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Décisions | Chambre civile

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C/12873/2023

ACJC/770/2024 du 12.06.2024 sur JTPI/13107/2023 ( OO ) , JUGE

Normes : LaCC.20.al1; LaCC.23.al2; LaCC.25; RTFMC.5; RTFMC.7.al1; RTFMC.17; RTFMC.85
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/12873/2023 ACJC/770/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 12 JUIN 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 10 novembre 2023, représentée par Me François BELLANGER, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4,

et

FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______, sise ______ [ZH], intimée, représentée par Me Jean-Yves SCHMIDHAUSER, avocat, SJA Avocats SA, rue Jean-Sénébier 20, 1205 Genève.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/13107/2023 du 10 novembre 2023, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a déclaré irrecevable l’action en libération de dette formée le 22 juin 2023 par A______ SA dans le cadre de la poursuite n. 1______ (chiffre 1 du dispositif), mis les frais judiciaires, arrêtés à 15’000 fr., compensés à due concurrence avec l’avance fournie, à la charge de A______ SA (ch. 2 et 3), ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer à A______ SA le solde de son avance, en 5'000 fr. (ch. 4), condamné A______ SA à payer à la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______ la somme de 21'000 fr. à titre de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

Dans ce jugement, qui comporte cinq pages utiles (dont une seule de motivation), page de garde et dispositif compris, le Tribunal a considéré que, le litige portant sur la question de l’existence de créances de loyers relatives à une chose immobilière, seul le Tribunal des baux et loyers pouvait en connaître. S’agissant des frais, ils devaient être mis, conformément à l’art. 106 al. 1 CPC, à la charge de A______ SA, partie succombante. Les frais judiciaires ont été arrêtés à 15'000 fr., sans autre motivation qu’un renvoi aux art. 7 al. 1 et 17 RTFMC. Quant aux dépens, ils ont été arrêtés à 21'000 fr., sans davantage de motivation et la mention de l’art. 85 RTFMC.

B.            a. Le 3 janvier 2024, A______ SA a formé recours contre ce jugement, reçu le 16 novembre 2023, concluant exclusivement à l’annulation des chiffres 3 à 5 de son dispositif et cela fait, à ce que les frais judiciaires de la procédure de première instance soient arrêtés à 3'902 fr. 25 et à ce que les dépens dus à la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______ soient fixés à 1'600 fr., avec suite de frais et dépens à la charge de cette dernière. Subsidiairement, A______ SA a conclu à l’annulation des chiffres 3 à 5 du dispositif du jugement attaqué et, cela fait, à ce qu’il soit statué à nouveau sur la question des frais et dépens.

En substance, la recourante a fait grief au Tribunal d’avoir excédé son pouvoir d’appréciation en fixant les frais judiciaires à 15'000 fr., alors que son activité avait été très limitée, le fond du litige n’ayant pas été abordé. Dès lors, l’art. 7 al. 1 RTFMC avait été violé. En ce qui concernait les dépens, l’activité du conseil de la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______ pouvait être évaluée à environ 4 heures, au tarif de 400 fr. de l’heure, ce qui justifiait des dépens à hauteur de 1'600 fr., alors que le montant de 21'000 fr. alloué par le Tribunal correspondait à 52,5 heures d’activité, ce qui était manifestement excessif. Le premier juge avait ainsi largement excédé son pouvoir d’appréciation et la décision attaquée relevait de l’arbitraire.

b. Par courrier du 13 février 2024, la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______ s’en est rapportée à justice, tout en relevant que c’était A______ SA qui avait pris la décision, manifestement erronée, de saisir le Tribunal d’une volumineuse action en libération de dette et de poursuivre ladite action jusqu’au bout, alors que son action relevait de la seule compétence du Tribunal des baux et loyers.

c. Par avis du greffe de la Cour du 14 février 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour.

a. Par jugement JTPI/6200/2023 du 30 mai 2023, le Tribunal, statuant par voie de procédure sommaire, a prononcé la mainlevée provisoire de l’opposition formée par A______ SA au commandement de payer, poursuite n. 1______ (que lui avait fait notifier la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______), à concurrence de 481'920 fr. 80 avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2022.

En substance, le Tribunal a retenu que la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______ (ci-après : la FONDATION B______) était au bénéfice, avec le contrat de bail à loyer signé le 1er mars 2021 qui la liait à A______ SA, d’un titre de mainlevée provisoire, les loyers dus pour l’année 2022 faisant l’objet de la poursuite.

b. Le 22 juin 2023, A______ SA a formé une action en libération de dette devant le Tribunal, concluant à ce qu’il soit constaté qu’elle ne doit pas à la FONDATION B______ la somme de 481'920 fr. 80 avec intérêts à 5% dès la date moyenne du 1er juillet 2022.

L’écriture de A______ SA contiennent 41 pages, page de garde et conclusions comprises. Elle était accompagnée d’un bordereau de 29 pièces.

c. Par ordonnance du 19 juillet 2023, le Tribunal a imparti à A______ SA un délai de 30 jours pour fournir l’identité du ou de ses représentants qu’elle souhaitait faire entendre sur certains de ses allégués dûment mentionnés et l’a avertie qu’à défaut, la demande serait déclarée irrecevable.

d. En réponse à cette ordonnance, A______ SA a adressé au Tribunal, le 14 septembre 2023, une écriture de 11 pages laquelle reprenait certains allégués de l’action en libération de dette et mentionnait, pour chacun d’eux, la ou les personnes dont elle sollicitait l’audition.

e. Par ordonnance du 18 septembre 2023, le Tribunal a transmis à la FONDATION B______ la demande de A______ SA, les pièces et le courrier du 14 septembre 2023, lui impartissant un délai de 30 jours pour répondre.

f. Dans ses écritures du 26 septembre 2023 contenant 7 pages utiles, la FONDATION B______, sans se prononcer sur le fond de l’action en libération de dette, a soulevé une exception d’incompétence ratione materiae du Tribunal et a requis une simplification de la procédure, en ce sens que l’instruction de la cause devait être limitée à la seule question de la compétence du Tribunal pour connaître du litige. La FONDATION B______ a soutenu que le litige entre les parties, découlant du non-paiement de loyers dus dans le cadre du contrat qui les avait liées du 1er mars 2021 au 30 avril 2023, était de la compétence du Tribunal des baux et loyers.

g. Par ordonnance du 17 octobre 2023, le Tribunal a limité la procédure à la question de la compétence à raison de la matière.

h. Le Tribunal a tenu une audience le 3 novembre 2023, laquelle a débuté à 11h45 et s’est terminée, selon ce qui ressort du procès-verbal, à 12h12. Les parties n’ayant sollicité aucun acte d’instruction, le Tribunal a ouvert les débats principaux et a donné la parole aux conseils des parties pour les premières plaidoiries, valant plaidoiries finales dans le cadre limité de la procédure.

Au terme de l’audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1 La décision sur les frais ne peut être attaquée séparément que par un recours (art. 110 CPC cum art. 319 let. b ch. 1 CPC).

1.2 Interjeté dans le délai de trente jours (art. 311 al. 1 CPC) et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 321 al. 1 CPC), le recours est recevable.

1.3 La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

2. 2.1 L'art. 5 RTFMC prévoit que lorsque le règlement fixe un barème-cadre, les émoluments et les dépens sont arrêtés compte tenu, notamment, des intérêts en jeu, de la complexité de la cause, de l'ampleur de la procédure ou de l'importance du travail qu'elle a impliqué.

Dans les causes pécuniaires, l’émolument forfaitaire de décision est fixé, en cas de valeur litigieuse comprise entre 100'000 fr. et 1'000'000 fr., à un montant compris entre 5'000 fr. et 30'000 fr. (art. 17 RTFMC).

Selon l'art. 7 al. 1 RTFMC, lorsqu'une cause est retirée, transigée, déclarée irrecevable, jointe à une autre cause ou lorsque l'équité le justifie, l'émolument minimal peut être réduit, au maximum à concurrence des ¾ mais en principe pas en deçà d'un solde de 1’000 francs.

2.2 En l’espèce, compte tenu de la valeur litigieuse de près de 482'000 fr., les frais judiciaires auraient pu être fixés, si le fond de la cause avait été instruit, au montant de 15'000 fr.

En l’occurrence toutefois, la procédure s’est achevée sans que le Tribunal ait eu à examiner le fond de la cause, puisque l’action en libération de dette a été déclarée irrecevable. L’activité du premier juge s’est limitée au prononcé de quelques ordonnances d’instruction, à la tenue d’une audience d’environ trente minutes et à la rédaction d’un jugement de cinq pages, dont la motivation est limitée à une page utile, la question juridique à résoudre ne présentant par ailleurs aucune complexité.

Dans ces circonstances, le montant final des frais judiciaires, arrêté à 15'000 fr., est excessif et le premier juge aurait dû procéder conformément à l’art. 7 RTFMC, applicable notamment lorsqu’une cause est déclarée irrecevable. Compte tenu de la faible activité fournie par le Tribunal, il se justifie de réduire des ¾ environ l’émolument théorique de 15'000 fr. et de le fixer au montant arrondi de 3'900 fr.

Dès lors, les chiffres 3 et 4 du dispositif du jugement attaqué seront annulés et les frais judiciaires seront arrêtés à 3'900 fr. Il sera par ailleurs ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer à la recourante le solde de son avance de frais, soit 16’100 fr.

3. 3.1 Dans les contestations portant sur des affaires pécuniaires, le défraiement d’un représentant professionnel est, en règle générale, proportionnel à la valeur litigieuse. Il est fixé, dans les limites figurant dans un règlement du Conseil d’Etat, d’après l’importance de la cause, ses difficultés, l’ampleur du travail et le temps employé (art. 20 al. 1 LaCC).

Lorsque le procès ne se termine pas par une décision au fond mais en particulier par un retrait du recours, un désistement, une transaction ou une décision d’irrecevabilité, le défraiement peut être réduit en conséquence (art. 23 al. 2 LaCC).

Les débours nécessaires sont estimés, sauf éléments contraires, à 3% du défraiement et s’ajoutent à celui-ci (art. 25 LaCC).

Pour les affaires pécuniaires, l’art. 85 RTFMC prévoit le défraiement suivant pour une valeur litigieuse au-delà de 300'000 fr. et jusqu’à 600'000 fr. : 19'400 fr. plus 2% de la valeur litigieuse dépassant 300'000 fr.

3.2 En l’espèce, compte tenu de la valeur litigieuse de l’ordre de 482'000 fr., l’intimée aurait pu prétendre, en cas de décision finale après une instruction complète du dossier, à des dépens à hauteur de 23'040 fr. (19'400 fr. + 3'640), auxquels auraient dû s’ajouter les débours et la TVA.

Toutefois et au même titre que pour la fixation des frais judiciaires, il convient de tenir compte du fait que le fond de la cause n’a pas été abordé. L’activité du conseil de l’intimée a par conséquent consisté, pour l’essentiel, à la prise de connaissance de l’action en libération de dette et des pièces qui l’accompagnaient, à la rédaction d’une écriture de sept pages ne portant que sur la question de la compétence du Tribunal et à la participation à une brève audience.

Le premier juge ne pouvait dès lors considérer que cette activité, limitée, justifiait l’octroi de dépens à hauteur de 21'000 fr., correspondant à plus de 50 heures d’activité au tarif de 400 fr./h. L’intimée, sans doute consciente de la disproportion manifeste entre le travail fourni et les dépens qui lui ont été alloués par le premier juge, s’en est d’ailleurs rapportée à justice dans le cadre de la réponse au recours, renonçant à conclure à la confirmation du jugement attaqué.

L’activité fournie par le conseil de l’intimée peut raisonnablement être estimée à une dizaine d’heures au maximum, de sorte que les dépens seront fixés à 4'000 fr., débours et TVA compris.

Le chiffre 5 du dispositif du jugement attaqué sera dès lors annulé et il sera statué conformément à ce qui précède.

4. Les frais judiciaires du recours, arrêtés à 800 fr., seront, compte tenu de l’issue de la procédure et de la position adoptée par l’intimée, laissés à la charge de l’Etat.

L’avance de frais fournie par la recourante lui sera restituée.

Il ne sera pas alloué de dépens à la recourante. L’intimée s’en étant rapportée à justice, des dépens ne sauraient être mis à sa charge; quant à l’art. 107 al. 2 CPC, il ne prévoit pas la possibilité de mettre des dépens (contrairement aux frais judiciaires) à la charge de l’Etat.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ SA contre le jugement JTPI/13107/2023 rendu le 10 novembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/12873/2023.

Au fond :

Annule les chiffres 3 à 5 du dispositif de ce jugement et, statuant à nouveau sur ces points :

Arrête les frais judiciaires de première instance à 3’900 fr., compensés à due concurrence avec les avances opérées, acquises à l'Etat de Genève.

Invite en conséquence les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA le solde de son avance de frais, en 16'100 fr.

Condamne A______ SA à payer à la FONDATION DE PLACEMENTS IMMOBILIERS B______ la somme de 4'000 fr. à titre de dépens.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de recours à 800 fr. et les laisse à la charge de l’Etat.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA son avance de frais en 800 fr.

Dit qu’il n’y a pas lieu à l’allocation de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Paola CAMPOMAGNANI et Madame Stéphanie MUSY, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure à 30'000 fr.