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Décisions | Chambre civile

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C/24632/2022

ACJC/754/2024 du 11.06.2024 sur ORTPI/418/2024 ( OO ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.126
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24632/2022 ACJC/754/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 11 JUIN 2024

Entre

1)      Maître A______, Etude B______, ______ [GE],

2)      Madame C______, domiciliée ______ (France)

recourants contre une ordonnance rendue par la 10ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 8 avril 2024, tous deux représentés par
Me Alec REYMOND et Me Eric HESS, avocats, @lex Avocats, rue de Contamines 6, 1206 Genève,

et

D______ SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Giorgio CAMPA, avocat, avenue Pictet-de-Rochemont 7, 1207 Genève.



EN FAIT

A. Par ordonnance ORTPI/418/2024 du 8 avril 2024, reçue par les parties le 10 avril 2024, le Tribunal de première instance a refusé de suspendre la présente cause (chiffre 1 du dispositif), ordonné la communication à D______ SA du mémoire en réponse et demande reconventionnelle déposé par A______ et C______ (ch. 2) ainsi qu'un second échange d'écritures (ch. 3), imparti à D______ SA un délai au 31 mai 2024 pour le dépôt de sa réplique et de sa réponse à la demande reconventionnelle (ch. 4) et renvoyé le sort des frais à la décision finale (ch. 5).

B. a. Le 12 avril 2024, A______ et C______ ont formé recours contre cette ordonnance, concluant à ce que la Cour de justice l'annule, ordonne la suspension de la cause jusqu'à ce que le dossier de la procédure pénale P/1______/2020 soit consultable (au sens de l'art. 101 al. 1 CPP) par les parties et ordonne qu'il soit sursis à la communication de leur écriture en réponse jusqu'à la reprise de la procédure, avec suite de frais et dépens.

b. Le 12 avril 2024, la Cour, statuant à titre superprovisionnel, a admis la requête de A______ et C______ tenant à suspendre l'effet exécutoire attaché aux chiffres 2 à 4 de l'ordonnance précitée.

Cette décision a été confirmée par arrêt de la Cour du 30 avril 2024, rendu après réception de la détermination déposée par D______ SA.

c. Le 29 avril 2024, D______ SA a conclu à ce que la Cour déclare le recours sans objet, faisant valoir que le Tribunal lui avait transmis, avant l'arrêt de la Cour sur mesures superprovisionnelles du 12 avril 2024, le mémoire et les pièces déposées par ses parties adverses, lesquelles comprenaient, entre autres, la plainte pénale du 28 avril 2021.

d. Les parties ont été informées le 21 mai 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.

a. E______, domiciliée à Genève, était une aristocrate fortunée. Elle est décédée le ______ 2022 à Genève.

C______, sa nièce, allègue être l'une de ses héritières.

A______, notaire, a été désigné par E______ comme exécuteur testamentaire.

b. D______ SA est une société ayant comme but social le placement de personnel. F______ en est le directeur avec signature individuelle.

c. Par demande déposée en conciliation le 8 décembre 2023 et introduite en temps utile devant le Tribunal, D______ SA a assigné A______ et C______ en paiement de 197'567 fr. 59, intérêts en sus.

Elle allègue notamment avoir conclu avec E______ trois contrats de location de services concernant trois employés différents placés chez cette dernière au tarif horaire de 116 fr. 25. Ces contrats avaient été résiliés avec effet immédiat de manière injustifiée par E______. Cette dernière lui devait ainsi le montant précité au titre des prestations effectuées par le personnel en question pour la période du 1er mars au 13 mai 2021.

d. Le 28 mars 2023, A______ et C______ ont requis la suspension de la procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______/2020. Ils ont fait valoir que feue E______ avait déposé plainte pénale pour usure le 28 avril 2021 à l'encontre de D______ SA et de G______, qui avait été placé par cette dernière comme majordome chez la plaignante. Ils ont notamment allégué que D______ SA avait encaissé près de trois millions de francs entre février 2019 et mars 2021 au titre de salaire de personnel, qu'une des employées mentionnée dans la demande avait reçu 100'000 fr. de la part de feue E______, montant versé en mains d'une société gérée par ladite employée et qu'une société tierce, animée par F______ et G______, avait également reçu 300'000 fr. de la part de la défunte.

e. La requête de suspension a été rejetée par ordonnance du Tribunal du 19 avril 2023. Par la même ordonnance, le Tribunal a imparti à A______ et C______ un délai non prolongeable au 15 juin 2023 pour répondre à la demande.

f. Dans le délai fixé, les précités ont déposé une écriture en réponse, formé une demande reconventionnelle et produit des pièces. Sur demande principale, ils ont pris les mêmes conclusions préalables que celles figurant dans leur recours et ont conclu, à titre principal, au déboutement de leur partie adverse de toutes ses conclusions. Reconventionnellement, ils ont principalement conclu à ce que le Tribunal condamne D______ SA à leur verser 60'000 fr., intérêts en sus.

En lien avec la demande de suspension de la procédure, ils ont fait valoir que la procédure pénale avait pris du retard en raison du fait que les prévenus, à savoir F______ et G______, se soustrayaient aux convocations qui leur étaient adressées. Ils n'avaient pas encore eu accès à la procédure pénale pour cette raison. Le déroulement de ladite procédure serait sérieusement entravé si leur mémoire réponse et les pièces annexées étaient transmises à D______ SA, étant précisé que F______ et G______ agissaient de concert.

Sur le fond, A______ et C______ ont fait valoir que E______ avait résilié le contrat pour juste motifs car D______ SA l'avait entourée "d'une association de malfaiteurs qui depuis plusieurs années n'avait cessé de faire en sorte de dégrader sa santé et de piller sa fortune". Ils ne devaient dès lors rien à cette dernière.

g. D______ SA a conclu au rejet de la requête de suspension.

h. La cause a été gardée à juger sur la question de la suspension par le Tribunal à une date qui ne ressort pas du dossier.

EN DROIT

1.             1.1.1 La décision refusant la suspension de la cause est une ordonnance d’instruction qui peut faire l'objet du recours prévu par l'art. 319 let. b ch. 2 CPC (HALDY, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 9 ad art. 126 CPC ; Colombini, Code de procédure civile : condensé de jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, § 6.3 ad art. 126 CPC).

Selon l’art. 319 let. b ch. 2 CPC, le recours est recevable contre les ordonnances d'instruction de première instance lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable.

1.2 En l'espèce, dirigé contre une décision refusant la suspension de la procédure, le recours, écrit et motivé, et déposé auprès de l'instance de recours dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (321 al. 1 et 2 CPC), est recevable sous cet angle.

Reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable aux recourants.

2. Le Tribunal a considéré que le principe de célérité s'opposait à l'admission de la requête de suspension, dans la mesure où la procédure pénale n'en était qu'au stade initial, étant précisé que, plusieurs années après le dépôt de la plainte, les parties mises en cause n'avaient toujours pas été entendues.

Les recourants font valoir que le refus de la suspension leur cause un préjudice irréparable. La procédure pénale n'étant pas consultable, les prévenus n'avaient pas encore eu accès à la plainte. Le contenu de celle-ci, ainsi que les éléments de preuve en mains du Ministère public, étaient divulgués dans son écriture en réponse et les pièces produites. La connaissance de celles-ci permettrait aux prévenus, à savoir G______ et F______, de coordonner leurs déclarations dans le cadre de la procédure pénale, ce qui nuirait à la recherche de la vérité. La paralysie de ladite procédure pénale était imputable au comportement dilatoire des prévenus.

2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" consacrée par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2; Colombini, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n° 4.1.3 ad art. 319 CPC; Jeandin, Commentaire romand, n° 22 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, n° 8 ad art. 319 CPC; Jeandin, op. cit., n° 22a ad art. 319 CPC).

En particulier, une décision de refus de suspension peut être remise en cause dans le cadre d'un appel ou un recours dirigé contre la décision finale (arrêts du Tribunal fédéral 5D_182/2015 du 2 février 2016 consid. 1.3; 5A_545/2017 du 13 avril 2018 consid. 3.2).

Le risque de ne pas obtenir gain de cause ne constitue pas un dommage difficile à réparer, mais un risque inhérent à toute procédure judiciaire. Un accroissement des frais ou une simple prolongation de la procédure ne représentent pas non plus un tel préjudice (Spühler, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozess-ordnung, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, n. 25 ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; Haldy, Commentaire romand, n. 9 ad art. 126 CPC).

2.2 En l'espèce, l'annulation de l'ordonnance querellée ne permettrait pas de préserver les recourants du préjudice dont ils font état puisque leur écriture déposée le 15 juin 2023, et les pièces qui l'accompagnent, ont déjà été transmises à l'intimée par le Tribunal. Celle-ci a dès lors déjà eu connaissance de la plainte pénale déposée par E______ ainsi que des pièces dont se prévalent les recourants.

Le souci de préserver la confidentialité de ces éléments n'est dès lors pas un motif justifiant de déroger à la règle générale selon laquelle les ordonnances d'instruction ne sont pas susceptibles de recours indépendamment du fond du litige.

Le recours doit par conséquent être déclaré irrecevable.

3. Les frais judiciaires de recours seront mis à la charge des recourants, pris solidairement, dès lors qu'ils succombent (art. 106 al. 1 CPC). Lesdits frais seront arrêtés à 800 fr. (art. 41 RTFMC) et compensés avec l'avance versée en 1'400 fr. qui reste acquise à l'Etat de Genève à due concurrence (art. 111 al. 1 CPC).

Le solde de l'avance en 600 fr. sera restitué aux recourants.

Ceux-ci seront en outre condamnés, solidairement entre eux, à payer à l'intimée une indemnité de 500 fr. à titre de dépens de recours, débours compris, étant souligné que celle-ci n'a déposé que deux lettres de deux pages chacune (art. 20, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; art. 85, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


Déclare irrecevable le recours formé le 12 avril 2024 par A______ et C______ contre l'ordonnance ORTPI/418/2024 rendue le 8 avril 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24632/2022.

Met solidairement à la charge de A______ et C______ les frais judiciaires de recours, arrêtés à 800 fr., et compensés à hauteur de ce montant avec l'avance de frais versée, acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer aux précités le solde de leur avance en 600 fr.

Condamne solidairement A______ et C______ à verser à D______ SA 500 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.