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Décisions | Chambre civile

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C/15023/2021

ACJC/533/2024 du 23.04.2024 ( IUO ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15023/2021 ACJC/533/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du MARDI 23 AVRIL 2024

 

Entre

A______ SA, sise c/o B______ SA, ______, demanderesse et défenderesse reconventionnelle, représentée par Me François BELLANGER, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4,

et

Monsieur C______, domicilié c/o Mme D______, ______, défendeur et demandeur reconventionnel, représenté par Me Diana ZEHNDER LETTIERI, avocate, rue Ferdinand-Hodler 7, 1207 Genève.

 


EN FAIT

A.           a. A______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois le ______ 2020, qui a entre autres pour but l'exploitation d'un établissement public à l'enseigne "A______", sis no. ______ rue 1______ à Genève.

E______ en a été l'administrateur jusqu'en janvier 2024. Il est également administrateur de B______ SA.

b. C______ est actif dans le domaine de la restauration. Il allègue avoir, en sa qualité de créateur de concepts, notamment protégé ses "créations" en procédant à leur enregistrement dans le Registre suisse des marques. Il est en particulier titulaire de cinq marques, dont "F______" ou "G______".

c. A______ SA allègue que E______ a eu, à une date indéterminée, l'idée de créer un restaurant proposant du 2______ et des 3______.

E______ a déclaré à la Cour ne pas pouvoir situer exactement dans le temps son idée, ajoutant que c'était en tout cas plusieurs années avant septembre 2020. En mars 2019, il avait appris de son épouse que C______ serait intéressé à travailler avec lui.

C______ allègue que dans le courant de l'année 2018, il a élaboré un concept de restauration dédié au 2______, travaillant à l'élaboration d'un logo et d'une marque.

Il a produit copie d'un dossier, sans dates (mais qu'il a indiqué dater du 27 août 2018), intitulé "Un concept de C______, H______ [expression contenant 2______]", qui comprend notamment une image de devanture d'établissement surmontée d'une toile de tente portant l'inscription "H______".

Il a déclaré à la Cour qu'il avait élaboré un projet en 2018, en constituant un dossier. N'étant pas cuisinier, il avait pensé intéressant de contacter E______.

Le graphiste I______, entendu comme témoin par la Cour, a déclaré qu'il avait conçu ce dossier, qu'il considérait comme un "brise-glace", soit un document qui permet de rencontrer des investisseurs avec un concept qui dévoile un potentiel et des expériences.

d. Le 18 mars 2019, E______ et C______ se sont rencontrés.

Le soir même, le second a adressé au premier un message sms ainsi rédigé: "Merci pour ce soir, réel plaisir de dîner avec J______ [prénom] et toi. A bien vite! C______ [prénom]."

C______ allègue qu'il a soumis à cette occasion son projet à E______, qui avait été séduit dans la mesure où lui-même avait pour idée de développer un menu "autour du 3______". Dans ses déterminations, A______ SA a contesté l'allégué précité.

E______ a déclaré à la Cour que, lors de la rencontre de mars 2019, C______ lui avait montré son dossier; il a ajouté que ce n'était pas du tout le projet qui s'était ensuite réalisé.

C______ a déclaré que E______, sans même ouvrir le dossier qu'il lui soumettait, avait dit que cela tombait bien puisqu'il avait lui-même un projet centré sur le 3______.

e. C______ allègue qu'il avait alors été "missionné" pour élaborer et mettre sur pied "un concept alliant de manière audacieuse le 3______ et le 2______", E______ et lui-même ayant décidé d'unir leurs efforts pour que le projet voie le jour.

A______ SA le conteste, alléguant que C______ ne serait pas à l'origine de la création de l'enseigne "A______", ni du logo de celle-ci.

C______ a déclaré à la Cour qu'il avait compris dès le lendemain de la rencontre du 18 mars 2019 que son appellation "H______ [expression contenant 2______]" était trop réductrice puisque E______ entendait introduire le concept du 3______. Il avait alors cherché d'autres idées, lesquelles figuraient dans la deuxième version de son dossier; parmi ces idées, il y avait un 4______ (dont il avait repéré l'image dans les travaux publiés sur internet par sa créatrice K______), et le nom "A______" (qu'il avait imaginé par référence aux ______ de son enfance et au 4______), qu'il avait remis à son graphiste pour élaboration. Il avait ensuite soumis à E______ la deuxième version de son dossier, à la fin du mois de mars 2019.

Il a produit copie de cette deuxième version de dossier (où figurent des images de logos, devantures d'établissements, tabliers et voiture, portant respectivement les images et noms d'un 4______ "A______ 3______ et 2______", et de multiples autres dessins et appellations, essentiellement composées de 4______, de 2______ ou de 3______, avec divers titres tels "[A______] 2______", "L______" [expression contenant 2______], "M______" [expression contenant 2______], etc.). Il a aussi déposé copie d'un échange de messages sms avec E______ (antérieur au 25 mars 2019), dont l'un émanant de ce dernier, rédigé ainsi "Merci pour le message, j'adore A______!", sous une photo montrant un 4______ assorti de la mention "A______ 3______ & 2______".

A ce sujet, il a déclaré qu'il s'agissait d'une photo d'une partie de la première page de la deuxième version de son dossier. Il avait soumis plusieurs propositions, et il était tout de suite apparu que "A______" correspondait le mieux, étant en adéquation avec le logo qu'il avait trouvé. E______ avait tout de suite apprécié ce nom et ce logo, de sorte qu'ils étaient tombés d'accord sur le fait que cela irait bien pour leur projet commun.

E______ a déclaré à la Cour que c'était lui qui avait décidé d'appeler le restaurant "A______", c'était son idée, inspirée des établissements ______ appelés "[A______]"; les propositions soumises par C______ n'étaient pas du tout dans l'esprit de ce qu'il voulait faire. Il avait vu la seconde version du dossier de C______ sans pouvoir le situer dans le temps. A son souvenir, le précité avait trouvé le dessin du 4______ sur internet; c'était ensuite une de ses collaboratrices qui avait traité avec la créatrice du dessin. Lui-même n'avait pas entendu parler du graphiste mis en œuvre par C______.

Le graphiste I______, entendu comme témoin par la Cour, a déclaré qu'il avait collaboré pour plusieurs projets avec C______ depuis 2004 environ. La deuxième version du dossier était le résultat des travaux que lui avait demandé ce dernier, pour transformer le document précédent ("brise-glace") en concept "bon chic bon genre", d'où le "[A______] 2______". C______ lui avait parlé de sa rencontre avec E______. Le témoin avait lui-même cherché à illustrer les noms que C______ trouvait, et acheté une version du 4______ à sa créatrice.

Le 5 avril 2019, I______ a établi à l'attention de C______ une facture intitulée "Etude & recherche logo mars 2019. Etude et recherche de logo et nom typographie pour concept de restaurant basé sur le 2______", qui énumère divers noms ("H______, N______ [expression faisant allusion à 2______], […], M______ [expression contenant 2______], […] A______, Le A______, A______ 3______ et 2______, A______").

C______ a déclaré qu'il avait réglé cette facture en espèces.

Il a par ailleurs pris à sa charge les frais d'acquisition de la version du 4______ à sa créatrice, selon les avis de virements produits.

f. C______ a déclaré qu'il avait revu régulièrement E______ après mars 2019. Ce dernier a déclaré que ce n'était qu'à fin 2019 ou au début 2020 qu'il avait décidé d'aller de l'avant avec lui.

La responsable des ressources humaines de B______ SA a déclaré à la Cour qu'elle avait le souvenir que E______ lui avait annoncé, de même qu'à sa collègue en charge de la communication, à la fin de 2019, qu'il allait ouvrir dans le courant de 2020 un nouvel établissement appelé "A______", dont le concept serait centré sur le 2______ et le 3______. La témoin n'avait pas eu d'informations sur la paternité de cette idée ni sur l'origine de l'enseigne. Elle avait commencé peu après cette annonce à travailler sur ce projet; E______ validait les choix à opérer, et avait toujours le dernier mot. Lors d'une des premières séances consacrées au projet, ce dernier lui avait présenté C______, dont elle avait alors fait la connaissance, comme le futur directeur ou responsable de l'établissement. C______ avait ensuite été présent lors de quasiment chacune des réunions; une discussion avait porté en particulier, s'agissant du logo, sur la couleur du 4______ (témoin O______).

La responsable de la communication de "P______" (établissement public exploité par E______) a déclaré à la Cour que E______ lui avait annoncé, à une date qu'elle ne pouvait situer mais qui était antérieure à la période Covid et de plusieurs mois antérieure à l'ouverture de l'établissement A______, qu'il allait ouvrir un nouveau restaurant centré sur le 2______ et les 3______. Peu après, le précité lui avait présenté C______. Le projet lui avait été décrit comme étant la volonté de E______ d'ouvrir avec C______ un restaurant consacré au 3______ et au 2______, le premier lui ayant d'abord présenté l'idée comme son projet puis lui ayant dit que c'était un projet commun avec le second qui allait être le directeur de l'établissement. Dans la campagne de marketing, il avait été indiqué que l'un des précités était "2______" et l'autre "3______", sans qu'elle puisse se rappeler qui était l'un et qui était l'autre; dans la réalité, le projet étant commun, ils étaient l'un et l'autre. La collaboration avec C______ avait porté sur les sujets de communication et de marketing, soit la création visuelle du logo, le site, les réseaux sociaux et les relations avec la presse. E______ avait rapidement indiqué que l'établissement s'appellerait A______ et qu'il y avait une ébauche de logo sous forme d'un personnage illustré avec une tête de 2______. C______ avait trouvé le dessin réalisé par une dessinatrice américaine, qui était à disposition sur internet; la version du logo telle qu'utilisée en définitive avait été finalisée (soit personnalisée, adaptée, et transformée), une fois validée par E______, par une agence de graphistes mandatée par ce dernier (témoin Q______).

Par courriel du 13 février 2020, C______ s'est adressé à I______ en ces termes: "Peux-tu stp demander à K______ les choses suivantes: 1. Sur le personnage que l'on a choisi (avec canne) mettre le costume 3 pces […] et le prix (en lui disant qu'on l'utilisera pour notre logo). 2. Un deal pour créer des personnages selon nos demandes […]. 3. Si elle peut transformer le logo à vélo avec le même costume beige etc. mais avec une tête de 2______ […] et le prix. 4. Maintenant faire des offres au nom de A______ SA. […] je sors de 4 heures de réunion avec E______ et son équipe, il est chaud ______, il faut que l'on finalise le logo pour commander les packaging". Par courriel du 25 février 2020, il a signalé à Q______: "Mon graphiste vient d'envoyer un mail à la fille [sic] pour que nous restions sur la 1ère idée. Nous sommes tributaires de sa vitesse étant donné qu'elle est propriétaire du graphisme par contre, dès que nous aurons les droits, nous pourrons continuer le travail avec votre graphiste pour les choix de couleurs […] les fonds et autres supports. "

Par courriel du 28 février 2020, I______ a requis de K______ qu'elle concède les droits d'image à A______ SA, ce que la précitée a fait le 29 février 2020.

g. E______ a identifié les locaux de l'établissement public.

Il a déclaré qu'il avait choisi le chef, et qu'une de ses collaboratrices s'était chargée de l'organisation du service; la finalisation des travaux dans les locaux s'étaient faites sous son contrôle. C______ n'avait pas de pouvoir de décision sur les choix au niveau de la salle ou de la cuisine.

C______ a déclaré qu'il avait participé à toutes les réunions de chantier; il ne facturait pas le temps consacré au projet, étant alors au bénéfice d'indemnités de chômage. Il avait suivi le recrutement d'une partie du personnel, et avait été présent pour la création de la carte même si ce n'était pas sa partie. E______ était présent pour les choix importants, cette phase s'était très bien passée.

Selon le cuisiniste intervenu pour équiper l'établissement, c'est E______ qui prenait les décisions, rien n'était fait sans son aval. C______ était arrivé dans le projet après la validation des premiers plans (témoin R______).

E______ avait le dernier mot pour les décisions (témoin O______); il prenait les décisions finales (témoins Q______; S______, directrice de salle de "P______" [établissement exploité par E______]).

Selon l'architecte d'intérieur des locaux de l'établissement, E______ avait le dernier mot pour la cuisine; pour la salle du restaurant, à son souvenir c'était le propriétaire de ces locaux. C______ se rendait régulièrement sur le chantier, l'échange portait surtout sur l'agencement, sur le concept du restaurant et la décoration; celui-ci et E______ lui paraissaient complémentaires (témoin T______).

L'architecte ayant participé à la rénovation de l'immeuble où l'établissement a été ouvert a déclaré que, pour elle, le restaurant était l'idée de C______, c'est lui qui avait proposé le concept "2______/3______" à E______, et eu l'idée du logo. C'est toujours C______ qui présentait son idée aux architectes et au propriétaire en présence de E______. Dans sa représentation, ce dernier était le chef, c'est-à-dire que c'était son restaurant (témoin U______).

. h. A une date indéterminée, en mars 2020 selon C______, un document intitulé "pacte d'actionnaires" a été rédigé; il devait être conclu entre E______ et C______ et portait sur l'acquisition par le second, du premier, de "dans un premier temps 10% des actions de [A______ SA] puis ultérieurement, selon l'évolution de la situation, des actions supplémentaires", soit pour le premier lot "après l'écoulement de[s] […] six premiers mois de travail dans la société pour autant que E______ estime que ces six mois de collaboration ont été satisfaisants et permettent de franchir le pas supplémentaire de l'entrée de Monsieur C______ dans l'actionnariat de la société".

Ce document n'a pas été signé.

i.               Par contrat de travail du 20 août 2020, C______ s'est engagé au service de A______ SA, en qualité de responsable de l'établissement, à compter du 1er septembre 2020.

Dès le 11 septembre 2020, il a bénéficié d'une signature collective à deux dans A______ SA, en qualité de directeur

j. Le ______ septembre 2020, l'établissement a ouvert sous l'enseigne "A______".

E______ a déclaré que C______ fonctionnait comme directeur de salle, la cuisine étant sous la responsabilité du chef; la carte des mets avait été élaborée par le chef et par lui-même et la carte du bar par le responsable du bar. Les questions d'image du restaurant étaient traitées par sa collaboratrice Q______ avec son accord.

k. Le ______ septembre 2020, [le journal] V______ a publié un article intitulé "E______ et C______ ouvrent ______ à Genève".

Selon la journaliste qui a rédigé cet article, entendue comme témoin, C______, qu'elle avait contacté, avait proposé un portrait croisé avec E______, dans la mesure où il s'agissait d'une collaboration pour une ouverture conjointe et qu'il n'entendait pas "tirer la couverture à lui". E______ lui avait dit: "C______ [prénom] c'est le 2______ et moi je suis le 3______". La témoin ne savait pas qui avait trouvé le nom de "A______", elle n'avait pas le souvenir d'avoir posé la question; elle-même avait connaissance de ce qu'était un [A______] ______, elle avait le souvenir que E______ ou C______ lui avait donné à nouveau la définition, sans qu'elle puisse se rappeler lequel d'entre eux l'avait fait (témoin W______).

Il est admis que l'établissement a dès son ouverture connu une réussite.

Divers autres articles (pour partie produits dans des versions non datées) que celui paru dans [le journal] V______ ont signalé, de façon louangeuse, cette ouverture.

l. Le 29 octobre 2020, A______ SA a licencié C______ et l'a libéré de l'obligation de travailler durant les sept jours de préavis.

C______ a déclaré qu'il avait été choqué lors de la remise de sa lettre de licenciement; il avait demandé à E______ ce qu'il allait advenir du nom "A______", ce à quoi ce dernier lui avait répondu: "prends-le et vas ouvrir des établissements avec ton fric".

E______ a déclaré que C______ n'avait pas évoqué la question du nom lors de sa remise de lettre de licenciement. Il a contesté avoir prononcé les termes qui lui étaient prêtés.

C______ a saisi le Tribunal des prud'hommes d'une demande dirigée contre A______ SA, enregistrée sous n° C/5______/2021, faisant notamment valoir que son congé était abusif. La procédure s'est achevée par arrêt de la Chambre des prud'hommes du 15 février 2023, qui a confirmé le jugement de première instance déboutant C______ des fins de ses conclusions.

m. Le ______ novembre 2020, C______ a déposé la marque "A______" auprès de l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle; cette marque a été enregistrée le ______ décembre 2020 sous n° 6______ pour tous les produits et services de la classe 12, 39 et 43.

Il allègue avoir procédé à ce dépôt pour protéger "le fruit de son travail"; il avait l'intention d'ouvrir un restaurant spécialisé dans le 2______ en juin 2021, dont il avait trouvé les locaux et l'apport financier par un investisseur, mais n'avait en définitive pas pris le risque financier en raison du litige qui allait l'opposer à A______ SA.

Il a déclaré qu'il avait décidé de déposer la marque de façon à protéger son travail de création, ce qu'il n'avait pas fait auparavant par naïveté; il continuait à espérer pouvoir ouvrir des établissements sous le nom "A______".

n. Le 17 novembre 2020, E______ a procédé au dépôt de la marque "A______"; celle-ci a été enregistrée le ______ mars 2021 sous numéro 7______ pour la classe de produits 43.

E______ a déclaré qu'il avait planifié d'agir de la sorte et qu'il n'y avait pas eu d'accélération en raison du dépôt de marque de C______, dont il n'avait pas eu connaissance avant son propre enregistrement. Il n'avait pas enregistré la marque au même moment qu'il avait créé A______ SA, en raison de la surcharge de travail dans le contexte COVID de l'époque.

Le 15 avril 2021, C______ a formé opposition contre l'enregistrement de la marque 7______, au motif que celle-ci était identique et portait sur des produits identiques à celle qu'il avait déposée antérieurement, créant de la sorte un risque de confusion.

Le 27 mai 2021, il a déposé une plainte pénale contre E______ pour violation de la loi fédérale sur les marques. Cette procédure, enregistrée sous n° P/8______/2021, est pendante au Ministère public.

Le 29 juillet 2021, E______ a cédé la marque précitée à A______ SA.

Celle-ci allègue envisager l'ouverture d'autres enseignes avec le même nom et la création de produits dérivés portant ce nom, la mise en œuvre de ces projets étant empêchée par le dépôt de la marque effectué par C______, "dans un but uniquement parasitaire".

B.            Le 3 août 2021, A______ SA a saisi la Cour de justice d'une action en cession du droit à la marque et en nullité. Elle a conclu principalement à la constatation qu'elle était titulaire de la marque "A______" enregistrée [sic] le ______ novembre 2020 dans le registre suisse des marques sous n° 6______ pour l'ensemble des produits et services enregistrés, subsidiairement à ce qu'il soit ordonné à C______ de lui transférer la marque précitée, plus subsidiairement à ce que soit constatée la nullité de ladite marque, avec suite de frais et dépens.

C______ a conclu au déboutement de A______ SA des fins de son action, sous suite de frais et dépens. A titre reconventionnel, il a conclu à ce qu'il soit dit qu'il était seul titulaire de la marque "A______" déposée [sic] le ______ novembre 2020 et enregistrée [sic] dans le registre suisse des marques le ______ décembre 2020 sous numéro 6______ pour l'ensemble des produits et services
concernés, cela fait à ce qu'il soit fait interdiction à A______ SA de faire usage de la marque "A______", d'exploiter le site internet www.A______.ch, https://www.E______.com/fr/etablissements, d'utiliser le nom sur les comptes Instagram et Facebook, d'utiliser le nom pour se présenter, présenter ses produits et services ou à toute autre fin que ce soit sur le site internet, en vente directe, ou de toute autre manière d'exploiter la marque tel qu'apposer la marque sur des produits, emballages, étiquettes, serviettes, véhicules ou tout autre support sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP, et à ce qu'il soit dit que faute d'exécution dans les cinq jours dès l'entrée en force de l'arrêt A______ SA devrait payer une astreinte de 1'000 fr. par jour d'inexécution.

A______ SA a conclu au déboutement de C______ des fins de sa demande reconventionnelle, avec suite de frais et dépens.

Les parties ont répliqué et dupliqué, sur demande principale et sur demande reconventionnelle, persistant dans leurs conclusions respectives.

A l'audience de la Cour du 20 octobre 2022, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives. Sur quoi, les débats principaux ont été ouverts, et les parties ont renoncé aux premières plaidoiries.

Par arrêt préparatoire du 17 février 2023, la Cour a admis, sous réserve de quatre titres produits par C______, les pièces versées par les parties, a rejeté les requêtes d'apport des procédures prud'homale C/5______/2021 et pénale P/8______/2021, et dit que les frais de la décision seraient réglés dans la décision finale.

A l'audience du 7 décembre 2023, les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions respectives.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. L'art. 5 al. 1 let. a CPC prévoit que le droit cantonal institue la juridiction compétente pour statuer en instance cantonale unique sur les litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle, y compris en matière de nullité, de titularité et de licences d'exploitation ainsi que de transfert et de violation de tels droits.

A Genève, il s'agit de la Chambre civile de la Cour civile de la Cour de justice (art. 120 let. a LOJ).

Tant la demande principale que la demande reconventionnelle sont recevables par la Cour.

2. L'action de la demanderesse tend principalement à obtenir, sur la base de l'art. 53 LPM, le droit à la marque "A______" qui correspond à sa raison sociale, alors que cette marque a été déposée en premier lieu par le défendeur. A titre subsidiaire, elle tend à ce que cette marque soit déclarée nulle, en application de l'art. 52 LPM.

Les conclusions reconventionnelles du défendeur tendent à obtenir la cessation de l'usage par la demanderesse de la marque dont il affirme être le titulaire, sur la base de l'art. 55 LPM.

2.1 Aux termes de l'art. 1 al. 1 LPM, la marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux proposés par d'autres entreprises. Selon la jurisprudence, le rôle de la marque est de distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises; son but est d'individualiser les prestations ainsi désignées et de les différencier des autres, de telle sorte que le consommateur puisse retrouver, dans l'abondance de l'offre, un produit ou un service qu'il apprécie (ATF 148 III 257 consid. 6.2.1; 122 III 382 consid. 1, 469 consid. 5f; 119 II 473 consid. 2c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_171/2023 du 19 janvier 2024 destiné à la publication consid. 5.5)

La protection d'une marque vaut sur le territoire suisse dès l'enregistrement (art. 5 LPM). Son titulaire dispose du "droit exclusif" de faire usage de la marque pour distinguer les produits ou services enregistrés (art. 13 al. 1 LPM). Il peut notamment interdire à des tiers l'usage de signes identiques ou similaires pour caractériser des produits ou services identiques ou similaires (art. 13 al. 2 LPM en lien avec l'art. 3 LPM; arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2021 du 3 novembre 2022 consid. 3.3 et les références citées).

2.2 Le droit à la marque appartient à celui qui la dépose le premier (art. 6 LPM).

Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion d'affirmer que celui qui dépose à titre de marque un signe déjà utilisé par un tiers ne pourra se prévaloir de son enregistrement s'il a agi avec une intention déloyale (cf. ATF 129 III 353 consid. 3.4; 127 III 160 consid. 1a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_265/2020 du 28 décembre 2020 consid. 6.3.4 et les références citées; 4A_181/2019 du 27 août 2019 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_100/2013 du 10 juillet 2013 consid. 2.2 et les références citées). Ainsi, aucune protection ne peut être accordée à une marque qui n'aurait pas été enregistrée dans le but d'en faire usage, mais pour en empêcher l'enregistrement par un tiers ou, autre cas de figure, pour élargir le domaine de protection d'une marque effectivement utilisée. De même aucune protection ne peut être accordée à une marque enregistrée non pour l'utiliser, mais pour obtenir une compensation financière ou quelque autre avantage de l'utilisateur préexistant de ce signe (arrêt du Tribunal fédéral 4A_242/2009 du 10 décembre 2009 consid. 6.4). Dans un tel cas, la marque est nulle (ATF
127 III 160 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 4A_181/2019, précité, consid. 2.1 et les références citées).

Pour déterminer le caractère abusif ou non d'un enregistrement, le tribunal doit apprécier l'ensemble des faits (arrêt du Tribunal fédéral 4A_242/2009, précité, consid. 6.4 et les références citées). Il s'agit de définir l'intention, au moment du dépôt, de celui qui est devenu titulaire de l'enregistrement. Il faut tenir compte des buts et motifs du déposant à ce moment-là. Des circonstances postérieures au dépôt peuvent être prises en compte si elles permettent de fournir des indices quant à l'intention du titulaire au moment du dépôt de la marque (arrêt du Tribunal fédéral 4A_100/2013, précité, consid. 2.2 et la référence citée).

Pour pouvoir maintenir son droit à la marque enregistrée, le titulaire doit utiliser celle-ci de façon effective (art. 11 al. 1 LPM; sur la raison d'être de cette incombance, ATF 139 III 424 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2021, précité, consid. 3.3 et les références citées). Il n'est pas tenu d'agir dès l'enregistrement: la loi lui laisse un délai de carence de cinq ans (art. 12 al. 1 LPM), qui recommence à courir s'il interrompt ultérieurement cet usage (arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2021, précité, consid. 3.3 et les références citées). Le titulaire a ainsi le temps d'introduire sa marque sur le marché ou de s'adapter à la situation économique (arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2021, précité, consid. 3.3 et les références citées).

Le législateur ne dit pas ce qu'il entend par "usage de la marque". Doctrine et jurisprudence admettent que l'usage doit se faire en Suisse (ATF 107 II 356 consid. 1c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2021, précité, consid. 3.3 et les références citées). En effet, la marque est protégée en Suisse, champ d'application de la LPM (cf. ATF 105 II 49 consid. 1a); aussi exige-t-on qu'elle exerce sa fonction distinctive sur ce territoire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2021, précité, consid. 3.3 et la référence citée). L'usage doit intervenir conformément à la fonction de la marque, c'est-à-dire pour distinguer les produits ou les services ("usage à titre de marque"). En d'autres termes, l'usage doit être public, la marque devant être utilisée de telle façon que le marché y voie un signe distinctif (ATF 139 III 424 consid. 2.4). Il découle implicitement de l'art. 11 al. 1 LPM que l'usage de la marque doit également être sérieux (arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2021, précité, consid. 3.3). Notamment, un usage purement symbolique, fait à seule fin de ne pas perdre le droit à la marque, ne suffit pas; le titulaire doit manifester l'intention de satisfaire toute demande de marchandise ou de service (ATF 102 II 111 consid. 3). Par ailleurs, l'usage doit être économiquement raisonnable et intervenir dans le commerce. L'usage à des fins privées ou à l'intérieur de l'entreprise ne suffit pas à maintenir le droit. Les usages commerciaux habituels sont déterminants (arrêt du Tribunal fédéral 4A_464/2022 du 3 janvier 2023 consid. 3.2 et les références citées). Dans l'examen du caractère sérieux de l'usage, il convient de se fonder sur toutes les circonstances du cas particulier, notamment les produits, les services et le type d'entreprise concernée, le chiffre d'affaires usuel ainsi que l'étendue géographique, la nature et la durée de l'usage (arrêt du Tribunal fédéral 4A_464/2022, précité, consid. 3.2 et les références citées).

2.3 Selon l'art. 52 LPM, a qualité pour intenter une action en constatation d’un droit ou d’un rapport juridique prévu par la présente loi toute personne qui établit qu’elle a un intérêt juridique à une telle constatation.

L'art. 53 LPM prévoit qu'au lieu de faire constater la nullité de l’enregistrement, le demandeur peut intenter une action en cession du droit à la marque que le défendeur a usurpée (al.1). L’action se périme par deux ans à compter de la publication de l’enregistrement ou, dans les cas visés à l’art. 4, à compter du moment où le titulaire a révoqué son consentement (al. 2). Si le juge ordonne la cession, les licences ou autres droits accordés dans l’intervalle à des tiers tombent; ceux-ci ont toutefois droit à l’octroi d’une licence non exclusive lorsqu’ils ont déjà, de bonne foi, utilisé la marque professionnellement en Suisse ou s’ils ont fait des préparatifs particuliers à cette fin (al. 3). Les demandes en dommages-intérêts sont réservées (al. 4).

L'art. 55 al 1 let. b LPM dispose que la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit à la marque ou à une indication de provenance peut demander au juge de la faire cesser si elle dure encore.

2.4.1 En l'occurrence, il n'est pas contesté que le signe "A______" correspond à la raison sociale de la demanderesse, et que les deux parties (la demanderesse étant au bénéfice de la cession du dépôt opéré par E______) ont procédé à un enregistrement de la marque qui correspond à ce signe, de sorte qu'elles ont qualité pour agir et pour défendre respectivement.

Il est par ailleurs constant que le défendeur a déposé la marque le premier; il est dès lors au bénéfice du principe de priorité au sens de l'art. 6 LPM.

La demanderesse lui oppose la limite apportée à ce principe de priorité que constitue l'interdiction des dépôts frauduleux, lequel permet de constater la nullité du dépôt effectué de manière abusive même lorsque le titulaire a été le premier à déposer la marque.

Il s'agit dès lors d'examiner l'intention du défendeur lorsqu'il a procédé, le ______ novembre 2020, à l'enregistrement de la marque, qui correspondait au signe "A______" déjà utilisé par la demanderesse.

2.4.2 Dans le cadre de cet examen, il s'impose de déterminer qui est à l'origine dudit signe, dont les deux parties se disputent la paternité.

Le défendeur a démontré qu'il avait travaillé de façon indépendante sur un projet initial, matérialisé, selon lui en 2018, dans le document intitulé "Un concept de C______, H______" (limité à du 2______), dont il a déclaré qu'il l'avait soumis en mars 2019 à E______, ce que ce dernier n'a pas contesté. Le défendeur a ensuite apporté la preuve, au travers du document comportant divers noms et images (dont celui de "A______"), qu'il avait continué à travailler le projet initial, enrichi d'un second volet consacré à du 3______. Le témoignage du graphiste I______ a porté sur la chronologie de ces travaux, précisant en particulier que le premier document était d'une année antérieure au second, et que le second était consécutif à la rencontre entre E______ et le défendeur, lequel l'avait chargé de l'élaborer. Le témoin précité a également fait état des trois étapes d'obtention du dessin de 4______, d'abord trouvé librement, en mauvaise définition, sur internet, puis provenant d'un fichier d'origine communiqué par l'illustratrice, puis acquis avec les droits. Le défendeur a enfin démontré, par la production de la facture du 5 avril 2019 à lui adressée et acquittée par ses soins, que le graphiste I______ avait réalisé une étude et des recherches de divers noms (dont "A______", et diverses déclinaisons s'en approchant), aux termes desquelles un produit composé d'un 4______ (basé sur l'illustration K______) assorti de la mention "A______", était prêt avant cette date. L'existence de ce produit est encore corroborée par l'envoi du message de E______, intervenu entre le 18 et le 25 mars 2019, qui comporte une photo dudit produit.

Pour sa part, la demanderesse, en rapport avec le nom "A______", a allégué que E______ avait eu l'idée d'un établissement qui s'était appelé ainsi, sans former d'allégation sur l'origine du nom. Ce dernier a déclaré qu'il avait eu l'idée lui-même, sans autre explication, sinon celle que les propositions de noms élaborées par le défendeur n'étaient pas dans l'esprit de ce qu'il voulait.

Les témoins O______ et Q______ ont appris ensemble, à fin 2019 selon la première, de la part de E______ l'existence d'un projet de futur établissement à l'enseigne A______. Leurs déclarations permettent donc d'établir uniquement le fait qu'alors le nom était décidé. Elles ne démontrent rien de pertinent s'agissant de l'origine de ce nom.

Le témoignage de la journaliste qui a écrit l'article paru dans [le journal] V______ n'a pas non plus apporté d'élément décisif sur ce point, s'étant limité à évoquer la signification des "[A______] ______".

Ainsi, la demanderesse n'a apporté aucun élément probant, au-delà de la déclaration de E______, portant sur l'origine du nom "A______". Le défendeur, au contraire, a déposé des pièces, qui montrent le travail réalisé sur le sujet, avec le graphiste I______ (qui les a confirmées dans son témoignage), comportant diverses étapes et divers essais, dont l'un portant sur le nom "A______", apparu en mars 2019 à tout le moins. L'envoi du message, entre le 18 et le 25 mars 2019, de E______ – qui manifeste son enthousiasme - au défendeur tend également à accréditer la thèse de ce dernier.

Dès lors, la Cour tient pour établi que le défendeur a été à l'initiative du signe "A______".

Celui-ci a ensuite été adopté par E______, dans le cadre du projet commun d'ouverture de l'établissement public, et conféré, en tant que raison sociale, à la demanderesse. Il est établi que le défendeur ne participait pas économiquement à celle-ci, le projet de ventes d'actions de la société anonyme, qui avait été envisagé à des conditions strictes, ne s'étant pas réalisé.

A partir de 2020, il n'est ainsi pas disputé que la demanderesse a procédé aux investissements requis par le projet et a développé de nombreuses activités, auxquelles le défendeur a participé avec des employés d'autres structures dépendant de E______. Les décisions essentielles revenaient en dernier lieu à celui-ci, comme cela résulte des déclarations des témoins O______, Q______, U______, T______ et R______, et comme cela paraît conforme à la structure juridique mise en place.

A compter du début de l'exploitation de l'établissement, sous l'enseigne "A______", par la demanderesse, le défendeur s'est engagé au service de celle-ci, en qualité de directeur. Même si la campagne de communication orchestrée autour de l'ouverture du restaurant a mis en avant la réalisation d'un projet commun entre E______ et le défendeur, il n'en demeure pas moins que dès septembre 2020, ce dernier n'avait pas d'autre statut juridique que celui d'employé de la demanderesse, doté, en qualité de directeur, d'un pouvoir de signature dans celle-ci collectivement à deux.

2.4.3 Lors de l'enregistrement de la marque le ______ novembre 2020, le défendeur avait, comme cela été retenu ci-dessus, été à l'origine du nom "A______" – située en mars 2020 -, eu connaissance de la création de la demanderesse sous la raison sociale identique à ce nom (avril 2020), participé aux travaux ayant conduit à l'ouverture de l'établissement portant ce même nom (d'avril à août 2020), été engagé par la demanderesse (dès le 1er septembre 2020), mis au bénéfice d'un pouvoir de signature collective à deux dans la demanderesse (dès le 11 septembre 2020), avait travaillé au service de la demanderesse dans l'établissement (depuis l'ouverture de celui-ci le ______ septembre 2020), puis été licencié par celle-ci le 29 octobre 2020, et se trouvait dans son délai de congé qui allait se terminer le 5 novembre 2020. Il n'avait, par ailleurs, pas obtenu la signature du pacte d'actionnaires qui projetait en sa faveur une participation conditionnelle dans le capital de la demanderesse au bout de six mois d'emploi.

Ainsi, à la date du dépôt, il se trouvait dans la situation de perdre non seulement son emploi suite à un licenciement, mais aussi tout lien d'intérêt financier éventuel avec l'établissement exploité par la demanderesse, après avoir créé un nom, participé à la mise sur pied du projet de l'ouverture du restaurant, et dirigé celui-ci durant environ six semaines. Et ce alors que l'établissement rencontrait un succès qui ne pourrait dès lors bénéficier qu'à E______.

Il est dès lors difficile d'exclure, au vu de la situation délicate et du contexte particulier décrits ci-dessus, que le dépôt de la marque pendant le délai de congé n'ait comporté aucun aspect abusif, soit en tant qu'il compliquait le dépôt subséquent par E______ et consistait en une mesure de rétorsion, soit en tant qu'il pouvait être constitutif d'une monnaie d'échange dans le cadre de négociations. Or, aucune protection ne peut être accordée à une marque enregistrée dans ce but, même si la paternité de l'idée à l'origine de la marque revient au défendeur ou que celui-ci affirme avoir eu l'habitude d'enregistrer les signes d'autres établissements publics créés dans des circonstances qui n'ont pas été alléguées.

En outre, l'usage allégué par le défendeur n'a fait l'objet d'aucune offre de preuve, sinon la déclaration de l'intéressé; en tout état, déjà au moment du dépôt, cet usage apparaissait très compromis, dans la mesure où l'établissement a été rapidement connu sous son enseigne, en particulier au travers d'une importante couverture médiatique.

Ainsi, à supposer même que l'intention du défendeur ait consisté uniquement, ainsi qu'il l'affirme, à manifester le travail qu'il avait accompli en identifiant le nom "A______", on peine à discerner quel usage concret aurait pu et pourrait encore être effectué d'une marque correspondant à ce signe, en particulier celui qui a été allégué, à savoir l'ouverture d'un restaurant spécialisé dans le 2______. Si la loi prévoit qu'un usage de marque peut être différé dans le temps, en particulier pour l'introduire sur le marché, dans le délai légal de cinq ans prévu par l'art. 12 LPM, cet usage doit être sérieux et économiquement raisonnable; dans le cas d'espèce, cette condition ne paraît pas pouvoir être réalisée.

Certes l'établissement exploité par la demanderesse a été ouvert en septembre 2020, sous l'enseigne "A______", choisie depuis plusieurs mois, sans qu'un enregistrement de marque n'ait été effectué; ce n'est, en effet, que deux mois et demi plus tard que E______, et non la demanderesse, y a procédé, soit après le licenciement du défendeur et le dépôt opéré par ce dernier. E______ a déclaré qu'il ignorait ce dépôt, ce qui n'a pas été contesté par le défendeur, de sorte qu'il n'y a pas à y voir une supposée démarche de rétorsion. En tout état, cet enregistrement s'inscrit dans le prolongement du démarrage de l'entreprise, réelle, et dont rien n'indique qu'elle ne se poursuivrait pas à ce jour.

Le défendeur a fait valoir, dans le cadre de son argumentation à l'appui de ses conclusions reconventionnelles, que la marque n'aurait pas acquis une notoriété importante auprès du public, vu la brièveté de la période d'exploitation au début de la présente procédure. Si en effet, ce laps de temps est relatif, il est contrebalancé par l'importante couverture journalistique, dont résulte indubitablement une association immédiate entre l'établissement exploité par la demanderesse sous l'enseigne "A______" et la marque éponyme, de sorte que la démonstration tentée par le défendeur ne convainc pas.

En définitive, au de ce qui précède, il sera retenu qu'en dépit du principe de priorité, le dépôt de la marque par le défendeur devrait être sanctionné de nullité, au sens de l'art. 52 LPM.

La demanderesse est fondée à demander plutôt la cession de cette marque en sa faveur, en application de l'art. 53 LPM.

Il sera dès lors fait droit aux conclusions de la demande, en ce sens qu'il sera ordonné au défendeur de transférer à la demanderesse la marque "A______" enregistrée le ______ novembre 2020 au Registre suisse des marques sous n° 6______ pour l'ensemble des produits et services enregistrés.

Vu le sort réservé à la demande principale, le défendeur ne pourra qu'être débouté des conclusions qu'il a prises à titre reconventionnel.

La présente décision sera communiquée à l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle (art. 240 CPC, 54 LPM).

3. Le défendeur, qui succombe, supportera les frais judiciaires de la procédure, arrêtés à 5'000 fr. (art. 17 RTFMC).

Celui-ci plaidant au bénéfice de l'assistance judiciaire, ces frais seront provisoirement laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 122 CPC), qui pourra en réclamer le remboursement ultérieurement (art. 123 al. 1 CPC).

L'avance de frais effectuée par la demanderesse sera restituée à celle-ci.

Le défendeur sera condamné à verser à la demanderesse 5'000 fr. à titre de dépens (art. 84, 85 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevables l'action en cession de la marque formée par A______ SA contre C______ dans la cause C/15023/2021, et la demande reconventionnelle en cessation de trouble formée par C______ contre A______ SA.

Au fond :

Ordonne à C______ de céder à A______ SA la marque "A______" enregistrée le ______ novembre 2020 dans le registre suisse des marques sous n° 6______ pour l'ensemble des produits et services enregistrés.

Déboute C______ des fins de sa demande reconventionnelle.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Communique le présent jugement à l'Institut fédéral de la propriété intellectuelle.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 5'000 fr.

Les met à la charge de C______ et les laisse provisoirement à la charge de l'ETAT DE GENEVE.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer 5'000 fr. à A______ SA.

Condamne C______ à verser à A______ SA 5'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.