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Décisions | Chambre civile

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C/17365/2024

ACJC/250/2025 du 11.02.2025 ( IUS ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17365/2024 ACJC/250/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 11 FÉVRIER 2025


Entre

A______/B______ SA, sise ______ (Grand-Duché de Luxembourg), requérante et citée, représentée par Me Marc HÄSLER, avocat, H&B LAW, rue des Vignerons 1B, case postale 359, 1110 Morges 1 (VD),

et

D______ SA, sise c/o C______/E______ SA, ______ [GE], citée et requérante, représentée par Me Julien WAEBER, avocat, WAEBER PENET, quai Gustave-Ador 2, case postale 3021, 1211 Genève 3,

C______/F______ SA, sise ______ [GE], autre citée, représentée par
Me Julien WAEBER, avocat, WAEBER PENET, quai Gustave-Ador 2, case
postale 3021, 1211 Genève 3,

C______/G______ SA, sise ______ [GE], autre citée, représentée par
Me Julien WAEBER, avocat, WAEBER PENET, quai Gustave-Ador 2, case
postale 3021, 1211 Genève 3.


EN FAIT

A.           a. A______/B______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce et des sociétés du Luxembourg, qui a pour but, en substance, la prise de participations, sous quelque forme que ce soit, dans des entreprises luxembourgeoise ou étrangères.

a.a Elle est titulaire des marques verbales et semi-figuratives "A______" nos 1______ et 2______, pour les classes relatives aux activités du secteur de l'immobilier.

a.b Conjointement avec la marque semi-figurative "A______", elle utilise également le signe distinctif "H______" et le signe "I______ real estate since ______", faisant référence à l'ancienneté de la marque et à son positionnement dans le domaine du luxe.

a.c A______/B______ SA exploite aujourd'hui les marques susvisées "A______" directement et par le biais d'une trentaine d'agences indépendantes licenciées en Europe, dont plusieurs sont situées en Suisse. Chaque agence est active sur un territoire exclusif, défini contractuellement.

a.d A______/B______ SA est également détentrice des domaines internet "A______.com","A______.fr" et "A______.ch".

Par obligation contractuelle, aucune des agences licenciées n'exploite les marques "A______" sur un site internet propre.

b. D______ SA est une société anonyme ayant son siège à Genève, ayant pour but notamment le courtage et le conseil en matière immobilière.

Elle est aujourd'hui entièrement détenue et dirigée par J______, lequel est à la tête d'un groupe de sociétés communément appelé "C______".

c. Ce groupe comprend notamment les sociétés anonymes de droit suisse C______/F______ SA, laquelle a pour but notamment le conseil financier et immobilier, et C______/G______ SA, qui a pour but, notamment, l'offre de conseils et de services en Suisse et à l'étranger dans les domaines de l'immobilier et du management.

C______/F______ SA et C______/G______ SA sont toutes deux sises n° ______, rue 3______ à Genève. Elles ont pour administrateur unique J______.

d. Le 7 septembre 2010, un contrat de licence de marque et d'enseigne a été conclu entre A______/B______ SA, concédante, et D______ SA, licenciée.

d.a A teneur de ce contrat, A______/B______ SA a concédé à D______ SA, à titre exclusif pour les cantons de Genève et Vaud, l'usage des marques A______ pour les produits et services haut de gamme et à caractère exceptionnel dans le secteur de l'immobilier, moyennant paiement d'une redevance annuelle de 7% HT du chiffre d'affaires annuel global.

d.b Le contrat prévoyait notamment une licence d'utilisation du logiciel K______ (devenu L______) et l'interdiction de concéder des sous-licences.

D______ SA s'engageait à respecter les conditions et caractéristiques d'exploitation fixées dans le guide de A______/B______ SA, consistant notamment à louer des locaux d'une surface supérieure à 100 m2, soumis à l'approbation préalable de A______/B______ SA, et à les décorer selon la charte architecturale de A______/B______ SA.

d.c Le contrat de licence était réputé conclu "intuitu personae", c'est-à-dire en fonction de la personnalité de J______ et de l'expérience de la société genevoise M______ SA, à laquelle celui-ci était contractuellement associé.

d.d La durée du contrat était fixée à cinq ans, un renouvellement unique pour une période supplémentaire de cinq ans étant prévu.

Un droit de résiliation anticipé en faveur de A______/B______ SA était par ailleurs prévu en cas de violation contractuelle demeurée non "corrigée" dans un délai de trente jours.

d.e Le contrat était soumis au droit français et comprenait enfin une clause compromissoire.

e. Le 15 février 2016, A______/B______ SA, en qualité de concédante, a conclu un contrat intitulé "Master licence de marque et d'enseigne" (ci-après: le Master contrat) avec N______ SA, société de droit suisse majoritairement détenue par J______, en qualité de licenciée.

e.a Le Master contrat avait pour objet, d'une part, la reconduction du contrat de licence du 7 septembre 2010 susmentionné et, d'autre part, la concession faite à N______ SA de pouvoir accorder des sous-licences en Suisse.

e.b Ce contrat est quasiment identique à celui du 7 septembre 2010, le territoire d'exclusivité étant étendu à toute la Suisse et la redevance fixée à 3,5% HT du chiffre d'affaires global annuel (celle des agences sous-licenciées étant de 7%).

e.c Le Master contrat a été conclu pour une durée de dix ans, un renouvellement unique pour une période supplémentaire de cinq ans étant prévu.

Il stipulait un droit de résiliation anticipée en faveur de A______/B______ SA en cas de violation contractuelle demeurée non "corrigée" dans un délai de 30 jours.

e.d Le Master contrat était soumis au droit français et comprenait une clause compromissoire.

f. Par avenant non daté, O______ SA a remplacé N______ SA comme partie licenciée au Master contrat.

g. D______ SA, puis N______ SA et O______ SA, ont consenti d'importants investissements pour promouvoir les marques "A______" à Genève et en Suisse. A plusieurs reprises, elles-mêmes et/ou leurs employés ont reçu des distinctions de la part de A______/B______ SA pour leurs prestations.

h. Les sociétés licenciées occupaient alors, en qualité de sous-locataires, des locaux situés au n° ______, rue 4______ à Genève.

i. Par avenant du 14 novembre 2018, le Master contrat a été résilié à la demande de O______ SA, avec l'accord de A______/B______ SA, avec effet au 31 décembre 2018.

Selon l'art. 2.4 de cet avenant, modifié le 27 février 2019, D______ SA s'engageait à poursuivre l'exploitation de son agence de Genève sous l'enseigne A______ et à formaliser un contrat de licence de marque/avenant avec A______/B______ SA pour le territoire de Genève.

Il était prévu que cet acte séparé entre en vigueur le 1er janvier 2019 et implique le versement d'une redevance de 300 euros par mois pour l'utilisation du logiciel, ainsi que d'une redevance annuelle de 7% HT du chiffre d'affaires global annuel de D______ SA.

j. Le contrat de licence prévu à l'art. 2.4 susvisé n'a jamais été signé.

k. Avec l'accord de A______/B______ SA, D______ SA a continué d'exploiter les marques et l'enseigne A______.

Elle a versé à A______/B______ SA diverses sommes, au titre des redevances indiquées dans l'avenant du 14 novembre 2018.

l. Par courrier recommandé du 30 mars 2023, A______/B______ SA a annoncé à D______ SA qu'elle restait à lui devoir une somme totale de 143'726.23 euros, correspondant aux redevances des deuxième, troisième et quatrième trimestres de l'année 2022.

Elle l'a priée de s'acquitter de cette somme avant le 30 avril 2023, précisant que tout retard de paiement supplémentaire pourrait entraîner la résiliation anticipée des relations entre les parties.

m. Les montants réclamés ont été réglés dans le courant de l'année 2023, à une date qui ne ressort pas du dossier.

n. A une date indéterminée également, le bail des locaux occupés par D______ SA au n° ______, rue 4______, alors détenu par une autre entité du groupe "C______", a été résilié pour défaut de paiement du loyer, entraînant la caducité du bail de sous-location dont bénéficiait D______ SA.

n.a Depuis lors, celle-ci partage des locaux avec d'autres entités du groupe "C______" à l'adresse du n° ______, rue 3______ à Genève, où elle a son siège.

n.b Une enseigne "A______" est présente sur la devanture de ces locaux, qui sont situés à côté d'un commerce "P______"; la raison "A______" figure sur la plaque signalétique à côté de la porte d'entrée, aux côtés de celles d'autres sociétés du groupe "C______".

n.c Une enseigne "A______" figure par ailleurs sur les portes de bureaux situés à l'intérieur de l'immeuble sis n° ______, rue 5______ à Genève, aux côtés d'une enseigne "C______ VENTES".

o. Par courrier recommandé adressé le 15 juillet 2024 à D______ SA, A______/B______ SA a déclaré résilier le contrat de licence de marque et d'enseigne qui la liait à celle-ci en l'absence de contrat ad hoc.

Elle avait récemment découvert que D______ SA utilisait les marques "A______" pour attirer des clients acquéreurs ou vendeurs et faisait ensuite traiter les opérations par une société tierce du groupe "C______", soustrayant ainsi une partie importante du chiffre d'affaires du champ de la licence et de sa redevance, et privant par-là A______/B______ SA de revenus essentiels. Cela concernait en particulier toutes les transactions relatives à des biens dont le prix de vente était inférieur à 2'500'000 euros, qui étaient traitées par une autre entité du groupe "C______".

Qualifiant ces agissements de "pernicieux" et "d'extrêmement graves", A______/B______ SA a également reproché à D______ SA d'accuser régulièrement du retard dans le paiement des redevances, au point qu'une somme de 109'282 euros demeurait encore due, et de ne plus disposer d'agence physique à Genève à la suite de son expulsion des locaux sis n° ______, rue 4______ pour défaut de paiement de loyer.

Exposant avoir l'intention de demander réparation du préjudice découlant de ces agissements, A______/B______ SA a mis D______ SA en demeure notamment de cesser immédiatement toute utilisation des marques, outils informatiques et concepts lui appartenant, ainsi que de régler les factures impayées à ce jour.

p. Par courrier du 18 juillet 2024, D______ SA a contesté les reproches qui lui étaient adressés, exposant notamment que la marque donnée en licence portait sur l'immobilier de prestige et que les parties avaient d'emblée convenu de fixer le seuil de cette notion à 2'500'000 fr., ce dont A______/B______ SA était parfaitement informée et ce qu'elle n'avait jamais critiqué. Sur le plan financier, seule la facture relative au deuxième trimestre de l'année 2024, reçue le 15 juillet 2024, demeurait ouverte. Elle-même n'était par ailleurs pas responsable de la résiliation du bail des locaux sis n° ______, rue 4______, puisqu'elle n'en était pas la locataire principale.

Considérant la résiliation du contrat de licence comme nulle et non avenue, D______ SA a mis A______/B______ SA en demeure de lui confirmer le même jour l'abandon de celle-ci et l'absence de conclusion d'un contrat de licence avec un tiers concernant le territoire genevois, l'absence d'intention de conclure un tel contrat et l'abstention de toute atteinte à son image et à ses affaires, ainsi qu'à celles du groupe "C______".

B.            a. Par requête de mesures provisionnelles déposée le 24 juillet 2024 à la Cour de justice à l'encontre de A______/B______ SA, D______ SA a conclu à ce que, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP ainsi que d'une peine conventionnelle de 500'000 fr. en sa faveur :

-         interdiction soit faite à A______/B______ SA de conclure tout contrat autorisant l'utilisation de la marque et/ou de l'enseigne "A______" sur le territoire du canton de Genève;

-          il soit ordonné à A______/B______ SA d'indiquer si elle était en discussion avec un tiers pour conclure un contrat autorisant l'utilisation de la marque et/ou de l'enseigne "A______" sur le territoire du canton de Genève;

-          il soit ordonné à A______/B______ SA de fournir le projet de contrat complet et non caviardé et de révéler le nom de ce tiers;

-          il soit ordonné à A______/B______ SA d'indiquer si elle avait conclu un contrat avec un tiers autorisant l'utilisation de la marque et/ou de l'enseigne "A______" sur le territoire du canton de Genève;

-          il soit ordonné à A______/B______ SA de fournir le contrat complet et non caviardé et de révéler le nom de ce tiers;

-          il soit ordonné à A______/B______ SA de maintenir les accès de D______ SA au logiciel L______;

-          il soit ordonné à l'Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle d'inscrire la licence pour le territoire de Genève en faveur de D______ SA sur les marques "A______" n° 1______ et n° 2______.

b. D______ SA a pris les mêmes conclusions à titre superprovisionnel.

c. La cause a été inscrite sous C/17365/2024.

d. Par arrêt ACJC/959/2024 rendu le 26 juillet 2024, la Cour de céans a débouté D______ SA des fins de sa requête de mesures superprovisionnelles et réservé le sort des frais à la décision finale.

e. Dans sa réponse, A______/B______ SA a conclu au déboutement de D______ SA de toutes ses conclusions sur mesures provisionnelles, avec suite de frais.

"Sur mesures provisionnelles reconventionnelles", A______/B______ SA a conclu à ce qu'il soit fait interdiction à D______ SA de faire usage des marques "A______" n° 1______ et n° 2______, ou de sous-licencier ces dernières à toute autre entité, et ce sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP,
ainsi que d'une peine conventionnelle de 200'000 fr. en faveur de A______/B______ SA.

f. D______ SA a conclu au déboutement de A______/B______ SA de toutes ses conclusions reconventionnelles et persisté dans les conclusions de sa requête.

g. Les parties ont répliqué et dupliqué à plusieurs reprises, persistant dans leurs conclusions respectives.

g.a Il résulte des pièces produites à l'appui de ces échanges que la somme de 109'282 euros réclamée par A______/B______ SA à D______ SA le 15 juillet 2024 correspondait pour 22'000 euros au solde restant dû sur la facture de A______/B______ SA pour le 1er trimestre 2024 et pour 87'282 euros au montant de la facture de A______/B______ SA pour le 2ème trimestre 2024, envoyée à D______ SA le 14 juillet 2024.

D______ SA s'est acquittée du solde susvisé de 22'000 euros le 12 juillet 2024, de sorte que seule la facture du 14 juillet 2024, portant sur 87'282 euros, restait ouverte le 15 juillet 2024.

g.b D______ SA, qui soutient que le seuil des transactions donnant lieu à redevance a été fixé d'un commun accord à 2'500'000 fr., a par ailleurs produit une "Note de rapprochement" signée le 15 octobre 2012 entre A______/B______ SA et M______ SA, laquelle prévoyait que A______/B______ SA traiterait les transactions portant sur un montant de plus 3'000'000 fr. pour les appartements et de plus de 5'000'000 fr. pour les maisons, tandis que M______ SA traiterait les transactions portant sur des montants inférieurs. Une commission était en outre prévue pour la société qui apporterait à l'autre une affaire n'entrant pas dans ses propres attributions au sens de ces dispositions.

h. Le 11 octobre 2024, A______/B______ SA a adressé à toutes ses agences partenaires un courriel les informant de ce que sa collaboration avec son agence de Genève avait pris fin. A______/B______ SA précisait étudier différentes opportunités afin de maintenir sa représentation à Genève.

i. En réponse, en sa qualité de dirigeant du groupe "C______", J______, a transmis à toutes les agences de A______/B______ SA la copie d'un courriel qu'il avait adressé aux ayants-droits de A______/B______ SA, en précisant qu'il souhaitait couper court aux rumeurs et qu'il souhaitait poursuivre l'exploitation de la marque "A______".

C.           a. Le 6 septembre 2024, A______/B______ SA a par ailleurs reçu une alerte Google l'informant de l'usage d'éléments de ses marques "A______" sur un site relié au domaine "A______.ch", domaine détenu par C______/F______ SA.

b. Le 13 septembre 2024, elle a fait constater par huissier que le logo "A______" et la mention "H______" figuraient sur ce site.

c. L'huissier mandaté a également constaté que le site internet de C______/G______ SA, relié au domaine www.C______.com, associait celle-ci à A______/B______ SA en faisant de nombreuses références à son nom et à ses marques, reprenant par ailleurs son logo.

d. Par requête déposée à la Cour de justice le 30 septembre 2024, A______/B______ SA a conclu à ce que :

-       il soit ordonné à C______/F______ SA et C______/G______ SA, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, de cesser de faire usage des marques "A______" déposées sous les numéros d'enregistrement 1______ et 2______, ainsi que de tout signe distinctif associé à la marque A______;

-       il soit fait interdiction à C______/F______ SA et C______/G______ SA, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, de faire usage des marques "A______" déposées sous les numéros d'enregistrement 1______ et 2______, ainsi que de tout signe distinctif associé à la marque A______;

-       il soit dit que C______/F______ SA et C______/G______ SA seraient redevables d'une amende d'ordre de 1'000 fr. par jour d'inexécution, ainsi que d'une astreinte de 10'000 fr. pour chaque jour d'inexécution.

e. A______/B______ SA a pris ces conclusions à titre provisionnel et superprovisionnel.

f. La cause a été inscrite sous C/22341/2024.

g. Par arrêt ACJC/1200/2024 rendu le 1er octobre 2024, statuant sur mesures superprovisionnelles, la Cour civile a fait interdiction à C______/F______ SA et C______/G______ SA, avec effet immédiat, de faire usage des marques déposées sous les numéros d'enregistrement 1______ et 2______ appartenant à A______/B______ SA, ainsi que de tout signe distinctif associé auxdites marques, et dit qu'il serait statué sur les frais dans l'ordonnance rendue sur mesures provisionnelles.

h. Dans leur réponse, C______/F______ SA et C______/G______ SA ont conclu au déboutement de A______/B______ SA de toutes leurs conclusions.

A titre préalable, elles ont sollicité la jonction des procédures inscrites sous C/17365/2024 et C/22341/2024.

i. Les parties ont répliqué et dupliqué à plusieurs reprises, persistant dans leurs conclusions.

Dans sa réplique et ses déterminations ultérieures, A______/B______ SA a elle-même sollicité la jonction des procédures inscrites sous C/17365/2024 et C/22341/2024.

j. D______ SA en a fait de même dans la cause C/17365/2024.

k. Le 5 novembre 2024, A______/B______ SA a fait constater par huissier qu'une publication mise en ligne 18 heures auparavant sur la page Linkedin de la Chambre de commerce Q______ faisait état d'une réunion dernièrement tenue dans les locaux du groupe "C______", à l'occasion de laquelle la marque "A______", accompagnée de son logo et d'une liste des agences de A______/B______ SA, était visible sur les murs desdits locaux.

l. Le 9 décembre 2024, A______/B______ SA a définitivement bloqué les accès de D______ SA à son système informatique "L______".

D.           Les parties ont été informées de ce que les causes C/17365/2024 et C/22341/2024 étaient gardées à juger par plis du greffe du 9 janvier 2025.


 

EN DROIT

1.             1.1 En vertu des art. 5 al. 1 let. a, c et d CPC et 120 al. 1 let. a LOJ, la Chambre civile de la Cour de justice connaît en instance unique des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, y compris en matière de nullité, de titularité et de licences d'exploitation ainsi que de transfert et de violation de tels droits.

Cette compétence vaut également pour statuer sur les mesures provisionnelles requises avant litispendance (art. 5 al. 2 CPC).

En l'espèce, les parties fondent leurs prétentions sur le droit des marques, respectivement sur une licence d'exploitation de marques, de sorte que la Cour de céans est compétente ratione materiae pour statuer sur les mesures provisionnelles requises, ce qui n'est pas contesté.

1.2 La compétence ratione loci de la Cour pour prononcer ces mesures doit également être admise, indépendamment de son éventuelle compétence pour connaître du fond, puisqu'elles sont dirigées contre une partie sise en l'occurrence au Luxembourg (art. 31 CL, art. 10 LDIP) et requises par une telle partie à l'encontre d'entités sises à Genève, où lesdites mesures doivent le cas échéant être exécutées (art. 10 LDIP, art. 109 al. 2 LDIP). Ce point n'est pas contesté.

1.3 La protection de droits immatériels étant revendiquée pour la Suisse, le droit suisse est applicable (art. 110 al. 1 LDIP), étant observé que les exigences de rapidité peuvent empêcher le juge d’obtenir une connaissance suffisante du droit étranger et conduire à l’application supplétive du droit suisse (Bucher in Commentaire romand LDIP/CL, 2e éd., 2025, n. 12 ad art. 10 LDIP). En tout état, la loi du for régit les questions indépendantes du droit matériel, telles que le déroulement de la procédure (Bucher, op. cit., n. 11 ad art. 10 LDIP).

1.4 Dans le cadre de mesures provisionnelles, la procédure sommaire est applicable (art. 248 let. d CPC) et la cognition du juge est circonscrite à la vraisemblance des faits allégués, ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n. 1556), soit en général des titres au sens de l'art. 177 CPC (art. 254 al. 1 CPC). Sauf exception, la maxime des débats s'applique (art. 55 al. 1 CPC; Bohnet, in Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, 2010, p. 201 s.).

Les procédures introduites avant le 1er janvier 2025 demeurent régies par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 CPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f CPC.

2.             A titre préalable, les parties sollicitent la jonction des causes C/17365/2024 et C/22341/2024.

2.1 Pour simplifier le procès, le juge peut notamment ordonner une jonction de causes (art. 125 let. c CPC). Il en décidera ainsi afin notamment d'éviter la multiplication de procès et le risque de décisions contradictoires (Jeandin/ Peyrot, Précis de procédure civile, 2015, n. 551 p. 207). La jonction des procédures relève exclusivement de l'appréciation du tribunal qui conduit le procès (ATF 142 III 581 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_710/2016 du 19 juin 2017 consid. 2.3 et les réf. cit.).

2.2 En l'espèce, vu la connexité des causes C/17365/2024 et C/22341/2024, leur nature provisionnelle commune et l'unanimité des parties sur ce point, il se justifie d'ordonner la jonction requise.

Les causes susvisées seront donc préalablement jointes sous C/17365/2024.

2.3 Les parties seront désignées par leurs noms et leurs qualités en fonction de leur rôle procédural, étant notamment précisé qu'une demande reconventionnelle est recevable dans tous les domaines régis par la procédure sommaire, pour autant que la prétention élevée à titre reconventionnel soit soumise à la même procédure et qu'elle ne retarde pas de manière excessive la procédure principale (cf. Bohnet in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 4 ad art. 253 CPC), ce qui est le cas des conclusions reconventionnelles prises par A______/B______ SA contre D______ SA en l'espèce.

3.             En qualité de requérante, D______ SA conclut tout d'abord à ce qu'il soit fait interdiction à la citée A______/B______ SA de conclure tout contrat autorisant l'utilisation des marques et/ou de l'enseigne "A______" sur le territoire du canton de Genève. D______ SA prend également diverses conclusions visant à la renseigner sur les intentions de A______/B______ SA de confier l'exploitation desdites marques à un tiers, ainsi qu'à lui permettre de poursuivre elle-même cette exploitation dans le canton.

En substance, D______ SA soutient que la résiliation de son contrat de licence par A______/B______ SA le 15 juillet 2024 serait abusive et dénuée d'effet. Les motifs invoqués par A______/B______ SA à cette occasion ne seraient notamment que des prétextes pour confier l'exploitation des marques litigieuses à Genève à un tiers, au mépris des investissements et des efforts consentis à cette fin par D______ SA et d'autres sociétés du groupe "C______".

3.1 En vertu de l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

L'art. 262 CPC prévoit que le tribunal peut ordonner toute mesure provisionnelle propre à prévenir ou à faire cesser le préjudice, notamment l'interdiction et l'ordre de cessation d'un état de fait illicite.

Le requérant doit rendre vraisemblable tant l'existence de sa prétention matérielle de nature civile que sa mise en danger ou atteinte par un préjudice difficilement réparable, ainsi que l'urgence (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2016, n. 23 ad art. 261 CPC). La preuve est (simplement) vraisemblable lorsque le juge, en se fondant sur des éléments objectifs, a l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans pour autant qu'il doive exclure la possibilité que les faits aient pu se dérouler autrement (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 130 III 321 consid. 3.3, JdT 2005 I 618).

Le requérant doit rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès, la mesure provisionnelle ne pouvant être accordée que dans la perspective de l'action au fond qui doit la valider (cf. art. 263 et 268 al. 2 CPC; ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1016/2015 du 15 septembre 2016 consid. 5.3; Bohnet, op. cit., n. 7 ad art. 261 CPC). Il doit en outre rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence, sur la base d'éléments objectifs (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).

Doit également être rendue vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable, qui peut être de nature patrimoniale ou immatérielle (Message relatif au CPC, FF 2006 p. 6961; Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Huber, op. cit., n. 20 ad art. 261 CPC). Est difficilement réparable le préjudice qui sera plus tard impossible ou difficile à mesurer ou à compenser entièrement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).

La mesure doit par ailleurs respecter le principe de la proportionnalité, par quoi on entend qu'elle doit être adaptée aux circonstances de l'espèce et ne pas aller au-delà de ce qu'exige le but poursuivi. Les mesures les moins incisives doivent avoir la préférence. La mesure doit également se révéler nécessaire, soit indispensable pour atteindre le but recherché, toute autre mesure ou action judiciaire ne permettant pas de sauvegarder les droits du requérant (Message du Conseil fédéral, FF 2006 p. 6962).

3.2 En l'espèce, il est constant que D______ SA et A______/B______ SA se sont liées par un contrat de licence, permettant à la première d'exploiter les marques détenues par la seconde sur le territoire genevois. A______/B______ SA a cependant déclaré résilier ce contrat avec effet immédiat le 15 juillet 2024 en invoquant principalement trois motifs, soit un retard réitéré dans le paiement des redevances dues par D______ SA, le fait que celle-ci ne disposait plus de locaux adaptés depuis la résiliation du bail de ceux qu'elle occupait au no. ______, rue 4______, et le fait qu'elle aurait sous-traité les transactions immobilières inférieures à un certain montant à d'autres entités du groupe "C______", sans en rapporter la valeur à A______/B______ SA.

3.2.1 A cet égard, la requérante D______ SA rend suffisamment vraisemblable qu'au jour de la résiliation susvisée, elle n'accusait plus de retard dans le paiement des redevances dues à A______/B______ SA, pour lequel elle avait reçu un avertissement l'année précédente. Il ressort en effet des pièces versées à la procédure que le solde de la facture relative au premier trimestre de l'année 2024 avait été réglé quelques jours avant ladite résiliation et que seule la facture relative au deuxième trimestre, émise la veille de ladite résiliation, demeurait alors ouverte. Aucune de ces factures ne prévoyait par ailleurs de délai de paiement particulier. Ce motif de résiliation paraît par conséquent infondé.

3.2.2 La requérante D______ SA ne conteste cependant pas qu'au jour de la résiliation, elle avait perdu la disposition des locaux qu'elle occupait au n° ______, rue 4______, lesquels étaient apparemment agréés par A______/B______ SA. Si la résiliation du bail de ces locaux n'apparaît certes pas directement imputable à D______ SA, puisqu'elle n'en était que sous-locataire, celle-ci ne rend pas vraisemblable qu'elle aurait alors informé A______/B______ SA de la perte de leur disposition, ni surtout qu'elle aurait depuis lors entrepris de trouver d'autre locaux équivalents, dont elle ne serait pas tenue partager la jouissance avec d'autres entités du groupe "C______". Une résiliation pour ce motif apparaît dès lors davantage fondée.

On peut certes s'interroger sur la question de savoir si une résiliation du contrat de licence pour cette raison n'aurait pas dû être précédée d'une mise en demeure restée vaine après un certain délai, comme le prévoyaient les contrats précédemment conclus entre les parties et d'autres entités du groupe "C______". En l'occurrence, un tel contrat n'a cependant pas été conclu par écrit entre les parties pour la période postérieure au 31 décembre 2018. L'acte séparé prévu à cette fin par l'avenant conclu entre A______/B______ SA et O______ SA n'a en définitive jamais été signé. Les dispositions topiques d'un tel acte, comme celles des contrats précédents, ne peuvent donc vraisemblablement s'appliquer que par analogie à la relation dernièrement en vigueur entre A______/B______ SA et D______ SA et il n'est ainsi pas certain qu'un préavis de résiliation particulier aurait dû être respecté par A______/B______ SA en cas de manquement de D______ SA à l'une de ses obligations plus essentielles, comme celle de disposer en propre de locaux adaptés à l'exploitation des marques données en licence – obligation dont D______ SA ne conteste pas le principe. La question peut toutefois demeurer ouverte à ce stade, pour les raisons qui vont suivre.

3.2.3 En l'occurrence, la requérante D______ SA reconnaît en effet ne pas avoir traité elle-même certaines transactions immobilières, soit celles portant sur un montant inférieur à 2'500'000 fr., et ne pas les avoir incluses dans le chiffre d'affaires soumis à redevance, tel que rapporté à A______/B______ SA. Comme le relève cette dernière, cette façon de procéder représente potentiellement un manquement important aux obligations de la société licenciée, dès lors qu'elle revient à priver de facto la société concédante d'une partie significative des revenus contractuels qui lui sont dus.

Les allégations de la requérante D______ SA selon lesquelles l'existence d'un seuil de valeur, en dessous duquel les transactions immobilières n'entreraient pas dans le champ de la licence, était connue de A______/B______ SA et avait été convenue avec celle-ci dès l'entrée en relation des parties, ne sont pas rendues suffisamment vraisemblables. En particulier, il paraît douteux que les parties aient pu convenir d'une modalité aussi importante sans l'inclure ni la préciser expressément dans les différents contrats et avenants conclus entre elles (et/ou les sociétés N______ SA et O______ SA) depuis 2010, ni dans un projet de l'acte qui aurait dû formaliser leurs relations après le 31 décembre 2018. Le seul fait qu'une modalité analogue (portant cependant sur des seuils différents et différenciés selon le type d'objet immobilier) ait pu être prévue dans une "Note de rapprochement" conclue en 2012 entre A______/B______ SA et la société tierce M______ SA, ne permet pas de retenir, même au stade de la vraisemblance, qu'un seuil du montant susvisé de 2'500'000 fr. aurait également été convenu entre les parties. On relèvera notamment que M______ SA était alors une entité distincte du groupe "C______" et que si celle-ci a pu être acquise ultérieurement par le groupe en question, elle n'a jamais été partie aux différents contrats de licence aujourd'hui litigieux, fût-ce sous une autre raison sociale. Contrairement à ce que soutient D______ SA, on ne voit par ailleurs pas, à ce stade, en quoi la notion indéfinie d'immobilier "de prestige" impliquait qu'une limite de valeur fût nécessairement fixée, en-dessous de laquelle des biens immobiliers devaient être exclus du champ de la licence concédée. Une telle définition, a fortiori la fixation du seuil concerné à 2'500'000 fr., ne ressort ni de la loi, ni d'une pratique vraisemblablement reconnue du marché immobilier genevois.

La gravité particulière du manquement susvisé rend par ailleurs suffisamment vraisemblable que la citée A______/B______ SA était fondée à résilier le contrat de licence non écrit la liant à D______ SA avec effet immédiat pour ce motif. En droit suisse, le contrat de licence est en effet généralement considéré comme un contrat innommé sui generis et conçu comme un contrat de durée, susceptible d'être résilié ex nunc pour justes motifs par les deux parties, par application analogique de l'art. 545 al. 7 CO (cf. Müller, Contrats de droit suisse, Présentation systématique des contrats les plus importants en pratique, Stämpfli 2021, n. 4014 et 4067).

En l'occurrence, la gravité des faits reprochés à D______ SA, qui paraissent susceptibles d'avoir entraîné d'importants manques à gagner pour A______/B______ SA sur plusieurs années, permet également d'exclure à ce stade que ce motif soit invoqué comme prétexte par celle-ci aux seules fins de remplacer D______ SA par un licencié tiers sur le marché concerné, comme celle-ci le soutient. De tels faits semblent au contraire propres à entamer de manière irrémédiable les rapports de confiance entre les parties. Il ne parait pas abusif que la citée A______/B______ SA, après avoir résilié le contrat pour ce motif, puisse chercher à confier l'exploitation des marques dont elle est titulaire à un ou plusieurs autres acteurs du marché immobilier genevois, comme elle l'a indiqué à ses autres agences dans un courriel du 11 octobre 2024.

3.3 Sous l'angle de la vraisemblance, il faut donc admettre que le contrat de licence dont se prévaut la requérante D______ SA a été valablement résilié avec effet immédiat le 15 juillet 2024 et que celle-ci ne dispose plus, depuis lors, du droit d'exploiter les marques litigieuses. Sur mesures provisionnelles, ladite requérante sera dès lors déboutée de ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait interdiction à A______/B______ SA, de confier par contrat à un tiers l'exploitation des marques litigieuses sur le territoire genevois, ainsi que de ses conclusions tendant au maintien de ses accès au système informatique L______ de A______/B______ SA et à l'inscription d'une licence en sa faveur au registre des marques.

Pour les mêmes motifs, la requérante D______ SA sera également déboutée de ses conclusions tendant à ce que A______/B______ SA la renseigne sur son éventuelle conclusion d'un contrat de licence avec un tiers, sur l'identité de ce tiers et sur la teneur dudit contrat. On ne voit d'ailleurs pas sur quelle base la requérante pourrait prétendre à de tels renseignements sur le fond, ce qu'elle ne précise pas.

4.             A titre reconventionnel contre D______ SA, et à titre principal contre les autres citées, A______/B______ SA sollicite pour sa part qu'il soit fait interdiction à celles-ci, avec effet immédiat, de faire usage des marques "A______" enregistrées à son nom, ainsi que de toute enseigne ou signe distinctif associé auxdites marques, et ce sous la menace des peines de droit ainsi que d'une peine conventionnelle ou d'une astreinte pécuniaire.

A______/B______ SA se prévaut de son droit aux marques "A______" nos 1______ et 2______, enregistrées à son nom dans les classes relatives au domaine de l'immobilier. Subsidiairement, elle invoque les règles réprimant la concurrence déloyale.

4.1 Le droit à la marque confère au titulaire le droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d'en disposer (art. 13 al. 1 LPM).

Le titulaire peut interdire à des tiers l'usage des signes dont la protection est exclue en vertu de l'art. 3 al. 1 LPM, parmi lesquels figurent les signes identiques à une marque antérieure et destinés à des produits ou services similaires, lorsqu'il en résulte un risque de confusion (art. 3 al. 1 let. b LPM). Le titulaire peut notamment interdire à des tiers de faire usage de tels signes pour offrir ou fournir des services (art. 13 al. 2 let. c LPM), de les apposer sur des papiers d'affaires, de les utiliser à des fins publicitaires ou d'en faire usage de quelque autre manière dans les affaires (art. 13 al. 2 let. c LPM).

4.1.1 La personne qui subit une violation de son droit à la marque peut demander au juge de la faire cesser, si elle dure encore (art. 55 al. 1 let. b LPM). Cette disposition permet notamment d'obtenir qu'il soit fait interdiction au défendeur de faire usage de la marque dans le futur, mais également, par exemple, de conclure à la destruction de matériel publicitaire, au rappel de produits illicitement mis en circulation ou encore à l'effacement du contenu d'un site internet (Schlosser, Commentaire romand, Propriété intellectuelle, 2013, n. 9 ad art. 55 LPM).

L'action peut être dirigée contre toute personne qui porte atteinte à la marque (fabricant, importateur, grossiste, revendeur, détaillant, agent) et contre tout participant (Schlosser, op. cit., n. 4 ad art. 55 LPM; Cherpillod, Le droit suisse des marques, 2007, p. 241).

4.1.2 Selon l'art. 59 LPM, toute personne qui demande des mesures provisionnelles peut en particulier requérir du juge qu'il les ordonne dans l'un des buts suivants: assurer la conservation des preuves (let. a); déterminer la provenance des objets portant illicitement la marque ou l'indication de provenance (let. b); préserver l'état de fait (let. c); assurer à titre provisoire la prévention ou la cessation du trouble (let. d).

Précédemment décrites à l'art. 59 al. 1 aLPM, les conditions d'octroi des mesures provisionnelles sont désormais régies par l'art. 261 al. 1 CPC. En dépit d'une formulation légèrement différentes, ces conditions demeurent identiques et supposent notamment la vraisemblance d'une atteinte ou d'un risque d'atteinte, ainsi que celle d'un préjudice difficilement réparable découlant de cette atteinte (Schlosser, op. cit., n. 14 ad art. 59 LPM).

4.2 L'art. 3 al. 1 let. c LCD prévoit qu'agit de manière déloyale celui qui prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d'autrui.

4.2.1 Les comportements par lesquels un concurrent se rapproche sans nécessité de la prestation d'autrui ou en exploite la renommée sont déloyaux indépendamment du risque éventuel de confusion. On peut exploiter la renommée d'autrui par exemple en intégrant le produit ou les services d'autrui dans sa publicité de manière à opérer un transfert d'image en sa faveur. Il suffit qu'un signe similaire à celui d'autrui se trouve utilisé d'une manière telle que ceci ne puisse être compris autrement que comme une concurrence parasitaire et qu'il suscite auprès du public une association d'idées avec la marque ou le produit d'autrui (ATF 135 III 446 consid. 7.1, JdT 2010 I 632, p. 671). L'auteur de la comparaison parasitaire favorise un transfert de la réputation ou des qualités de la prestation concurrente sur sa propre prestation dans l'esprit du public (Kuonen, Commentaire romand, Loi sur la concurrence déloyale, 2017, n. 37 ad art. 3 al. 3 al. 1 let. e LCD).

4.2.2 Selon l'art. 9 al. 1 LCD, celui qui, par un acte de concurrence déloyale, subit une atteinte dans sa clientèle, son crédit ou sa réputation professionnelle, ses affaires ou ses intérêts économiques en général ou celui qui en est menacé, peut demander au juge de l'interdire, si elle est imminente (let. a), et de la faire cesser, si elle dure encore (let. b).

Des mesures provisionnelles peuvent être ordonnées aux conditions des art. 261 ss CPC, qui ont remplacé l'art. 14 aLCD (Kuonen, op. cit., Remarques liminaires aux art. 9 à 11 LCD, n. 7).

4.3 En l'espèce, D______ SA et les autres citées ne contestent pas continuer à faire usage des marques litigieuses de A______/B______ SA et des signes distinctifs associés à celles-ci, notamment sur internet, ni avoir l'intention de poursuivre cet usage jusqu'à droit jugé sur le fond, sauf décision provisionnelle contraire. Leur argumentation se fonde intégralement sur le fait que la résiliation du contrat de licence par A______/B______ SA le 15 juillet 2024 ne serait pas valable, de sorte que leur usage des éléments susvisés serait licite et ne porterait donc aucune atteinte aux droits de celle-ci.

4.3.1 Outre que cette argumentation néglige le fait que les citées C______/F______ SA et C______/G______ SA n'ont jamais été partie au contrat de licence litigieux, et ne peuvent donc vraisemblablement en déduire aucun droit d'usage des marques et signes concernés sur internet, il faut en l'espèce admettre que la validité de la résiliation dudit contrat par A______/B______ SA, pour justes motifs, est davantage vraisemblable que l'invalidité de cette résiliation, et ce pour les motifs détaillés sous consid. 3.2 ci-dessus.

Il s'ensuit que la poursuite de l'usage des marques litigieuses et des signes associés par D______ SA et les autres citées porte vraisemblablement atteinte aux droits à la marque de A______/B______ SA, et risque de leur porter encore atteinte à l'avenir. Elle paraît également susceptible de favoriser un transfert indu de la réputation de A______/B______ SA sur les prestations de celle-ci dans l'esprit du public, de sorte que la première condition à l'octroi des mesures requises par A______/B______ SA est réalisée, que ce soit sous l'ange de la LPM ou de la LCD.

4.3.2 Il faut également admettre que la poursuite de l'exploitation des marques de A______/B______ SA par D______ SA et les autres citées, alors qu'elles ne sont vraisemblablement plus en droit de le faire, paraît susceptible de causer à celle-ci un préjudice difficilement réparable. La poursuite de cette exploitation alors que D______ SA ne dispose plus de locaux propres jugés adéquats par A______/B______ SA semble notamment susceptible d'entamer l'image marque de celle-ci et sa réputation sur le marché immobilier genevois, ce à quoi il serait ensuite difficile de remédier. Le fait que les citées puissent poursuivre l'exploitation des marques et signes litigieux à Genève parallèlement à A______/B______ SA elle-même, ou à un autre preneur de licence aux services desquels A______/B______ SA serait vraisemblablement en droit de recourir ensuite de la résiliation du contrat litigieux, semble également susceptible d'entrainer une confusion aux yeux du public et des acteurs du marché immobilier, avec là encore des conséquences difficilement réparables au niveau de l'image et de la réputation de A______/B______ SA.

Par conséquent, la seconde condition posée à l'octroi des mesures provisionnelles requises par A______/B______ SA est également réalisée, ce que les citées ne contestent d'ailleurs pas réellement.

4.3.3 Les mesures requises par A______/B______ SA, soit une interdiction de faire usage de ses marques et signes associés jusqu'à droit jugé sur le fond, paraissent également propres à atteindre le but visé, soit la préservation des droits et de l'image de celle-ci, et aucune mesure moins incisive ne semble à même d'y parvenir, ce que les citées ne contestent pas non plus.

Enfin, la condition de l'urgence est également réalisée, l'écoulement du temps étant susceptible d'accroître le préjudice difficilement réparable subi par A______/B______ SA et l'issue d'une procédure au fond, non introduite à ce stade, paraissant encore éloignée.

4.4 Par conséquent, il sera fait droit aux conclusions de A______/B______ SA sur mesures provisionnelles. Compte tenu de la jonction de causes précédemment ordonnée, il sera simultanément fait interdiction à D______ SA et aux autres citées, avec effet immédiat, de faire usage des marques appartenant à A______/B______ SA déposées sous les numéros d'enregistrement 1______ et 2______, y compris de sous-licencier ces dernières à toute entité, ainsi que de faire usage de tout signe distinctif associé auxdites marques.

5.             A______/B______ SA sollicite en outre que les mesures requises soient prononcées sous la menace des peines de droit, ainsi que d'une peine conventionnelle (s'agissant de D______ SA) ou d'une astreinte financière (s'agissant des autres citées).

5.1 Le tribunal qui a ordonné les mesures provisionnelles prend également les dispositions d'exécution qui s'imposent (art. 267 CPC).

Il peut le faire directement dans la décision relative aux mesures provisionnelles. Si la mesure provisionnelle consiste en une interdiction (art. 262 let. a CPC) ou en un ordre de cesser un état de fait illicite (art. 262 let. b CPC), le tribunal assortira sa décision de la menace d'une peine selon l'art. 292 CP ou d'une amende d'ordre prévue par l'art. 343 al. 1 let. b et c CPC. Dans le cas d'un ordre de cesser un état de fait illicite, le tribunal peut directement prévoir une mesure de contrainte, telle que l'enlèvement d'une chose mobilière (art. 343 al. 1 let. d CPC; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 3, 13 et 14 ad art. 267 CPC).

Les mesures doivent répondre au principe de la proportionnalité. Ainsi, seules les mesures qui sont nécessaires à l'exécution des mesures provisionnelles prononcées peuvent être ordonnées (Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 267 CPC).

5.2 En l'espèce, les mesures requises portent sur une interdiction de poursuivre une activité, valant cessation d'un état de fait illicite. Si la loi prévoit la possibilité de prononcer de telles mesures sous la menace des peines de droit, elle ne prévoit pas celle de condamner les parties citées à une peine conventionnelle ou à une astreinte financière, à verser directement à la partie requérante. En qualité de requérante, A______/B______ SA n'allègue pas que de telles mesures auraient en l'occurrence été prévues par contrat.

La menace de la peine prévue à l'art. 292 CP ne peut quant à elle valablement viser une personne morale (cf. Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, ad art. 343 n. 11a), de sorte qu'il n'y a pas lieu d'envisager une telle mesure d'exécution en l'espèce. Les parties citées n'ont par ailleurs pas manifesté l'intention d'ignorer les injonctions ou les interdictions qui leur seraient faites par décision de justice, notamment sur mesures superprovisionnelles. La menace d'une amende d'ordre journalière, de nature plus incisive et susceptible d'aboutir à des montants très élevés (cf. Jeandin, op.cit., ad art. 343 n. 11c et 13), paraît en l'occurrence disproportionnée.

Par conséquent, la Cour de céans renoncera à assortir les mesures présentement ordonnées de dispositions d'exécution particulières.

6.             Conformément à l'art. 263 CPC, un délai de trente jours sera par ailleurs imparti à A______/B______ SA pour ouvrir action au fond, sous peine de caducité des mesures ordonnées ci-dessus.

7.             Les frais des deux procédures jointes, comprenant les frais des décisions rendues sur mesures superprovisionnelles, seront arrêtés à 15'000 fr. au total (art. 13, 14 et 26 RTFMC) et mis à la charge de D______ SA et des autres citées, prises conjointement et solidairement, qui succombent (art. 105 al. 1, art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec les avances de frais de 10'000 fr. et 5'000 fr. respectivement versées par D______ SA et A______/B______ SA (art. 111 al. 1 CPC) et la première sera condamnée conjointement et solidairement avec les autres citées, à rembourser à la seconde le montant de son avance, soit la somme de 5'000 fr. (art. 111 al. 2 CPC).

D______ SA et les autres citées seront également condamnées, conjointement et solidairement, à payer à A______/B______ SA la somme de 10'000 fr. à titre de dépens (art. 105 al. 2 CPC; art. 84, 85 et 88 RTFMC), débours compris (art. 25 LaCC) et hors TVA, vu le siège de A______/B______ SA à l'étranger (ATF 141 IV 344 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_623/2015 du 3 mars 2016).

8.             En matière de droits de propriété intellectuelle, notamment en matière de nullité ou de violation de tels droits, le recours en matière civile au Tribunal fédéral est ouvert indépendamment de la valeur litigieuse (art. 72 al. 1, 74 al. 2 lit. b LTF, art. 5 al. 1 let. a CPC).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Préalablement :

Ordonne la jonction des causes C/17365/2024 et C/22341/2024 sous numéro de cause C/17365/2024.

Statuant sur mesures provisionnelles :

Fait interdiction avec effet immédiat à D______ SA, à C______/F______ SA et à C______/G______ SA de faire usage des marques appartenant à A______/B______ S.A. déposées sous les numéros d'enregistrement 1______ et 2______, y compris de sous-licencier ces marques à toute entité.

Fait interdiction avec effet immédiat à D______ SA, à C______/F______ SA et à C______/G______ SA de faire usage de tout signe distinctif associé aux marques de A______/B______ SA.

Impartit à A______/B______ SA un délai de trente jours dès la notification du présent arrêt pour ouvrir action au fond, sous peine de caducité des présentes mesures provisionnelles.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 15'000 fr. les met à la charge de D______ SA, de C______/F______ SA et de C______/G______ SA, prises conjointement et solidairement, et les compense avec les avances de frais fournies par D______ SA et A______/B______ SA, qui demeurent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne D______ SA à payer à A______/B______ S.A. la somme de 5'000 fr. à titre de remboursement de son avance.

Condamne D______ SA, C______/F______ SA et C______/G______ SA, prises conjointement et solidairement, à payer à A______/B______ SA la somme de 10'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Pauline ERARD, Monsieur
Cédric-Laurent MICHEL, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.