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Décisions | Chambre civile

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C/5643/2023

ACJC/974/2024 du 30.07.2024 sur ORTPI/75/2024 ( OO ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5643/2023 ACJC/974/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 30 JUILLET 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 18 janvier 2024, représentée par Me Olivier PETER, avocat, PETER MOREAU SA, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4,

et

B______ SA, EN LIQUIDATION, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Dominique LEVY, avocat, LEVY CONSEIL Sàrl, rue de Beaumont 3, case postale 24, 1211 Genève 12,

et

1)        Madame C______, ______ [GE],

2)        Madame D______, ______ [GE],

3)        Madame E______, ______ [GE],

4)        Madame F______, ______ [VD],

5)        Madame G______, ______ [GE],

6)        Madame H______, ______ [GE],

7)        Madame I______, ______ [VD],

8)        Madame J______, c/o Monsieur K______, ______ [GE],

9)        Madame L______, ______ [GE],

10)    Monsieur M______, ______ [GE],

autres intimés, tous dix représentés par Me Xenia RIVKIN, avocate, 3 MAI AVOCATES, rue De-Grenus 10, 1201 Genève.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le présent arrêt est communiqué aux parties par plis recommandés du 12 août 2024.


EN FAIT

A.      Par ordonnance ORTPI/75/2024 du 18 janvier 2024, expédiée pour notification aux parties le lendemain, le Tribunal de première instance a refusé de suspendre la procédure (ch. 1), imparti "aux parties défenderesses" un délai au 12 février 2024 pour répondre à la demande (ch. 2) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3).

B.       Par acte du 1er février 2024, A______ a formé recours contre la décision précitée (reçue le 22 janvier 2024). Elle a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce que soit ordonnée la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______/2023, avec suite de frais et dépens.

Elle a requis à titre préalable la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance attaquée, ce à quoi la Cour a fait droit, s'agissant du chiffre 2 du dispositif, par arrêt du 13 février 2024.

B______ SA, en liquidation, a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement au rejet de celui-ci, sous suite de frais et dépens.

C______, D______, E______, G______, H______, F______, I______, J______, L______ et M______ ont appuyé les conclusions de A______.

Par avis du 27 juin 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.      Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants:

a.    B______ SA, en liquidation, est propriétaire de l'immeuble sis rue 2______ no. ______ à Genève.

b.   Le 9 octobre 2023, elle a saisi le Tribunal d'une demande en paiement dirigée contre A______, C______, D______, E______, G______, H______, F______, I______, J______, L______ et M______, par laquelle elle a conclu à ce que ceux-ci soient condamnés solidairement à lui verser 46'967 fr. 95 avec suite d'intérêts moratoires, de frais judiciaires et de dépens.

Elle a allégué un dommage correspondant au montant total précité (frais engagés à la suite d'une occupation illicite de son immeuble le 9 février 2023 avec faits de vandalisme), et s'est fondée sur l'art. 41 CO.

Elle a notamment produit des ordonnances de condamnation rendues par le Ministère public à l'encontre de G______, H______, F______, I______, J______, L______ et M______ (procédure P/1______/2023), déclarées coupables de dommages à la propriété aggravés (art. 144 al. 1 et 3 CP), violation de domicile (art. 186 CP), et empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 CP).

Ces décisions ne sont pas définitives.

Il y est notamment fait état de ce que les prévenus ont refusé de répondre aux questions qui leur étaient adressées.

c.    Le 7 décembre 2023, A______ a requis du Tribunal la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______/2023, motif pris de ce qu'elle avait formé opposition à l'ordonnance de condamnation rendue à son endroit, de même que "de nombreuses autres personnes prévenues pour les mêmes faits".

B______ SA, en liquidation, a conclu au rejet de cette requête.

Les autres parties ont conclu à la suspension de la procédure, pour les mêmes motifs que ceux avancés par A______, sous suite de frais et dépens.

Sur quoi, l'ordonnance attaquée a été rendue.

 

EN DROIT

1. 1.1 En tant qu'elle porte sur un refus de suspension, l'ordonnance entreprise du 18 janvier 2024 entre dans la catégorie des ordonnances d'instruction
(ATF
141 III 270 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_453/2021 du 26 juillet 2021 consid. 2) pouvant faire l'objet du recours au sens des art. 319 ss CPC.

A la différence d'une décision d'admission de suspension, le refus de la suspension ne peut faire l'objet que du recours de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, le recourant devant démontrer le préjudice difficilement réparable résultant du refus de suspendre (arrêts du Tribunal fédéral 5A_313/2022 du 15 août 2022 consid. 1.2; 5D_182/2015 du 2 février 2016 consid. 1.3 et la doctrine citée).

Le recours, écrit et motivé, doit être introduit dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 Interjeté en temps utile et dans la forme prévue par la loi, le recours est recevable sous cet angle.

1.3 Reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

La recourante fait valoir qu'à défaut de suspension, elle serait exposée, lors de l'instruction de la présente cause, à déposer en violation des droits fondamentaux (ne pas avoir le fardeau de la preuve de son innocence, droit de refuser de déposer et de collaborer) dont elle dispose dans le cadre de la procédure pénale pendante.

1.3.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'article 93 alinéa 1 lettre a LTF
(ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2 in SJ 2012 I 77). Constitue un préjudice "difficilement réparable", toute incidence dommageable y compris financière ou temporelle qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante voire restrictive avant d'admettre l'accomplissement de cette condition sous peine d'ouvrir le recours contre toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3 et 137 III 380 consid. 2; Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 22 ad art. 219 CPC).

Le préjudice sera considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé, ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Baker/Mackenzie [éd.], 2010, n. 8 ad. art. 319 CPC).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spuhler, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 7 ad. art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision attaquée lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

1.3.2. Selon l'art. 126 al. 1 CPC, le tribunal peut ordonner la suspension de la procédure si des motifs d'opportunité le commandent; la procédure peut notamment être suspendue lorsque la décision dépend du sort d'un autre procès.

La suspension est notamment autorisée lorsque la décision dépend de l'issue d'une autre procédure. Dans ce sens, il faut s'accommoder d'une tension avec le principe de la célérité. Lorsque les questions de droit et de preuves à examiner dans les deux procédures sont en grande partie les mêmes, il existe une forte probabilité qu'elles soient examinées deux fois, avec un risque de décisions contradictoires. L'intérêt à la suspension l'emporte sur l'intérêt à l'accélération de la procédure dans ce cas. Une suspension en vue d'une autre procédure n'entre pas seulement en ligne de compte lorsque les deux procédures sont à des stades différents ou lorsqu'il faut effectivement s'attendre à ce que le tribunal saisi en premier rende un jugement plus tôt que celui saisi en second. Il convient plutôt de peser concrètement les avantages liés à la suspension d'une part et la durée probable de la suspension d'autre part, la procédure ultérieure ne devant pas être retardée de manière disproportionnée (ATF 141 III 549 consid. 6.5; 135 III 127 consid. 3.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_175/2022 du 7 juillet 2022 consid. 5.2-5.4).

Comme le juge civil n'est pas lié par le jugement pénal (art. 53 CO), l'existence d'une procédure pénale ne justifiera qu'exceptionnellement la suspension de la procédure civile. Une suspension peut se justifier si la procédure pénale est importante pour l'appréciation des preuves, par exemple parce qu'il s'agit de savoir si de faux témoignages ont été faits ou de faux documents présentés dans le cadre du procès civil (Gschwend/Bornatico, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n. 13 ad art. 126 CPC; Weber, in Kurzkommentar ZPO, 2014, n. 7 ad art. 126 CPC; Frei, Berner Kommentar, ZPO, 2012, n. 1 et 4 ad art. 126 CPC).

1.3.3 En l'espèce, il est acquis que les droits procéduraux des parties ne sont pas identiques dans le cadre des procédures pénale et civile.

Cela étant, il n'apparaît pas que les garanties fondamentales accordées au pénal, dont la recourante se prévaut pour fonder son préjudice difficilement réparable supposé, seraient atteintes en elles-mêmes de par les arguments de défense que la partie précitée décidera de soumettre au Tribunal dans la présente procédure civile.

Il reviendra en effet à la recourante d'apprécier et de supporter les conséquences de ses positions procédurales, en particulier son choix de se taire devant les autorités pénales, ce qui est son droit, comme celui de, cas échéant, ne pas faire usage du droit de répondre à la demande en paiement de l'intimée.

Pour le surplus, l'état de fait générateur de la demande en paiement déposée par l'intimée est certes le même que celui qui est examiné dans la procédure pénale en cours. Il n'est toutefois pas prétendu que l'instruction des faits serait d'une nature telle que seules des investigations conduites par le juge pénal s'imposeraient, exposant ainsi la recourante à un préjudice difficilement réparable; rien ne conduit à considérer que tel serait le cas. Il n'existe pas non plus de risque de décisions contradictoires, en dépit de l'identité des faits, puisque les questions de droit et de preuves ne sont pas identiques dans les deux causes pendantes simultanément.

Il s'ensuit que la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas réalisée. Le recours est donc irrecevable.

2. La recourante, qui succombe, supportera les frais du recours (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 600 fr. (art. 41 RTFMC), comprenant la décision rendue sur effet suspensif.

Elle versera en outre à l'intimée B______ SA, en liquidation, 600 fr. à titre de dépens de recours (art. 84, 85, 90 RTFMC).

Vu leur position procédurale, les autres intimées, qui sans avoir elles-mêmes formé recours ont appuyé celui de la recourante, ne supporteront pas de frais ni ne percevront de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours formé le 1er janvier 2024 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/75/2024 rendue le 18 janvier 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/5643/2023.

Arrête les frais judiciaires du recours à 600 fr., compensés avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser à B______ SA, en liquidation, 600 fr. à titre de dépens de recours.

 

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Emilie FRANÇOIS, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.