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Décisions | Chambre civile

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C/11943/2024

ACJC/1278/2024 du 15.10.2024 ( IUO ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11943/2024 ACJC/1278/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 15 OCTOBRE 2024

 

Entre

INSTITUT FÉDÉRAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE, sise Stauffacherstrasse 65/59g, 3003 Berne, demandeur, représenté par Me Alexandra JACOT-GUILLARMOD, avocate, Legal Insights, rue de Bourg 16-18, 1003 Lausanne,

et

Monsieur A______, domicilié ______ [VD], défendeur.

 

 


EN FAIT

A. a. L'INSTITUT FÉDÉRAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE (ci-après : l'IPI) est un établissement de droit public de la Confédération, doté de la personnalité juridique, ayant pour but, entre autres, l'exécution des actes législatifs de la législation spéciale relatifs à la propriété intellectuelle, notamment la loi sur la protection des armoiries de la Suisse et des autres signes publics (RS 232.21, LPAP).

b . Le 29 janvier 2024, l'Administration fédérale des douanes, Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières, Douane Ouest Genève Aéroport (ci-après : l'AFD) a informé l'IPI avoir retenu, sous la référence 1______; 2______, un envoi provenant de Pologne, importé par A______, domicilié à la rue 3______ no. ______, [code postal] B______ (VD).

L'envoi contenait, selon la description faite par l'Administration fédérale des douanes, deux boîtes de "C______" [stéroïdes anabolisants], munies des armoiries suisses.

Il ressort des photographies des deux boîtes de "C______" retenues et de leur emballages, annexées à cette communication, que les armoiries de la Confédération suisse, soit une croix suisse placée dans un écusson triangulaire, ou un signe susceptible d'être confondu avec elles, figurent tant sur les emballages que sur les boîtes proprement dites, souvent à proximité des termes "SWISS D______". Y figure également un drapeau suisse, jouxté des termes "SWISS MADE".

c. Par courriel adressé à l'AFD le 3 février 2024, A______ a indiqué ne pas comprendre pourquoi il devrait être "pénalisé à cause du logo de l'exportateur" et sollicité que la marchandise lui soit remise dans les meilleurs délais.

d. Statuant le 22 février 2024 sur mesures superprovisionnelles puis le 23 avril 2024 sur mesures provisionnelles requises par l'IPI le 19 février 2024, la Cour de justice a fait droit aux conclusions de ce dernier tendant à ce que l'envoi destiné à A______ soit retenu par l'Administration des douanes, rejeté celles visant à faire interdiction à celui-ci d'importer des objets portant des signes publics suisses et imparti à l'IPI un délai de 30 jours pour valider ces mesures par le dépôt d'une action au fond.

Dans le cadre de cette procédure, A______ s'est déterminé par courrier du 17 mars 2024, faisant valoir que les compléments alimentaires étaient légaux, qu'il n'était pas responsable des logos et emballages du fournisseur et qu'il convenait de s'adresser à ce dernier pour l'aviser des problèmes que posaient l'expédition de ses produits en Suisse.

B. a. Par acte expédié le 28 mai 2024 à la Chambre civile, l'IPI a formé une action en cessation de l'atteinte en raison de l'emploi illicite d'un signe public, en confiscation et en destruction de la marchandise importée dirigée contre A______. Il conclut à ce qu'il soit ordonné à A______, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP, de cesser l'importation de l'envoi retenu par l'AFD sous la référence 1______; 2______, contenant deux boîtes de "C______", avec armoiries suisses (y compris les emballages et les éventuels documents d'accompagnement), ainsi qu'à l'AFD de confisquer et détruire cet envoi ou prendre toute autre mesure conformément à l'art. 23 LPAP, sous suite de frais judiciaires et dépens.

L'IPI explique que les armoiries suisses, voire des signes susceptibles d'être confondus avec elles, ont été apposées sans droit sur la marchandise importée par A______. L'importation de marchandises portant illicitement des signes publics visés par les art. 1 à 4 et 7 LPAP constituait un emploi illicite de tels signes. L'utilisation illicite des armoiries suisses et des signes publics suisses sur les produits importés, de type compléments alimentaires, était susceptible d'être confondue avec une activité étatique ou semi-étatique dans la mesure où le consommateur pourrait être amené à penser que ces produits sont approuvés par la Confédération suisse. L'emploi illicite des armoiries suisses sur de tels produits potentiellement dangereux pour la santé des consommateurs était ainsi susceptible de causer un dommage patrimonial ou immatériel à la Confédération suisse. La confiscation et la destruction de la marchandise importée était adéquate et proportionnée au regard de la quantité des produits importés sur territoire helvétique munis de tels signes.

Il a notamment produit un article de presse paru le ______ 2023 sur www.E______.ch concernant les compléments alimentaires "SWISS D______", mettant en garde les consommateurs suisses sur les risques liés à l'importation de tels produits munis des armoiries suisses.

b. Par courrier du 25 juin 2024, reçu par A______ le lendemain, la Cour lui a transmis cette demande et les pièces l'accompagnant en lui fixant un délai de trente jours pour y répondre.

c. A______ ne s'étant pas déterminé dans le délai imparti, la Cour lui a fixé un délai supplémentaire de dix jours pour répondre à la demande par avis du 3 septembre 2024, reçu par A______ le 10 septembre 2024.

A______ n'a pas répondu dans le délai fixé.

d. La cause a été gardée à juger le 24 septembre 2024.


 

EN DROIT

1.             La Chambre de céans est compétente à raison de la matière pour connaître de la demande (art. 24 LPAP; art. 5 al. 1 let. i CPC; art. 120 al. 1 let. a LOJ).

Elle l'est également à raison du lieu, dans la mesure où la marchandise dont l'importation est reprochée au défendeur a été interceptée à Genève, qui correspond ainsi au lieu où l'acte illicite a été commis (art. 36 CPC).

2. 2.1.1 Le tribunal notifie la demande au défendeur et lui fixe un délai pour déposer une réponse écrite; le défendeur y expose quels faits allégués dans la demande sont reconnus ou contestés (art. 222 al. 1 et 2 CPC).

Si la réponse n'est pas déposée à l'échéance du délai, le tribunal fixe au défendeur un bref délai supplémentaire (art. 223 al. 1 CPC). Si la réponse n'est pas déposée à l'échéance du délai, le tribunal rend la décision finale si la cause est en état d'être jugée; sinon, la cause est citée aux débats principaux (art. 223 al. 2 CPC).

2.2 En l'espèce, le défendeur n'a pas répondu à la demande, bien que celle-ci lui ait été communiquée le 26 juin 2024, qu'un délai de trente jours lui avait alors été fixé pour se déterminer et qu'après écoulement de ce délai sans réponse du défendeur, un second délai de dix jours lui a été imparti pour répondre.

La cause est en état d'être jugée sur la base des faits allégués par le demandeur et des pièces qu'il a produites à l'appui de sa demande.

3. Se prévalant de l'emploi illicite des armoiries de la Confédération, soit de signes publics visés aux art. 1 à 4 LPAP, l'IPI demande à la Cour d'ordonner au défendeur de cesser l'importation de l'envoi retenu par l'AFD sous la référence 1______; 2______ et d'en ordonner la confiscation et la destruction par cette dernière.

3.1.1 La croix suisse consiste en une croix blanche, verticale et alésée, placée sur un fond rouge et dont les branches, égales entre elles, sont d'un sixième plus longues que larges (art. 1er LPAP). Les armoiries de la Confédération suisse consistent en une croix suisse placée dans un écusson triangulaire (art. 2 al. 1 LPAP). Le drapeau de la Confédération suisse consiste en une croix suisse placée dans un carré (art. 3 al. 1 LPAP).

Les armoiries de la Confédération suisse et les signes susceptibles d'être confondus avec eux ne peuvent être utilisés que par la collectivité concernée (art. 8 al. 1 LPAP). L'emploi des armoiries par d'autres personnes que la collectivité concernée est admis dans différentes circonstances prévues à l'art. 8 al. 4 LPAP, notamment à titre d'illustration dans un dictionnaire ou un ouvrage scientifique, à titre de décoration lors d'une fête ou pour représenter un élément du signe des brevets suisses. Toute personne qui utilise un tel signe public doit apporter la preuve qu'elle y est autorisée (art. 19 LPAP).

Le fait d'apposer des signes publics protégés par la LPAP sur des objets, de vendre, mettre en vente, importer, exporter, faire transiter ou mettre en circulation des objets ainsi marqués constitue un emploi illicite des signes publics (art. 8 al. 1 et 28 al. 1 let. a LPAP).

3.1.2 La Confédération peut intenter une action en vertu de l'art. 20 al. 1 LPAP contre tout emploi illicite des signes visés aux art. 1 à 4 et 7 LPAP (art. 22 al. 1 LPAP).

Elle peut ainsi demander au juge d'interdire l'atteinte en raison de l'emploi illicite d'un signe public, si elle est imminente, de la faire cesser, si elle dure encore, d'exiger de la partie défenderesse qu'elle indique la provenance et la quantité des objets sur lesquels un signe public a été illicitement apposé et qui se trouvent en sa possession et qu'elle désigne les destinataires et la quantité des objets qui ont été remis à des acheteurs commerciaux et d'en constater le caractère illicite, si le trouble qu'elle a créé subsiste (art. 20 al. 1 LPAP).

L'IPI peut intenter des actions visant à la protection de ces signes lorsque leur utilisation permet de conclure à une autorité nationale ou à une activité étatique ou semi-étatique (art. 22 al. 2 LPAP).

3.1.3 L'action peut être intentée contre toute personne qui utilise illicitement un signe public. Il s'agira avant tout du producteur d'objets sur lesquels ont été apposés illicitement des signes publics ou des signes susceptibles d'être confondus avec eux ou du fournisseur de services utilisant le signe public sans y être autorisé, mais également du vendeur, grossiste, détaillant ou de celui qui importe, exporte, fait transiter ou met en circulation de toute autre manière de tels objets (art. 28 al. 1 let. a LPAP; Szabo, Basler Kommentar, Markenschutzgesetz Wappenschutzgesetz, 2017, n. 13 ad art. 20 LPAP).

Si le consommateur n'a, en principe, pas la légitimation passive lorsque la violation intervient dans le cadre de sa consommation privée, le demandeur peut toutefois recourir aux instruments de droit civil lorsque l'importation, l'exportation ou le transit de produits de fabrication industrielle sont effectués à des fins privées (ATF 146 III 89 consid. 7.8; arrêt du Tribunal fédéral 4A_171/2023 du 19 janvier 2024, consid. 5.5.2; SZABO, op. cit. n. 13 ad art. 20 LPAP, renvoyant à Frick, in Basler Kommentar, Markenschutzgesetz Wappenschutzgesetz, 2017, n. 27 ad art. 55 LPM).

3.1.4 Le juge peut ordonner la confiscation des objets sur lesquels des signes publics ou des signes susceptibles d'être confondus avec eux ont été illicitement apposés (art. 23 al. 1 ab init. LPAP). Il décide si les signes publics doivent être rendus méconnaissables ou si les objets doivent être mis hors d'usage, détruits ou utilisés d'une façon particulière (art. 23 al. 2 LPAP).

Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation. Les mesures ordonnées dans ce cadre doivent respecter le principe de proportionnalité (SZABO, op. cit. n. 10 ad art. 23 LPAP).

3.2 En l'espèce, la marchandise importée par le défendeur depuis la Pologne est munie des armoiries de la Confédération suisse, consistant en une croix suisse blanche placée dans un écusson triangulaire rouge, respectivement des signes susceptibles d'être confondus avec eux, apposés à proximité des mentions "SWISS D______" ou "SWISS MADE".

La présence de ces armoiries apposées à proximité des mentions "SWISS D______" ou "SWISS MADE", sur des emballages et des boîtes contenant des compléments alimentaires, peut conduire à conclure à l'existence d'une activité étatique ou semi-étatique, puisqu'elle peut faire penser que les produits contenus dans les emballages et boîtes ainsi estampillés ont subi avec succès un processus de contrôle ou d'autorisation officiels. L'IPI dispose en conséquence de la qualité pour agir au sens de l'art. 22 al. 2 LPAP.

Le défendeur n'allègue pas avoir utilisé ces signes dans le cadre d'un emploi admis au sens de l'art. 8 al. 4 LPAP. En important en Suisse des produits muni des signes publics protégés par la LPAP, il a participé à un emploi illicite de ceux-ci. Le fait qu'il ait importé cette marchandise à des fins privées n'empêche pas le demandeur d'agir civilement à son encontre pour protéger ces signes publics. L'atteinte au droit d'exclusivité d'utiliser les armoiries de la Confédération suisse est ainsi démontrée et le défendeur revêt la qualité pour défendre dans la présente procédure au fond.

La confiscation et la destruction de la marchandise illicitement munie des armoiries suisses apparaissent enfin adéquates et proportionnées pour faire cesser l'atteinte au droit de la Confédération suisse d'utiliser les armoiries et signes protégés par la LPAP, dans la mesure où le défendeur n'allègue pas que cette mesure soit disproportionnée ni ne conteste les explications de la demanderesse sur ce point.

Il sera en conséquence fait droit à la demande. Il sera ordonné au défendeur de cesser l'importation de l'envoi retenu par l'Administration fédérale des douanes, Douane Ouest, Genève Aéroport, route de l'Aéroport 31, 1215 Genève, sous la référence 1______; 2______ et à l'Administration fédérale des douanes de confisquer et de détruire cet envoi. Il n'y a en revanche pas lieu d'assortir l'injonction faite au défendeur de la menace des peines prévues par l'art. 292 CP au regard de la confiscation et de la destruction de la marchandise.

4. Les frais judiciaires de la procédure seront arrêtés à 500 fr. (art. 17 RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste, à due concurrence, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Ces frais judiciaires seront mis à la charge du défendeur, qui succombe (art. 95 al. 2, 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC).

Ce dernier sera en conséquence condamné à verser au demandeur 500 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires, ainsi que 500 fr. à titre de dépens, débours et TVA inclus (art. 95 al. 3, 105 al. 2 CPC; art. 85 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Statuant en instance unique :

Ordonne à A______ de cesser l'importation de l'envoi retenu par l'Administration fédérale des douanes, Douane Ouest, Genève Aéroport, route de l'Aéroport 31, 1215 Genève, sous la référence 1______; 2______, contenant deux boîtes de "C______", avec armoiries suisses, y compris les emballages et les éventuels documents d'accompagnement.

Ordonne à l'Administration fédérale des douanes, Douane Ouest, Genève Aéroport, route de l'Aéroport 31, 1215 Genève, de confisquer et de détruire cet envoi.

Déboute l'INSTITUT FÉDÉRAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 500 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance fournie par l'INSTITUT FÉDÉRAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à 500 fr. à l'INSTITUT FÉDÉRAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE à titre de remboursement de son avance de frais.

Condamne A______ à verser 500 fr. à l'INSTITUT FÉDÉRAL DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE à titre dépens.

Siégeant :

Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, présidente; Monsieur
Laurent RIEBEN, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges;
Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.