al. 2 CPC).

3.2 En l'espèce, la requérante a sollicité l'audition de témoins. Leur audition n'apparaît pas pertinente et retarderait inutilement la présente procédure de mesures provisionnelles, les parties ayant eu amplement l'occasion de se prononcer par écrit et d'apporter toutes les précisions utiles pour se prononcer.

Ainsi, il ne sera pas donné suite à cette requête.

3.3 Les mesures provisionnelles sont soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), dans le cadre de laquelle, sauf exceptions, les maxime des débats et de disposition sont applicables (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

4. 4.1.1 Aux termes de l'art. 261 al. 1 CPC, le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

En vertu de l'art. 262 let. a CPC, le juge peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment une interdiction.

L'autorité judiciaire qui se prononce sur des mesures provisionnelles peut se limiter à la simple vraisemblance des faits après une administration limitée des preuves, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3). Il suffit donc que les faits soient rendus plausibles. Le point de savoir si le degré de vraisemblance requis par le droit fédéral est atteint dans le cas particulier ressortit à l'appréciation des preuves (ATF 130 III 321 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_42/2022 du 19 mai 2022 consid. 4.2 et 4A_179/2024 du 20 juin 2024 consid. 1.1.1).

Les conditions au prononcé de mesures provisionnelles sont : l'existence d'une prétention relevant du droit civil, une menace d'un danger imminent contre cette prétention, qui causerait un préjudice difficilement réparable, l'urgence et la proportionnalité (Sprecher, Basler Kommentar - ZPO, 4ème éd. 2024, n. 10 ad art. 261 CPC).

Ainsi, au titre de la prétention relevant du droit civil, le requérant doit rendre vraisemblable que son action matérielle est fondée (Ibid., n. 15 ad art. 261 CPC).

4.1.2 Selon l'art. 1 LCD, cette loi vise à garantir, dans l'intérêt de toutes les parties concernées, une concurrence loyale et qui ne soit pas faussée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_354/2022 du 14 novembre 2022 consid. 3.1).

En vertu de l'art. 2 LCD, est déloyal et illicite tout comportement ou pratique commercial qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients. La clause générale de l'art. 2 LCD est concrétisée par la liste d'exemples figurant aux art. 3 à 8 LCD. Il ressort de cette clause générale que seul peut être qualifié de déloyal un comportement qui est objectivement apte à influencer le jeu de la concurrence ou le fonctionnement du marché (ATF 132 III 414 consid. 3.1 ; 126 III 198 consid. 2c/aa et les références citées). Au demeurant, il n'est plus nécessaire de faire appel à la clause générale si le comportement reproché tombe sous le coup de l'une des dispositions spéciales précitées, raison pour laquelle il convient de commencer par examiner l'applicabilité de ces dernières (ATF
132 III 414 consid. 3.1). Toutefois, il faut garder à l'esprit que celles-ci n'embrassent pas tous les comportements déloyaux possibles et imaginables, de sorte qu'un comportement donné peut mériter ce qualificatif même s'il n'entre pas dans leurs prévisions (ATF 132 III 414 consid. 3.1 ; 122 III 469 consid. 9a ;
116 II 365 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_354/2022 du 14 novembre 2022 consid. 3.1).

Le droit de la concurrence déloyale ne contient aucune interdiction générale de copier les prestations d'autrui, le principe étant que l'on peut librement copier (ATF 135 III 446 consid. 1.3 ; 131 III 384 consid. 5.1 ; 118 II 459 consid. 3b/bb ; ATF 117 II 199 consid. 2a/ee).

4.1.3 L'art. 5 let. a LCD dispose que celui qui, notamment, exploite de façon indue le résultat d'un travail qui lui a été confié, par exemple des offres, des calculs ou des plans agit de façon déloyale. Pour que cette disposition soit applicable, il faut, d'une part, que le résultat d'un travail ait été confié à l'auteur et, d'autre part, que celui-ci l'utilise contrairement aux accords passés, qu'il le détourne de la destination convenue. Le caractère déloyal de l'acte réside dans la trahison de la confiance donnée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_672/2012 du 19 mars 2013 consid. 1.1).

Agit également de façon déloyale celui qui exploite le résultat du travail d'un tiers, par exemple des offres, des calculs ou des plans, bien qu'il sache que ce résultat lui a été remis ou rendu accessible de façon indue (art. 5 let. b LCD).

Le terme de "résultat d'un travail" couvre le résultat d'un travail de nature préparatoire, qui se situe en amont de l'utilisation commerciale. Peuvent constituer le résultat d'un travail des esquisses, des études ou des concepts. Un certain effort intellectuel et/ou matériel doit avoir conduit au résultat obtenu. En revanche, la loi ne réprime pas la reprise d'une simple idée confiée par un tiers qui n'en serait encore qu'à un stade embryonnaire et qui, partant, nécessite encore un long travail de mise au point (ATF 122 III 469 consid. 8b ; Message à l'appui d'une loi fédérale contre la concurrence déloyale, FF 1983 II, p. 1103 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_672/2012 du 19 mars 2013 consid. 1.1).

Le Tribunal fédéral a régulièrement rappelé que les prestations ou les résultats du travail qui ne jouissent pas de la protection d'un droit immatériel peuvent être librement utilisés (ATF 131 III 384 consid. 5.1 et les références). Le but de la LCD étant de garantir une concurrence loyale, les prestations ne sont ainsi protégées par cette loi que si existent des circonstances particulières et relevant du droit de la concurrence contre la reprise ou la copie, soit notamment une tromperie évitable sur l'origine, une exploitation de la réputation, un comportement sournois ou une démarche systématique entravante (arrêt du Tribunal fédéral 4A_616/2009 du 11 mai 2010 consid. 5.2). Ce qui est interdit c'est de faire travailler un concurrent pour ensuite parasiter son travail pour atteindre ses propres buts. Une utilisation indue des efforts d'autrui existe lorsque l'entrepreneur est dépouillé de son activité qui est reprise sans autre et exploitée pour l'usage propre d'un concurrent (ATF 131 III 384 consid. 5.2).

Selon certains auteurs, il est exigé que le résultat du travail ait un caractère concurrentiel (par exemple une individualité ou un niveau de prestation particuliers, mais sans atteindre le niveau de protection requis par les droits immatériels), mais le degré de cette exigence demeure peu clair (Hofer/ Vasella, Handkommentar zum Schweizer Privatrecht - Wirtschaftsrechtliche Nebenerlasse: FusG, UWG, KKG, PauRG und PrHG, 4ème éd. 2023, n. 3 ad art. 5 LCD). Selon d'autres auteurs, aucune exigence quant à l'individualité, la singularité ou le caractère digne de protection n'est nécessaire (Frick, Basler Kommentar - UWG, 2013, n. 26 ad art. 5 LCD).

En tout état, il n'est pas nécessaire que les éléments visés renferment un secret d'affaires (par exemple, une liste de client ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_298/2013 du 16 janvier 2014 consid. 3.2.1). De simples idées, des "éclairs de pensée" ("Gedankenblitz") ou des méthodes de travail qui ne sont pas concrètement élaborées ne constituent pas le résultat d'un travail, même s'ils sont fixés par écrit et confiés à quelqu'un (Frick, op. cit., n. 25 ad art. 5 LCD).

Ainsi, par exemple, l'idée de "Touring-Hilfe", soit des prestations reposant sur l'idée de l'aide en cas de panne, ne sont pas protégées, sous l'angle de la concurrence déloyale, en tant que résultat du travail, faute de posséder le caractère de résultat d'un travail (ATF 117 II 199 consid. 2 a/ee). Il a aussi été jugé que le fait d'obtenir une liste de clients en consultant le bulletin d'une association, voire Internet où les noms des membres de celle-ci étaient publiés, que tout membre de l'association pouvait donc aisément connaître, ne constituait pas le résultat d'un travail méritant protection (Obergericht Bern du 29 mai 2009 publié in SIC! 11/2010 p. 802 et suivantes, consid. 3.2).

Les exemples de résultat d'un travail cités par la doctrine sont : les offres contractuelles, les prix, les calculs des coûts, les plans, les projets, les esquisses de bracelet de montres (mais non la simple idée d'une certaine montre), les échantillons, des feuilles de données avec valeurs limites, des listes de client, des banques de données, des entretiens personnels avec des candidats portant sur des données sensibles (dans le domaine du recrutement), une émission de télévision, un "know-how" ou un programme informatique qui sont documentés sous une forme physique (par exemple, les codes sources, les documents de développement et les concepts ; Frick, op. cit., n. 27 ad art. 5 LCD).

4.1.4 A teneur de l'art. 6 LCD, agit de façon déloyale celui qui, notamment, exploite ou divulgue des secrets de fabrication ou d'affaires qu'il a surpris ou dont il a eu indûment connaissance d'une autre manière.

L'art. 6 LCD ne vise pas le cas d'une violation d'un devoir de garder le secret de nature légale ou contractuelle. Il n'est ainsi pas contraire à l'art. 6 LCD de conserver un secret en violation du contrat de travail par exemple : se voir confier certains secrets dans le cadre des relations de travail est légitime et ne constitue donc pas une forme de connaissance indue. De même, n'est pas visée par l'art. 6 LCD la situation où le tiers obtient le secret de son détenteur, mais sans commettre aucune action dans ce but (par exemple, l'employé, alcoolisé de son propre chef, révèle des secrets à des tiers sans que ceux-ci ne le lui demandent ; Frick, op. cit., n. 42 et suivantes ad art. 6 LCD ; ATF 133 III 431 consid. 4.5).

4.2 En l'espèce, la condition d'une prérogative matérielle vraisemblable, dont la requérante pourrait se prévaloir pour fonder les mesures provisionnelles qu'elle requiert, est débattue.

La requérante soutient que les deux personnes physiques citées exploiteraient indûment le résultat d'un travail qui leur avait été confié par elle. Les intéressées le conteste.

Il s'agit donc d'examiner si le résultat d'un travail au sens de l'art. 5 let. a et b LCD a été confié à ces personnes.

L'activité de la requérante peut être résumée ainsi : après avoir consulté les publications officielles pour connaître les personnes ayant réussi leur certificat fédéral de capacité (CFC), elle prend contact avec eux par téléphone pour obtenir un rendez-vous, le but étant de leur faire souscrire une ou des assurances et de toucher les commissions y relatives ; la discussion et les potentielles objections des prospects sont anticipées dans un document écrit qui est utilisé par les téléphonistes, lesquels envoient ensuite un message électronique de confirmation une fois un rendez-vous obtenu.

On pourrait s'interroger sur la légalité du processus qui consiste à identifier des noms d'individus figurant dans des listes officielles pour obtenir ensuite le numéro de téléphone y relatif par un biais qui n'a pas été précisé et les contacter, alors que ces personnes n'ont rien sollicité. Il apparaît douteux qu'il soit conforme au droit et, en outre, particulièrement déloyal à l'égard des tiers visés, de s'annoncer comme lié, recommandé ou approuvé par des entités étatiques, alors que tel ne paraît pas être le cas. Cela n'est cependant pas déterminant pour le raisonnement qui suit dans le cas présent.

En effet, la requérante reproche aux citées de viser les mêmes prospects qu'elle en utilisant la même méthode, reprise de chez elle. Or, il ne faut pas confondre une concurrence normale sur le même marché, qui est autorisée, avec des méthodes concurrentielles déloyales, qui sont interdites.

Il n'y a rien de déloyal à exploiter l'idée de consulter des documents publiés officiellement pour découvrir que des personnes ont obtenu un diplôme quel qu'il soit. Ces documents officiels ont précisément pour fin d'informer de ces faits l'ensemble de la population. Ils sont donc dénués de toute valeur secrète ou commerciale et ne sauraient en aucun cas être assimilés à des listes de clients ou à tout autre document interne à l'entreprise et ayant un caractère confidentiel. Aucune protection ne résulte donc de la LCD pour l'idée de consulter des listes publiques à des fins commerciales.

S'agissant ensuite de la prétendue méthodologie qui serait le résultat d'efforts intellectuels importants et serait exploitée sans vergogne par les citées, il n'est, en premier lieu, pas rendu vraisemblable que les citées utiliseraient réellement le même texte que celui produit par la requérante. Pour toute preuve de ce comportement, la requérante a produit deux attestations identiques, donc probablement rédigées par elle-même, et signée par deux personnes indéterminées dont l'audition n'a pas été requise : l'audition de témoins sollicitée par la requérante vise d'autres personnes. Ces moyens de preuves sont insuffisants à rendre vraisemblable que le même texte, rédigé par la requérante, serait utilisé par les citées.

En tout état, et en second lieu, ce texte ne peut être qualifié de "résultat d'un travail" protégé par l'art. 5 let. a et b LCD. En effet, le fait de rédiger de manière aussi générale un texte d'approche pour des clients potentiels n'est pas le produit d'efforts intellectuels ou matériels suffisamment importants pour atteindre le seuil de protection de cette norme.

Ainsi, cette "marche à suivre" est davantage une sorte de vademecum ou de règlement du personnel dont on discerne mal quel avantage concurrentiel il pourrait apporter, même s'il était utilisé tel quel par les citées. Toute personne consciencieuse et sensée pourrait parvenir aux mêmes conclusions, spontanément et sans réflexion, vu le caractère évident et basique de celles-ci.

Il en va de même du script, lequel compile ici encore des lieux communs sur les questions d'assurance, de prévoyance et d'impôts qui sont indissociablement liés à l'activité même déployée par les parties. Cette situation rappelle la jurisprudence qui concerne le dépannage routier, citée ci-dessus (cf. consid. 4.1.3 supra) : il n'y a rien d'original, ni de protégeable dans l'idée de convaincre quelqu'un de prendre un rendez-vous pour lui faire signer des documents d'assurance lorsqu'on travaille pour un courtier. Comme le soulignent les citées, le script se confond avec une compilation des expériences accumulées par les téléphonistes que ce soit lors de leur emploi avec la requérante, voire dans toutes leurs activités antérieures. Ici, encore, au vu du domaine abordé, les propos à communiquer au prospect (empathie, présentation du rôle de l'entreprise et de ses services, les réponses à de la méfiance ou à une activité concurrente, etc.) sont tellement généraux et prévisibles, même ceux qui anticipent des objections, qu'ils ne sauraient bénéficier d'une protection.

En réalité, si la requérante devait être suivie dans sa volonté de faire interdiction aux citées d'utiliser de telles paroles ou de tels textes, cela reviendrait à interdire l'accès au marché à tous ses concurrents. Il serait impossible à ceux-ci de continuer à exercer une activité similaire s'ils devaient s'abstenir de montrer de l'empathie envers les prospects ou de les rassurer face à leurs interrogations, voire de présenter leurs services. Comme le souligne de façon révélatrice la requérante, dans la partie de son mémoire consacrée au dommage qu'elle affirme subir, les clients sont "peu enclins" à l'écouter s'ils ont déjà été approchés par des tiers, ce qui paraît une simple expression du principe de la concurrence sur un marché qui fonctionne correctement. La requérante ne peut ainsi pas obtenir de protection si elle propose des services que n'importe qui d'autre peut fournir de manière similaire en consultant simplement des documents officiels.

Enfin, la question du message électronique de confirmation du rendez-vous subira le même traitement : il est indiscernable en quoi ce message qui ne vaut que confirmation serait un élément pertinent en droit de la concurrence déloyale. Des milliers de messages - anodins quant à leur rédaction - de ce genre sont envoyés chaque jour par toutes sortes d'entreprises prestataires de service. Même si le texte, ainsi que ses fautes d'orthographe, de syntaxe et de ponctuation, en est repris de manière identique par les requérantes - dont il n'est pas allégué qu'elles chercheraient à créer un risque de confusion avec la citée -, il ne s'agit ainsi pas du résultat d'un travail de la requérante devant être protégé au sens de l'art. 5 let. a et b LCD.

Par conséquent, en l'absence d'une prétention matérielle vraisemblable reposant sur cette disposition, des mesures provisionnelles ne sauraient être prononcées.

4.3 Reste à examiner si le comportement dénoncé est susceptible de remplir les conditions de l'art. 6 LCD.

En l'espèce, il ressort de ce qui précède que les connaissances que la requérante vise n'ont manifestement pas la valeur d'un secret au sens de l'art. 6 LCD. Ces textes divers sont en effets si communs qu'ils ne sauraient atteindre le niveau de confidentialité requis par cette disposition. Il s'ensuit que, sous cet angle encore, il ne s'agit pas d'un secret protégé.

En tout état, ces éléments ont été acquis, à suivre la requérante, par les deux citées personnes physiques alors qu'elles étaient en emploi auprès d'elle, donc légitimement. Il est donc exclu de leur reprocher d'avoir, a posteriori, violé un secret, car cette disposition ne concerne pas ce genre de situation. Quant à la prise de connaissance par la citée personne morale, l'une des citées en est seule associée-gérante. La requérante n'allègue pas qu'il y aurait eu un comportement actif de la citée personne morale tendant à l'obtention des prétendus secrets (ce qui paraît difficilement concevable étant donné la position de l'ancienne employée comme organe de la société à responsabilité limitée). Il s'ensuit qu'il ne peut pas être reproché une activité propre de la citée personne morale qui contreviendrait à l'art. 6 LCD. Donc, il n'existe pas non plus d'accès par surprise ou indu de l'un de ces prétendus secrets par aucune des citées.

Il s'ensuit qu'une violation de l'art. 6 LCD n'entre pas non plus en considération.

4.4 Ainsi, la requête en mesures provisionnelles sera intégralement rejetée, faute pour la requérante d'avoir rendu vraisemblable l'existence d'une prérogative de droit matériel.

5. La requérante, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires et dépens de la procédure (art. 106 CPC).

Les frais judicaires seront arrêtés à 3'500 fr. (art. 26 RTFMC), étant donné que les nombreuses et longues écritures des parties ont suscité un travail supplémentaire de la Cour par rapport à l'avance initialement requise, et partiellement compensés avec l'avance de 2'000 fr. versée par la requérante (art. 111 al. 1 CPC).

La requérante sera condamnée à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de solde des frais judiciaires.

Les dépens dus à la citée seront fixés à 4'000 fr., débours et TVA inclus, étant rappelé que les requérantes ont fixé la valeur litigieuse à 400'000 fr. (art. 84 ss RTFMC; 23, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant sur mesures provisionnelles :


Déboute A______ Sàrl des fins de sa requête de mesures provisionnelles formée le 12 décembre 2024 à l'encontre de C______, B______ et D______ Sàrl.

Met les frais judiciaires, arrêtés à 3'500 fr., à la charge de A______ Sàrl et les compense partiellement avec l'avance versée par ses soins, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ Sàrl à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, au titre de solde des frais judiciaires.

Condamne A______ Sàrl à verser 4'000 fr. de dépens à C______, B______ et D______ Sàrl prises solidairement entre elles.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Monsieur Laurent RIEBEN, Monsieur
Cédric-Laurent MICHEL, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.